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Voici les emplacements du PNJ P’tit cornet dans Jean-Baptiste Auguste BarrĂšs SOUVENIRS D'UN OFFICIER DE LA GRANDE ARMÉE PubliĂ©s par Maurice BarrĂšs, son petit-fils, en 1923 Publication du groupe Ebooks libres et gratuits » – Table des matiĂšres MON GRAND PÈRE L’ABBÉ PIERRE-MAURICE BARRÈS SOUVENIRS D’UN OFFICIER DE LA GRANDE ARMÉE L’EMPIRE MON ADMISSION AUX VÉLITES DE LA GARDE L’ARRIVÉE À PARIS LA CÉRÉMONIE DU SACRE LA DISTRIBUTION DES AIGLES UNE SOIRÉE AU PALAIS ROYAL DÉPART POUR L’ITALIE JE DÉCIDE DE TENIR MON JOURNAL RETOUR EN FRANCE SÉJOUR À PARIS DÉPART DE PARIS POUR LA CAMPAGNE D’ALLEMAGNE ENTRÉE EN ALLEMAGNE AUSTERLITZ SEPT MOIS À RUEIL GUERRE CONTRE LA PRUSSE IÉNA L’EMPEREUR ENTRE À BERLIN À LA RENCONTRE DES RUSSES EYLAU L’EMPEREUR GOÛTE LA SOUPE DE BARRÈS. HEILSBERG FRIEDLAND TILSITT RETOUR EN FRANCE ENTRÉE TRIOMPHALE DE LA GARDE À PARIS JE SUIS NOMMÉ SOUS-LIEUTENANT DIX-NEUF MOIS EN FRANCE ESPAGNE ET PORTUGAL CAMPAGNES DE 1813 ET DE 1814 JE REÇOIS LA LÉGION D’HONNEUR LES DEUX BATAILLES DE BAUTZEN DRESDE LE DÉSASTRE DE LEIPSICK SIÈGE DE MAYENCE LA PREMIÈRE RESTAURATION LA RENTRÉE EN FRANCE PENDANT LES CENT-JOURS LA DEUXIÈME RESTAURATION LA TERREUR BLANCHE BARRÈS EST MIS EN DEMI-SOLDE CHEZ L’ARCHEVÊQUE DE BORDEAUX DE SAINT-OMER À NANCY LES DANSES DE SAINT-MIHIEL SÉJOUR À NANCY MON MARIAGE CHARLES X UNE SÉANCE DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE DANS LA PLAINE DE GRENELLE LA RÉVOLUTION DE 1830 LES ORDONNANCES LES TROIS GLORIEUSES – 27 JUILLET 28 JUILLET 29 JUILLET ADHÉSION AU NOUVEAU RÉGIME LA MONARCHIE DE JUILLET LA FAMILLE ROYALE REVUE DE LA GARDE NATIONALE LE DUC D’AUMALE A HUIT ANS PROMENADES DANS PARIS CHEZ LE DUC DE DOUDEAUVILLE DE METZ À WISSEMBOURG DIFFICULTÉS SCOLAIRES EN ALSACE L’ALSACE ACCLAME LE ROI-CITOYEN INSURRECTIONS À STRASBOURG ET À LYON LE CHOLÉRA DE 1832 UNE JOURNÉE RÉVOLUTIONNAIRE LA VIE À STRASBOURG APRÈS TRENTE ANS DE SERVICE À propos de cette Ă©dition Ă©lectronique MON GRAND PÈRE Trois cahiers cartonnĂ©s, qui viennent de chez Wiener, papetier, rue des Dominicains, 53, Ă  Nancy », et leurs nombreux feuillets couverts d’une Ă©criture paisible et claire, dĂ©jĂ  bien palie par le temps ce sont les recueils oĂč mon grand-pĂšre BarrĂšs, officier de la Grande ArmĂ©e, ayant pris sa retraite Ă  Charmes-sur-Moselle, transcrivit soigneusement les douzaines de petits carnets, souillĂ©s et dĂ©chirĂ©s, qu’il avait, durant vingt ans, promenĂ©s dans son havresac sur toutes les routes de l’Europe. ItinĂ©raire », voilĂ  le titre exact qu’il donnait Ă  ses Ă©tapes ; ItinĂ©raire et souvenirs d’un soldat devenu officier supĂ©rieur BarrĂšs, Jean-Baptiste, Auguste, nĂ© Ă  Blesle Haute-Loire, le 25 juillet 1784, ou tableau succinct des journĂ©es de marche et de sĂ©jour dans les villes et villages de garnison et de passage, dans les camps et les cantonnements, tant en France qu’en Allemagne, en Pologne, en Prusse, en Italie, en Espagne et en Portugal, depuis mon entrĂ©e au service le 27 juin 1804, jusqu’au 6 juin 1835, Ă©poque de mon admission Ă  la solde de retraite. » Je les ai toujours vus, ces cahiers olivĂątres, couleur de l’uniforme des chasseurs de la garde, et couleur aussi des lauriers d’Apollon que j’admirai, il y a huit ans, au vallon de DaphnĂ©, prĂšs d’Antioche de Syrie. Quand j’étais enfant, mon pĂšre me les a montrĂ©s, et, grand garçon, j’ai obtenu de les lire. S’il faut tout dire, je me penchais dessus avec plus de bonne volontĂ© que de plaisir. Je sentais que j’avais lĂ , dans mes mains, quelque chose qui intĂ©ressait religieusement mon pĂšre, et qu’à sa mort, je recevrais comme son legs le plus prĂ©cieux, quelque chose entre lui, ma sƓur, moi, et nul autre. Mais alors je n’allais pas plus loin je ne sentais pas ma profonde parentĂ© avec mon grand-pĂšre. Il faut du temps pour que nous discernions le fond de notre ĂȘtre. À cette heure, la reconnaissance est complĂšte ; je ne me distingue pas de ceux qui me prĂ©cĂ©dĂšrent dans ma famille, et certainement leurs meilleurs moments me sont plus proches qu’un grand nombre des jours et des annĂ©es que j’ai vĂ©cus moi-mĂȘme et qui ne m’inspirent que l’indiffĂ©rence la plus dĂ©goĂ»tĂ©e. Aujourd’hui, dimanche matin, qui est le premier matin de mon sĂ©jour annuel Ă  Charmes, je viens de faire au long de la Moselle le tour de promenade qu’y faisaient mon pĂšre et mon grand-pĂšre. La jeunesse du paysage Ă©tait Ă©blouissante, et son fond de silence, tragique. PrĂšs de la riviĂšre, quelques cris d’enfants effrayaient les poissons ; les oiseaux chantaient, sans auditoire ; les cloches des villages sonnaient Ă  toute volĂ©e, et semaient Ă  tout hasard leurs appels sĂ©culaires. J’ai achevĂ© ma matinĂ©e en allant au cimetiĂšre causer avec mes parents. Les inscriptions de leurs tombes me rappellent que mon grand-pĂšre est mort Ă  soixante-deux ans et tous les miens en moyenne Ă  cet Ăąge ; elles m’avertissent qu’il est temps que je rĂšgle mes affaires. Que nous serons bien lĂ  ! » disait avec bon sens ce charmant fils de Jules Soury, quand il allait Ă  Montparnasse visiter la tombe de sa mĂšre. Mais ce profond repos ne sourit pleinement qu’à ceux qui ont rempli toute leur tĂąche et exĂ©cutĂ© leur programme. Or, je commence Ă  me sentir un peu pressĂ© par le temps. Je dĂ©sirerais avant de mourir donner une idĂ©e de toutes les images qui m’ont le plus occupĂ©. À quoi correspond cet instinct, qui est la chose du monde la plus rĂ©pandue ? C’est, je crois, l’effet d’une sorte de piĂ©tĂ©, qui nous pousse Ă  attester notre gratitude envers ce que nous avons reconnu de plus beau, au long de notre existence. On veut se dĂ©finir, payer ses dettes, chanter son action de grĂące. Explication bien incertaine, mais il s’agit du plus vague dĂ©sir de vĂ©nĂ©ration et d’une espĂšce d’hymne religieux, murmurĂ© au seuil du tombeau. J’ai toujours projetĂ© d’établir pour moi-mĂȘme, sous ce titre Ce que je dois », un tableau sommaire des obligations qu’au cours de ma vie j’ai contractĂ©es envers les ĂȘtres et les circonstances. Si je suis un artiste, un poĂšte, je n’ai fait qu’exĂ©cuter la musique qui reposait dans le cƓur de mes parents et dans l’horizon oĂč j’ai, dĂšs avant ma naissance, respirĂ©. Tout ce que je connais de mon pĂšre et de ma mĂšre m’assure dans cette conviction. Qu’est-ce que mes livres ? J’ai racontĂ© un peu d’Espagne et d’Asie ; j’ai travaillĂ© Ă  la dĂ©fense de l’esprit français contre le germanisme ; j’ai magnifiĂ© la Lorraine. Eh bien ! j’ai vu mon pĂšre s’enchanter Ă  Charmes, toute sa vie, des images qu’il avait rapportĂ©es d’un voyage qu’il fit, vers 1850, en AlgĂ©rie, en Tunisie et Ă  Malte. Ma piĂ©tĂ© pour l’armĂ©e, pour le gĂ©nie de l’Empereur et pour la gloire, semble prolonger les Ă©motions qu’a connues mon grand-pĂšre et l’éblouissement que lui laissĂšrent, au milieu de ses misĂšres de soldat, certaines matinĂ©es d’Espagne et de Portugal. Ses expĂ©riences demeurent la racine maĂźtresse qui a nourri mes livres d’une sĂšve dont le romantisme latent Ă©tait d’avance rĂ©sorbĂ© par son robuste sens de la vie. Enfin, si j’ai tant parlĂ©, peut-ĂȘtre avec excĂšs du moins parfois mes meilleurs amis m’en ont plaisantĂ©, des choses que j’ai vues dans l’horizon de Charmes, je suivais l’exemple de mon arriĂšre-grand-pĂšre BarrĂšs le pĂšre de l’auteur de ces Souvenirs, qui a publiĂ© une monographie du canton oĂč lui-mĂȘme vivait Description topographique du ci-devant canton de Blesle, au Puy, an IX. De toutes les idĂ©es auxquelles je me suis vouĂ©, aucune n’est plus ancrĂ©e en moi que la sensation de ma dĂ©pendance familiale et terrienne. J’ai ma vie propre, certes, mais limitĂ©e dans mes quatre saisons et attachĂ©e Ă  une collectivitĂ© plus forte. Ainsi je songe, au cimetiĂšre, prĂšs de la tombe de mes parents. Quelques hauts peupliers dĂ©corent ce champ du repos et je les regarde frissonner sous le vent. Dans la campagne au loin, le mĂȘme coup de vent met en Ă©moi les bois des cĂŽtes et les vergers de mirabelliers. Chacun de nous est pareil Ă  l’une quelconque de leurs feuilles. Ardeur pour conquĂ©rir un surcroĂźt de sĂšve et de lumiĂšre, et puis, soudain, le dĂ©tachement et la mort. Je publie les MĂ©moires de BarrĂšs pour qu’ils servent de prĂ©face et d’éclaircissement Ă  tout ce que j’ai Ă©crit. Un jeune homme est arrachĂ©, dĂ©racinĂ©, par les secousses de la RĂ©volution, d’une petite ville oĂč les siens vivaient, Ă  leur connaissance, depuis cinq siĂšcles. Il parcourt le monde, il amasse des thĂšmes qui devaient d’autant plus le frapper qu’il appartenait Ă  une race immobile, et puis, pour finir, il vient se rĂ©enraciner au sein d’une famille lorraine dans une petite ville, toutes pareilles Ă  sa propre famille et Ă  sa ville natale. VoilĂ  mon grand-pĂšre, voilĂ  les origines de la poignĂ©e d’idĂ©es et de sentiments oĂč je me tiens avec tant de monotonie. * * * * NĂ© Ă  Blesle, en Auvergne, en 1784, mon grand-pĂšre BarrĂšs repose Ă  Charmes, en Lorraine, sous une pierre de grĂšs vosgien, datĂ©e de 1849. C’est le seul dĂ©placement que je sache que ma famille ait accompli depuis le quinziĂšme siĂšcle. De pĂšre en fils, nous avons voulu naĂźtre, vivre et mourir dans la mĂȘme maison », dans cette petite ville de Blesle, oĂč, notaires et mĂ©decins, nous remontons jusqu’à un Pierre BarrĂšs dont le savant M. Paul le Blanc possĂ©dait un titre, datĂ© de 1489. Avant ce Pierre BarrĂšs, nous Ă©tions Ă  Saint-Flour, oĂč un autre Pierre-Maurice BarrĂšs joue un rĂŽle durant la guerre de Cent ans, et, loin dans le temps, nous venions de ce vieux pays de BarrĂšs » le pagus Barrensis des cartulaires mĂ©rovingiens, que jalonnent Murrat-de-BarrĂšs, Lacapelle-BarrĂšs, Mur de BarrĂšs, Lacroix BarrĂšs, et dont vraisemblablement nous avons reçu notre nom. Ce gĂźte sĂ©culaire, ce rĂ©duit du Plateau Central, mon grand-pĂšre l’a Ă©changĂ© contre un abri non moins ancien, quand il est venu prendre place au foyer d’une famille lorraine aussi sĂ©dentaire que la sienne. Ah ! du temps que les Français ne s’aimaient pas », quand mes jeunes camarades de la Revue blanche demandaient Ă  Herr, le fameux bibliothĂ©caire de l’École normale, qu’il rĂ©digeĂąt en leur nom, contre moi, une bulle d’excommunication, ils eurent bien de la divination de me flĂ©trir comme le produit typique des petites villes françaises. J’ai le bonheur d’ĂȘtre cela. Je n’ai pas connu mon grand-pĂšre. Il est mort treize annĂ©es avant ma naissance, mais beaucoup de vieilles personnes m’ont parlĂ© de lui, dans Charmes, qui se rappellent ses maniĂšres, aimables, un peu sĂ©vĂšres et cĂ©rĂ©monieuses. Nos petites villes de l’Est regorgeaient alors d’anciens officiers de la Grande ArmĂ©e. À Charmes, dans le mĂȘme temps, je me vois un autre aĂŻeul, le grand-pĂšre de ma mĂšre, qui, lui aussi, avait fait les guerres de l’Empire, mais qui n’a pas laissĂ© de MĂ©moires. C’est avec de tels hommes que causaient les Erckmann-Chatrian. Je suis sĂ»r que, pour Ă©crire leur Conscrit de 1813, les deux romanciers lorrains ont eu Ă  leur disposition des documents semblables Ă  celui que je publie. Ils n’auraient eu qu’à prendre les premiers feuillets de BarrĂšs, ses Ă©tapes de jeune engagĂ© du Puy Ă  Paris, sa premiĂšre vision du gĂ©nĂ©ral Bonaparte dans la cour du Louvre, et son installation Ă  la caserne de Rueil, pour ajouter un chef-d’Ɠuvre Ă  leur sĂ©rie nationale. Ces retraitĂ©s de la Grande ArmĂ©e Ă©taient trĂšs bien vus de la population lorraine. Elle les adoptait sans rĂ©serve. NĂ© Ă  Charmes d’un pĂšre qui y Ă©tait nĂ©, tout entourĂ© des parents de ma mĂšre et de ma grand-mĂšre, qui appartenaient, de temps immĂ©morial, Ă  cette petite ville, je n’ai jamais soupçonnĂ©, durant mon enfance, que je fusse reliĂ© Ă  un autre terroir, et je ne vois pas non plus que mon grand-pĂšre, devenu veuf, ait songĂ© Ă  regagner le pays de son pĂšre. Il avait fait sien le pays de sa femme, et, une fois la copie de son ItinĂ©raire achevĂ©e, il se mit Ă  Ă©crire successivement une histoire de la province d’Auvergne et une histoire du duchĂ© de Lorraine. C’était un homme qui avait plus d’éducation que d’instruction, mais une trĂšs vive curiositĂ© d’esprit. J’ai passĂ© mes premiĂšres annĂ©es de lecture Ă  feuilleter ses livres et ceux qu’il achetait Ă  son petit garçon, son fils unique, mon pĂšre. J’ai Ă©tĂ© formĂ© par leur Walter Scott et leur Fenimore Cooper. Jadis, je pensais que son ItinĂ©raire manquait de talent littĂ©raire. Ce n’est plus mon avis. Mon grand-pĂšre raconte avec une parfaite clartĂ© ce qu’il a vu, et parfois des choses charmantes. On croirait son attention tout enfermĂ©e dans les soins du service et dans l’horizon de son Ă©tape, mais çà et lĂ  une note nous rĂ©vĂšle ce qu’il avait en outre dans l’esprit. J’aime sa gaietĂ© quand, jeune soldat de vingt ans, au soir de la bataille d’IĂ©na, le hasard loge son escouade dans un pensionnat de demoiselles Les oiseaux s’étaient envolĂ©s, en laissant leurs plumes les pianos, les guitares, une partie de leurs hardes, de charmants dessins, des gravures et des livres
 » J’aime le souvenir qu’il garde d’une minute en Allemagne, au lendemain des jours effroyables de Leipzig J’ai vu dans le village d’Ober-Thomaswald, pour la seule fois de ma vie, une espĂšce de rosier dont le bois et la feuille sentaient la rose, comme la fleur elle-mĂȘme, qui Ă©tait fort belle. » Et cela me plait que, vieil homme, il ait maintenu, dans sa rĂ©daction de Charmes, ce trait naĂŻf qu’il trouvait dans son carnet de Friedland, un trait de l’éternel dĂ©sir de paraĂźtre d’un jeune Français Nos bonnets Ă  poil Ă©taient devenus laids et hideux. On nous les remplaça. J’eus la satisfaction de tomber sur un oursin qui Ă©tait aussi beau que ceux des officiers ! » Et il n’a pas que la sensibilitĂ© de l’imagination, mais la plus profonde, la plus noble, celle du cƓur. À Lutzen, il Ă©crit Nos jeunes conscrits se conduisirent trĂšs bien. Pas un ne quitta les rangs, et il y en eut qu’on avait laissĂ©s derriĂšre, parce qu’ils Ă©taient malades, qui arrivĂšrent pour prendre leurs places. Un de nos clairons, enfant de seize ans, fut de ce nombre. Il eut une cuisse emportĂ©e par un boulet et expira derriĂšre la compagnie. Ces pauvres enfants, quand ils Ă©taient blessĂ©s Ă  ne pouvoir marcher, venaient me demander Ă  quitter la compagnie pour aller se faire panser. C’était une abnĂ©gation de la vie, une soumission Ă  leur supĂ©rieur, qui affligeait plus qu’elle n’étonnait. » * * * * Je m’arrĂȘte. Il ne s’agit pas que j’analyse cet ItinĂ©raire, puisqu’on va lire les parties essentielles. C’est le MĂ©morial de toute une existence. ForcĂ© d’en rayer une multitude de journĂ©es, j’en laisse assez pour que le lecteur accompagne BarrĂšs dans ses principales Ă©tapes. On verra le joyeux dĂ©part du jeune homme, quand il s’éloigne de la maison paternelle, Ă  l’ñge des plus vives curiositĂ©s ; on s’intĂ©ressera aux visions nombreuses qu’un chasseur de la Garde impĂ©riale eu nĂ©cessairement du Grand Homme, dont il lui fut donnĂ© en outre de recevoir Ă  plusieurs reprises la parole directe ; on l’entendra raconter ses batailles et ses fatigues ; on connaĂźtra son profond sentiment du devoir et de l’honneur, un sentiment dont l’expression n’a jamais rien de lyrique ni de théùtral, mais si clair et si vrai ! En 1815, on le verra en demi-solde. La morgue des Ă©migrĂ©s Ă  leur retour, et les offenses que certains d’entre eux avaient la folie de prodiguer Ă  des hommes dont la noblesse et la vertu venaient de conquĂ©rir des titres aussi beaux que ceux des croisades, mon grand-pĂšre les dĂ©crit, dans une multitude de petits traits, qu’il n’était pas dans le programme de Balzac de recueillir, mais dignes de ce grand historien des mƓurs, et qui font toucher du doigt l’extrĂȘme difficultĂ© oĂč se heurte chez nous une restauration monarchique. Le roi est revenu en 1815 avec un titre et un prestige certains il reprĂ©sentait l’autoritĂ© dont tous avaient besoin. Mais Ă  quelle utilitĂ© rĂ©pondait cette multitude de nobles, rĂ©duits Ă  reconquĂ©rir un Ă  un, par leur fiertĂ© et leur savoir-faire, le rang que dans leur imagination seule ils continuaient d’occuper ? Le chef, c’est l’homme dont chacun a besoin, et il est d’autant plus le chef que chacun se sent plus incapable de le remplacer. BarrĂšs nous aide Ă  comprendre que les Français de 1815 n’avaient aucune idĂ©e de l’emploi qu’il pouvaient faire de ducs, de marquis, de comtes et de vicomtes, et c’est bien cet embarras de leur propre personnage qui invitait ceux-ci Ă  des actes insupportables de fiertĂ©, dont ils n’auraient pas eu l’idĂ©e, j’imagine, au milieu d’un consentement unanime et dans une rĂ©elle activitĂ©. La rĂ©volution de 1830 fut moins un soulĂšvement de la France contre son roi que de chaque Français contre un ci-devant. Enfin arrivent son mariage, puis sa retraite et son installation dans la famille de sa femme, et alors nous recueillons ses derniĂšres paroles, sa philosophie de la vie et la morale de la fable. C’était un soldat de la Grande ArmĂ©e, un de ces hommes grandioses et simples, un Ă©ternel trĂ©sor pour notre race. VoilĂ  quel exemplaire humain mettaient au jour les petites villes de France, Ă  la fin du dix-huitiĂšme siĂšcle. On n’a jamais possĂ©dĂ© un instrument plus solide et plus efficace pour les Ɠuvres de la grande civilisation. Tandis que la haute sociĂ©tĂ©, Versailles et Paris avaient perdu leur Ă©quilibre intĂ©rieur, quel beau type d’homme produisaient encore nos provinces, un type oĂč les Ă©nergies physiques et morales sont toujours prĂȘtes Ă  se dĂ©ployer sans violence ! Nulle inquiĂ©tude, nulle attente, jamais d’ennui, aucun mal du siĂšcle, mais une plĂ©nitude de force paisible. Personne, Ă  moins de lire de telles pages, ne peut imaginer qu’on ait vĂ©cu une vie aussi variĂ©e, si dangereuse, si voisine du plus grand gĂ©nie, et qu’on soit demeurĂ© cet esprit exact, sensible et sĂ©vĂšre, d’une harmonie parfaite. Ce n’est pas que BarrĂšs se soustraie au don que l’Empereur possĂ©dait d’enlever les Ăąmes. Lisez son rĂ©cit de la scĂšne qu’il vit, la veille d’Austerlitz, quand, au bivouac oĂč son bataillon sommeillait, soudain NapolĂ©on apparut dans la nuit, tenant Ă  la main une lettre Un de nous prit une poignĂ©e de paille et l’alluma pour faciliter sa lecture. De notre bivouac il fut Ă  un autre. On le suivit avec des torches allumĂ©es en criant Vive l’Empereur ! » Ces cris d’amour et d’enthousiasme se propagĂšrent dans toutes les directions comme un feu Ă©lectrique ; tous les soldats, sous-officiers et officiers se munirent de flambeaux improvisĂ©s, en sorte que, sur des lieues, en avant, en arriĂšre, ce fut un embrasement gĂ©nĂ©ral et que l’Empereur dut en ĂȘtre Ă©bloui. » VoilĂ  ce que vit mon grand-pĂšre le gĂ©nie enveloppĂ© par les flammes de l’enthousiasme et de l’amour. Et le lendemain, alors qu’avec ses camarades de la Garde, BarrĂšs gravissait les hauteurs du plateau pour entrer dans la bataille au cri de Vive l’Empereur ! » l’Empereur lui-mĂȘme les aborda. AprĂšs nous avoir fait signe de la main qu’il voulait parler, il nous dit d’une voix claire et vibrante qui Ă©lectrisait Chasseurs, mes gardes Ă  cheval viennent de mettre en dĂ©route la Garde impĂ©riale russe. Colonels, drapeaux, canons, tout a Ă©tĂ© pris. Rien n’a rĂ©sistĂ© Ă  leur intrĂ©pide valeur. Vous les imiterez. » Il partit aussitĂŽt, pour aller faire la mĂȘme communication aux autres bataillons » De telles minutes marquent de leur sceau toute une race. Mais cet enfant de vingt ans, ce soldat de la Garde impĂ©riale prend le contact de ce Multiplicateur de l’enthousiasme sans se laisser entamer par aucun dĂ©sordre. Il nous raconte des scĂšnes qui sont le lieu de naissance du romantisme et dĂ©pose leur souvenir, sans un mot théùtral, dans le sanctuaire de son cƓur. Tous sont Ă©mus jusqu’au fond de l’ñme, mais dans leur premier Ă©tonnement, ils ne brisent pas leur rĂ©serve native, et la moisson lyrique ne naĂźtra que plus tard. C’est au long du dix-neuviĂšme siĂšcle, que ces instants inouĂŻs viendront comme des revenants agiter les fils des hĂ©ros, et les empĂȘcheront de dormir. Quel mystique aliment, quelles riches Ă©pargnes bien dosĂ©es, quelle prĂ©paration de chaleur et d’éclat ! De quel sacrement nos pĂšres participaient ! Ainsi naquit le romantisme que j’ai essayĂ©, pour ma faible part, de juger et de mettre au point, sans jamais cesser de respecter ses ardeurs originaires, ou du moins voilĂ  ses premiĂšres prĂ©parations. Fait remarquable, mon grand-pĂšre et ses frĂšres de gloire, tandis qu’ils introduisent dans le monde les Ă©lĂ©ments essentiels de cette fiĂšvre, n’en prĂ©sentent aucun symptĂŽme. Stendhal a dit le grand mot NapolĂ©on faisait travailler toute cette jeunesse
 L’action l’absorbait au point de supprimer toute nostalgie. Dans les pĂ©rils et les effroyables fatigues de la guerre, le soldat de l’épopĂ©e peut quelquefois se replier sur lui-mĂȘme, et Ă©prouver un Ă©tonnement douloureux, si quelque injure est faite Ă  des hĂ©ros ; mais, Ă  l’ordinaire, ces nobles gens vivaient coude Ă  coude, dans un mĂȘme songe, dans la haute satisfaction d’ĂȘtre des vainqueurs, couronnĂ©s de lauriers. Ils se dĂ©tournaient de la rĂ©alitĂ© quotidienne, parfois Ă©clairĂ©s d’une lumiĂšre si triste, pour s’enivrer du sentiment de l’honneur. Ils avaient leur haute conscience d’eux-mĂȘmes, le tĂ©moignage retentissant de leur gloire dans les Bulletins de l’Empereur, et l’admiration de tous quand ils rentraient Ă  Paris et dans leurs familles. La mĂ©lancolie et l’isolement, ces conditions indispensables du romantisme, n’apparaissent qu’aprĂšs Waterloo et sous la Restauration, quand, devenus les brigands de la Loire » et les demi-soldes, ils subissent avec stupeur des humiliations qu’ils savaient n’avoir pas mĂ©ritĂ©es. Le sentiment de ne pas recevoir leur dĂ», un dĂ©saccord cruel avec la sociĂ©tĂ©, troublent profondĂ©ment, aprĂšs 1815, les soldats de la Grande ArmĂ©e, et les choses prennent alors pour eux une vibration tragique, toute nouvelle. Ils connaissent la solitude morale. De grands souvenirs, un cƓur humiliĂ© et isolĂ© cette fois, le romantisme est dotĂ© de ses deux raisons principales. Mais pour que ses fleurs apparussent, il fallait encore que le temps fĂźt son Ɠuvre et que le recul créùt des mirages. Ces nobles soldats de la Grande ArmĂ©e, ces grands paysans, si je les vois bien, Ă©taient des esprits Ă  enthousiasme circonscrit. Pas un mot sur l’au-delĂ , dans les souvenirs de mon grand-pĂšre. Aucune prĂ©occupation religieuse. La Garde impĂ©riale avait-elle des aumĂŽniers ? Je n’en sais rien aprĂšs l’avoir lu. Il semble que le baron Larrey, le cĂ©lĂšbre chirurgien, ait Ă©tĂ© chargĂ© de suffire Ă  toutes les fins de vie de ces hĂ©ros. Ces initiateurs de grands rĂȘves sont prodigieusement affermis dans le rĂ©el. Le dĂ©sir d’avancement de mon grand-pĂšre est trĂšs sage. L’avancement se donne Ă  l’anciennetĂ©, aux blessures, aux occasions de se distinguer que le hasard de la guerre peut offrir et que les protections favorisent. C’est plus tard que les dynamismes dĂ©chaĂźnĂ©s se sont aimantĂ©s sur cette Ă©poque oĂč tous les mĂ©rites, s’est-on figurĂ©, recevaient du MaĂźtre une rĂ©compense immense et immĂ©diate. Ce lucide Stendhal lui-mĂȘme, dans sa vie de fonctionnaire de l’Empire, ne nous laisse voir que des dĂ©sirs de carriĂšre courts et grossiers il voudrait quatre mille livres de rentes et toutes les femmes. Ce n’est pas le programme d’une grande vie. Il est tout entier dans ses petites sensualitĂ©s commodes, dans ses joies de garnisons, dans les curiositĂ©s et les ennuis de ses changements de rĂ©sidence. Nous sommes loin du temps oĂč son Julien Sorel, privĂ© d’un cadre social et projetĂ© dans l’infini du dĂ©sir, fera du MĂ©morial de Sainte-HĂ©lĂšne un livre d’excitation, un brĂ©viaire d’énergie. Vigny parle encore avec rĂ©pugnance d’un sentiment qui s’était dĂ©veloppĂ© autour de NapolĂ©on et qu’il appelle le sĂ©idisme l’idĂ©e que tout irait bien, si l’on Ă©tait fidĂšle au chef, qu’on serait alors favorisĂ© de grades, de croix, de dotations, de titres. Senancour compare l’Empereur Ă  un conquĂ©rant asiatique, qui tient Ă  ce que tout le monde soit Ă  son rang, les chevaux, les chars d’assaut, les guerriers, les prĂȘtres, etc. Pour les ouvriers mĂȘmes de l’incomparable Ă©popĂ©e, la rĂ©alitĂ© compte seule, et s’il y a du frĂ©missement, ce n’est que dans le danger affrontĂ©, dans la discipline acceptĂ©e, dans l’accomplissement de la tĂąche quotidienne. Vingt ans aprĂšs, c’est autre chose. Vers 1827, le mirage est formĂ©, et le passĂ© prend une valeur d’excitation. Le prestige est Ă©tabli. Le soleil romantique a montĂ© dans le ciel des imaginations, avec son efficace et toutes ses nuisances. Eux-mĂȘmes, les fils des soldats ne divinisent pas immĂ©diatement le CĂ©sar. Leur premier regard fut plutĂŽt un peu scandalisĂ©. L’intermĂšde venait d’ĂȘtre si cruel la France saignĂ©e Ă  blanc, les AlliĂ©s lui imposant une loi qu’elle semblait avoir oubliĂ©e ! Voyez quel retard mettent Ă  se romantiser, dans l’imagination de Victor Hugo, les Ă©tats de service de son pĂšre ! Il vit d’abord des images de sa mĂšre. Il s’offre Ă  relever la statue d’Henri IV, il cĂ©lĂšbre Quiberon, la VendĂ©e. Son pĂšre a capturĂ© Fra Diavolo, a Ă©tĂ© l’aide de camp du roi Joseph en Espagne, s’est promenĂ© glorieusement en Prusse, en Autriche ; eh bien ! le jeune poĂšte se prĂȘte plus volontiers Ă  l’influence de son beau-frĂšre, M. Foucher, simple rond de cuir, chef de bureau au ministĂšre de la Guerre, un embusquĂ©. Il ne voit pas ce que les hommes d’AprĂšs la bataille et du CimetiĂšre d’Eylau peuvent lui offrir, jusqu’au moment oĂč le gĂ©nĂ©ral Hugo lui fait passer ses MĂ©moires et l’invite Ă  venir causer avec lui Ă  Blois. Alors il s’enflamme, et dans le mĂȘme temps toute sa gĂ©nĂ©ration. Cependant les combattants, il semble que le goĂ»t de l’action et un positivisme avant la lettre les maintinrent Ă©loignĂ©s, jusqu’au bout, de toute espĂšce de transfiguration. 
 Que ces vues nous Ă©clairent sur les origines spirituelles des gĂ©nĂ©rations avec lesquelles nous avons fait le voyage de la vie, et qu’elles nous donnent un pressentiment de la mystĂ©rieuse influence que pourra exercer, dans dix ans, sur l’esprit français, la Grande Guerre dont nous venons d’ĂȘtre les tĂ©moins ! Des ferments, qui n’ont pas encore affleurĂ©, se prĂ©parent pour nos fils, dans les tranchĂ©es recouvertes. * * * * Je publie ces MĂ©moires, Ă  l’ñge oĂč mon grand-pĂšre acheva de les mettre au net. J’en corrige les Ă©preuves, dans le lieu oĂč il les recopiait. À Charmes, il achevait, il y a un siĂšcle, son ItinĂ©raire, et dans ce mĂȘme horizon, je commence l’histoire de ma vie, mon itinĂ©raire intellectuel. J’édite ses Ă©tapes, Ă©crites Ă  l’aube du dix-neuviĂšme siĂšcle pour les placer, comme une prĂ©face, en tĂȘte de tout ce que j’ai fait. Cependant, ce n’est pas dans une prĂ©occupation Ă©troitement personnelle ; je suis rassasiĂ© de moi-mĂȘme, et j’ai cessĂ© de m’intĂ©resser Ă  mes maniĂšres de sentir, qui me donnent du dĂ©sagrĂ©ment et m’emprisonnent depuis soixante ans j’ai l’idĂ©e de publier ici un document qui appartient Ă  la vie nationale. Ces sortes de mĂ©moires constituent une pierre de la maison française. En les examinant avec un siĂšcle de recul, je m’émeus de sentir ce modeste soldat en parfait accord avec tant d’ñmes nobles qu’il n’a pas connues, qu’il n’était pas dans sa destinĂ©e de rencontrer, et qui pensaient Ă  lui, elles et lui se coudoyant Ă  son insu. Quand je lis ce que mon grand-pĂšre raconte de sa journĂ©e du Sacre, oĂč il faisait la haie sur le passage de l’Empereur, je songe Ă  ce que AndrĂ©-Marie AmpĂšre Ă©crivait, le mĂȘme soir, aprĂšs avoir vu le cortĂšge impĂ©rial. La vue d’un drapeau tout en lambeaux, dĂ©chirĂ© dans les guerres, et le froid moins rude ce jour-lĂ  pour ceux qui sont sous les armes », voilĂ  ce qui frappe ce grand homme, d’un si beau gĂ©nie et d’une si noble sensibilitĂ©. Il a une pensĂ©e, d’inconnu Ă  inconnu, pour mon grand-pĂšre ; et moi, aprĂšs cent ans, j’éprouve pour AndrĂ©-Marie AmpĂšre et son fils Jean-Jacques un mouvement d’amitiĂ©. Ainsi se forme la patrie dans les Ăąmes. Et puis de tels MĂ©moires constituent un Ă©lĂ©ment excellent, pour comprendre ce qu’est une famille française, pour suivre la courbe de l’esprit national et pour distinguer le vrai dessein politique de la France. Qu’y voyons-nous essentiellement ? Je le rĂ©pĂšte un enfant du Plateau Central, arrachĂ© par la grande secousse rĂ©volutionnaire du gisement dont il faisait partie depuis des siĂšcles, oĂč tous les siens s’abritaient depuis la pĂ©riode gallo-romaine, et qui devient pour de longues annĂ©es un dĂ©fenseur de la France une et indivisible, jusqu’à ce que les Ă©vĂ©nements l’amĂšnent Ă  se fixer aux confins mĂȘme de la patrie qu’il a servie, dans cette Lorraine oĂč il fait souche. Dans mon esprit, cette publication, si le temps le permet, sera Ă©clairĂ©e par d’autres, qui viendront ensuite la complĂ©ter. J’ai Ă  commenter, avec mes souvenirs d’enfance, des lettres que je possĂšde de mon pĂšre et de ma mĂšre sur les Prussiens Ă  Charmes, en 1870, et jusqu’au paiement des cinq milliards. Il se peut que mon fils, quelque jour, comme tant de camarades, raconte ses quatre annĂ©es de la Grande Guerre, qu’il a terminĂ©es dans un bataillon de chasseurs du recrutement des Vosges. De telles publications, Ă  la fois glorieuses et communes, dont il n’est pas de famille française qui n’en puisse fournir de pareilles, rendent Ă©vidents et tangibles le pĂ©ril Ă©ternel auquel la France est exposĂ©e et la nĂ©cessitĂ© de maintenir notre antique conception de l’honneur. MAURICE BARRÈS. Charmes, le 17 aoĂ»t 1922. L’ABBÉ PIERRE-MAURICE BARRÈS Il est question, Ă  plusieurs reprises, dans ces Souvenirs, et dĂšs leurs premiĂšres lignes, du frĂšre aĂźnĂ© de BarrĂšs, mon grand-oncle Pierre-Maurice BarrĂšs. C’est une figure intĂ©ressante et complexe, dont M. Ulysse Rouchon traçait, il y a peu, dans les DĂ©bats, un croquis attachant. Pierre-Maurice BarrĂšs, disait-il, nĂ© Ă  Blesle, le 22 septembre 1766, Ă©tait l’un des derniers licenciĂ©s de l’antique Sorbonne. Il commença ses Ă©tudes sacerdotales au grand sĂ©minaire de Saint-Flour, et y reçut les ordres mineurs. Sous l’épiscopat constitutionnel de son compatriote Delcher, curĂ© de Brioude, Ă©lu Ă©vĂȘque de la Haute-Loire, le 28 fĂ©vrier 1791, le jeune clerc, alors Ă©levĂ© au diaconat, vint au Puy, prĂȘta serment, et fut chargĂ©, en compagnie du cordelier Teyssier et de Bonnafox, curĂ© de Lempdes, de la rĂ©organisation du grand sĂ©minaire, abandonnĂ© par les sulpiciens insermentĂ©s. Les circonstances interrompirent le sĂ©jour de BarrĂšs au grand sĂ©minaire, Ă  la fin de 1792, Ă©poque Ă  laquelle la direction de l’établissement fut remise aux vicaires Ă©piscopaux. Il quitta alors l’habit ecclĂ©siastique, et, Ă  l’organisation de l’École centrale du Puy, il fut pourvu, au choix, par arrĂȘtĂ© municipal du 3 frimaire an V, de la chaire de Belles-Lettres. BarrĂšs fut un des professeurs les plus distinguĂ©s et les plus dĂ©vouĂ©s de ce nouveau collĂšge. On le trouve, le 10 germinal an VII, prĂ©sidant un exercice d’éloquence et parlant sur le prix et les caractĂšres de la vraie libertĂ© ; le 2 florĂ©al an VII, cĂ©lĂ©brant le centenaire de la mort de Racine
 Le 15 fructidor an XII, les maĂźtres et les Ă©lĂšves de l’École centrale se sĂ©paraient, mais, depuis cinq ans, Pierre BarrĂšs avait Ă©tĂ© appelĂ© Ă  des fonctions plus Ă©levĂ©es. Lors de la crĂ©ation des prĂ©fectures, il avait Ă©tĂ© en effet dĂ©signĂ©, par dĂ©cret du 15 florĂ©al an VIII, comme secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de la Haute-Loire. Pendant seize annĂ©es, l’ancien professeur fut le collaborateur estimĂ© de l’administration, et, sans exagĂ©ration, l’on peut dire que ce fut lui qui supporta, presque Ă  lui seul, tout le poids des affaires dĂ©partementales. DouĂ© d’une rare activitĂ©, il menait de front les travaux de sa fonction, les plaisirs, les relations mondaines. Les missions les plus dĂ©licates lui furent confiĂ©es Ă  diverses reprises. En 1812, il alla soutenir Ă  Paris les droits de la ville du Puy Ă  un lycĂ©e ; en 1816, il fut envoyĂ© Ă  Lyon pour dĂ©fendre auprĂšs des Autrichiens les intĂ©rĂȘts du dĂ©partement. Son habile intervention, dans le rĂšglement des indemnitĂ©s dues aux troupes d’occupation, lui valut la croix de la LĂ©gion d’honneur. Parvenu de la sorte Ă  une situation Ă©minente dans son propre pays, BarrĂšs aurait pu lĂ©gitimement entretenir de hautes ambitions, mais, Ă  la suite d’une de ces crises de conscience qui sont l’apanage d’une Ă©lite, l’ancien clerc, de retour au Puy, se dĂ©mit bientĂŽt de sa charge. La nouvelle provoqua un vif Ă©tonnement dans la rĂ©gion, et souleva de nombreux commentaires, mais dĂ©jĂ  l’ancien secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral se trouvait Ă  Bordeaux, auprĂšs de son ami Cartal, supĂ©rieur du grand sĂ©minaire. Dix-huit mois aprĂšs cette retraite, Mgr d’Aviau l’ordonnait prĂȘtre, le nommait vicaire de la paroisse Saint-Michel, et, simultanĂ©ment, supplĂ©ant de morale Ă  la FacultĂ© de ThĂ©ologie. Ces fonctions attirĂšrent l’attention sur Pierre BarrĂšs, qui devint grand vicaire le 1er avril 1819. PrĂ©dicateur trĂšs goĂ»tĂ©, directeur spirituel renommĂ©, l’abbĂ© fut, durant plusieurs annĂ©es, confesseur de la duchesse d’AngoulĂȘme. Le correspondant n’était pas moins apprĂ©ciĂ©, au dire du regrettĂ© chanoine PailhĂšs ; et ses lettres, lĂ©guĂ©e avec tous ses papiers au grand sĂ©minaire, mĂ©riteraient les honneurs d’une publication spĂ©ciale qui ne manquerait pas d’intĂ©rĂȘt. Le 29 avril 1838, il mourut Ă  Bordeaux, et fut inhumĂ© dans le caveau de la primatiale Saint-AndrĂ©. » Ainsi s’exprime le savant M. Ulysse Rouchon. J’ajouterai qu’on trouve le nom de Pierre-Maurice BarrĂšs dans l’histoire de Mme FourĂšs, la jolie personne qui avait Ă©tĂ© la maĂźtresse de Bonaparte en Égypte. L’abbĂ© PailhĂšs, bien connu par ses prĂ©cieux travaux sur Chateaubriand et sur Mme de Chateaubriand, m’avait Ă©crit qu’il voulait peindre mon grand-oncle et faire connaĂźtre sa correspondance. Il disait que c’était un esprit qui avait de la profondeur. Je ne sais s’il avait Ă©clairci le mystĂšre de sa vie et l’énigme de sa conversion. M. B. L’EMPIRE Un arrĂȘtĂ© des consuls du 21 mars 1804 30 ventĂŽse an XII crĂ©a un corps de vĂ©lites, pour faire partie de la garde consulaire et ĂȘtre attachĂ© aux chasseurs et grenadiers Ă  pied de cette troupe d’élite. Deux bataillons, de huit cents hommes chacun, devaient ĂȘtre formĂ©s, l’un Ă  Écouen, sous le nom de chasseurs vĂ©lites, et l’autre Ă  Fontainebleau, sous celui de grenadiers vĂ©lites. Pour y ĂȘtre admis, il fallait possĂ©der quelque instruction, appartenir Ă  une famille honorable, avoir cinq pieds deux pouces au moins, ĂȘtre ĂągĂ© de moins de vingt ans, et payer 200 francs de pension. Les promesses d’avancement Ă©taient peu sĂ©duisantes, mais les personnes qui connaissaient l’esprit du gouvernement d’alors, le goĂ»t de la guerre chez le chef de l’État, le dĂ©sir qu’avait le Premier Consul de rallier toutes les opinions et de s’attacher toutes les familles, pensĂšrent que c’était une pĂ©piniĂšre d’officiers qu’il voulait crĂ©er, sous ce nom nouveau empruntĂ© aux Romains. Dans les premiers jours d’avril, mon frĂšre aĂźnĂ©, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de la prĂ©fecture du dĂ©partement de la Haute-Loire, mort vicaire gĂ©nĂ©ral de l’archevĂȘque de Bordeaux en 1837, vint dans la famille pour proposer Ă  mon pĂšre de me faire entrer dans ce corps privilĂ©giĂ©, sur lequel il fondait de grandes espĂ©rances d’avenir. L’idĂ©e de voir Paris, de connaĂźtre la France et peut-ĂȘtre des pays Ă©trangers, me fit accepter tout de suite la proposition qui m’était faite, sans trop songer au difficile engagement que j’allais prendre. Mais en y rĂ©flĂ©chissant plus mĂ»rement, je me dĂ©cidai sans peine Ă  confirmer ma rĂ©solution spontanĂ©e, malgrĂ© tous les efforts que mes parents firent pour me dissuader d’entrer dans une carriĂšre aussi pĂ©nible et pĂ©rilleuse. MON ADMISSION AUX VÉLITES DE LA GARDE Le 18 mai 28 florĂ©al, le jour mĂȘme que NapolĂ©on Bonaparte, Premier Consul, fut proclamĂ© et saluĂ© empereur des Français, le ministre de la Guerre, Alexandre Berthier, signait l’admission aux vĂ©lites de vingt-cinq jeunes gens du dĂ©partement qui s’étaient prĂ©sentĂ©s pour y entrer. Le 20 juin, je me rendis au Puy, pour recevoir ma lettre de service et passer la revue. Le dĂ©part Ă©tait fixĂ© au 25. Je partis la veille pour voir encore une fois mes bons parents, et je restai avec eux jusqu’au 27. Les derniers moments furent douloureux pour mon excellente et bien-aimĂ©e mĂšre. Mon pĂšre, moins dĂ©monstratif et plus raisonnable, montra plus de fermetĂ© ou de sang-froid, pour ne pas trop exciter mes regrets. Des larmes dans tous les yeux, la tristesse peinte sur tous les visages qui m’entouraient, m’émurent profondĂ©ment et m’îtaient tout mon courage. AprĂšs avoir payĂ© ma dette Ă  la nature, je partis au galop pour cacher mes pleurs. Quelques heures aprĂšs, j’étais Ă  Issoire, oĂč je rejoignis mes compagnons de voyage, mes futurs camarades de giberne. Je me mis aussitĂŽt sous les ordres du premier chef que ma nouvelle carriĂšre me donnait. C’était un lieutenant du 21Ăšme rĂ©giment d’infanterie lĂ©gĂšre, Corse de naissance, un des braves de l’expĂ©dition d’Égypte, trĂšs original, peu instruit, mais excellent homme. Il s’appelait Paravagna. Ce n’était pas une petite mission que celle de conduire Ă  Paris vingt-cinq jeunes tĂȘtes, passablement indĂ©pendantes, et n’ayant encore aucun sentiment des devoirs que nous imposait notre position de recrues et de subordination. Il Ă©tait secondĂ© par un sergent, qu’on n’écoutait pas. Le 27 juin, nous Ă©tions Ă  Issoire. Le 28, Ă  Clermont, nous fĂ»mes conduits chez le sous-inspecteur aux revues, pour lui ĂȘtre prĂ©sentĂ©s. Il nous compta de sa fenĂȘtre, ce qui nous dĂ©plut fort, et lui attira de notre part quelques bons sarcasmes. Le 30, nous fĂźmes halte Ă  Riom, le 1er juillet Ă  Saint-Pourçain, le 2 Ă  Moulins. Avant d’arriver Ă  cette ville, nous fĂ»mes foudroyĂ©s par un orage effroyable, qui nous effraya par la masse d’eau qu’il jeta sur nous et dont notre petit bagage fut entiĂšrement abĂźmĂ©. Nous ne repartĂźmes de Moulins que le 4, pour coucher Ă  Saint-Pierre-le-Moutiers. Les dĂ©penses assez considĂ©rables que nous faisions, dans ces petites journĂ©es de marche, nous engagĂšrent Ă  prendre des voitures, pour arriver plus tĂŽt Ă  Paris. Le lieutenant s’y opposa longtemps ; il nous menaça de nous faire arrĂȘter par la gendarmerie, si nous nous permettions de partir sans lui. On se moqua de lui et de ses menaces. Cependant, aprĂšs de longues discussions, on s’arrangea, en payant pour lui et le sergent. Ce dernier y perdait le pain de munition qu’on lui laissait, et M. Paravagna quelques bons dĂźners qu’on lui payait. Les concessions une fois faites de part et d’autre, nous montĂąmes en voiture, c'est-Ă -dire en pataches, quatre dans chacune, et partĂźmes fort satisfaits, quoique cahotĂ©s, moulus, et le corps brisĂ© de fatigue, dans ces vĂ©hicules barbares suspendus sur des essieux. Nous passĂąmes successivement Ă  Pougues, la CharitĂ© sur Loire, Prouilly, Cosne, Briare, Montargis. Le 6 juillet, au soir, nous arrivĂąmes Ă  Nemours et nous couchĂąmes. C’était bien nĂ©cessaire, car nous avions les os brisĂ©s et le corps tout contus. Dans ce trajet de quarante lieues de poste, il m’arriva un accident, qui aurait bien pu m’arrĂȘter dĂšs les premiers jours de ma carriĂšre militaire. AprĂšs avoir gravi une cĂŽte Ă  pied, je voulus monter dans ma patache sans la faire arrĂȘter. TrompĂ© par un lambeau de tapisserie, qui se trouvait entre la croupe du cheval et le devant de la voiture, j’appuyai ma main dessus et passai entre les deux, en tombant rudement sur la route. Par bonheur, aucun de mes membres ne se trouva sous le passage des roues. J’en fus quitte pour quelques contusions et les plaisanteries de mes camarades. Le 7 juillet, Ă  Nemours, nous montĂąmes dans de bonnes diligences et partĂźmes de grand matin. À Fontainebleau, quelques instants de repos nous donnĂšrent le temps de voir le chĂąteau et les vĂ©lites grenadiers, dĂ©jĂ  arrivĂ©s, faire l’exercice. C’étaient les jouissances qui nous attendaient, et aprĂšs lesquelles nous courions presque en poste. L’ARRIVÉE À PARIS Le 7 juillet 1804, Ă  4 heures du soir, nous entrĂąmes Ă  Paris par la rue du Faubourg Saint Victor, oĂč nous descendĂźmes de voiture. Une fois sur le pavĂ©, nous prĂźmes un portemanteau, et nous nous dirigeĂąmes sur la rue Grenelle Saint HonorĂ©, oĂč l’on nous avait dĂ©signĂ© un hĂŽtel. L’arrivĂ©e de vingt-sept gaillards, fatiguĂ©s de la course qu’ils venaient de faire Ă  travers Paris, la valise sur le dos et la faim dans le ventre, de trĂšs mauvaise humeur par consĂ©quent, Ă©pouvanta l’hĂŽtelier, qui dĂ©clina l’honneur de loger tant de jeunes hĂ©ros en herbe. Fort embarrassĂ©s de trouver une maison assez vaste pour nous loger tous, car le lieutenant ne voulait pas que nous nous sĂ©parions, nous fĂ»mes Ă©conduits dans plusieurs lieux. Enfin, nous trouvĂąmes un asile dans l’hĂŽtel de Lyon, rue Batave, prĂšs des Tuileries. J’étais donc Ă  Paris, dont je rĂȘvais depuis tant d’annĂ©es ! Il me serait impossible de rendre compte du plaisir que j’éprouvai, quand j’entrai dans la capitale de la France, dans cette grande et superbe ville, l’asile des beaux-arts, de la politesse et du bon goĂ»t. Tout ce que je vis dans ces premiers moments me frappa d’admiration et d’étonnement. Pendant les quelques jours que j’y restai, je fus assez embarrassĂ© pour dĂ©finir les sentiments que j’éprouvais, et me rendre compte des impressions que me causaient la vue de tant de monuments, de tant de chefs-d’Ɠuvre, et cet immense mouvement qui m’entraĂźnait. J’étais souvent dans une espĂšce de stupeur, qui ressemblait Ă  de l’hĂ©bĂštement. Cet Ă©tat de somnambulisme ne cessa que lorsque je pus dĂ©finir, comparer, et que mes sens se fussent accoutumĂ©s Ă  apprĂ©cier tant de merveilles. Que de sensations agrĂ©ables je ressentis ! Il faut sortir comme moi d’une petite et laide ville, quitter pour la premiĂšre fois le toit paternel, n’avoir encore rien vu de vĂ©ritablement beau, pour comprendre et concevoir toute ma joie, tout mon bonheur. 8 juillet 19 messidor. – Notre lieutenant, trĂšs empressĂ© de se dĂ©barrasser de nous, et de terminer sa pĂ©nible mission, nous conduisit de trĂšs grand matin Ă  l’École militaire, pour nous faire incorporer dans la garde impĂ©riale. AprĂšs avoir pris nos signalements, et nous avoir toisĂ©s, nous fĂ»mes rĂ©partis dans les deux corps de vĂ©lites, d’aprĂšs la taille de chacun treize furent admis aux grenadiers, et sept, dont je faisais partie, aux chasseurs. Nous nous sĂ©parĂąmes alors avec de vifs regrets, d’autant plus pĂ©nibles qu’il s’était Ă©tabli pendant le voyage une intimitĂ© que rien n’avait altĂ©rĂ©e. Quant au lieutenant, il ne put s’empĂȘcher de manifester une satisfaction qui ne faisait pas notre Ă©loge. Nous fĂ»mes autorisĂ©s Ă  rentrer dans Paris, pour y vivre comme nous l’entendions, sans ĂȘtre astreints aux appels, jusqu’au lendemain dans l’aprĂšs-midi. À notre retour de l’École militaire, nous passĂąmes par les Tuileries, pour tĂącher de voir l’Empereur, qui devait passer la revue de la Garde dans la cour du chĂąteau et sur la place du Carrousel. Je fus assez bien placĂ© pour voir ce beau spectacle et contempler Ă  mon aise l’homme puissant, qui avait vaincu l’anarchie, aprĂšs avoir vaincu les ennemis de la France, et substituĂ© l’ordre aux dĂ©plorables et sanglantes actions de la RĂ©volution. J’entrais et je logeais, pour la premiĂšre fois dans une caserne. Je ne trouvai rien de bien sĂ©duisant dans cette nouvelle existence ; mais comme je savais depuis longtemps qu’étant militaire, je devais renoncer Ă  une grande partie de ma libertĂ© et au bien-ĂȘtre que l’on trouve dans sa famille, je ne m’en prĂ©occupai pas trop. Je fus habillĂ© dans la journĂ©e, et pourvu des effets de linge et de chaussure dont je pouvais avoir besoin. On me donna un habit frac bleu, dont la doublure et les passepoils Ă©taient Ă©carlates, boutonnant sur la poitrine, avec des boutons aux faisceaux consulaires ceux Ă  l’aigle n’étaient pas encore frappĂ©s, avec cette lĂ©gende garde consulaire ; une culotte et une veste en tricot blanc, assez grossier ; un chapeau Ă  corne, avec des cordonnets jaunes ; des Ă©paulettes en laine verte, Ă  patte rouge ; fusil, giberne, sabre, etc. Il nous fut recommandĂ© de laisser pousser nos cheveux, pour faire la queue, et de vendre ceux de nos effets qu’on ne nous avait pas enlevĂ©s. Enfin, on nous permit comme faveur d’aller au spectacle, si nous le dĂ©sirions, jusqu’à l’époque de notre dĂ©part pour Écouen. Je restai Ă  Paris jusqu’au 12 juillet inclus. Pendant ces cinq jours d’assez grande libertĂ©, je visitai tous les monuments et les curiositĂ©s. 13 juillet. – Partis de Paris en dĂ©tachement, le sac sur le dos, le fusil sur l’épaule, pour la garnison qui Ă©tait affectĂ©e aux chasseurs vĂ©lites et oĂč s’organisait le bataillon, je fus placĂ© dans la 4° compagnie, commandĂ©e par le capitaine Larrousse. Le chef de bataillon s’appelait Desnoyers. Il y avait cinq compagnies, fortes alors de trente-six hommes chacune, mais s’augmentant tous les jours par l’arrivĂ©e des vĂ©lites qui venaient de toutes les parties de la France. J’avais le n° 234 sur le registre matricule du corps. Notre solde Ă©tait de 23 sous et 1 centime par jour. On mettait 9 sous Ă  l’ordinaire, 4 Ă©taient versĂ©s Ă  la masse pour la fourniture des effets de linge et de chaussure, et les 10 autres Ă©taient donnĂ©s, tous les dix jours par dĂ©cade, Ă  titre de sous de poche. L’ordinaire Ă©tait bon, et la solde suffisante pour satisfaire Ă  tous les besoins de premiĂšre nĂ©cessitĂ©, mais on exerçait souvent des retenues, qui n’étaient pas toujours justifiĂ©es trĂšs scrupuleusement et dont on n’osait se plaindre, car les sergents-majors Ă©taient tout-puissants dans les compagnies. Le magnifique chĂąteau d’Écouen, qui, aprĂšs Austerlitz, allait devenir une maison d’éducation pour les filles des membres de la LĂ©gion d’honneur, venait d’ĂȘtre disposĂ© pour loger notre bataillon de vĂ©lites. Deux jours aprĂšs que nous y Ă©tions, c'est-Ă -dire le lundi 15 juillet, je fus trĂšs surpris de voir, Ă  la boutonniĂšre des officiers et de plusieurs sous-officiers, une belle dĂ©coration suspendue par un ruban rouge moirĂ©. J’appris que c’était l’ordre de la LĂ©gion d’honneur, dont la premiĂšre distribution avait Ă©tĂ© faite la veille par l’Empereur NapolĂ©on en personne, dans le temple de Mars, aux Invalides. 17 juillet. – L’Empereur passa Ă  Écouen ; il se rendait Ă  Boulogne, pour donner des croix aux troupes campĂ©es sur les cĂŽtes de France et qui formaient l’armĂ©e destinĂ©e Ă  une descente en Angleterre. Nous bordions la haie, sur la hauteur avant de descendre dans le bourg. L’Empereur ne s’arrĂȘta pas pour nous voir, ce qui blessa notre amour-propre de conscrits. Les mois de juillet, aoĂ»t, septembre et octobre se passĂšrent en faisant l’exercice, Ă  nettoyer nos armes et nos effets, Ă  passer des inspections de tenue, Ă  apprendre la maniĂšre de servir dans toutes les positions. Avant la fin de septembre, nous manƓuvrions parfaitement bien en ligne, et semblions dĂ©jĂ  ĂȘtre de vieux soldats. Le bataillon, Ă  cette Ă©poque, avait dĂ©jĂ  dĂ©passĂ© 700 hommes, et il en arrivait tous les jours. Mais je fus atteint, dans ces premiers jours d’une ophtalmie qui me fit beaucoup souffrir et languir, et, en vendĂ©miaire, je dus aller un mois Ă  l’hĂŽpital du Gros-Caillou, pour rĂ©tablir ma santĂ©. 15 aoĂ»t. – Ce jour de la fĂȘte de l’Empereur, je fus Ă  Paris avec plusieurs camarades, sans permission. Nous partĂźmes Ă  pied, Ă  onze heures, aprĂšs l’appel et l’inspection du matin ; arrivĂ©s Ă  Saint-Denis, nous prĂźmes une voiture qui nous porta jusqu’à la porte de ce nom. Suivre le boulevard, gagner l’emplacement de la fĂȘte, assister Ă  quelques jeux, faire une ou deux visites, dĂźner au Palais Royal, prendre le cafĂ© en sociĂ©tĂ© de dames, retourner Ă  Écouen, faire dix lieues de la mĂȘme maniĂšre et arriver pour l’appel du soir, ce fut dix heures consacrĂ©es Ă  exĂ©cuter cette fantastique escapade. Quelques uns furent punis, d’autres malades ; je ne fus ni l’un ni l’autre, grĂące Ă  ma santĂ© et Ă  la bienveillance du sergent de semaine, qui retarda un peu de rendre le billet d’appel, espĂ©rant que je rentrerais avant le dĂ©lai de grĂące. Les dimanches, aprĂšs l’inspection, nous visitions les environs, qui sont trĂšs intĂ©ressants Ă  parcourir, et trĂšs animĂ©s dans la belle saison, ou bien nous allions aux fĂȘtes patronales de Montmorency, Villiers-le-Bel, Sarcelles, Gonesse, Saint-Denis, Saint-Ouen, etc. Ces fĂȘtes trĂšs courues et fort gaies me plaisaient beaucoup et me dĂ©lassaient des ennuyeuses fatigues de la semaine. Le temps passait vite, parce qu’il Ă©tait bien employĂ© ; je pensais peu Ă  la terre natale, au berceau de mon enfance, parce que j’étais arrivĂ© Ă  cette position, de mon grĂ©, et sans contrainte. Cependant un dimanche, d’assez bon matin, promenant assez tristement mes pensĂ©es dans les allĂ©es les plus solitaires du bois, j’entendis parler assez vivement Ă  quelques pas de moi. Je me rendis de ce cĂŽtĂ©, et, avant d’arriver au lieu d’oĂč partaient ces voix, je fus rĂ©veillĂ© de mes prĂ©occupations par un coup d’arme Ă  feu, suivi d’un autre. Je cours, tout Ă©mu, je vois un de nos officiers baignĂ© dans son sang, prĂšs duquel Ă©tait l’aide-major du bataillon, M. Maugras, et un officier qui le soutenait, tandis que deux autres fuyaient Ă  cheval dans la direction de Paris. Je venais d’ĂȘtre tĂ©moin, sans m’en douter, d’un duel Ă  mort. Les conventions Ă©taient telles, dit-on. Ce douloureux Ă©vĂ©nement m’affecta sensiblement. Un soir, c’était le 11 novembre, pendant que nous fĂȘtions la Saint-Martin, qui est la fĂȘte des soldats d’infanterie, un nouveau vĂ©lite entra dans la salle du festin, sac sur le dos, et son ordre d’incorporation dans la compagnie Ă  la main. Courir Ă  lui, l’aider Ă  se dĂ©barrasser de son attirail militaire, et le placer Ă  table fut l’affaire d’un instant. Assis Ă  mes cĂŽtĂ©s, et ayant appris qu’il Ă©tait Auvergnat, je demandai au sergent-major, qui Ă©tait invitĂ© Ă  ce repas de chambrĂ©e, de me le donner pour camarade de lit, le mien Ă©tant Ă  l’hĂŽpital. Cette demande me fut accordĂ©e, Ă  ma grande satisfaction. Le choix Ă©tait d’autant plus agrĂ©able que c’était un jeune homme parfaitement bien Ă©levĂ©, qu’il Ă©tait mon compatriote, et que tout en lui annonçait des maniĂšres distinguĂ©es. Ce jeune homme, appelĂ© Tournilhac, des environs de Thiers, Ă©tait capitaine dans la campagne de Russie, oĂč il eut deux doigts gelĂ©s, ce qui ne l’empĂȘcha pas, quand on abandonna, Ă  la montĂ©e de Kowno, les trĂ©sors de la Grande ArmĂ©e, de prendre de l’or Ă  pleines mains dans les tonneaux dĂ©foncĂ©s et de rejoindre les dĂ©bris de son rĂ©giment. LĂ , il vint au secours de tous ses camarades, en leur donnant gĂ©nĂ©reusement tout l’argent dont ils avaient besoin pour traverser la Prusse et gagner les bords de l’Oder. Il ne voulut pas reprendre de service sous la Restauration. 27 novembre. – Depuis plusieurs jours, nous Ă©tions prĂ©venus que nous assisterions au sacre de l’Empereur NapolĂ©on, et que nous devions nous tenir prĂȘts Ă  partir. Nous dĂ»mes Ă  cette cĂ©rĂ©monie de recevoir nos habits de grande tenue, avec des boutons Ă  l’aigle, nos Ă©normes bonnets d’oursin, qui couvraient nos petites figures imberbes, et d’autres vĂȘtements qu’on ne nous avait pas encore donnĂ©s. CasernĂ©s Ă  l’École militaire, on nous distribua, nous vĂ©lites, dans chaque chambrĂ©e des vieux chasseurs, comme une ration, avec ordre de prendre une place dans les lits qui Ă©taient dĂ©jĂ  occupĂ©s par deux titulaires, qui se seraient bien passĂ©s de cette augmentation importune. Il fallut se rĂ©signer Ă  coucher trois et Ă  habiter des chambres oĂč l’on ne pouvait pas circuler, tant elles Ă©taient encombrĂ©es. Combien cela nous promettait de plaisir ! LA CÉRÉMONIE DU SACRE 2 dĂ©cembre 15 frimaire an XIII. – À peine le jour se dessinait, que nous Ă©tions en bataille sur le Pont-Neuf, en attendant qu’on eĂ»t dĂ©signĂ© l’emplacement que nous devions occuper. La compagnie borda la haie dans la rue notre-dame. ObligĂ© de rester en place, sur un sol glacĂ©, par un froid vif et un ciel gris, cela nous annonçait une journĂ©e pĂ©nible et de privations. Cependant, quand les petits et grands corps constituĂ©s arrivĂšrent, quand le Corps lĂ©gislatif, le Tribunat, le SĂ©nat, le Conseil d’État, la Cour de cassation, la Cour des comptes, etc., commencĂšrent Ă  dĂ©filer, on eut du plaisir Ă  se voir bien placĂ©s, Ă  n’avoir devant soi rien qui pĂ»t vous priver du charmant tableau qui se dĂ©roulait. Et quand la riche voiture du pape arriva, attelĂ©e de huit chevaux blancs magnifiques, prĂ©cĂ©dĂ©e de son chapelain montĂ© sur une mule ; quand l’état-major de Paris, ayant Ă  sa tĂȘte le prince Murat, prĂ©cĂ©dĂ© et suivi d’une immense colonne de cavalerie de toutes les armes, quand enfin le magnifique cortĂšge impĂ©rial se montra dans toute sa splendeur, alors on oublia le froid, la fatigue, pour admirer ces resplendissantes grandeurs. Le cortĂšge Ă©tant entrĂ© dans l’église, il fut permis de se promener pour se rĂ©chauffer. Me trouvant prĂšs d’une porte de l’immense basilique oĂč s’accomplissait une si Ă©tonnante cĂ©rĂ©monie, j’entrai Ă  la suite du prince EugĂšne. Une fois dans l’intĂ©rieur, je n’aurais Ă©tĂ© guĂšre plus avancĂ©, si un vĂ©lite de mes amis, dont la compagnie Ă©tait de service dans l’église, ne m’eĂ»t facilitĂ© les moyens de pĂ©nĂ©trer dans une tribune haute. Je pris une assez bonne place sans beaucoup de peine, parce qu’on pensa que j’étais envoyĂ© pour y faire faction. De lĂ , je vis au moins les deux tiers de la cĂ©rĂ©monie, tout ce que l’imagination la plus fĂ©conde peut imaginer de beau, de grandiose, de merveilleux. Il faut l’avoir vu pour s’en faire une idĂ©e. Aussi le souvenir en restera-t-il gravĂ© dans ma mĂ©moire, toute ma vie. Avant la fin de la messe, je me retirai pour reprendre ma place. À la nuit, nous rentrĂąmes au quartier, et aprĂšs avoir mangĂ© la portion du soir, je fus voir la brillante illumination des Tuileries et des monuments des environs. La journĂ©e fut bien remplie, mais aussi elle offrit Ă  l’imagination de bien puissants souvenirs. LA DISTRIBUTION DES AIGLES 6 dĂ©cembre. – Ainsi que pour la prĂ©cĂ©dente prise d’armes, nous nous levĂąmes avant le jour pour nous rendre au Champ de Mars, oĂč nous Ă©tions Ă©tablis dĂšs 8 heures du matin, pour recevoir nos aigles, et entourer le trĂŽne de tout l’éclat que la troupe prĂȘte Ă  ces cĂ©rĂ©monies. De grands prĂ©paratifs avaient Ă©tĂ© faits, pour donner Ă  cette nouvelle consĂ©cration toute la majestĂ©, toute la pompe qu’exigeait une aussi imposante solennitĂ©. En mĂȘme temps que nous, les autres rĂ©giments de la garde, les troupes en garnison Ă  Paris et celles qui Ă©taient arrivĂ©es pour assister au sacre, les dĂ©putations des gardes nationales de France et de toutes les armes de l’armĂ©e de terre et de mer, vinrent prendre leur place de bataille. Le Champ-de-Mars, tout vaste qu’il est, ne pouvait contenir tout ce qui avait Ă©tĂ© convoquĂ© ou qui Ă©tait venu volontairement, pour recevoir et jurer fidĂ©litĂ© au drapeau qu’on devait distribuer dans cette grande journĂ©e. AprĂšs la remise des aigles Ă  chaque chef de corps et la prestation de serment, le dĂ©filĂ© commença. Ce fut trĂšs long et ne se termina qu’à la nuit. Nous fĂ»mes les derniers Ă  nous retirer. Ç’aurait Ă©tĂ© vraiment beau, si le temps eĂ»t favorisĂ© cette majestueuse solennitĂ©. Mais le dĂ©gel, la pluie, le froid avaient glacĂ©, sinon l’enthousiasme et le dĂ©vouement de l’armĂ©e Ă  son glorieux chef, du moins les bras et les jambes. On Ă©tait dans la boue jusqu’aux genoux, surtout en face de l’immense et magnifique estrade oĂč se tenait l’Empereur, entourĂ© de sa cour et de tout l’état-major gĂ©nĂ©ral de l’armĂ©e. Je vis, dans cette immensitĂ© armĂ©e, le sergent du 46° de ligne qui portait dans une petite urne en argent, attachĂ©e sur le cĂŽtĂ© de sa poitrine, le cƓur du premier grenadier de France, le valeureux La Tour d’Auvergne, mort au champ d’honneur. UNE SOIRÉE AU PALAIS ROYAL Quelques jours aprĂšs notre rentrĂ©e Ă  Écouen, je retournai Ă  Paris, avec mon nouvel ami Tournilhac, pour faire mes adieux Ă  plusieurs de mes compatriotes, et chercher quelque argent chez l’un d’eux. AprĂšs avoir pris un trĂšs lĂ©ger dĂ©jeuner, que je payai du dernier argent qui me restait, nous nous sĂ©parĂąmes pour aller chacun de notre cĂŽtĂ© Ă  nos affaires, et recevoir ce que nous espĂ©rions toucher. Il fut convenu qu’on n’accepterait aucune invitation et qu’on se rĂ©unirait, Ă  5 heures prĂ©cises, sous les galeries de bois du Palais Royal. Je fus exact au rendez-vous, ayant l’estomac aussi vide que la bourse. J’attendis longtemps, bien longtemps, sans voir arriver celui que j’appelais intĂ©rieurement mon sauveur. Ma position Ă©tait critique. Sans argent, sans pain, sans asile, je tremblais de peur et de froid, car le temps Ă©tait rigoureux. Je craignais que mon Ă©tourdi, placĂ© devant une succulente table et prĂšs d’un bon feu, ne m’eĂ»t oubliĂ©. Je faisais de bien tristes rĂ©flexions. Enfin il arriva, aussi pauvre que moi, mais plus rĂ©solu. Il me dit Allons chez un capitaine de hussards de ma connaissance. C’est un bon et brave militaire, retenu chez lui par la goutte ; il sera enchantĂ© de donner Ă  dĂźner Ă  deux hĂ©ros affamĂ©s. » En effet, nous fĂ»mes parfaitement et cordialement accueillis. AprĂšs un excellent dĂźner, donnĂ© de bon cƓur et mangĂ© de mĂȘme, prĂšs d’un bon feu, mon monsieur sans gĂȘne dit Ce n’est pas tout, capitaine. Il faut que tu me donnes cent sous pour aller au spectacle et payer notre lit dans un hĂŽtel. » Le capitaine, en homme qui sait vivre, nous donna la piĂšce et nous souhaita beaucoup de plaisir. Je fus Ă©merveillĂ© de cette rĂ©ception presque paternelle, et de la joie que ressentait ce digne homme d’obliger deux Ă©tourdis. AprĂšs notre sortie du Vaudeville, nous fĂ»mes au cafĂ© des Aveugles dĂ©penser encore ; toutefois, avec assez d’argent de reste pour payer un lit ; mais il Ă©tait plus de minuit, les hĂŽtels Ă©taient fermĂ©s, nous nous trouvions encore une fois sur le pavĂ©. FatiguĂ©s, grelottants de froid, nous nous rĂ©fugiĂąmes dans un corps de garde, oĂč l’on voulut bien nous recevoir. Ah ! je me promis bien de ne plus me retrouver dans une semblable position par ma faute. Le lendemain, nous rentrĂąmes Ă  Écouen, le gousset plus garni, et satisfaits d’avoir pu tĂ©moigner tous nos remerciements Ă  ce bon capitaine que, dans ma reconnaissance, je comparais Ă  Bayard, le chevalier gĂ©nĂ©reux, sans peur et sans reproche. DÉPART POUR L’ITALIE 15 janvier 1805. – Le 14 janvier 1805, l’ordre arriva de prendre dans les compagnies tous les hommes valides qui Ă©taient Ă  l’école de bataillon, et d’en former deux dĂ©tachements qui allaient ĂȘtre dirigĂ©s sur Paris. Je fus placĂ© dans le premier. Nous ignorions pour quelle expĂ©dition nous Ă©tions dĂ©signĂ©s, mais nous avions la certitude de ne plus retourner dans cette garnison d’Écouen, oĂč nous avions Ă©tĂ© rondement menĂ©s, – je ne dis pas rudement, car la discipline y Ă©tait douce, – mais oĂč nous avions fait tant d’exercices ! Nous Ă©tions prodigieusement chargĂ©s, et, pour surcroĂźt d’embarras, nous portions sur nos sacs, attachĂ©s avec des ficelles, nos monstrueux bonnets Ă  poil, enfermĂ©s dans des Ă©tuis de carton, semblables Ă  ceux des manchons de ces dames. La pluie nous prit en route ; les cartons se ramollirent et devinrent de la pĂąte ; bientĂŽt nos bonnets roulĂšrent dans la boue et firent horreur. Qu’on se figure des soldats portant Ă  la main ou sous leurs bras quelque chose d’aussi hideux ! C’était une vraie marche de bohĂ©miens que la nĂŽtre. Enfin on arriva Ă  l’École militaire, mouillĂ©s jusqu’aux os et extĂ©nuĂ©s de fatigue, Ă  cause de la pesanteur de nos sacs, du mauvais Ă©tat des chemins et de la gĂȘne de notre marche. Pour nous dĂ©lasser, nous couchĂąmes Ă  trois, et reçûmes l’ordre de nous prĂ©parer pour passer la revue de l’Empereur, dĂšs le lendemain. AprĂšs une nuit trĂšs laborieuse, nous prĂźmes les armes, dĂšs le jour, pour nous rendre dans le jardin des Tuileries. LĂ , on versa dans chaque compagnie de chasseurs les vieux une portion du 1er dĂ©tachement des vĂ©lites, on les plaça par rang de taille, et on nous annonça qu’à partir de ce jour nous faisions partie de ces compagnies. Je me trouvai dans la 2Ăšme compagnie du 2Ăšme bataillon. EncadrĂ©s dans les rangs de ces vieilles moustaches, qui avaient tous un chevron au moins, nous avions l’air de jeunes filles auprĂšs de ces figures basanĂ©es, la plupart dures, envieuses mĂ©contentes de ce qu’on leur donnait des compagnons aussi jeunes. Cette opĂ©ration terminĂ©e, nous entrĂąmes dans la cour du chĂąteau, oĂč l’Empereur passa la revue de la partie de la Garde qui devait se rendre en Italie. Ses cadres organisĂ©s, nous dĂ©filĂąmes et rentrĂąmes Ă  l’École militaire pour nous prĂ©parer au dĂ©part du lendemain. JE DÉCIDE DE TENIR MON JOURNAL 17 janvier. – Avant notre dĂ©part, le marĂ©chal Soult nous passa en revue dans le Champ-de-Mars. Il tombait du verglas, ce qui nous incommoda beaucoup. La revue de cette portion de la garde qui se rendait en Italie, composĂ©e d’un rĂ©giment de grenadiers et de chasseurs Ă  pied, d’un rĂ©giment de grenadiers et de chasseurs Ă  cheval, de la lĂ©gion de la gendarmerie d’élite et des mameloucks, Ă©tant terminĂ©e, nous partĂźmes pour aller coucher Ă  Essonnes. Partis tard, nous arrivĂąmes tard, cruellement fatiguĂ©s, Ă  cause de la longueur de l’étape, du mauvais Ă©tat des chemins, du poids de mon sac, et surtout du manque d’habitude de la marche militaire. Avant de nous distribuer les billets de logement, on maria un vĂ©lite avec un vieux chasseur. À la premiĂšre vue, au ton brusque de mon conjoint, je n’eus pas Ă  m’applaudir du choix que me donnait le hasard. C’est dans cette journĂ©e en causant avec un vĂ©lite de mes amis sur les prodigieux Ă©vĂ©nements dont nous avions Ă©tĂ© tĂ©moins depuis dix mois que nous Ă©tions en service, et sur le bonheur que nous avions de voir cette belle Italie, si cĂ©lĂšbre dans l’histoire, et surtout depuis les immortelles campagnes de 1796, 1797 et 1800, que l’idĂ©e me vint de tenir note de tout ce que je verrais d’intĂ©ressant dans ce voyage, et d’enregistrer la date du jour oĂč j’arriverais dans une localitĂ©, grande ou petite, en un mot de tenir un journal de mes voyages. Mon ami partagea mon idĂ©e, et me dit qu’il en ferait autant. J’ai toujours tenu ce journal avec rĂ©gularitĂ©, inscrivant presque jour par jour, sur un cahier Ă  ce destinĂ©, les observations dont je croyais devoir conserver le souvenir, sans me prĂ©occuper de l’insignifiance des dates et des faits, et de la maniĂšre dont elles Ă©taient rĂ©digĂ©es, et du peu d’intĂ©rĂȘt que ce travail presque quotidien pouvait prĂ©senter. C’était pour moi que je le faisais il m’importait alors trĂšs peu que cela fĂ»t bon ou mauvais, insignifiant ou intĂ©ressant. L’essentiel Ă©tait de persĂ©vĂ©rer et de conserver. J’y suis parvenu aprĂšs bien des contrariĂ©tĂ©s et des soins. Si je le transcris Ă  nouveau, c’est pour rĂ©unir les nombreux cahiers dont ce journal se compose, cahiers devenus malpropres, dĂ©chirĂ©s et effacĂ©s dans bien des pages, par suite des nombreux voyages et dĂ©placements qu’ils ont Ă©tĂ© contraints de subir. Je l’écris aussi pour me remettre dans la mĂ©moire les divers souvenirs qu’il contient. En m’occupant de ce long travail, je trouverai l’occasion d’employer mes journĂ©es et mes longues soirĂ©es d’hiver, de maniĂšre Ă  me les faire paraĂźtre moins ennuyeuses. Sortant peu et vivant presque seul, cela me sera un remĂšde contre l’oisivetĂ© et les amĂšres rĂ©flexions de la triste vieillesse. Je n’apporte aucun changement important dans sa rĂ©daction primitive. Tel que je l’écrivis dans mes veillĂ©es de voyage ou de garnison et dans mes soirĂ©es de bivouac, tel il se trouvera dans son nouveau format. Si mon fils parcourt un jour ce journal, il se convaincra que je n’ai manquĂ© ni de constance dans ma rĂ©solution de le tenir, ni de patience pour le mettre au net, travail bien laborieux et fastidieux pour un homme ĂągĂ© et peu habile Ă  Ă©crire
 18 janvier. – En partant d’Essonnes, nous mĂźmes nos sacs sur des voitures, ne conservant que nos oursins, que nous portions en bandouliĂšre. Ils Ă©taient renfermĂ©s dans des Ă©tuis en coutil, qu’on nous avait dĂ©livrĂ©s la veille de notre dĂ©part. Pour pouvoir les attacher sur nos sacs, on nous avait prescrit de nous procurer des courroies, sans fixer leur longueur ni leur couleur, de sorte que c’était une vraie bigarrure. Les frais de transport Ă©taient Ă  notre charge, et devaient coĂ»ter 20 centimes par jour. Chaque compagnie avait sa voiture ; nous Ă©tions libres de retirer nos sacs, Ă  l’arrivĂ©e au gĂźte. 21 janvier. – Sens. – SĂ©jour. À mon arrivĂ©e au logement, mon camarade de lit me dit brusquement qu’il fallait, avant toute chose, nettoyer mon fusil, mes souliers, etc. Je l’envoyai promener, en lui disant que je n’avais pas d’ordre Ă  recevoir. Il s’ensuivit une querelle, qui devait avoir son dĂ©nouement le lendemain, lorsqu’un vĂ©lite entra avec son camarade, pour nous proposer de nous associer pendant la route et de vivre ensemble. Leur intervention calma nos irritations communes, et la proposition fut acceptĂ©e. DĂšs le soir mĂȘme, nous nous rĂ©unĂźmes pour souper, et jusqu’à prĂ©sent nous avons continuĂ© de le faire, soit Ă  la halte qui a lieu habituellement Ă  moitiĂ© route, soit au lieu d’étape, oĂč l’on prĂ©pare le dĂźner dans le logement le plus commode. En gĂ©nĂ©ral, nous vivons bien, en ne dĂ©pensant que notre solde. Ce vĂ©lite s’appelait Journais. Devenu capitaine, il fut fait prisonnier en Espagne et conduit en Angleterre. L’ennui de sa captivitĂ© le porta au suicide. 26 janvier. – Depuis Paris, j’avais pris l’habitude d’aller lire dans un cafĂ© un journal politique, pour me tenir au courant du nouveau du jour. C’est ainsi que j’appris, Ă  Avallon, que nous nous rendions Ă  Milan pour assister au couronnement de NapolĂ©on comme roi d’Italie. 3 fĂ©vrier. – Le matin, Ă  MĂącon, avant le dĂ©part du rĂ©giment, je demandai et obtins la permission de m’embarquer sur le coche, pour me rendre Ă  Villefranche. J’arrivai avant le rĂ©giment, quoiqu’il fĂ»t dĂ©jĂ  tard. JournĂ©e froide, neigeuse et meilleure Ă  naviguer sur la SaĂŽne qu’à piĂ©tiner dans la boue. 5 fĂ©vrier. – À Lyon – Le jeune prince EugĂšne Beauharnais, beau-fils de l’Empereur, commandant en chef de toute la garde, nous passa en revue sur la place Bellecour, encore encombrĂ©e des dĂ©combres qu’avait faits le marteau rĂ©volutionnaire. En grand costume de chasseur Ă  cheval de la garde, il portait une plaque en argent sur la poitrine et un large ruban rouge ponceau en bandouliĂšre, oĂč Ă©tait attachĂ©e une Ă©norme croix en or. Ce nouveau grade ou cette dignitĂ© venait d’ĂȘtre créée, tout rĂ©cemment, sous le nom de grand’croix de la LĂ©gion d’honneur
 Le 13 fĂ©vrier, Ă  mon dĂ©part de Lyon, j’avais des housiers neufs qui me blessĂšrent cruellement. ForcĂ© de rester en arriĂšre, j’arrivai longtemps aprĂšs le rĂ©giment, harassĂ© de fatigue, et les pieds dans un Ă©tat dĂ©plorable Ă  Bourgoin. Avant d’atteindre Pont-Beauvoisin, le 14, on traversa la petite ville de Latour-Dupin. Je m’y arrĂȘtai pour acheter une paire de souliers, ne pouvant plus marcher avec ceux que j’avais aux pieds. 16 fĂ©vrier. – À ChambĂ©ry – Avant d’entrer en ville, un vĂ©lite, Baratier, qui en Ă©tait originaire, rĂ©gala tous les militaires du rĂ©giment, en leur offrant du vin et quelques lĂ©gĂšres pĂątisseries. On avait placĂ©, de distance en distance des tonneaux dĂ©foncĂ©s remplis de vin, et des paysans Ă  l’entour pour nous donner au passage des verres remplis et de cette pĂątisserie dont j’ai parlĂ©. La marche avait Ă©tĂ© ralentie, pour donner le temps de prendre et de boire. 24 fĂ©vrier. – Passage du mont Cenis – Le chemin, difficile, Ă  peine tracĂ© sur la neige, Ă©tait si glissant que, tous les cent pas, lorsque nous descendĂźmes sur la pente rapide qui conduit Ă  NovalĂšse, je tombais sur le dos. Heureusement que mon sac me servait de parachute, car sans lui, je crois que j’aurais Ă©tĂ© cent fois brisĂ© avant d’arriver au bas de cette pĂ©nible et longue descente. Ces frĂ©quentes chutes provenaient de ce que mes souliers Ă©tant sans talons, Ă©taient unis et polis comme du verre. DĂšs notre dĂ©part du gĂźte, nous Ă©prouvĂąmes un froid assez vif, mais lorsque nous eĂ»mes dĂ©passĂ© le hameau de la Ramasse, et que nous nous fĂ»mes Ă©levĂ©s sur les derniĂšres hauteurs, il devint d’une rigueur excessive. Je vis, en passant, l’hospice du mont Cenis, mais rapidement et mal, Ă  cause du brouillard et de la rapiditĂ© de la marche. Moins d’une heure aprĂšs avoir passĂ© ce lieu habitĂ©, nous approchions du beau ciel d’Italie. Nous laissions derriĂšre nous les frimas, les tempĂȘtes, et commencions Ă  respirer l’air chaud de cette contrĂ©e, qu’on a hĂąte de voir pour se croire heureux. La compagnie fut dĂ©tachĂ©e Ă  Bussolino, petite ville Ă  une lieue en avant de Suze, sur la route de Turin. Mon camarade de lit et moi, nous couchions dans une Ă©curie, en sociĂ©tĂ© d’un Ăąne et d’une chĂšvre. Le matin, j’avais lavĂ© et blanchi mon cordon de bonnet, pour passer l’inspection du capitaine. Lorsque je voulus le prendre pour l’attacher Ă  ma coiffure de grande tenue, je trouvai la chĂšvre qui le mangeait, et qui en avait dĂ©jĂ  avalĂ© plus de la moitiĂ©. Je le retirai presque en totalitĂ©, mais si sale, si dĂ©tĂ©riorĂ©, qu’il me valut deux jours de salle de police. Depuis Lyon, nous avions l’avantage de porter nos sacs, mais j’étais dĂšs lors habituĂ© Ă  la marche. 27 fĂ©vrier. – À Turin – SĂ©jour jusqu’au 2 mars inclus. Le soir de notre arrivĂ©e, une neige trĂšs Ă©paisse couvrit la ville et la campagne, de maniĂšre Ă  rendre l’une et l’autre impraticables. MalgrĂ© sa continuitĂ© et le peu d’agrĂ©ment qu’il y avait Ă  sortir, je ne voulus pas me priver du plaisir de parcourir tous les quartiers, visiter les monuments, connaĂźtre les curiositĂ©s que cette belle et jolie ville renferme. Je vis Ă  peu prĂšs tout ce qu’il Ă©tait possible de voir. Pendant ces trois jours de repos, notre capitaine, M. BigarrĂ©, reçut l’avis qu’il Ă©tait nommĂ© major au 4Ăšme rĂ©giment de ligne, commandĂ© par le prince Joseph Bonaparte. Comme Son Altesse ImpĂ©riale n’était jamais Ă  la tĂȘte de son rĂ©giment, le major BigarrĂ© put se considĂ©rer comme colonel au 4Ăšme de ligne ! Avant de quitter le rĂ©giment, il donna Ă  tous les officiers un plumet d’uniforme en plumes de hĂ©ron et un grand dĂźner. C’était faire ses adieux d’une maniĂšre courtoise et distinguĂ©e. 9 mars. – À Abbiategrasso – C’est lĂ  que les Français furent forcĂ©s, en 1524, ce qui coĂ»ta la vie au chevalier Bayard. 10 mars. – À Milan terme de notre voyage et de nos fatigues – J’étais bien portant, bien satisfait de goĂ»ter un peu de repos, et de me trouver dans la capitale de la riche Lombardie, casernĂ© dans la citadelle au chĂąteau de Milan. DĂšs notre arrivĂ©e, les officiers, sous-officiers et soldats de la garde royale italienne vinrent nous inviter Ă  dĂźner, pour le jour mĂȘme. Nous, chasseurs, nous fĂ»mes avec les chasseurs Ă  leur caserne, oĂč nous trouvĂąmes, dans une vaste cour, de nombreuses tables, trĂšs bien servies pour un repas de soldats. Ce banquet donnĂ© par nos cadets fut gai et trĂšs brillant, par la multitude de personnes de haute distinction qui y assistĂšrent comme spectateurs. Elles voulurent jouir de ce beau coup d’Ɠil, de la franche concorde qui y rĂ©gna, et de cette joyeuse et belle rĂ©union qui devait cimenter l’alliance des deux peuples. Quelques jours avant de rentrer en France, nous rendĂźmes Ă  la garde royale sa politesse. Le banquet eut lieu dans les cours de la citadelle, avec moins de pompe, mais autant de cordialitĂ©. 8 mai. – Deux mois aprĂšs notre arrivĂ©e, l’Empereur NapolĂ©on fit son entrĂ©e solennelle dans la capitale de son nouveau royaume. Cette prise de possession fut magnifique. Les troupes d’infanterie bordaient les rues oĂč il passa, Ă  cheval, au milieu des gardes d’honneur, brillamment costumĂ©es, que toutes les villes du royaume avaient envoyĂ©es. Deux divisions de cavalerie et une de cuirassiers prĂ©cĂ©daient et suivaient qui rĂ©unissait tous les officiers gĂ©nĂ©raux et l’état-major de l’armĂ©e française en Italie. Je vis Ă  la tĂȘte des troupes le gĂ©nĂ©ral en chef de cette armĂ©e, le vainqueur de Fleurus, le marĂ©chal Jourdan, ainsi que beaucoup de gĂ©nĂ©raux qui, quoique jeunes, comptaient de hauts faits d’armes. 26 mai. – Le couronnement n’eut pas l’éclat de celui de Paris, mais n’en fut pas moins beau. Nous bordĂąmes la haie dans deux quartiers diffĂ©rents sur le passage de l’Empereur lorsqu’il se rendit Ă  l’église Saint-Ambroise, pour poser la couronne de fer sur sa tĂȘte, et lorsqu’il rentra au palais aprĂšs la cĂ©rĂ©monie terminĂ©e. Le couronnement se fit le matin dans l’église mĂ©tropolitaine la troupe resta massĂ©e autour de la cathĂ©drale, l’Empereur s’étant rendu Ă  pied de son palais Ă  l’église par une Ă©lĂ©gante galerie construite exprĂšs pour cette grande solennitĂ©. La cĂ©rĂ©monie du soir eut principalement pour but de le montrer au peuple dans tout l’apparat de la majestĂ© royale. Avec l’Empereur Ă©taient l’ImpĂ©ratrice, les princes Joseph et Louis NapolĂ©on, le prince Murat, le prince EugĂšne, plusieurs marĂ©chaux et gĂ©nĂ©raux, les ministres du royaume, les grands et les personnes des deux cours qui prĂ©cĂ©daient, suivaient ou entouraient les voitures du cortĂšge. Un temps superbe favorisa cette imposante cĂ©rĂ©monie et en augmenta l’éclat. Il y eut ensuite une succession de fĂȘtes brillantes ; je vis Garnerin s’enlever dans les airs ; des courses en chars me donnĂšrent une idĂ©e des cĂ©lĂšbres Olympiades ; un feu d’artifice immense occupait tout le sommet de la façade de la citadelle du cĂŽtĂ© de la ville. L’illumination du dĂŽme de la cathĂ©drale surpassa toutes les autres, qui furent nombreuses, par son Ă©clat et l’immensitĂ© de ses feux ; des jeux de toute espĂšce eurent lieu sur la place plantĂ©e d’arbres et entourĂ©e de magnifiques palais. Je vis lĂ  le plan de la bataille de Marengo, Ă  une heure donnĂ©e de la journĂ©e, en relief et sur une grande Ă©chelle tous les corps des deux armĂ©es y figuraient sur l’emplacement qu’ils occupaient au moment de l’action que le tableau reprĂ©sentait. Ces brillantes fĂȘtes durĂšrent plusieurs jours et furent trĂšs suivies. 3 juin. – Ce matin, la gĂ©nĂ©rale fut battue dans les cours de la citadelle, bien longtemps avant l’heure et la batterie du rĂ©veil. S’habiller, s’armer et se former, tout cela fut l’affaire d’un instant. On se rendit sur la place de l’Esplanade, oĂč se trouvait NapolĂ©on. AprĂšs quelques temps d’exercice, il ordonne de charger les armes rĂ©ellement pour faire l’exercice Ă  feu. On lui observe qu’on n’a que des cartouches Ă  balle cela ne fait rien, on les dĂ©chirera du cĂŽtĂ© de la balle. Les manƓuvres commencent ; des feux de tous genres sont exĂ©cutĂ©s, devant des milliers de personnes venues pour ĂȘtre tĂ©moins de ce spectacle matinal, qui avait lieu devant les premiĂšres maisons de la ville. Eh bien ! malgrĂ© la prĂ©cipitation qu’on y mettait, on n’eut pas Ă  dĂ©plorer un seul malheur ; pas un soldat n’oublia d’exĂ©cuter l’ordre qui lui avait Ă©tĂ© donnĂ© de dĂ©chirer la cartouche du cĂŽtĂ© du projectile. Ce fait prouve la confiance de l’Empereur dans le dĂ©vouement de sa garde, le sang-froid et l’adresse des militaires qui la composaient, car l’Empereur Ă©tait souvent en avant des feux et surveillait l’exĂ©cution des mouvements. Dans les premiers jours de juin, le doge de GĂȘnes, GĂ©rĂŽme Durazzo, vint apporter Ă  l’Empereur le vƓu du SĂ©nat et du peuple de GĂȘnes pour la rĂ©union de la RĂ©publique ligurienne Ă  l’Empire français. Je faisais partie de la garde d’honneur qui lui fut envoyĂ©e. Mais cette puissance dĂ©chue refusa cet honneur et renvoya sur le champ cette garde. Il fit remettre Ă  chacun de nous trois francs et une bague en brillant Ă  l’officier qui nous commandait. Les quatre-vingt douze jours que je restai Ă  Milan, je les employai Ă  visiter la ville et ses monuments. J’allais souvent Ă  la bibliothĂšque de Brera passer quelques heures. Je fus une fois au grand théùtre de la Scala, qu’on dit un des plus beaux de l’Italie. J’allais lire, tous les jours, dans un cafĂ©, le Journal de l’Empire et, dans un cabinet de lecture, les romans en vogue. Je fus voir plusieurs fois, au couvent de Sainte-Marie, M. l’abbĂ© Depradt, mon compatriote et ami de mon pĂšre, aumĂŽnier de l’Empereur. Il a Ă©tĂ© ingrat par la suite envers son bienfaiteur. J’allais souvent, avec d’autres vĂ©lites, parcourir les environs de Milan, admirables par leur belle culture et leur vigoureuse vĂ©gĂ©tation. J’ai vu, dans ces courses, de belles campagnes, et particuliĂšrement celle oĂč est le cĂ©lĂšbre Ă©cho qui rĂ©pĂšte jusqu’à quarante fois. C’est dans la cour du chĂąteau de la Simonette que se fait entendre ce remarquable phĂ©nomĂšne naturel. Dans ces promenades, quelque fois assez longues, nous nous arrĂȘtions pour goĂ»ter dans une des nombreuses guinguettes que nous rencontrions ; mais on n’y trouvait jamais d’autres choses que des Ɠufs durs, de la salade et du gros vin. Le service et les exercices y furent trĂšs peu fatigants. Une augmentation de solde et quelques autres avantages contribuĂšrent Ă  nous faire trouver charmant le sĂ©jour de Milan. Pour mon compte, je regrettai beaucoup d’en partir. La vie animale y Ă©tait chĂšre et peu variĂ©e si je n’oublie jamais les heureux moments que j’y ai passĂ©s, je n’oublierai pas non plus que, pendant trois mois, notre repas du soir a toujours consistĂ© en riz, ce qui avait fini par me rendre ce farineux insupportable. Enfin, aprĂšs plusieurs parades et revues, passĂ©es soit par l’Empereur, soit par des marĂ©chaux, nous quittĂąmes Milan le 22 prairial 11 juin pour retourner Ă  Paris. RETOUR EN FRANCE 13 juin. – Nous avons passĂ© le LĂ©sin, en bateau, Ă  sa sortie du lac Majeur. Je regrettai bien de ne pouvoir aller visiter les cĂ©lĂšbres Ăźles BorromĂ©es, surtout l’Isola Bella ; la distance n’était pas trĂšs grande, mais la nĂ©cessitĂ© de faire sĂ©cher mes effets, qui avaient Ă©tĂ© Ă  la pluie pendant presque tout le temps de la route, m’en empĂȘcha. Les rives du lac sont admirables de fraĂźcheur, de beautĂ© et de sites pittoresques. C’est un pays enchanteur. 15 juin. – À Domo d’Ossola, petite ville au pied des Alpes, on nous logea dans une Ă©glise oĂč nous entrĂąmes tout mouillĂ©s pas de feu pour nous sĂ©cher, pas d’emplacement pour suspendre nos effets. La position du soldat, dans de pareilles circonstances, est bien triste. 17 juin. – Au Simplon, village Ă  moitiĂ© chemin du faĂźte de la montagne, on parle allemand. Dans cette journĂ©e, nous parcourĂ»mes trois rĂ©gions diffĂ©rentes. Dans la plaine, c’était l’étĂ©, on y faisait la moisson ; voilĂ  pour le matin. Avant d’arriver au gĂźte, c’était vers midi, le gazon vert et frais, couvert de primevĂšres, de violettes et de narcisses, nous offrait l’image du printemps, avec d’autant plus de vĂ©ritĂ© que l’air Ă©tait doux et parfumĂ©. Au village, nous Ă©tions dans les frimas et environnĂ©s d’images froides et sĂ©vĂšres qui nous rappelaient presque – moins la neige – la traversĂ©e du mont Cenis. Il semblait que nous touchions aux glaciers. Je cherchai, avec un camarade, Ă  les atteindre, mais aprĂšs avoir marchĂ© plus d’une heure dans la direction du plus proche, nous renonçùmes Ă  notre tentative, car il semblait s’éloigner au fur et Ă  mesure que nous avancions. 27 juin. – À Coulanges, petite ville du dĂ©partement du LĂ©man – Jour anniversaire des adieux Ă  ma famille. Nous cĂ©lĂ©brĂąmes cette journĂ©e avec tout le respect d’une Ă©poque, si remarquable dans la vie d’un jeune homme, inspire Ă  celui qui est Ă©levĂ© dans des sentiments de vĂ©nĂ©ration pour les auteurs de ses jours. Nous Ă©tions quatre rĂ©unis, pour remplir ce respectable devoir. SÉJOUR À PARIS[1] Nous sommes arrivĂ©s Ă  Paris le 18 juillet, heureux de nous reposer d’une longue route, faite trĂšs prĂ©cipitamment dans les plus grosses chaleurs. Un sĂ©jour dans la capitale, avec tous les dĂ©sirs possibles de la connaĂźtre ! J’en profitai avec dĂ©lire. Les monuments, les cabinets de curiositĂ©s, les bibliothĂšques, le MusĂ©um, quelquefois le spectacle, Ă©taient mes courses favorites. Je frĂ©quentais quelques cours publics ; malgrĂ© que ce ne fussent que des notions superficielles que j’acquĂ©rais, mon esprit ne se rassasiait pas d’entendre ces immortels professeurs. J’aurais dĂ©sirĂ© pouvoir disposer de tout mon temps pour tout voir, tout entendre et prendre une idĂ©e de tout. Le service Ă©tait pĂ©nible ; les appels frĂ©quents et rigoureux ne me permettaient guĂšre de courir oĂč mes dĂ©sirs me portaient ; j’étais cependant satisfait de mon sort. J’en souhaitais la continuation, lorsque le son du clairon vint rompre cet Ă©chafaudage de projets. Nous reçûmes l’ordre de partir pour le camp de Boulogne, pour y faire partie de l’armĂ©e destinĂ©e Ă  ĂȘtre jetĂ©e sur les cĂŽtes d’Angleterre. AprĂšs avoir reçu les effets nĂ©cessaires pour un embarquement, passĂ© et repassĂ© plusieurs revues, plus fatigantes que des journĂ©es de marche par leur longueur et leur minutie, nous Ă©tions enfin sac au dos, et dĂ©jĂ  hors de l’enceinte de l’École militaire ; on n’attendait plus que le gĂ©nĂ©ral SoulĂšs, pour faire par le flanc droit, marcher en avant et crier Vive la gloire ! » Mais ce fut tout le contraire. Un courrier extraordinaire arriva de Boulogne, porteur d’un ordre de l’Empereur. Nous fĂźmes par le flanc gauche, et rentrĂąmes dans nos chambres, avec injonction de ne pas s’absenter et de se tenir prĂȘts pour une nouvelle destination. Alors ce ne fut, pendant une quinzaine, qu’inspections, revues, manƓuvres. On aurait dit que nos chefs avaient pris Ă  tĂąche de nous harasser, pour nous faire dĂ©sirer d’entrer en campagne ! Aussi Ă©tait-ce le cri de tout le monde. Enfin les bruits de guerre avec l’Autriche s’accrurent, et au lieu d’aller sur cette cĂŽte de fer, oĂč une armĂ©e intrĂ©pide se rĂ©jouissait de passer le dĂ©troit, pour attaquer corps Ă  corps cette perfide Albion, comme disaient les journaux, nous fĂ»mes dirigĂ©s sur le Rhin, oĂč tant de glorieux souvenirs appelaient l’armĂ©e française. Nous Ă©tions restĂ©s Ă  Paris quarante-quatre jours. DÉPART DE PARIS POUR LA CAMPAGNE D’ALLEMAGNE 31 aoĂ»t. – Nous partĂźmes de Paris, tous satisfaits d’entrer en campagne plutĂŽt que d’aller Ă  Boulogne. Moi surtout, qui ne dĂ©sirais que guerre. J’étais jeune, plein de santĂ©, de courage, et je croyais que c’était plus que suffisant pour lutter contre tous les maux possibles ; j’étais en outre rompu Ă  la marche ; tout s’accordait pour me faire envisager une campagne comme une promenade, oĂč malgrĂ© qu’on y perdĂźt tĂȘte, bras et jambes, on devait trouver du dĂ©lassement. Je dĂ©sirais en outre de voir du pays le siĂšge d’une place forte, un champ de bataille. Je raisonnais alors comme un enfant. Et au moment que je jette ceci sur le papier, l’ennui qui me consume dans mon cantonnement Ă  Schönbrunn et quatre mois de courses, de fatigues, de misĂšres, m’ont prouvĂ© que rien n’est plus affreux, plus triste que la guerre. Et encore nos maux, dans la Garde, ne sont pas Ă  comparer avec ceux de la troupe de ligne. Notre route jusqu’à Strasbourg fut belle, mais longue. Pour ne pas nous heurter avec les colonnes qui descendaient de Boulogne, jusqu’à Chalons sur Marne, on nous fit passer par Provins, Langres, Vesoul et Colmar. Le temps fut, Ă  quelques jours prĂšs, constamment beau. Tout coĂŻncidait pour me faire trouver ce commencement de campagne agrĂ©able. Mes dĂ©sirs y correspondaient, mais la santĂ© s’y refusait. J’avais perdu l’appĂ©tit, je brĂ»lais de fiĂšvre ; la crainte de rester dans un hĂŽpital me donnait des forces ; je ne voulus mĂȘme pas aller aux voitures. La variĂ©tĂ© des scĂšnes, le dĂ©sir de suivre et un bon tempĂ©rament me soutinrent, et j’arrivai Ă  Strasbourg toujours enivrĂ© de gloire. Plusieurs de mes camarades, pas plus malades que moi, restĂšrent aux hĂŽpitaux et y trouvĂšrent la mort. Le vieux proverbe il faut surmonter le mal », doit ĂȘtre suivi principalement par les militaires. Malheur Ă  ceux qui, en campagne, entrent dans les hĂŽpitaux ! Ils sont isolĂ©s, oubliĂ©s, et l’ennui les tue plutĂŽt que la maladie. Depuis Belfort jusqu’à notre destination, les routes Ă©taient encombrĂ©es de troupes et surtout de voitures de fourrage, que tous les habitants du Haut-Rhin, des Vosges et de la Meurthe avaient dĂ» donner par rĂ©quisition. AprĂšs vingt-trois jours, nous arrivĂąmes devant Strasbourg. Avant d’y entrer, nous fĂźmes une petite toilette. Nous mĂźmes nos bonnets d’oursin et nos plumets, et la garde d’honneur vint Ă  notre rencontre. Nous fĂ»mes logĂ©s dans le quartier Feinck-Mack. 26 septembre. – L’Empereur, parti de Saint-Cloud le 24 septembre 2 vendĂ©miaire, arriva Ă  Strasbourg le 26. On avait Ă©levĂ© Ă  la porte de Saverne un arc triomphal, avec des inscriptions prĂ©sageant ses victoires. Son entrĂ©e fut annoncĂ©e par des salves d’artillerie et des sonneries de cloches. La garde d’honneur, brillante de jeunesse et de tenue, ouvrait la marche majestueuse. Elle fut accueillie par des acclamations mille fois rĂ©pĂ©tĂ©es. Les habitants de l’Alsace s’étaient portĂ©s comme un torrent sur son passage. Le soir, au milieu des illuminations, la flĂšche de la cathĂ©drale Ă©tait une colonne de feu suspendue dans les airs. J’étais de garde au palais impĂ©rial. J’eus l’occasion de voir les prĂ©sents et les curiositĂ©s que l’on fit Ă  l’Empereur, notamment une carpe monstrueuse du Rhin. Depuis le 20, une partie des troupes du camp de Boulogne, celles venant de l’intĂ©rieur, et la garde impĂ©riale arrivaient Ă  Strasbourg par toutes les portes, prenaient les approvisionnements qui leur Ă©taient nĂ©cessaires et se dirigeaient sur le Rhin, qu’elles passaient Ă  Kehl. Elles s’organisaient dĂ©finitivement sur la rive droite, en attendant l’ordre de marcher en avant. Les hommes et les chevaux bivouaquaient dans les rues ; les voitures de l’artillerie, des Ă©quipages et des approvisionnements les encombraient c’était un pĂȘle-mĂȘle Ă  ne pas s’y reconnaĂźtre. 27 septembre. – Il ne restait presque plus de troupes, Ă  Strasbourg, que nous. Nous attendions, pour partir, la Garde, qui devait venir de Boulogne. Elle arriva dans la journĂ©e du 27 septembre. Ce fut un jour de fĂȘte, pour tout le monde, de se revoir aprĂšs une longue absence, et surtout pour les jeunes gens. On s’occupa tout de suite de nous amalgamer. Tous les vĂ©lites changĂšrent de compagnie. Je regrettai sincĂšrement la mienne, et j’entrai dans la 9Ăšme du 1er bataillon du 2Ăšme rĂ©giment. Il fut dĂ©livrĂ© Ă  chacun de nous cinquante cartouches, quatre jours de vivres et des ustensiles de campagne. J’eus l’extrĂȘme avantage d’ĂȘtre dĂ©signĂ© le premier pour porter la marmite de mon escouade, comme Ă©tant le moins ancien de service. ENTRÉE EN ALLEMAGNE 29 septembre. – Nous partĂźmes de Strasbourg avant le jour, et fĂ»mes nous rĂ©unir en avant de Kehl. Je vis pour la premiĂšre fois le Rhin, Ă  10 heures du matin, et je ne passai point le majestueux fleuve sans Ă©prouver un secret contentement, quand ma mĂ©moire me rappela tous les beaux faits d’armes dont ses rives avaient Ă©tĂ© tĂ©moin. Ces souvenirs belliqueux me faisaient dĂ©sirer quelques glorieux combats, oĂč je pourrais satisfaire ma vive impatience. Toute la Garde arrivĂ©e, nous nous mĂźmes en marche, le marĂ©chal BessiĂšres en tĂȘte. Jamais la Garde ne s’était vue aussi nombreuse. La colonne Ă©tait immense. La journĂ©e fut longue et fatigante, Ă  cause du soleil, de la poussiĂšre et des munitions qui nous Ă©crasaient, moi surtout avec ma pesante marmite. Si je m’étais laissĂ© tomber, je n’aurais pas pu me relever, tant mes forces Ă©taient anĂ©anties. Je ne marchais plus, je me traĂźnais. Quand on arriva Ă  10 heures du soir dans un village, prĂšs de Rastadt, j’étais si fatiguĂ©, que je ne pus ni manger, ni dormir. Je commençais Ă  regretter Paris. 1er octobre. – Nous Ă©tions sous les armes avant le jour, bien fatiguĂ©s de la veille. Il nous fut lu, avant de nous mettre en marche, une proclamation de l’Empereur aux soldats. Elle nous annonçait l’ouverture de la campagne contre les Autrichiens, qui venaient d’envahir la BaviĂšre ; elle nous annonçait aussi des marches forcĂ©es et des privations de toute espĂšce ; elle fut accueillie par des cris de Vive l’Empereur ! » On nous prĂ©vint en outre qu’il n’y aurait plus de grande halte, ni de journĂ©es d’étape rĂ©glĂ©es comme en France, et qu’il fallait, en consĂ©quence, conserver des vivres pour la marche. Et puis, dĂ©fense de manquer aux appels, de rester en arriĂšre, etc. Dans la journĂ©e, on marchait d’un soleil Ă  l’autre. Nous couchĂąmes dans un village, Ă  trois lieues d’Ettlingen. Dans les dĂ©buts, je puis citer mal, parce qu’alors je ne pouvais pas bien entendre la langue. On Ă©tait nourri chez l’habitant, suivant des arrangements pris avec les maisons de Bade, de Wurtemberg et de BaviĂšre. Il y eut un village, situĂ© sur la riviĂšre d’Ems, Ă  une petite lieue d’Ensweihingen, en Souabe, oĂč tous les habitants Ă©taient rassemblĂ©s sur la place, nous attendant, et quand nous arrivĂąmes, chaque paysan emmena le nombre de soldats qu’il pouvait, pour les loger et les nourrir parfaitement. Depuis le passage du Rhin jusqu’au Danube, nous avons trouvĂ© beaucoup de fruits ; les soldats s’en trouvaient trĂšs bien. La fraĂźcheur et l’aciditĂ© des pommes tempĂ©raient la soif ardente qui nous consumait. Pas de vin, peu de biĂšre et mauvaise. Le 7, Ă  Nordingen, dans la nuit, on battit la marche de nuit du rĂ©giment sorte de batterie ou de gĂ©nĂ©rale particuliĂšre Ă  chaque corps. En peu de temps, le rĂ©giment fut sac au dos et sous les armes. C’était pour partir immĂ©diatement pour Donawerth. Cette intempestive alerte nous priva de quelques heures de bon sommeil, dont nous avions bien besoin. Mais les Ă©vĂ©nements militaires se dĂ©veloppaient rapidement et nĂ©cessitaient le rapprochement des troupes sur le théùtre de la guerre. On s’était battu le 7 sur le Tech, pour prendre le pont et marcher sur Augsbourg. Le 8, nous arrivions Ă  Donawerth. Dans la soirĂ©e, nous entendĂźmes le canon c’était la victoire de Wertingen, que les marĂ©chaux Lannes et Murat remportaient sur les Autrichiens du gĂ©nĂ©ral Auttemberg. Le 9, nous passĂąmes le Danube Ă  Donawerth, sur le pont que l’ennemi, en se retirant, n’avait pas eu le temps de couper. À peu de distance de ce fleuve, dans l’immense et riche plaine que nous traversions pour nous rendre Ă  Augsbourg, le lieutenant de la compagnie, avec qui je causais souvent, me fit voir l’emplacement oĂč l’on avait Ă©levĂ© un monument Ă  la mĂ©moire du brave La Tour d’Auvergne, premier grenadier de la RĂ©publique, tuĂ© d’un coup de lance au combat de Neubourg, le 27 juin 1800. La nouvelle de l’occupation d’Augsbourg n’étant pas encore parvenue, on nous fit bivouaquer prĂšs d’une heure, pour le malheur des houblonniĂšres des environs, dont les perches servirent Ă  nous chauffer et Ă  nous sĂ©cher. Les 10 et 11 octobre, nous avons sĂ©journĂ© Ă  Augsbourg. Pendant ces deux journĂ©es qui furent dĂ©testables par la quantitĂ© de neige et de pluie qui tomba, l’armĂ©e acheva son grand mouvement de conversion autour d’Ulm, avons-nous su depuis, et coupa dĂ©finitivement la retraite Ă  l’ennemi. L’Empereur arriva le 10. Le 12, nous partĂźmes d’Augsbourg dans l’aprĂšs-midi, et, peu d’heures aprĂšs, nous Ă©tions dans les tĂ©nĂšbres. Nous marchions difficilement, Ă  cause de la boue qui Ă©tait gluante, tenace dans ces terres noires et fortes. DĂ©jĂ  embarrassĂ© de m’en tirer, j’eus la douleur de sentir qu’un de mes sous-pieds venait de se casser. Dans l’impossibilitĂ© oĂč j’étais de pouvoir continuer la marche, je m’arrĂȘtai pour en remettre un autre, mais pendant ce temps-lĂ  arrivent l’infanterie, la cavalerie, l’artillerie de la garde mon bataillon Ă©tait d’avant-garde. Je fus forcĂ© d’attendre que toute cette masse de troupes fĂ»t passĂ©e pour ne pas ĂȘtre Ă©crasĂ©, bousculĂ©, perdu dans cette foule, perdue elle-mĂȘme dans la boue, qui Ă©tait horriblement triturĂ©e, dĂ©layĂ©e. Cela fut long, parce qu’on Ă©tait beaucoup. Enfin, je me jetai dans un peloton de nos gens. Avec eux, j’arrivai au gĂźte et couchai dans un chenil qui Ă©tait donnĂ© pour corps de garde. Le lendemain, 13, dĂšs le jour, je voulus rejoindre ma compagnie, mais cela me fut impossible, elle Ă©tait trop en avant sur la route, et la route elle-mĂȘme Ă©tait trop encombrĂ©e de troupes. Je continuai de marcher avec le dĂ©tachement de la veille. Les chemins Ă©taient encore plus impraticables, par la masse Ă©norme de neige qui Ă©tait tombĂ©e toute la nuit. ArrivĂ© Ă  Guntzbourg, Ă  la nuit close, je demandai et cherchai ma compagnie. Impossible de la trouver, elle Ă©tait sur le bord du Danube. La ville Ă©tait sens dessus dessous, les maisons pleines de morts, de blessĂ©s, de malades et de vivants, pressĂ©s, serrĂ©s, entassĂ©s. Ne pouvant trouver Ă  me mettre Ă  l’abri en aucun lieu, je me rĂ©fugiai Ă  l’hĂŽtel de ville, oĂč je fus assez heureux pour trouver un coin prĂšs d’un fourneau bien chaud, oĂč je pus me rĂ©chauffer, me sĂ©cher et mettre ma tĂȘte Ă  couvert des intempĂ©ries de la saison. Je me rĂ©signais Ă  mon triste sort, quoique je fusse sans vivres et sans camarades pour me consoler, et entourĂ© de soldats autrichiens blessĂ©s et encore plus malheureux que moi. SĂ©parĂ© de ma compagnie, qui Ă©tait ma famille militaire, je trouvais ma situation trĂšs dĂ©plorable. Au jour, je me mis de nouveau en quĂȘte de mes compagnons d’armes. Enfin je les dĂ©couvris sur les bords de la rive droite du Danube, prĂšs du pont et dans un bon bivouac, avec des vivres en abondance. AprĂšs avoir rendu compte des motifs de mon absence, je trouvai chez tous mes amis, de douces preuves de leur amitiĂ©, et particuliĂšrement chez un vieux chasseur de mon pays, ancien grenadier d’Égypte, blessĂ© sur la brĂšche de Saint Jean d’Acre, que mon absence avait bien inquiĂ©tĂ©. Il me fit part de sa provision de vivres, qu’il avait mise en rĂ©serve pour moi. À la maniĂšre dont je fis honneur au dĂ©jeuner qu’il m’offrait, il jugea des privations que j’avais Ă©prouvĂ©es dans cette triste circonstance. Des larmes de joie coulaient sur ses joues fatiguĂ©es de me voir manger de si bon appĂ©tit. Ah ! c’est une triste chose que d’ĂȘtre perdu au milieu d’une armĂ©e qui manƓuvre. Le soir du 14, la compagnie passa sur la rive gauche du Danube, pour garder la tĂȘte du pont qui avait Ă©tĂ© brĂ»lĂ© par les Autrichiens, mais sur lequel on pouvait passer par le moyen de quelques planches. Pendant deux heures, je fus en faction sur bord d’un ravin, sur l’autre rive, duquel Ă©tait une sentinelle ennemie. Nous nous observĂąmes mutuellement, sans tirer, pour ne pas troubler le repos de la partie de l’armĂ©e qui se trouvait dans les environs. Vers le milieu de la nuit, nous repassĂąmes le Danube, et toute l’infanterie de la garde remonta la rive droite, Ă  peu prĂšs une lieue, pour prendre position sur une hauteur, oĂč nous passĂąmes le reste de la nuit, sans feu et sans abri, sous une bise hyperborĂ©enne. Ce fut lĂ , pour la premiĂšre fois, que je fus tĂ©moin d’un Ă©chantillon des horreurs de la guerre. Comme le froid Ă©tait extrĂȘmement vif, on se dĂ©tacha pour se procurer du bois, afin d’établir des bivouacs. Le village oĂč l’on allait le prendre fut, dans un instant, entiĂšrement dĂ©vastĂ© ; on ne se contentait pas d’enlever le bois, on emportait les meubles, les instruments aratoires, les effets et le linge. Les chefs s’aperçurent, mais trop tard, de ce torrent dĂ©vastateur. Il fut donnĂ© des ordres sĂ©vĂšres qui condamnaient Ă  la peine de mort tous les soldats qui seraient trouvĂ©s avec des effets, linge, etc. Si cet ordre eĂ»t Ă©tĂ© exĂ©cutĂ© dans tout le courant de la campagne, toute la Grande ArmĂ©e eut Ă©tĂ© fusillĂ©e. Plusieurs subirent cette peine. Ce spectacle, nouveau pour moi, me dĂ©chirait le cƓur ; je versai des larmes sur le sort de ces pauvres habitants qui, dans un clin d’Ɠil, perdaient toutes leurs ressources. Mais ce que j’ai eu l’occasion de voir, depuis cette Ă©poque, me les a fait trouver encore heureux dans leur malheur. Comme j’étais nouveau dans l’art militaire, tout ce qui contrariait les principes que j’avais reçus me surprenait ; mais j’ai eu le temps de m’y accoutumer par la suite tant par satiĂ©tĂ© que par besoin. Un chasseur vĂ©lite Ă©tant allĂ© comme les autres au village pour quĂ©rir du bois, trouva une oie qu’on avait tuĂ©e. Sans dĂ©fiance, comme un nouveau, il la rapporta au camp et fut rencontrĂ© par M. Grosse, le colonel major de notre rĂ©giment, qui, aprĂšs lui avoir donnĂ© quelques coups de canne, ordonna qu’il resterait quinze jours Ă  l’avant-garde et que l’oie serait attachĂ©e Ă  son col, jusqu’à ce qu’elle fut en putrĂ©faction. Le jeune homme eut beau protester de son innocence, le jugement fut exĂ©cutĂ©, plus pour donner l’exemple aux autres que pour le punir. Toute la journĂ©e nous entendĂźmes la canonnade et la fusillade dans la direction d’Ulm. C’était le beau succĂšs d’Elchingen, que le corps du marĂ©chal Ney 6Ăšme remportait, aprĂšs un combat des plus opiniĂątres. 15 octobre. – Au jour, le rĂ©giment partit de Guntzbourg et se fut mettre en bataille, Ă  une petite lieue de cette ville, pour garder un pont du Danube. On avait placĂ© plusieurs piĂšces de canon, pour empĂȘcher le passage, au cas que l’ennemi voulĂ»t tenter une trouĂ©e. Notre compagnie Ă©tait la plus avancĂ©e et la premiĂšre Ă  soutenir le choc. Nous restĂąmes toute la journĂ©e sous les armes Ă  attendre si l’ennemi avait quelque dĂ©sir de troubler notre sĂ©curitĂ©. J’étais Ă  portĂ©e de voir le succĂšs de nos colonnes ; le bruit du canon fut terrible toute la journĂ©e et celui de la mousqueterie bien garni. Peu accoutumĂ© au bruit, j’en Ă©tais Ă©tourdi, sans cependant craindre de l’entendre de plus prĂšs. J’aurais dĂ©sirĂ© au contraire que l’on se battĂźt, pour prouver que, malgrĂ© que l’on fĂ»t nouveau dans un pareil service, on avait autant l’amour de la gloire que les anciens. L’ennemi nous laissant tranquilles, on s’occupa une partie de la journĂ©e Ă  faire des baraques en paille. Tout ce qui fut trouvĂ© dans le village, tant en bois qu’en comestibles, fut enlevĂ©. Les horreurs se renouvelĂšrent, mais j’y fus moins sensible ; d’ailleurs le besoin l’ordonnait. Un compatriote me cĂ©da du pain, sans quoi je m’en serais passĂ© toute la journĂ©e. Le soir je fus de garde de l’autre cĂŽtĂ© du Danube, en faction Ă  dix pas des Autrichiens. Il n’y avait qu’un petit canal qui me sĂ©parait du factionnaire ennemi ; il me laissa tranquille, j’en fis de mĂȘme. À peine ma faction Ă©tait-elle terminĂ©e, Ă  minuit, que nous fĂ»mes enlevĂ©s de nos superbes bivouacs pour nous porter plus loin, dans la nuit la plus obscure et la plus froide, pour nous rapprocher de l’Empereur. Dans ce nouvel endroit, nous ne trouvĂąmes rien pas de paille pour se coucher Ă  terre, peu de bois Ă  brĂ»ler et le vent du nord comme en Laponie. Je passai une triste nuit. BrĂ»lĂ© d’un cĂŽtĂ©, gelĂ© de l’autre, tel fut mon repos. Quelqu’un qui n’aurait eu que le dĂ©sir de s’amuser, de jouir d’un spectacle aussi nouveau qu’agrĂ©able, pouvait se satisfaire plusieurs lignes immenses de bivouacs, Ă  perte de vue, offraient un coup d’Ɠil ravissant ; des milliers de feux rĂ©pandus sur le vaste horizon ; les Ă©toiles vives et scintillantes contrastaient trop fort avec notre position, qui n’était rien moins que brillante. Ce fut ce jour lĂ  que je couchai pour la premiĂšre fois au bivouac ; je n’y trouvai rien de bien engageant ; c’est un triste couchage. J’ai dit, bien des fois depuis, que le plus beau des bivouacs ne vaut pas la plus misĂ©rable cabane. 16 octobre. – À la pointe du jour, nous partĂźmes du bivouac pour nous diriger sur Ulm. La journĂ©e commençait Ă  ĂȘtre trĂšs mauvaise ; les routes Ă©taient encombrĂ©e de boue et obstruĂ©es par l’artillerie. La pluie tombait avec force. Nous arrivĂąmes dans un bois, oĂč l’on trouva, sur le bord de la route, une clairiĂšre. Nous Ă©tions tellement gĂȘnĂ©s par l’artillerie et la cavalerie qu’on nous y laissa, pour attendre qu’elles eussent filĂ©. Quatre heures aprĂšs, nous Ă©tions encore lĂ , sous des torrents de pluie, dans la boue jusqu’aux genoux, n’ayant rien mangĂ© de la journĂ©e, et tous nos membres engourdis de froid. Ce qui ralentissait la marche de l’armĂ©e, c’était le pont d’Elchingen, Ă  un quart de lieue de lĂ , qui avait Ă©tĂ© coupĂ© par l’ennemi, et si mal rĂ©parĂ© par nous, Ă  cause de la hĂąte, qu’on craignait Ă  tout instant qu’il ne se rompĂźt. Un aide de camp du marĂ©chal BessiĂšres vint nous tirer de ce lieu de mort, en donnant l’ordre de nous porter de suite Ă  Elchingen, au quartier gĂ©nĂ©ral de l’Empereur. Chacun suivit la route qui lui parut la plus convenable pour arriver plus vite. Quand j’eus passĂ© le pont, je vis pour la premiĂšre fois un champ de bataille. Ce spectacle me glaça d’effroi, mais l’état que j’avais embrassĂ© devait me faire oublier tout cela. La plaine Ă©tait couverte de cadavres, presque tous Autrichiens. Dans le village, dans les rues, dans les maisons, dans les jardins, tout Ă©tait garni de morts. Pas un coin qui ne fut arrosĂ© de sang. Nous fĂ»mes logĂ©s militairement. Je n’ai pu me coucher de la nuit, faute d’espace pour m’asseoir sur le plancher. Les maisons Ă©taient pleines de blessĂ©s, sans habitants et dĂ©vastĂ©es. Je ne mangeai rien de la journĂ©e ; je ne pus mĂȘme pas faire sĂ©cher mes habits qui Ă©taient pourris d’eau. Quatre jours aprĂšs, ils ne l’étaient pas encore entiĂšrement. Tel fut le rĂ©sultat de la journĂ©e du 23, qui fut une des plus cruelles de la campagne. L’Empereur ne s’était pas dĂ©bottĂ© depuis huit jours. Mais le mouvement de nos corps d’armĂ©es avait tellement dĂ©rangĂ© les plans de campagne de l’ennemi, qu’il commença des pourparlers de capitulation que nous n’acceptĂąmes pas. 17 octobre. – C’est alors que l’Empereur donna l’ordre de battre en brĂšche pour tenter l’assaut. AussitĂŽt qu’il fit jour, chacun s’empressa de se procurer des pommes de terre ; quelques instants aprĂšs, il nous fut dĂ©livrĂ© un biscuit, qui ne pouvait arriver plus Ă  propos. La gĂ©nĂ©rale battit, et dans un instant nous fĂ»mes en bataille au-dessus du village d’Elchingen. Nous y restĂąmes toute la journĂ©e pour contenir l’ennemi, en cas qu’il eĂ»t fait une sortie de notre cĂŽtĂ©. On se battit toute la journĂ©e, Ă  peu de distance de nous, sans que nous prissions part Ă  l’action. Le bruit de l’artillerie qui battait la brĂšche d’Ulm Ă©tait si fort et si terrible qu’on aurait dit la destruction du monde entier. Au soir, Ă©tant allĂ© chercher du bois, aux environs de notre position, pour nous chauffer un peu, les tĂ©nĂšbres Ă©taient si profondes que je chargeai sur mes Ă©paules un kaiserlick mort, que j’avais pris pour une bĂ»che. Cela m’effraya beaucoup. Nous ne nous retirĂąmes que le soir, vers dix heures, en ayant toutes les peines du monde pour nous dĂ©gager de la boue. Je fus logĂ© dans la superbe abbaye oĂč Ă©tait l’Empereur. Dans toutes les salles, chambres, corridors, cellules, on avait allumĂ© des feux pour cuire nos pommes de terre. On ne peut se faire une idĂ©e de la beautĂ© de cette abbaye. La canonnade ne cessa de se faire entendre, jusqu’au soir du 17, oĂč elle cessa tout Ă  coup. Nous apprĂźmes peu de temps aprĂšs que le gĂ©nĂ©ral Mack, renonçant Ă  l’espoir de se faire jour l’épĂ©e Ă  la main, venait de capituler, en remettant aux mains de l’Empereur toute son armĂ©e et la place qu’il n’avait pas dĂ©fendue. 18 octobre. – Nous ne sortĂźmes pas de la journĂ©e, ce qui nous fit beaucoup de bien, tant pour nous reposer que pour approprier nos armes, qui Ă©taient rongĂ©es de rouille. Dans la nuit, au milieu d’un ouragan terrible, le Danube dĂ©borda et entraĂźna les cadavres qui n’étaient pas encore inhumĂ©s. Ils durent faire connaĂźtre Ă  Vienne les malheurs de l’armĂ©e de Souabe, car ils flottaient sur le fleuve comme les dĂ©bris d’un vaisseau. 20 octobre. – L’Empereur passa toute la journĂ©e Ă  Ulm, sur une hauteur, pour voir dĂ©filer l’armĂ©e autrichienne, qui sortit avec les honneurs de la guerre et dĂ©posa les armes devant lui. L’Empereur, entourĂ© d’une partie de la Garde, fit appeler les gĂ©nĂ©raux autrichiens, et les traita avec les plus grands Ă©gards. Ensuite, nous fĂ»mes coucher Ă  Augsbourg. L’Empereur arriva Ă  Augsbourg, prĂ©cĂ©dĂ© des grenadiers Ă  pied qui portaient les quatre-vingt-dix drapeaux pris dans cette premiĂšre campagne. Cette entrĂ©e brillante et martiale produisit sur les habitants un Ă©tonnement difficile Ă  dĂ©crire ; ils ne pouvaient se persuader qu’en si peu de jours on eĂ»t dĂ©truit une si grande armĂ©e. À l’appel du troisiĂšme jour, il fut lu, Ă  l’ordre des compagnies, une proclamation de l’Empereur aux soldats de la Grande ArmĂ©e, qui Ă©numĂ©rait tous les combats et les trophĂ©es qu’ils avaient conquis en quinze jours, et l’annonce d’une deuxiĂšme campagne contre les Russes, qui approchaient. Un dĂ©cret impĂ©rial, datĂ© d’Ulm, faisait compter pour campagne le mois de vendĂ©miaire an XIV, indĂ©pendamment de la campagne courante. 24 octobre. – À Munich – Le rĂ©giment de chasseurs partit d’Augsbourg, le 23 octobre, de trĂšs grand matin, coucha Ă  Schwabhausen, aprĂšs une journĂ©e pĂ©nible, et arriva le lendemain 24 Ă  Munich, Ă  3 heures de l’aprĂšs-midi. Une route superbe dans ses derniĂšres parties. Nous fĂźmes notre entrĂ©e en grande tenue ; une foule immense s’était portĂ©e sur notre passage. Les habitants paraissaient prendre plaisir Ă  voir la Garde et leurs protecteurs. Ils nous reçurent avec la plus grande joie. Il n’y a pas d’endroit oĂč nous ayons Ă©tĂ© aussi bien traitĂ©s. Ils nous embrassaient, tant ils Ă©taient contents de se voir Ă  l’abri des vexations des Autrichiens. Ils avaient dĂ©corĂ© leurs maisons d’emblĂšmes exprimant le bonheur qu’ils Ă©prouvaient de possĂ©der leur rĂ©gĂ©nĂ©rateur et leurs sauveurs. Les vivres Ă©taient en abondance, la volaille pour rien. Il n’y avait de cher que le pain. À mon arrivĂ©e, je fus commandĂ© de service pour monter la garde au palais Ă©lectoral. L’Empereur arriva Ă  9 heures du soir. Tous les grands de la cour se portĂšrent au-devant de lui. Ils Ă©taient chamarrĂ©s de dĂ©corations, de cordons et d’épaulettes. Ce qui me divertit le plus dans cette soirĂ©e, ce fut la garde de l’Électeur. Elle est d’une mine grotesque ; son costume tient beaucoup aux troupes du temps d’Henri IV ; elle est composĂ©e de beaux hommes, extrĂȘmement grands, tous armĂ©s d’un sabre et d’une pique. Pendant deux heures, je ne fis que porter et prĂ©senter les armes, tant le nombre des grands personnages qui furent admis Ă  offrir leurs hommages Ă  l’Empereur fĂ»t considĂ©rable. Je n’avais jamais autant vu de dĂ©corations de toute espĂšce et de tous les pays qu’il en passa devant moi pendant cette fatigante faction. Je crois avoir reçu le salut trĂšs profond de tous les princes, ducs, barons de la BaviĂšre reconquise et reconnaissante. Dans cette circonstance, un soldat de l’Empereur, un guerrier de la Grande ArmĂ©e, avait des titres Ă  mĂ©riter les grands saluts qu’on lui faisait. 25 octobre. – Une prostration presque complĂšte, une nuit passĂ©e sans sommeil, me faisaient vivement dĂ©sirer un bon lit et du repos de douze heures au moins. Je me couchai avec cet espoir, mais, vers dix ou onze heures, un bruit discordant de sonnettes nous rĂ©veilla brusquement, cinq ou six que nous Ă©tions dans ce logement. C’était un adjudant major, du rĂ©giment, qui nous donna l’ordre de nous rendre avec armes et bagages, dans un corps de garde qu’il nous dĂ©signa. ArrivĂ©s lĂ , avec quelques autres chasseurs qu’on avait recrutĂ©s de la mĂȘme maniĂšre, on nous envoya sur la route de Landshut, Ă  une lieue de Munich, pour garder le grand parc de l’armĂ©e. La nuit Ă©tait profondĂ©ment noire, la pluie tombait Ă  torrent ; il faisait si mauvais que, dans tout autre moment, on n’aurait pas mis un chien Ă  la porte. J’eus beau observer que je descendais de garde, on me rĂ©pondit qu’on en tiendrait compte une autre fois. Il fallut marcher, le devoir et le service l’exigeait. Nous voilĂ  dix Ă  douze, pataugeant dans une profonde boue, marchant Ă  l’aventure, et regrettant tous, de bien bon cƓur, l’excellent coucher qu’il nous avait fallu quitter. ArrivĂ©s Ă  notre destination, les camarades du 1er corps marĂ©chal Bernadotte, que nous relevions, nous laissĂšrent une trĂšs bonne baraque en planches garnie de bonne paille, un feu de bivouac en trĂšs grande activitĂ© et beaucoup de bois pour l’alimenter. C’était du moins une compensation Ă  notre infortune et un dĂ©dommagement qui nous Ă©tait bien dĂ», mais malheureusement cette faveur inespĂ©rĂ©e nous Ă©chappa bientĂŽt. À peine avait-on placĂ© les sentinelles sur les points indiquĂ©s, et le reste du poste pris possession de cette baraque qui promettait de nous ĂȘtre si utile, que le feu s’y dĂ©clara avec tant d’intensitĂ© que les hommes qui s’y trouvaient Ă  l’abri eurent beaucoup de peine Ă  en sortir sans ĂȘtre atteints par les flammes. Les efforts que l’on fit pour l’éteindre furent sans rĂ©sultat, car elle s’abĂźma en peu de minutes. Malheureusement, on n’avait pas eu le temps de retirer tous les fusils, les sacs et les bonnets Ă  poil qui s’y trouvaient. Les deux fusils qui manquaient Ă©taient chargĂ©s, comme tous les autres des hommes du poste. Une fois atteints par le feu, ils partirent. PlacĂ© en faction sur la route, une balle atteignit mon bonnet au-dessus de la tĂȘte, et le perça de part en part, sans trop m’en apercevoir. Ces longues flammes, ces deux coups de feu portĂšrent l’alarme dans tous les postes d’alentour. On cria partout aux armes » ; l’inquiĂ©tude fut gĂ©nĂ©rale parce qu’on craignait que ce fĂ»t une attaque pour enlever le grand parc, ou qu’on le fĂźt sauter. AprĂšs des reconnaissances faites, et qu’on se fut assurĂ© de la cause de cette chaude alerte, tout rentra dans l’ordre matĂ©riellement parlant, mais la crainte d’ĂȘtre punis, et le dĂ©sagrĂ©ment de notre fĂącheuse position nous tinrent sur le qui-vive le restant de notre garde. RentrĂ©s Ă  Munich sur les deux heures, nous fĂ»mes, tous ensemble, rendre compte de ce fĂącheux Ă©vĂ©nement Ă  l’adjudant major de semaine qui, aprĂšs avoir pris les ordres du gĂ©nĂ©ral, envoya le sergent et le caporal Ă  la garde du camp, et les chasseurs Ă  leur logement jusqu’à nouvel ordre. Ainsi se termina une nuit pleine d’anxiĂ©tĂ© et de fatigue, et qui aurait pu avoir des suites extrĂȘmement fĂącheuses, si le feu avait pu communiquer au grand parc, ce qui fut rendu impossible Ă  cause de la pluie torrentielle. Le 26, mon indisposition, la fatigue et les Ă©motions de la veille ne me donnĂšrent pas l’envie de visiter Munich. Les 5, 6 et 7 novembre, sur les bords du Danube, nous prĂźmes plusieurs fois les armes, surtout la nuit, pour veiller Ă  la sĂ»retĂ© du quartier gĂ©nĂ©ral impĂ©rial, car une portion trĂšs forte de l’armĂ©e russe occupait encore la rive gauche. Les patrouilles, sur la rive, par ce temps trĂšs froid et ce brouillard Ă©pais, Ă©taient peu rĂ©crĂ©atives. Le 8 novembre, Ă  Strenberg, bourg oĂč nous fĂ»mes tous logĂ©s si Ă  l’étroit, que plus de la moitiĂ© des hommes de la garde furent contraints de bivouaquer. MalgrĂ© la neige qui tombait par avalanche, les fureteurs des compagnies et le nombre en Ă©tait grand dĂ©couvrirent des caves d’excellent vin de Hongrie. On en but pour se rĂ©chauffer, pour se restaurer, pour dissiper l’ennui qu’on Ă©prouvait d’ĂȘtre empilĂ©s, Ă©touffĂ©s dans ces chambres, oĂč l’on ne pouvait pas remuer ni bras, ni jambes ; enfin, on but tant et tant que, s’il avait fallu faire le coup de feu dans la nuit, on n’aurait pas su oĂč prendre les cartouches
 Spectateur bĂ©nĂ©vole de cette gigantesque orgie, ne buvant pas, ou du moins trĂšs peu, j’admirai, sans en ĂȘtre Ă©bloui, la surprenante consommation qu’en faisaient certains hommes. C’étaient de vĂ©ritables Gargantuas. Le lendemain 9, dans une longue et fatigante marche, la plupart des hommes, obligĂ©s de se coucher sur le bord du chemin, faute de jambes pour suivre leurs camarades, prouvaient suffisamment que ce vin Ă©tait plus nuisible que favorable Ă  la santĂ©. Dans la journĂ©e, nous passĂąmes sur le champ de bataille du terrible combat d’Amstetten 5 novembre entre les grenadiers d’Oudinot, rĂ©unis Ă  la cavalerie du prince Murat, et les Russes, et ensuite dans la petite ville de ce nom. On eut Ă  passer plusieurs riviĂšres, dont les ponts, coupĂ©s et rĂ©tablis Ă  la hĂąte, retardĂšrent beaucoup la marche. Le 12 novembre, Ă  moitiĂ© chemin entre Saint-Poelten et Burkesdorf, nous rencontrĂąmes les magistrats de Vienne, qui venaient implorer l’Empereur de mĂ©nager la capitale et leur souverain, et lui offrir les clefs de la ville. L’Empereur nous suivait de prĂšs. Il passa donc au milieu de nous avec ces Viennois. Ils furent alors tĂ©moins d’une scĂšne qui dut leur prouver combien l’Empereur Ă©tait aimĂ© par ses troupes. Nous montions une cĂŽte extrĂȘmement rapide. Nous bordĂąmes la haie de chaque cĂŽtĂ© de la route. Le 4Ăšme corps, qui montait la montagne en mĂȘme temps, fit le mĂȘme mouvement que toute la Garde. Dans un instant, les cris de Vive l’Empereur » se communiquĂšrent sur toute la ligne, les chapeaux au bout des baĂŻonnettes ; les voitures de l’Empereur allant au petit pas, les dĂ©putĂ©s eurent tout le temps de recueillir les applaudissements que la Garde et l’armĂ©e tĂ©moignaient Ă  leur souverain. L’Empereur Ă©tait dans une des voitures de la cour ; c’était la premiĂšre fois qu’il s’en servait depuis son dĂ©part de Paris. Dans le Rhin, toutes les fois que Sa MajestĂ© nous rencontrait en route, nous nous arrĂȘtions pour lui rendre les honneurs militaires, et la saluer de nos acclamations. Tous les corps de l’armĂ©e en faisaient autant, Ă  moins d’ordre contraire. Souvent, dans ces revues inattendues, l’Empereur complimentait les rĂ©giments qui s’étaient distinguĂ©s dans une affaire rĂ©cente, complĂ©tait les cadres et distribuait les dĂ©corations. C’était une circonstance fortuite, qui Ă©tait vivement dĂ©sirĂ©e et qui satisfaisait bien des dĂ©sirs. 13 novembre. – À une petite demi lieue de Vienne, au lieu de continuer notre route, nous entrĂąmes dans un village Ă  gauche, appelĂ© SchƓnbrunn. Ce contretemps nous fit beaucoup de peine, car nous pensions loger en ville. Ce qui ne nous fit nullement plaisir, c’est que, du milieu de la place de ce village, on dĂ©couvrait Vienne Ă  travers le vallon ; cette quantitĂ© de clochers, flĂšches, tours, faisaient un contraste frappant avec la campagne, qui Ă©tait couverte de neige. Sur cette mĂȘme place s’élevait le palais impĂ©rial que l’Empereur avait choisi pour sa rĂ©sidence. Nous y fĂ»mes logĂ©s pour faire le service du palais. RĂ©veillĂ© dans la nuit, sans ĂȘtre commandĂ© de service, je fus contraint, avec d’autres camarades, pas plus amoureux que moi de trotter Ă  de telles heures, de faire autour du parc des patrouilles qui exigeaient une heure de marche. Il nous fut dĂ©fendu d’aller Ă  Vienne sans permission. 16 novembre. – Le rĂ©giment se disposait Ă  passer l’inspection, lorsqu’on reçut l’ordre du dĂ©part. Cette nouvelle fut un coup de foudre. Les Ă©vĂ©nements nous Ă©taient peu connus, et on ne les savait que fort tard. Nous ne pouvions nous imaginer ce qui empĂȘchait l’empereur d’Autriche de faire la paix. Nous entrions dans un nouveau pays, peu connu, offrant peu de ressources. Les Russes, continuant toujours de battre en retraite, nous entraĂźnaient nĂ©cessairement dans des pays affreux, et surtout dans une saison peu propre aux marches. J’avoue franchement que ce dĂ©part me fit assez de peine. Cela ne m’empĂȘcha pas de faire le voyage comme les autres. Nous partĂźmes, Ă  2 heures de SchƓnbrunn, et aprĂšs une demi-heure de marche, nous entrĂąmes dans Vienne. Je traversai cette ville avec un grand dĂ©sir de la connaĂźtre, mais le moment n’était pas encore arrivĂ©. En sortant de Vienne, mourants de froid, nous ne fĂźmes que courir pour nous empĂȘcher de geler. Nous arrivĂąmes Ă  Stockerau Ă  10 heures du soir. L’Empereur coucha Ă  Stockerau. 17 novembre. – Partis avec le point du jour, nous marchĂąmes toute la journĂ©e sans nous arrĂȘter, jusqu’à la Taya, qu’il fallut passer Ă  dix heures du soir, par une nuit trĂšs obscure, sur une planche trĂšs Ă©troite, flexible et vacillante. Nos rangs trĂšs dĂ©garnis depuis plusieurs heures, par la fatigue et la longueur de la marche, le devinrent encore bien davantage, car la moindre maladresse pouvait nous faire tomber dans l’eau. Aussi ceux qui se trouvĂšrent de l’autre cĂŽtĂ© furent peu nombreux, et Ă  peine suffisants pour fournir le service du quartier gĂ©nĂ©ral impĂ©rial. Une autre cause qui contribua Ă  faire rester beaucoup d’hommes derriĂšre, ce sont les nombreuses caves, remplies de vin de Moravie, qu’on trouvait sur le bord de la route. On conçoit que des hommes fatiguĂ©s, vivant mal, dormant peu, marchant toujours, profitassent de ces bonnes et rares occasions pour se donner des jambes et un moment de bon temps, mais malheureusement l’abus touchait de prĂšs au bienfait.[2] AUSTERLITZ Le 30 novembre, BarrĂšs se trouve au bivouac, Ă  deux lieues de Brunn, Ă  gauche de la route d’Olmutz sur le penchant d’une colline peu Ă©levĂ©e. 1er dĂ©cembre. – En avant de la position que nous occupions, Ă©tait un mamelon armĂ© de canons. Le bivouac de l’Empereur Ă©tait entre nous et ce mamelon. AprĂšs le mamelon Ă©tait une plaine de peu d’étendue, lĂ©gĂšrement inclinĂ©e vers un ruisseau qui coulait de gauche Ă  droite. Cette plaine, trĂšs longue dans le sens du cours du ruisseau, Ă©tait dominĂ©e par des hauteurs, qui commençaient sur l’autre rive et s’étendaient, depuis des bois Ă  gauche, jusqu’à des marais et Ă©tangs Ă  droite. Le soir, Ă  la clartĂ© des feux des bivouacs, il nous fut donnĂ© lecture de la proclamation de l’Empereur qui annonçait une grande bataille pour le lendemain, 2 dĂ©cembre. Peu de temps aprĂšs, l’Empereur vint Ă  notre bivouac, pour nous voir ou pour lire une lettre qu’on venait de lui remettre. Un chasseur prit une poignĂ©e de paille et l’alluma pour faciliter la lecture de cette lettre. De ce bivouac l’Empereur fut Ă  un autre. On le suivit avec des torches allumĂ©es pour Ă©clairer sa marche. Sa visite se prolongeant et s’étendant, le nombre des torches s’augmenta ; on le suivit en criant Vive l’Empereur. » Ces cris d’amour et d’enthousiasme se propagĂšrent dans toutes les directions, comme un feu Ă©lectrique ; tous les soldats, sous-officiers et officiers se munirent de flambeaux improvisĂ©s, en sorte qu’en moins d’un quart-d’heure, toute la Garde, les grenadiers rĂ©unis, le 5Ăšme corps qui Ă©tait Ă  notre gauche et en avant de nous, le 4Ăšme Ă  droite, ainsi que le 3Ăšme plus loin et en avant, enfin, le 1er qui Ă©tait Ă  une demi-lieue en arriĂšre, en firent autant. Ce fut un embrasement gĂ©nĂ©ral, un mouvement d’enthousiasme, si soudain que l’Empereur dut en ĂȘtre Ă©bloui. C’était magnifique, prodigieux. AprĂšs avoir Ă©tĂ© assez loin, je revins Ă  mon bivouac, aprĂšs l’avoir cherchĂ© longtemps, tous ces feux m’ayant fait perdre la direction oĂč il se trouvait. Je ne doute pas que ce fut le hasard qui donna la pensĂ©e de cette fĂȘte aux flambeaux, et que l’Empereur n’y pensait pas lui-mĂȘme. 2 dĂ©cembre. – Longtemps avant le jour, la diane fut battue dans tous les rĂ©giments ; on prit les armes et on resta formĂ© en bataille jusqu’à ce que les reconnaissances fussent rentrĂ©es. La matinĂ©e Ă©tait froide, le brouillard assez Ă©pais, un silence complet rĂ©gnait dans toutes les lignes. Ce calme si extraordinaire, aprĂšs une soirĂ©e aussi bruyante, aussi folle, avait quelque chose de solennel, d’une majestueuse soumission aux dĂ©crets de Dieu c’était le prĂ©curseur d’un orage impĂ©tueux, meurtrier, qui Ă©lĂšve et abat les empires. L’Empereur, entourĂ© de ses marĂ©chaux et des gĂ©nĂ©raux d’élite de son armĂ©e, Ă©tait placĂ© sur un mamelon dont j’ai parlĂ©, distribuant des ordres pour la disposition de ses troupes et attendant que le brouillard se dissipĂąt pour donner le signal de l’attaque. Il fut donnĂ©, et, peu de temps aprĂšs, toute cette immense ligne fut en feu. Pendant ce temps lĂ , le 1er corps, qui Ă©tait derriĂšre, se porta en avant, en passant Ă  droite et Ă  gauche du mamelon. Saluant, criant Vive l’Empereur ! » les chapeaux au bout des Ă©pĂ©es, des sabres, des baĂŻonnettes, le marĂ©chal Bernadotte en tĂȘte, portant le sien de la mĂȘme maniĂšre, et tout cela au bruit des tambours, de la musique, des canons et d’une vive fusillade. AprĂšs le passage du 1er corps, notre mouvement commença ; nous formions la rĂ©serve elle se composait de 20 bataillons d’élite, dont 8 de la Garde impĂ©riale, 2 de la garde royale italienne, et 10 de grenadiers et de voltigeurs rĂ©unis. DerriĂšre nous, marchaient la cavalerie de la Garde et plusieurs bataillons de dragons Ă  pied. Les bataillons d’élite Ă©taient ployĂ©s en colonne serrĂ©e par division, Ă  distance de dĂ©ploiement, ayant quatre-vingts piĂšces de canon dans leur intervalle. Cette formidable rĂ©serve marchait en ligne de bataille, en grande tenue, bonnets Ă  poil et plumets au vent, les aigles et les flammes dĂ©couvertes, indiquant d’un regard fier le chemin de la victoire. Dans cet ordre, nous franchĂźmes la plaine et gravĂźmes les hauteurs aux cris de Vive l’Empereur ! » Parvenus sur le plateau que les Russes occupaient quelques instants auparavant, l’Empereur nous arrĂȘta pour nous haranguer, aprĂšs nous avoir fait un signe de la main, qu’il voulait parler. Il dit d’une voix claire et vibrante qui Ă©lectrisait Chasseurs, mes gardes Ă  cheval viennent de mettre en dĂ©route la Garde impĂ©riale russe ; colonels, drapeaux, canons, tout a Ă©tĂ© pris ; rien n’a rĂ©sistĂ© Ă  leur intrĂ©pide valeur vous les imiterez. » Il partit aussitĂŽt aprĂšs pour aller faire la mĂȘme communication aux autres bataillons de rĂ©serve. L’armĂ©e russe Ă©tait percĂ©e dans son centre et coupĂ©e en deux tronçons. Celui de gauche, celui qui faisait face Ă  la droite de l’armĂ©e française, Ă©tait aux prises avec les corps des marĂ©chaux Soult et Davoust ; celui de droite, avec les corps de Bernadotte et Lannes. La rĂ©serve liait les quatre corps, et tenait sĂ©parĂ© ce qui avait Ă©tĂ© disjoint par les habiles manƓuvres du gĂ©nĂ©ral en chef et la bravoure des soldats. AprĂšs un quart d’heure de repos, l’infanterie de la Garde fit un changement de direction, Ă  droite, pour aller seconder le 4Ăšme corps, en marchant sur les hauteurs. Parvenu Ă  la descente qui domine les lacs, je sortis un instant des rangs, et je vis, par ce moyen, dans la plaine, la lutte terrible engagĂ©e entre le 4Ăšme corps et la portion de l’armĂ©e russe qui lui faisait face, ayant les lacs Ă  dos. Nous arrivĂąmes pour lui donner le coup de grĂące, et achever de la jeter dans les lacs. Ce dernier et fatal mouvement fut terrible. Qu’on se figure 12 Ă  15 000 hommes se sauvant Ă  toutes jambes sur une glace fragile et s’abĂźmant presque tous Ă  la fois. Quel douloureux et triste spectacle, mais aussi quel triomphe pour les vainqueurs ! Notre arrivĂ©e prĂšs des lacs fut saluĂ©e par une vingtaine de coups de canon, sans nous faire grand mal. L’artillerie de la Garde eut bientĂŽt Ă©teint ce feu, et tira ensuite avec une vivacitĂ© incomparable sur la glace pour la briser et la rendre impropre Ă  porter des hommes. La bataille Ă©tait complĂštement gagnĂ©e, une victoire sans exemple avait couronnĂ© nos aigles d’immortels lauriers. AprĂšs quelques instants de repos, nous revĂźnmes sur nos pas, en suivant Ă  peu prĂšs le mĂȘme chemin, et en traversant le champ de bataille dans toute sa longueur. La nuit nous prit dans cette marche ; le temps, qui avait Ă©tĂ© beau pendant toute la journĂ©e, se mit Ă  la pluie, et l’obscuritĂ© devint si profonde qu’on n’y voyait plus. AprĂšs avoir marchĂ© longtemps au hasard, pour trouver le quartier gĂ©nĂ©ral de l’Empereur, le marĂ©chal BessiĂšres, sans guides, sans espoir de le rencontrer, nous fit bivouaquer sur le terrain mĂȘme oĂč il prit cette dĂ©termination. Il Ă©tait temps, car il Ă©tait tard et nous Ă©tions tous trĂšs fatiguĂ©s. AprĂšs avoir formĂ© les faisceaux par section et dĂ©posĂ© nos fourniments, il fallut s’occuper de se procurer des vivres, du bois et de la paille. Mais oĂč aller pour en trouver ? Il faisait si noir et si mauvais ! Rien ne pouvait nous indiquer oĂč nous trouverions des villages. Enfin, des soldats du 5Ăšme corps, qui rĂŽdaient autour de nous, en indiquĂšrent un dans une gorge. J’y fus avec plusieurs de mes camarades ; il Ă©tait plein de morts et de blessĂ©s russes ; car je crois que c’était dans les environs que la Garde russe avait Ă©tĂ© Ă©charpĂ©e. J’y trouvai quelques pommes de terre et un petit baril de vin blanc nouveau, qui Ă©tait si sĂ»r qu’on aurait pu s’en servir en guise de verjus. Ceux qui en burent au camp eurent des coliques Ă  se croire empoisonnĂ©s. La nuit se passa en causeries chacun racontait ce qui l’avait le plus frappĂ© dans cette immortelle journĂ©e. Il n’y avait point d’action personnelle Ă  citer, puisqu’on n’avait fait que marcher, mais on parlait de l’effroyable dĂ©sastre du lac, du courage des blessĂ©s que nous rencontrions sur notre passage, des immenses dĂ©bris militaires vus sur le champ de bataille, de ces lignes de sacs de soldats russes dĂ©posĂ©s avant l’action, qu’ils n’avaient pu reprendre ensuite, ayant Ă©tĂ© repoussĂ©s dans une autre direction, fusillĂ©s, mitraillĂ©s, sabrĂ©s, anĂ©antis. Il fut aussi question du nom que porterait la bataille, mais personne ne connaissait ces localitĂ©s, ni le lieu oĂč s’étaient donnĂ©s les plus grands coups. Puisqu’on ne savait encore rien du rĂ©sultat dĂ©finitif, la question resta sans solution. Avec le jour, mon incertitude sur la partie du champ de bataille oĂč nous avions passĂ© la nuit se dissipa. Je reconnus, aprĂšs avoir fait une tournĂ©e dans les environs, couverts de cadavres et de blessĂ©s qu’on enlevait, que nous Ă©tions Ă  peu prĂšs Ă  une demi lieue sur la droite de la route de Brunn Ă  Olmutz et Ă  la mĂȘme distance de celle de Brunn Ă  Austerlitz, ces deux routes se bifurquant prĂšs de la poste de Posaritz, oĂč l’Empereur avait dĂ» coucher. Vers dix heures, nous partĂźmes pour Austerlitz ; mais avant de joindre la route Ă  travers champs qui y conduit, on nous fit bivouaquer de nouveau pendant quelques heures. Enfin nous arrivĂąmes de nuit Ă  Austerlitz. L’Empereur couchait au chĂąteau de cette petite ville, et y remplaçait les empereurs Alexandre et François II, qui en Ă©taient partis le matin. Dans la journĂ©e, il nous fut fait lecture de la proclamation de l’Empereur Ă  l’armĂ©e commençant par ces mots Soldats, je suis content de vous » et finissant par cette phrase Il suffira de dire j’étais Ă  la bataille d’Austerlitz, pour qu’on vous rĂ©ponde VoilĂ  un brave ! » 4 dĂ©cembre. – Le matin de ce jour, deux bataillons de grenadiers et deux de chasseurs furent rĂ©unis et dirigĂ©s sur la route de la Hongrie. J’en Ă©tais. AprĂšs quatre heures de marche, on nous fit prendre, Ă  droite de la route, position sur une hauteur avec de la cavalerie et de l’artillerie de la Garde ; plus loin, sur la mĂȘme ligne, Ă©tait aussi de la troupe de ligne ; en avant de nous, un peu plus bas, on voyait l’Empereur se chauffant Ă  un feu de bivouac, entourĂ© de son Ă©tat-major. Sur la colline en face Ă©taient des troupes ennemies en bataille. Nous crĂ»mes d’abord qu’une affaire allait s’engager, mais, aprĂšs quelques instants d’attente, arrivĂšrent deux belles voitures, entourĂ©es d’officiers et de cavaliers, d’oĂč je vis descendre un personnage en uniforme blanc, au-devant duquel se rendit l’Empereur NapolĂ©on. Nous comprĂźmes facilement alors que c’était une entrevue pour traiter de la paix, et que le personnage descendu de voiture Ă©tait l’empereur d’Autriche. AprĂšs leur conversation, qui dura moins d’une heure, nous reprĂźmes la route d’Austerlitz, oĂč nous arrivĂąmes extĂ©nuĂ©s de fatigue et mourants de faim nous avions fait huit lieues dans la boue et par un froid trĂšs vif. Il Ă©tait nuit, depuis longtemps, quand nous entrĂąmes dans nos logements. Le 7 dĂ©cembre commença le retour en France. À Brunn, nous longeĂąmes une partie du champ de bataille, sur lequel on voyait encore des morts. Le 10, aprĂšs avoir repassĂ© le Danube et traversĂ© Vienne, nous arrivons Ă  Freysing, en face du village et du palais impĂ©rial de SchƓnbrunn, pour y sĂ©journer jusqu’au 27 dĂ©cembre. Pendant ce long et salutaire repos, je fus plusieurs fois Ă  Vienne pour visiter cette capitale, faire quelques emplettes et convertir en monnaie de France les florins en papier, avec lesquels on venait de rĂ©gler l’arriĂ©rĂ© de solde qui nous Ă©tait dĂ», depuis notre passage du Rhin. C’était de l’argent bien gagnĂ©, mais les coquins de changeurs profitĂšrent de la circonstance pour nous faire perdre beaucoup dessus, la guerre dĂ©sastreuse que venait de faire l’Autriche ayant beaucoup dĂ©prĂ©ciĂ© ce papier monnaie, sans compter l’ignorance oĂč j’étais sur sa vĂ©ritable valeur. Pendant notre sĂ©jour, nous reçûmes nos capotes d’uniforme venant de France. Elles furent bien accueillies, car nos sarraux de toile avec lesquels nous avions fait la campagne n’étaient ni chauds ni beaux. Nous eĂ»mes, pendant les dix-sept jours de ce cantonnement, de trĂšs mauvais jours, surtout beaucoup de neige et de fortes gelĂ©es. L’Empereur nous faisait souvent prendre les armes, pour nous faire manƓuvrer et dĂ©filer. Le 26, le canon nous annonça la conclusion de la paix ; elle avait Ă©tĂ© signĂ©e le 25 Ă  Presbourg. Le 28 au matin, notre bataillon fut envoyĂ© Ă  Vienne, pour prendre et escorter le TrĂ©sor de l’armĂ©e jusqu’à Strasbourg ; il se composait de huit fourgons et de douze Ă  quinze millions en or ou en argent. La plus grande partie venait de France, et n’avait pas Ă©tĂ© dĂ©pensĂ©e dans cette courte campagne, qui, au lieu de l’appauvrir, l’avait augmentĂ©. Le 20 fĂ©vrier 1806, nous arrivions Ă  la caserne de Rueil. Notre absence de Paris avait Ă©tĂ© de 174 jours. Jours de marche, 110 ; jours de repos 60. De Vienne Ă  Paris, on marcha 46 jours pour faire 306 lieues, ce qui fait une moyenne de 6 lieues 2/3 par jour. SEPT MOIS À RUEIL À Rueil, notre service se bornait Ă  monter la garde Ă  la Malmaison et au palais de Saint-Cloud, ces deux services n’étant pas fatigants parce que peu frĂ©quents. À Saint-Cloud, on Ă©tait nourri des deniers de l’Empereur ; les repas Ă©taient Ă  peu prĂšs les mĂȘmes qu’à la caserne. Un autre service, un peu plus pĂ©nible, c’était d’aller dĂ©filer la parade aux Tuileries, tous les quinze jours. Les gardes qu’on montait Ă  Saint-Cloud offraient beaucoup d’intĂ©rĂȘt, par le curieux spectacle que prĂ©sentait cette immense rĂ©union de grands personnages, qui allaient faire leur cour au puissant monarque, au vainqueur de l’anarchie et des ennemis de la France. J’ai vu lĂ , bien souvent, des rois, des princes, presque tous les marĂ©chaux, les ministres, les grands dignitaires de l’Empire, les grands officiers de la couronne, les sĂ©nateurs, les gĂ©nĂ©raux de l’armĂ©e et tous les grands fonctionnaires, qui venaient saluer le maĂźtre des destinĂ©es de l’Europe. C’était vraiment beau, le jour des grandes rĂ©ceptions. Il ne passait pas un de ces personnages illustres que je ne m’informasse de son nom ; en peu de temps, je les connus presque tous. Ce fut pendant mon sĂ©jour Ă  Rueil que je fus instruit de la douloureuse perte que ma mĂšre et toute la famille venaient de faire en la personne de mon pĂšre, dĂ©cĂ©dĂ© Ă  l’ñge de soixante-six ans. Cette mort inattendue me causa beaucoup de douleur, car je perdais en lui plutĂŽt un ami qu’un pĂšre, tant il avait de bontĂ© et d’amitiĂ© pour moi. Sa correspondance si aimante, si questionneuse, me charmait et me consolait souvent. Des bruits de guerre qui circulaient depuis quelques temps prenaient de jour en jour plus de consistance ; un camp d’infanterie de quatre rĂ©giments, Ă©tabli sous Meudon, faisait pressentir de prochaines hostilitĂ©s, car tout s’y organisait pour la guerre. La curiositĂ©, le dĂ©sir de voir un de mes amis, nommĂ© officier rĂ©cemment, lors de la promotion qui avait Ă©tĂ© faite Ă  Vienne, m’y firent aller deux fois pour jouir de ce spectacle militaire, aux portes de la capitale, et tĂ©moigner Ă  mon ami combien j’étais satisfait de lui voir les Ă©paulettes et l’épĂ©e, au lieu du sac et du fusil que nous portions, nous, ses camarades moins favorisĂ©s. À la vĂ©ritĂ©, cette promotion fut peu nombreuse, puisqu’elle ne s’étendit que sur seize des grenadiers et chasseurs ; mais elle fit plaisir, mĂȘme Ă  ceux qui ne furent pas au nombre des Ă©lus, parce qu’elle prouvait que l’intention de l’Empereur Ă©tait de nous nommer, tous, successivement ; mais seize sur seize cents, c’était bien peu. Le 11 septembre 1806, toute la Garde, considĂ©rablement augmentĂ©e depuis la fin de la campagne, fut rĂ©unie dans la plaine des Sablons pour passer la revue de dĂ©tail de l’Empereur. Tout y Ă©tait, personnel, matĂ©riel, administration on n’avait laissĂ© dans les quartiers que les hommes et les chevaux qui ne pouvaient pas se tenir sur leurs jambes. Les compagnies ayant Ă©tĂ© dĂ©ployĂ©es sur un seul rang, les sacs Ă  terre et ouverts devant chaque homme, et les cavaliers Ă  pied tenant leurs chevaux par la bride, l’Empereur passa Ă  pied devant le front du rang dĂ©ployĂ©, questionna les hommes, visita les armes, les sacs, l’habillement avec une lenteur presque dĂ©sespĂ©rante. Il visita de mĂȘme les chevaux, les canons, les caissons, les fourgons, les ambulances, avec la mĂȘme sollicitude, la mĂȘme attention que pour l’infanterie. Cette longue et minutieuse inspection terminĂ©e, les rĂ©giments se reformĂšrent dans leur ordre habituel, pour qu’il vĂźt l’ensemble des troupes et les fĂźt manƓuvrer. DĂ©jĂ  quelques mouvements avaient Ă©tĂ© exĂ©cutĂ©s, lorsque survint un orage furieux, dĂ©chaĂźnĂ©, Ă©pouvantable toute cette splendeur, des Ă©clatantes dorures, ces brillants uniformes furent ternis, salis, mis hors de service, surtout ceux des chasseurs Ă  cheval et de l’artillerie, si Ă©lĂ©gants et si riches. Moins d’un quart d’heure suffit pour rendre le terrain impraticable et interdire mĂȘme le dĂ©filement. On se retira triste, dĂ©fait comme si on eĂ»t perdu une grande bataille. Quelques jours aprĂšs, nous reçûmes l’ordre de nous tenir prĂȘts Ă  partir pour le 20. Cette nouvelle fut reçue avec joie. On Ă©tait ennuyĂ©, depuis longtemps de cette vie douce et tranquille, de ce bien-ĂȘtre, qu’on ne sait pas apprĂ©cier, quand on ne le compare pas avec les souffrances passĂ©es et si vite oubliĂ©es. Nous restĂąmes dans cette pacifique garnison sept mois justes. GUERRE CONTRE LA PRUSSE Nous partĂźmes le 20 septembre. Cette Ă©tape, dĂ©jĂ  trĂšs longue en partant de Paris, le fut de trois lieues de plus, pour nous qui venions de Rueil. Quand j’arrivai Ă  Saint-Marc, oĂč la compagnie Ă©tait dĂ©tachĂ©e, je tombai sur le seuil de mon logement, comme un homme frappĂ© par un boulet. Je fus longtemps sans reprendre connaissance. GrĂące aux soins touchants de la respectable dame chez qui j’étais logĂ©, et grĂące Ă  une saignĂ©e, que me pratiqua le chirurgien du village, je revins Ă  la vie. Le repos de la nuit et une forte constitution me donnĂšrent du courage et des jambes, pour le lendemain. Le 22, au jour, nous montĂąmes sur les chars qui avaient portĂ© la veille le 1er rĂ©giment. Ces voitures nous conduisirent jusqu’à Soissons, oĂč nous prĂźmes ceux qu’il venait de quitter, en sorte que les mĂȘmes voitures faisaient deux Ă©tapes, et que le 2Ăšme rĂ©giment couchait oĂč le 1er faisait halte dans la journĂ©e et halte dans le lieu oĂč le 1er couchait. Le 23, nuit Ă  Rethel ; le 24, nuit Ă  Stenay. Les 25, 26 et 27 et toute la nuit du 28 en route, sans autre repos que le temps nĂ©cessaire pour changer de voiture et manger un morceau Ă  la hĂąte, quand on le permettait. Ces soixante-douze heures passĂ©es sur les voitures nous brisĂšrent le corps. EntassĂ©s sur des mĂ©chants chariots de paysans, sans bancs, presque sans paille, ne pouvant ni nous asseoir passablement, ni dormir quelques minutes tranquillement, nous dĂ©sirions ardemment la fin de ce long voyage, oĂč l’on Ă©tait si incommodĂ©ment sous tous les rapports. Comment aurait-on pu trouver une place passable, avec l’embarras de dix Ă  douze fusils, les sabres, les gibernes, les sacs de dix Ă  douze hommes ennuyĂ©s, mĂ©contents et souvent peu endurants, la moindre contrariĂ©tĂ© se changeant en querelle ! À part ces moments de mauvaise humeur, bien excusables parfois, on Ă©tait gai dans le jour, parce qu’on marchait aux montĂ©es, parce qu’on causait avec les habitants, qui se portaient en foule sur notre passage. C’était un spectacle nouveau et intĂ©ressant pour eux. Dans beaucoup de villages, on jetait des paniers de fruits dans les voitures ; on nous offrait du cidre dans les Ardennes, de la biĂšre dans les dĂ©partements allemands. Quoi qu’il en soit, nous quittĂąmes ces voitures sans regrets, prĂ©fĂ©rant marcher et porter tout notre attirail militaire. Le 5 octobre, nous Ă©tions au soir Ă  Closler-Brach, bourg avec une superbe abbaye. Le 1er rĂ©giment y resta ; le 2Ăšme fut dĂ©tachĂ© dans un fort village, sur la gauche et trĂšs loin de la route qui conduit Ă  Bamberg. Pour y arriver, il fallait traverser une forĂȘt trĂšs accidentĂ©e et montueuse. La nuit nous y surprĂźmes. En peu d’instants, les hommes n’y voyant plus, dans le chemin presque pas tracĂ© que l’on suivait, heurtĂšrent contre les arbres et les buttes, tombĂšrent dans les creux, les fossĂ©s, les ravins ou les prĂ©cipices. Ce furent des cris, des jurements, des gĂ©missements Ă©pouvantables. Les chasseurs, pour Ă©viter les accidents qui arrivaient Ă  ceux qui les prĂ©cĂ©daient, s’écartĂšrent de la route, s’éparpillĂšrent dans la forĂȘt et finirent par s’y Ă©garer. C’est en vain que le gĂ©nĂ©ral Curial, colonel en second, qui Ă©tait Ă  la tĂȘte du rĂ©giment, le fit arrĂȘter, battre les tambours pour les rallier, cela fut sans rĂ©sultat, parce qu’il y avait impossibilitĂ©. On ne faisait pas quatre pas sans trouver un obstacle ; heureusement que j’étais Ă  l’avant-garde, oĂč il y avait des guides et des torches Ă©clairĂ©es, ce qui nous permit d’arriver, quoi que tard, au logement, sans accident. Plus des trois-quarts du rĂ©giment passĂšrent la nuit dans la forĂȘt ; beaucoup Ă©taient blessĂ©s ou contus. Tous ceux des hommes qui Ă©taient restĂ©s en arriĂšre rejoignirent le rĂ©giment, avant d’entrer Ă  Bamberg ; on s’arrĂȘta longtemps pour les rallier tous. Le 7, Ă  Bamberg, une proclamation de l’Empereur Ă  la Grande ArmĂ©e, lue aux compagnies formĂ©es en cercle, nous apprit que la guerre Ă©tait dĂ©clarĂ©e Ă  la Prusse. Le 10, aprĂšs avoir traversĂ© les forĂȘts de la Thuringe et les petites villes de Lobenstein, Eberedorf et Saalbourg, sur la Saale, nous vĂźmes le 5Ăšme corps aux prises avec l’armĂ©e prussienne et la poussant vigoureusement vers Saalfeld, oĂč elle fut battue complĂštement. Le prince Louis de Prusse, neveu du roi, qui se tenait Ă  l’arriĂšre-garde, fut tuĂ© d’un coup de sabre par un marĂ©chal des logis du 10Ăšme hussards. Le point oĂč nous nous trouvions et d’oĂč Ă©tait partie une division d’infanterie du 5Ăšme corps pour entrer en ligne, Ă©tait couvert de nombreux effets d’habillement, que les soldats avaient jetĂ©s, pour allĂ©ger leurs sacs qui Ă©taient trop lourds pour combattre. En effet, nous Ă©tions tous trop chargĂ©s, ce qui rendait la marche de l’infanterie lourde et embarrassĂ©e. Nous arrivĂąmes Ă  Schleitz. Tout Ă©tait sens dessus dessous dans cette petite ville saxonne, tant les maux de la guerre avaient portĂ© l’effroi et la terreur chez les habitants. À souper, notre bauer paysan, comme disaient les vieux chasseurs nous servit en argenterie. AprĂšs le repas, je lui dis que s’il voulait la conserver, je l’engageais trĂšs fort de la cacher et de la remplacer par des couverts en fer. Je pense qu’il aura suivi mon conseil. Le 11 octobre, sur la route et dans les champs qu’avoisinaient Auma, nous voyions beaucoup de cadavres prussiens, des suites d’un combat de cavalerie. Il nous fut dĂ©fendu d’entrer dans cette petite ville assez jolie ; mais, n’ayant pas de vivres la faim qui chasse le loup du bois, comme dit le proverbe, nous fit enfreindre la consigne. J’étais dans une cour avec plusieurs autres chasseurs, en train de dĂ©pecer un cochon que nous venions de tuer, lorsque le marĂ©chal LefĂšvre, commandant la Garde Ă  pied, et le gĂ©nĂ©ral Rousset, chef d’état-major gĂ©nĂ©ral de la Garde impĂ©riale, y entrĂšrent. La peur nous glaça d’effroi, et nous fit tomber les couteaux des mains ; impossible de fuir, ils avaient fermĂ© la porte sur eux. D’abord, grande colĂšre, menace de nous faire fusiller ; mais, aprĂšs avoir Ă©tĂ© entendus, ils nous dirent, moitiĂ© en colĂšre, moitiĂ© en riant Sauvez-vous bien vite au camp, sacrĂ©s pillards que vous ĂȘtes ; emportez votre maraude sans qu’on la voie, et surtout Ă©vitez de vous laisser prendre par les patrouilles. » Le conseil Ă©tait bon, nous le suivĂźmes en tous points. On rit beaucoup, au bivouac, de la venette que nous venions d’avoir et de la grande colĂšre pour rire du bon marĂ©chal. IÉNA 13 octobre. – Au bivouac, en avant d’IĂ©na, sur une montagne et sur la rive gauche de la Saale. Pour y arriver, nous traversons la ville et prenons position il Ă©tait dĂ©jĂ  nuit. Ayant su que le 21Ăšme lĂ©ger du 5Ăšme corps n’était pas trĂšs Ă©loignĂ©, je fus voir les nombreux compatriotes qui y servaient. Ils Ă©taient aux avant-postes, sans feu, avec dĂ©fense de combat, et je les quittai bientĂŽt. De retour au camp, j’apprends qu’IĂ©na est en feu et qu’on s’y est rendu en foule. Je fis comme les autres, malgrĂ© la lassitude, la distance Ă  parcourir et le dĂ©testable chemin Ă  descendre, que plus de mille hommes Ă©taient occupĂ©s Ă  rendre praticable pour l’artillerie et la cavalerie. Et, en effet, sur l’étroit plateau oĂč se trouvaient les combattants, il n’y avait encore ni artilleurs, ni cavaliers, et cependant une portĂ©e de fusil ne sĂ©parait pas les deux armĂ©es. AprĂšs avoir franchi ce mauvais pas, j’entrai dans IĂ©na. Grand Dieu ! quel affreux spectacle offrait cette malheureuse ville, dans cet instant de la nuit ! D’une part le feu ; de l’autre, le bris des portes, les cris de dĂ©sespoir. J’entrai dans la boutique d’un libraire les livres Ă©taient jetĂ©s pĂȘle-mĂȘle sur le plancher. J’en prends un au hasard c’était le guide des voyageurs en Allemagne, imprimĂ© en français. C’était le deuxiĂšme volume ; je cherche vainement le premier, je ne le trouve pas. Mais le lendemain de la bataille, quand l’ordre eut Ă©tĂ© rĂ©tabli, je retournai chez le libraire, pour le prier de me vendre ce premier volume. C’était un peu lourd Ă  porter dans un sac, mais j’étais si content d’avoir cet ouvrage qu’il me semblait que son poids ne devait pas m’incommoder. En sortant de cette librairie, j’entrai dans la boutique d’un Ă©picier ; on se partageait du sucre en pains. On m’en donna cinq ou six livres, que je portai de suite au camp. Je n’eus que cela Ă  manger pendant toute la journĂ©e du lendemain. Peu d’heures aprĂšs mon retour au camp, on prit les armes, on se forma en carrĂ© et on attendit en silence le signal du combat. 14 octobre. – Un coup de canon tirĂ© par les Prussiens, dont le boulet passa par dessus nos tĂȘtes, annonça l’attaque. Un bruit de canons et de fusils se fit aussitĂŽt entendre sur les lignes des deux armĂ©es ; les feux d’infanterie Ă©taient vifs, continuels, mais on ne dĂ©couvrait rien, le brouillard Ă©tant si Ă©pais qu’on ne voyait pas Ă  six pas. L’Empereur Ă©tait parvenu par ses habiles manƓuvres Ă  forcer les Prussiens Ă  donner la bataille dans une position et sur un terrain peu favorables, puisqu’ils prĂ©sentaient le flanc gauche Ă  leur base d’opĂ©ration et qu’elle Ă©tait tournĂ©e. L’Empereur dĂ©jeuna devant la compagnie, en attendant que le brouillard se levĂąt. Enfin, le soleil se montra radieux, l’Empereur monta Ă  cheval, et nous nous portĂąmes en avant. Jusqu’à quatre heures du soir, nous manƓuvrĂąmes pour appuyer les troupes engagĂ©es. Souvent notre approche suffisait pour obliger les Prussiens et les Saxons Ă  abandonner les positions qu’ils dĂ©fendaient ; malgrĂ© cela, la lutte fut vive, la rĂ©sistance dĂ©sespĂ©rĂ©e, surtout dans les villages et les bouquets de bois, mais une fois que toute notre cavalerie fut arrivĂ©e en ligne et put manƓuvrer, alors ce ne fut plus que dĂ©sastre. La retraite se changea en dĂ©route, et la fuite fut gĂ©nĂ©rale. L’Empereur nous arrĂȘta sur un plateau dĂ©couvert et trĂšs Ă©levĂ©, oĂč il resta prĂšs d’une heure Ă  recevoir les rapports qui lui arrivaient de tous les points, Ă  donner des ordres et Ă  causer avec les gĂ©nĂ©raux. PlacĂ© au milieu de nous, nous pĂ»mes le voir jouir de son immense triomphe, distribuer des Ă©loges, et recevoir avec orgueil les nombreux trophĂ©es qu’on lui apportait. CouchĂ© sur une immense carte ouverte, posĂ©e Ă  terre, ou se promenant les mains derriĂšre le dos, en faisant rouler une caisse de tambour prussien, il Ă©coutait attentivement tout ce qu’on lui disait, et prescrivait de nombreux mouvements. AprĂšs que ces masses de prisonniers, ces innombrables canons eurent dĂ©filĂ© devant les vainqueurs, que le canon ne se fit plus entendre, ou du moins que ses dĂ©tonations furent trĂšs Ă©loignĂ©es, l’Empereur rentra Ă  IĂ©na, suivi de la garde Ă  pied. Nous avions plus de deux lieues Ă  faire, il Ă©tait plus de cinq heures ; aussi nous ne pĂ»mes arriver qu’aprĂšs sept heures du soir. On se logea militairement, chaque caporal amenant son escouade avec lui. Une maison d’assez belle apparence nous engagea Ă  y entrer ; nous Ă©tions les premiers, nous en prĂźmes possession c’était un pensionnat de demoiselles. La cage Ă©tait restĂ©e, mais les oiseaux s’étaient envolĂ©s, en laissant leurs plumes, du moins une partie de leurs hardes les pianos, les harpes, les guitares, leur livres, de charmants dessins ou gravures et des fournitures de bureau Ă  satisfaire tous les besoins et tous les goĂ»ts. Les appartements Ă©taient Ă©lĂ©gamment meublĂ©s et trĂšs coquets. Je profitai de cette circonstance pour Ă©crire Ă  mon frĂšre aĂźnĂ© une longue lettre, oĂč je lui rendais compte de notre brillante victoire. Le lendemain, au jour, je fus flĂąner autour du quartier gĂ©nĂ©ral, pour guetter le dĂ©part du courrier impĂ©rial. Je n’attendis pas longtemps. Je priai le premier courrier qui partit de mettre ma lettre Ă  la poste, dĂšs son arrivĂ©e Ă  Mayence. Il s’en chargea avec plaisir, en me disant qu’on ne saurait trop rĂ©pandre les bonnes nouvelles. Le 15, nous fĂ»mes chargĂ©s de faire cuire beaucoup de viande, qu’on dut chercher dans la campagne, pour faire du bouillon pour les blessĂ©s. Toute la journĂ©e, la Garde s’est occupĂ©e de ce pieux devoir. Mon Dieu, que de blessĂ©s ! Toutes les Ă©glises, tous les grands Ă©tablissements en Ă©taient remplis. Les fonctions d’infirmier sont bien pĂ©nibles, quand on s’identifie avec les souffrances des malheureux qu’on s’efforce de soulager ! Le 18, Ă  Mersebourg, sur la rive gauche de la Saale, dans une situation charmante. J’étais de garde auprĂšs de l’Empereur, qui arriva aprĂšs nous, venant de Weimar. Dans la journĂ©e, nous passĂąmes prĂšs du champ de bataille de Rosbach. La journĂ©e d’IĂ©na a bien vengĂ© cette dĂ©faite. L’EMPEREUR ENTRE À BERLIN 27 octobre. – Depuis quelques jours, nous marchions dans les sables des bords de l’Elbe et de la marche de Brandebourg, ce qui avait singuliĂšrement attendri et ramolli nos pieds. Une fois sur l’affreux pavĂ© de Potsdam, fait en petits cailloux pointus, on Ă©prouva des douleurs vraiment atroces. Ce n’était pas marcher qu’on faisait, mais sauter comme des brĂ»lĂ©s. Si ce n’eĂ»t pas Ă©tĂ© aussi douloureux, ç’aurait Ă©tĂ© bien comique. Au matin, nous partĂźmes de Charlottenbourg, en grande tenue, bonnet et plumet en tĂȘte, toute la Garde rĂ©unie et disposĂ©e Ă  faire une entrĂ©e solennelle. ArrivĂ© Ă  la belle porte de Charlottenbourg, ou plutĂŽt Ă  ce magnifique arc de triomphe sur lequel est un quadrige d’un trĂšs beau travail, l’Empereur laissa passer sa belle Garde Ă  cheval, et se mit Ă  notre tĂȘte, entourĂ© d’un Ă©tat-major aussi brillant que nombreux. Les grenadiers nous suivaient ; la gendarmerie d’élite fermait la marche. Pour nous rendre au palais du roi, oĂč l’Empereur devait loger, nous suivĂźmes cette grande et magnifique allĂ©e des Tilleuls, la plus belle que l’on connaisse, et qui est supĂ©rieure en beautĂ©, sinon en longueur, aux boulevards de Paris. Je fus de garde au palais. Dans la soirĂ©e, Ă©tant en faction, dans une allĂ©e de la prairie qui se trouve en face du palais, un homme trĂšs bien mis m’offrit de la liqueur qu’il avait dans une bouteille cachĂ©e sous son habit. Je le repoussai assez rudement ; il dut penser que je ne me conduisais ainsi Ă  son Ă©gard que parce que je craignais que la liqueur fĂ»t empoisonnĂ©e. Il me dit Soyez sans inquiĂ©tude, elle est salutaire. » Et, en mĂȘme temps, il but un bon coup. Je le remerciai de nouveau, en lui disant en mĂȘme temps de s’éloigner. Il partit, mais de mauvaise humeur, et en prononçant quelques gros jurons en allemand. Parbleu, me dis-je, voilĂ  un Berlinois qui n’est guĂšre de son pays ; il semblerait qu’il est bien aise qu’on ait donnĂ© une bonne raclĂ©e Ă  son roi, Ă  ses compatriotes, et Ă  tout ce qui porte l’uniforme prussien. Le 28, nous habitions dans une grande rue, la Roos-Strass, une maison belle et vaste. Il Ă©tait minuit, mes cinq camarades et moi, nous dormions profondĂ©ment, lorsque nous fĂ»mes rĂ©veillĂ©s par les cris Au feu, au feu ! » Je me mets le premier Ă  la fenĂȘtre, je vois tout le dessus de notre maison en flammes. Nous commençons de tourner dans notre chambre comme des Ă©garĂ©s, cherchant Ă  nous habiller sans pouvoir y parvenir, nous heurtant, nous bousculant, sans trop songer Ă  gagner la porte pour nous assurer si la fuite Ă©tait possible. L’escalier, fort heureusement, Ă©tait intact, et nous pĂ»mes sortir sans accident. Nous voilĂ  dans la rue, presque nus, sans souliers, ayant de la neige jusqu’aux genoux, nos effets dans des draps de lit que nous avions sur le dos, embarrassĂ©s de nos fusils, sabre, giberne, bonnet d’oursin, plumet, chapeau, le diable enfin, ne sachant oĂč nous diriger, ahuris par les cris de la foule qui dĂ©bouchait de tous les coins de rue, par le galop des chevaux qui amenaient des pompes et des tonneaux fixĂ©s sur des traĂźneaux, par le tocsin sonnĂ© par toutes les cloches de la ville, par la gĂ©nĂ©rale qui se battait dans toutes les sections, par l’arrivĂ©e des premiers piquets de cavalerie, des officiers d’ordonnance, des gĂ©nĂ©raux et du gouverneur de la ville, le gĂ©nĂ©ral Huttin, colonel des grenadiers Ă  pied de la Garde, et de tous les militaires qui pouvaient craindre que ce fĂ»t un signal, pour une insurrection contre la vie de l’Empereur et de la garnison. C’était un vacarme Ă  ne savoir oĂč donner de la tĂȘte. Pendant que tout s’organisait pour arrĂȘter les progrĂšs de l’incendie, nous achevĂąmes de nous habiller au milieu de cette cohue ; mais le sauvetage de nos effets n’était pas complet, il fallut remonter dans notre chambre pour les chercher, ce ne fut pas sans danger, et en les recouvrant, nous eĂ»mes la douce satisfaction de pouvoir faciliter la sortie de quelques personnes qui auraient pu ĂȘtre victimes de ce dĂ©sastre. Je dois mentionner, Ă  la louange des autoritĂ©s et des habitants, que les secours furent prompts et bien dirigĂ©s. Un mot de mĂ©contentement, prononcĂ© par le gouverneur, nous faisait craindre qu’il nous accusĂąt d’ĂȘtre les auteurs de ce malheureux sinistre. Dans la matinĂ©e, nous nous rendĂźmes chez lui pour ĂȘtre interrogĂ©s ; quelques mots suffirent pour nous justifier. On nous logea chez un banquier de la mĂȘme rue. Il y avait tous les jours grande parade, dans la cour extĂ©rieure du chĂąteau, situĂ©e entre le palais et la prairie dont j’ai parlĂ©. Le bataillon de service et les piquets de cavalerie de la Garde s’y trouvaient et restaient pour dĂ©filer les derniers. Toutes les troupes qui arrivaient de France, toutes celles qui Ă©taient restĂ©es en arriĂšre pour poursuivre les dĂ©bris de l’armĂ©e prussienne ou pour bloquer les places fortes, que l’ennemi cĂ©dait tous les jours, Ă©taient passĂ©es en revue par l’Empereur, qui les gardait longtemps sous les armes. Il faisait Ă  l’instant mĂȘme toutes les promotions nĂ©cessaires pour complĂ©ter les cadres des rĂ©giments, distribuait des dĂ©corations aux militaires qui lui Ă©taient signalĂ©s comme ayant mĂ©ritĂ© cette glorieuse rĂ©compense, adressait des allocutions aux corps, les faisait manƓuvrer pour s’assurer de leur instruction pratique, enfin ne nĂ©gligeait rien de ce qui pouvait intĂ©resser leur bien-ĂȘtre ou les enflammer du dĂ©sir de voler Ă  d’autres combats. Ces parades et revues Ă©taient trĂšs curieuses Ă  observer ; on aimait Ă  suivre du regard celui qui foudroyait les trĂŽnes et les peuples. Nous fĂ»mes deux fois exĂ©cuter de grandes manƓuvres dans les environs de Berlin, sous les yeux de l’Empereur. J’étais un de ceux qui tenaient les drapeaux pris Ă  l’ennemi, Ă  la bataille d’IĂ©na, quand l’Empereur les prĂ©senta Ă  la dĂ©putation du SĂ©nat, qui vint jusqu’à Berlin pour les recevoir. C’était un cadeau que l’Empereur faisait Ă  son SĂ©nat conservateur. Pendant les vingt-sept jours pleins que je restais Ă  Berlin, je visitai tous les monuments, toutes les collections importantes, tous les beaux quartiers de cette belle ville. Je fus plusieurs fois au spectacle, pour voir jouer des grands opĂ©ras français, traduits et arrangĂ©s pour la scĂšne allemande. Le lendemain de son entrĂ©e Ă  Berlin, l’Empereur fit mettre Ă  l’ordre de l’armĂ©e une nouvelle proclamation, pour annoncer que les Russes marchaient Ă  notre rencontre, et qu’ils seraient battus comme Ă  Austerlitz. Elle se terminait par cette phrase Soldats, je ne puis mieux exprimer les sentiments que j’éprouve pour vous, qu’en disant que je porte dans mon cƓur l’amour que vous me montrez tous les jours. » À LA RENCONTRE DES RUSSES EntrĂ© en Pologne le 29 novembre, BarrĂšs arrive le 3 dĂ©cembre Ă  Posen, oĂč il restera jusqu’au 15. À notre arrivĂ©e, on nous lut la nouvelle proclamation que l’Empereur fit mettre Ă  l’ordre de l’armĂ©e, le 2 dĂ©cembre, pour annoncer l’anniversaire de la bataille d’Austerlitz, la prise de Varsovie que les Russes n’avaient pas pu dĂ©fendre, et l’arrivĂ©e de la Grande ArmĂ©e sur les bords de la Vistule. Cette belle proclamation Ă©tait suivie d’un dĂ©cret qui Ă©rigeait l’emplacement de la Madeleine Ă  Paris en un temple de la gloire, sur le frontispice duquel on devait placer cette inscription en lettres d’or L’Empereur NapolĂ©on aux soldats de la Grande ArmĂ©e. Ce dĂ©cret prouvait Ă  l’armĂ©e combien l’Empereur avait pris soin de sa gloire et l’encourageait Ă  de nouveaux triomphes
 Le 24 dĂ©cembre, nous arrivĂąmes Ă  Varsovie. Depuis le passage de la Wertha, le 29 novembre, nous Ă©tions dans la Pologne prussienne. Notre marche rapide ne nous donna pas une trĂšs bonne opinion de sa richesse. Que de pauvres et tristes villages nous rencontrĂąmes, que de misĂšres nous eĂ»mes sous les yeux, sans compter la nĂŽtre ! Toujours dans la boue ou la neige fondue, jusqu’aux genoux, marchant toute la journĂ©e et n’ayant ni abri, ni feu. ArrivĂ© au gĂźte, la nourriture rĂ©pondait Ă  tout ce que nous voyions, Ă  tout ce qui nous entourait. Le 25, le passage de la Vistule Ă  Varsovie s’opĂ©ra sur un pont de bateaux, qui avait Ă©tĂ© rĂ©tabli aprĂšs la retraite des Russes. Le fleuve charriait considĂ©rablement, la gelĂ©e ayant repris depuis deux jours, avec assez d’intensitĂ© pour faire craindre pour sa sĂ»retĂ©. AprĂšs le pont, nous traversĂąmes obliquement une partie du faubourg de Prague, cĂ©lĂšbre par son importance, mais bien plus encore par ses malheurs, la presque totalitĂ© de la population ayant Ă©tĂ© massacrĂ©e par les Russes de Souvarow, en 1794. À l’autre extrĂ©mitĂ© du faubourg sont les frontiĂšres autrichiennes, qu’on dut respecter, ce qui obligeait Ă  se jeter Ă  gauche pour ne pas violer la neutralitĂ© de cette puissance. Le passage du Bug prĂ©sentait des difficultĂ©s assez grandes et des dangers assez sĂ©rieux. Le pont, rĂ©tabli Ă  la hĂąte pour le passage de la partie de l’armĂ©e qui opĂ©rait sur la rive droite, fut souvent emportĂ© par la force du courant, ou brisĂ© par les Ă©normes glaçons que cette grande riviĂšre charriait. On ne passait que par petits dĂ©tachements, et lorsque les officiers pontonniers jugeaient qu’on pouvait le faire en sĂ»retĂ©. Le 26, au bivouac, prĂšs d’un village appelĂ© Loparzin, quartier gĂ©nĂ©ral de l’Empereur. À la nuit close, en traversant une forĂȘt de sapins trĂšs Ă©paisse, je fus appelĂ© par mon nom. C’était trois ou quatre compatriotes de Blesle, qui se trouvaient en arriĂšre de leur corps ce qu’on appelle des traĂźnards ou fricoteurs. ArrĂȘtĂ©s prĂšs d’une cantine, ils m’offrirent du pain et du petit salĂ©, que j’acceptai avec plaisir, n’ayant rien mangĂ© de la journĂ©e. AprĂšs ĂȘtre restĂ© quelque temps avec eux, je cherchai Ă  rejoindre ma compagnie. Mais je m’égarai, avec plusieurs de mes camarades, dans cette infernale forĂȘt, qui semblait n’avoir pas de limites. Enfin, au jour, nous rencontrĂąmes un hameau, oĂč beaucoup de militaires Ă©taient rĂ©fugiĂ©s. J’appris avec plaisir que mon rĂ©giment n’était pas Ă©loignĂ©. Je m’arrĂȘtai un instant pour me reposer, car je tombais de lassitude et de sommeil. Quand je m’aperçus que le rĂ©giment se disposait Ă  partir, je me dirigeai dans sa direction Ă  travers champs. La surface Ă©tait gelĂ©e, mais le fond ne l’était pas, Ă  cause du dĂ©gel qui s’était dĂ©clarĂ© la veille, en sorte que chaque pas que je faisais, j’enfonçais dans cette terre molle Ă  ne pouvoir plus retirer mes jambes. Mes souliers y seraient restĂ©s, si je n’avais pas pris le parti de les prendre Ă  la main et de marcher pieds nus. Je fis ainsi plus de deux lieues sur une lĂ©gĂšre croĂ»te de glace que je brisais Ă  chaque pas. Je ne pus rĂ©tablir ma chaussure, Ă  la faveur d’un repos momentanĂ©, que longtemps aprĂšs que j’avais rejoint la compagnie. Dans la journĂ©e, les chemins, ou plutĂŽt les endroits oĂč nous passions, Ă©taient devenus impraticables. Deux hommes ne pouvaient pas poser le pied Ă  la mĂȘme place sans courir le risque d’ĂȘtre engloutis. On marchait comme si on eĂ»t Ă©tĂ© en tirailleurs. Tout restait derriĂšre, vainqueurs et vaincus. Les canons, les caissons, les voitures, les carrosses de l’Empereur, comme la modeste carriole de la cantiniĂšre, s’embourbaient et ne bougeaient plus. Les routes, les champs Ă©taient couverts d’équipages, de bagages russes. Si cette poursuite eĂ»t pu ĂȘtre continuĂ©e encore deux ou trois jours, l’armĂ©e ennemie abandonnait tout son matĂ©riel forcĂ©ment sans pouvoir mĂȘme le dĂ©fendre. Mais les Français n’étaient pas plus en mesure d’attaquer. Il fallait s’arrĂȘter sous peine de ne plus ĂȘtre. Aussi l’ordre fut-il donnĂ© le mĂȘme jour de faire prendre des cantonnements Ă  l’armĂ©e, et Ă  la Garde de rentrer Ă  Varsovie, oĂč l’Empereur fut Ă©tablir son quartier gĂ©nĂ©ral. 31 dĂ©cembre. – Mon billet de logement Ă©tait pour Mgr l’évĂȘque de Varsovie. Je me rĂ©jouis beaucoup de cet heureux hasard, qui m’envoyait chez un trĂšs grand dignitaire de l’Église, sans doute pour lui voir mettre en pratique cette charitĂ© chrĂ©tienne qui veut qu’on soulage ceux qui souffrent ; mais il n’en fut rien. Monseigneur ne daigna pas s’intĂ©resser Ă  nos estomacs dĂ©labrĂ©s, ni Ă  nous faire oublier nos misĂšres de la rive droite du Bug. Au contraire, il nous fit changer de logement, pour ne pas ĂȘtre obligĂ© de nous fournir l’air que nous consommions chez lui. Notre fortune nous envoya chez un chanoine de Monseigneur, qui parlait trĂšs bien français. VoilĂ  tout
 Pendant notre sĂ©jour Ă  Varsovie, le froid fut trĂšs vigoureux. En vingt-quatre heures, la Vistule fut prise et praticable partout pour les gens Ă  pied. Cela n’empĂȘchait pas l’Empereur de passer des revues ou de faire dĂ©filer la parade. Il se conduisait de mĂȘme qu’à Berlin, avec cette diffĂ©rence cependant que ces travaux sur la place Ă©taient moins longs, parce que souvent il y avait impossibilitĂ© d’y rester. De nombreux et Ă©lĂ©gants traĂźneaux sillonnaient toutes les rues avec la rapiditĂ© de l’éclair. Ce genre de locomotion que je connaissais peu m’intĂ©ressait vivement. Varsovie est une trĂšs belle ville, dans quelques unes de ses parties. Nous y restĂąmes jusqu’au 27 janvier 1807. Cependant, je fus peu curieux d’en visiter les monuments et curiositĂ©s ; la saison ne s’y prĂȘtait pas. Blotti dans un coin de ma pauvre et froide chambre, oĂč je lisais une partie de la journĂ©e, je ne sortais que lorsque le devoir et le service m’en faisaient une obligation. Il y eut une petite promotion de vĂ©lites au grade d’officier c’était la deuxiĂšme. Elle ne s’étendit que sur quelques protĂ©gĂ©s des gĂ©nĂ©raux en crĂ©dit ou des personnages de la suite de l’Empereur. Le 2 fĂ©vrier 1807, aprĂšs un combat, oĂč nous Ă©tions en rĂ©serve, on nous fit bivouaquer en avant de Passenheim. J’allai, comme de coutume, chercher du bois, de la paille ou des vivres, enfin ce que je pouvais trouver. En revenant au camp, chargĂ© de bois, je tombai dans un ravin trĂšs profond, et restai enseveli sous 10 Ă  12 pieds de neige. Je fus plus d’une heure sans pouvoir sortir de mon tombeau. J’y parvins enfin, mais Ă  moitiĂ© mort de froid et de fatigue. Le temps Ă©tait affreux, le froid Ăąpre ; la neige tourbillonnait, Ă  nous empĂȘcher de voir Ă  deux pas. Je passai une bien mauvaise nuit, car j’eus trop de peine Ă  me rĂ©chauffer. Le 3, prĂšs du village de Geltkendorf, oĂč l’Empereur coucha, aprĂšs les terribles combats de Geltkendorf et du pont de Bergfried, nous restĂąmes en position jusqu’à 2 heures du matin, sur 3 pieds de neige, et Ă  la rigueur d’une bise qui coupait la respiration. Ce fut une soirĂ©e terrible. Depuis notre entrĂ©e en Pologne, on nous avait permis de porter le chapeau, la corne en avant, et d’ajouter de chaque cĂŽtĂ© un morceau de fourrure qu’on attachait sous le menton avec des cordons, pour nous garantir le visage et surtout les oreilles du froid. L’Empereur, le prince de NeufchĂątel, et la plupart des gĂ©nĂ©raux avaient des bonnets en forme de casque, faits avec des fourrures de prix, desquels il pendait deux bandes, aussi en fourrure, pour ĂȘtre attachĂ©es sous le menton, quand le froid devenait plus piquant. Ces deux princes Ă©taient habillĂ©s d’une polonaise en velours gris, doublĂ©e d’hermine ou de fourrure aussi riche, et chaussĂ© de bottes fourrĂ©es avec un vĂȘtement semblable. Ils pouvaient supporter la rigueur de la saison, mais nous, pauvres diables, avec nos vieilles capotes, ce n’était pas la mĂȘme chose. À la vĂ©ritĂ©, nous Ă©tions jeunes, nous marchions tout le jour, et puis on s’y Ă©tait habituĂ©. Le 5, c’est une journĂ©e oĂč il n’y eut point d’affaire. Notre camp avait Ă©tĂ© Ă©tabli, prĂšs d’Arensdorf, sur un Ă©tang, sans qu’on s’en doutĂąt. Dans la nuit, notre feu de bivouac fit fondre la glace et le peu de neige qui, en cet endroit, la couvrait, et s’abĂźma dans l’eau Ă  une assez grande profondeur. Nous en fĂ»mes quittes pour la perte de ce que nous faisions cuire, afin de le manger avant notre dĂ©part. Le 6, au bivouac, autour du petit hameau de Haff. AprĂšs le terrible combat de ce jour, oĂč l’arriĂšre-garde russe fut hachĂ©e et presque dĂ©truite, nous restĂąmes en position sur une hauteur jusqu’à 11 heures du soir. Revenus sur nos pas, aprĂšs cette longue faction, nous passĂąmes la nuit sans feu, ne nous chauffant qu’à la dĂ©robĂ©e aux bivouacs des autres troupes qui Ă©taient arrivĂ©es avant nous. Les quelques maisons de ce hameau Ă©taient remplies de blessĂ©s français. Le nombre en Ă©tait grand, trĂšs grand, et ils n’y Ă©taient pas tous, les autres Ă©tant restĂ©s sur le champ de bataille, exposĂ©s Ă  toute la rigueur de cette glaciale journĂ©e. Quelle nuit affreuse je passai ! Je regrettai bien des fois de ne pas ĂȘtre au nombre de ces milliers de cadavres qui nous entouraient. EYLAU 7 fĂ©vrier 1807. – Au bivouac, sur une hauteur, Ă  une demi-lieue en arriĂšre d’Eylau. Au dĂ©part, nous repassĂąmes, de nouveau sur le terrain de combat de la veille et sur la position que nous avions occupĂ©e jusqu’à 11 heures du soir ; un peu plus loin, sur l’emplacement oĂč deux rĂ©giments russes avaient Ă©tĂ© anĂ©antis dans une charge de cuirassiers. À cet endroit, les morts Ă©taient sur deux et trois de hauteur ; c’était effrayant. Enfin, nous traversĂąmes la petite ville de Landsberg sur la Stein. AprĂšs avoir laissĂ© derriĂšre nous cette ville, nous arrivĂąmes devant une grande forĂȘt, traversĂ©e par la route que nous suivions, mais qui Ă©tait tellement encombrĂ©e de voitures abandonnĂ©es, et par les troupes qui nous prĂ©cĂ©daient, que l’on fut obligĂ© de s’arrĂȘter pour ce motif ou pour d’autres que je ne connaissais pas. Du reste, le canon grondait fort, en avant de nous, ce qui faisait croire Ă  un engagement sĂ©rieux. Je profitai de ce repos pour dormir, en me couchant sur la neige avec autant de voluptĂ© que dans un bon lit. J’avais les yeux malades par la fumĂ©e du bivouac de la veille, par la privation de sommeil, et par la rĂ©verbĂ©ration de la neige qui surexcitait mes souffrances. J’étais arrivĂ© au point de ne pouvoir plus me conduire. Ce repos, d’une heure peut-ĂȘtre, me soulagea, et me permit de continuer avec le rĂ©giment le mouvement d’en avant qui s’exĂ©cutait. À la sortie du bois, nous trouvĂąmes une plaine, et puis une hauteur que nous gravĂźmes. C’était pour enlever cette position que les fortes dĂ©tonations, que nous avions entendues quelques heures auparavant, avaient eu lieu. Le 4Ăšme corps l’enleva et jeta l’ennemi de l’autre cĂŽtĂ© d’Eylau, mais il y eut de grandes pertes Ă  dĂ©plorer. Le terrain Ă©tait jonchĂ© de cadavres de nos gens ; c’est lĂ  qu’on nous Ă©tablit pour passer la nuit. On se battait encore, quoiqu’il fĂźt dĂ©jĂ  noir depuis longtemps. Une fois libre, on se mit en quĂȘte de bois, de paille pour passer la nuit ; il neigeait Ă  ne pas s’y voir, et le vent Ă©tait trĂšs piquant. Je me dirigeai vers la plaine, avec cinq ou six de mes camarades. Nous trouvĂąmes un feu de bivouac abandonnĂ©, trĂšs ardent encore, et beaucoup de bois ramassĂ©. Nous profitĂąmes de cette bonne rencontre pour nous chauffer et faire notre provision de ce que nous cherchions. Pendant que nous Ă©tions Ă  philosopher sur la guerre et ses jouissances, le bĂȘlement d’un mouton se fit entendre. Courir aprĂšs, le saisir, l’égorger, le dĂ©pouiller, tout cela fut fait en quelques minutes. Mettre le foie sur des charbons ardents ou le faire rĂŽtir au bout d’une baguette, nous prit moins de temps encore ; nous pĂ»mes, par cette rencontre providentielle, sinon satisfaire notre dĂ©vorante faim, du moins l’apaiser un peu. AprĂšs la dĂ©goĂ»tante pĂąture que nous venions de faire, de retour au camp, on nous dit qu’on trouvait dans Eylau des pommes de terre et des lĂ©gumes secs. Nous y allĂąmes, en attendant que le mouton que nous apportions pĂ»t ĂȘtre cuit. En effet, nous trouvĂąmes en assez grande quantitĂ© ce que nous cherchions ; fiers de notre trouvaille et satisfaits de contribuer pour notre part Ă  la nourriture de nos camarades, nous revenons au camp, mais on dormait Ă  la belle Ă©toile, presque enseveli sous la neige. Nous qui suions malgrĂ© le froid, nous pensĂąmes que ce repos, aprĂšs une agitation et des courses si rĂ©pĂ©tĂ©es, nous serait funeste. Nous rĂ©solĂ»mes de retourner Ă  Eylau avec tout notre fourniment, en nous disant que nous entrerions dans les rangs au passage du rĂ©giment, qui devait aller, selon nous, coucher Ă  KƓnigsberg, le mĂȘme jour. À peine avions-nous dormi deux heures, que le jour arriva et, avec lui, une Ă©pouvantable canonnade dirigĂ©e sur les troupes qui couvraient la ville. S’armer et chercher Ă  sortir de la ville ne fut qu’une pensĂ©e, mais l’encombrement Ă  la porte Ă©tait si grand, occasionnĂ© par la masse des hommes de tous grades et de tous les corps qui bivouaquaient en avant ou autour d’Eylau, que le passage en Ă©tait pour ainsi dire interdit. L’Empereur, surpris comme nous, eut des peines inimaginables pour pouvoir passer. Pendant ce temps lĂ , des boulets perdus venaient augmenter le dĂ©sordre. Nous arrivĂąmes Ă  notre poste, avant que le rĂ©giment eĂ»t reçu l’ordre de se porter en avant. J’avais tant luttĂ©, tant couru, que j’étais hors d’haleine. 8 fĂ©vrier. – Le rĂ©giment descendit la hauteur en colonne et se dirigea Ă  la droite de l’église oĂč il se dĂ©ploya. DĂ©jĂ  plusieurs boulets avaient portĂ© dans le rĂ©giment, et enlevĂ© bien des hommes. Une fois en bataille, et assez Ă  dĂ©couvert, le nombre en fut bien plus grand. Nous Ă©tions sous les coups d’une immense batterie, qui tirait sur nous Ă  plein fouet et exerçait dans nos rangs un terrible ravage. Une fois, la file qui me touchait Ă  droite fut frappĂ©e en pleine poitrine ; un instant aprĂšs, la file de gauche eut les cuisses droites emportĂ©es. Le choc Ă©tait si violent que les voisins Ă©taient renversĂ©s comme les malheureux qui Ă©taient frappĂ©s. On donna ordre d’emporter les trois derniers Ă  l’ambulance, Ă©tablie dans les granges du faubourg qui Ă©tait Ă  notre gauche. Un de mes camarades rĂ©clama mon assistance c’était un vieux soldat breton qui m’était trĂšs attachĂ©. Je souscrivis avec empressement Ă  son dĂ©sir et le portai, ainsi que trois autres de mes camarades, dans la maison oĂč se trouvait le docteur Larrey. Nous apprĂźmes le lendemain, par le capitaine, qu’il nous avait donnĂ© sa montre en or, dans le cas qu’il succomberait Ă  l’amputation de sa cuisse. Pendant notre absence, le rĂ©giment fit un mouvement vers sa droite, et se trouva placĂ© derriĂšre une lĂ©gĂšre Ă©lĂ©vation qui le garantissait de quelques coups. L’Empereur, qui sentait la nĂ©cessitĂ© de mĂ©nager sa rĂ©serve pour l’employer plus tard, si les Ă©vĂ©nements, qui devenaient critiques, l’y contraignaient, avait donnĂ© cet ordre. Pour rentrer dans nos rangs, nous fĂ»mes obligĂ©s de dĂ©filer sous une grĂȘle de boulets, dont les coups Ă©taient si rapprochĂ©s qu’on ne pouvait faire six pas sans ĂȘtre arrĂȘtĂ© par l’explosion d’un obus ou le ricochet d’un projectile. Enfin, j’arrivai sain et sauf, mais deux de mes camarades Ă©taient tombĂ©s morts sur la hauteur. Pendant quelque temps, une neige, dont l’épaisseur est inconnue dans nos climats, nous donna un peu de rĂ©pit ; le restant de la journĂ©e s’écoula lentement, recevant de temps Ă  autres des marques non Ă©quivoques de la prĂ©sence des Russes en avant de nos lignes. Enfin, vers la fin du jour, ils nous cĂ©dĂšrent le terrain et se retirĂšrent en assez bon ordre, loin de la portĂ©e de nos canons. Une fois leur retraite bien constatĂ©e, nous fĂ»mes reprendre notre position du matin, bien cruellement dĂ©cimĂ©s et douloureusement affectĂ©s de la mort de tant de braves. Ainsi se termina la journĂ©e la plus sanglante, la plus horrible boucherie d’hommes qui ait eu lieu depuis le commencement des guerres de la RĂ©volution. Les pertes furent Ă©normes, dans les deux armĂ©es, et quoique vainqueurs, nous Ă©tions aussi maltraitĂ©s que les vaincus. 9 fĂ©vrier. – MĂȘme position. Dans la journĂ©e, je fus envoyĂ© en corvĂ©e Ă  Eylau, mais comme elle n’exigeait pas un retour immĂ©diat au camp, j’en profitai pour visiter le champ de bataille. Quel Ă©pouvantable spectacle prĂ©sentait ce sol, naguĂšre plein de vie, oĂč 160 000 hommes avaient respirĂ© et montrĂ© tant de courage ! La campagne Ă©tait couverte d’une Ă©paisse couche de neige, que perçaient çà et lĂ  les morts, les blessĂ©s et les dĂ©bris de toute espĂšce ; partout de larges traces de sang souillaient cette neige, devenue jaune par le piĂ©tinement des hommes et des chevaux. Les endroits oĂč avaient eu lieu les charges de cavalerie, les attaques Ă  la baĂŻonnette et l’emplacement des batteries Ă©taient couverts d’hommes et de chevaux morts. On enlevait les blessĂ©s des deux nations avec le concours des prisonniers russes, ce qui donnait un peu de vie Ă  ce champ de carnage. De longues lignes d’armes, de cadavres, de blessĂ©s dessinaient l’emplacement de chaque bataillon. Enfin, sur quelque point que la vue se portĂąt, on ne voyait que des cadavres, que des malheureux qui se traĂźnaient, on n’entendait que des cris dĂ©chirants. Je me retirai Ă©pouvantĂ©. RestĂ© Ă  Eylau, jusqu’au 16 inclus. Je retournai encore une fois sur ce champ de dĂ©solation, pour bien me graver dans la mĂ©moire l’emplacement oĂč tant d’hommes avaient pĂ©ri, oĂč seize gĂ©nĂ©raux français avaient Ă©tĂ© tuĂ©s ou blessĂ©s Ă  mort, oĂč un corps d’armĂ©e, des rĂ©giments entiers avaient succombĂ©. Sur la place de la ville Ă©taient vingt-quatre piĂšces de canon russes qu’on avait ramassĂ©es sur le champ de bataille. Un jour que je les visitais trĂšs attentivement, je fus frappĂ© sur l’épaule par le marĂ©chal BessiĂšres, qui me demanda de le laisser passer. Il Ă©tait suivi de l’Empereur, qui dit en passant devant moi J’ai Ă©tĂ© content de mes visites » Je ne rĂ©pondis rien ma surprise avait Ă©tĂ© trop grande de me trouver si prĂšs d’un homme si haut placĂ©, que j’avais vu trois jours auparavant exposĂ© aux mĂȘmes dangers que nous. Avant notre dĂ©part, il y eut une troisiĂšme promotion de vĂ©lites. Comme je n’attendais rien encore, je m’en occupai peu. Le sĂ©jour d’Eylau devenait misĂ©rable ; nous Ă©tions sans vivres, sans abri pour ainsi dire, car nous Ă©tions entassĂ©s les uns sur les autres. Le dĂ©gel Ă©tait bien prononcĂ©, ce qui rendait encore notre position plus incommode. Enfin, le signal de la retraite nous fut annoncĂ© par une proclamation qui nous expliquait pourquoi nous n’avancions plus et pourquoi nous allions prendre des cantonnements Ă  trente lieues en arriĂšre. Ce n’était qu’une trĂȘve momentanĂ©e la reprise des hostilitĂ©s viendrait avec les beaux jours. 19 fĂ©vrier. – À Liebstadt, petite ville sur la Passarge, riviĂšre derriĂšre laquelle l’armĂ©e se retirait et oĂč elle devait prendre de fortes positions pour couvrir ses quartiers d’hiver, et se prĂ©parer Ă  reprendre l’offensive, aussitĂŽt que le pĂšre La Violette, nom qu’on donnait Ă  l’Empereur, en donnerait le signal. Notre escouade entiĂšre fut logĂ©e dans une maison isolĂ©e, demeure de l’équarrisseur. Les approches Ă©taient peu rĂ©crĂ©antes, mais l’intĂ©rieur valait mieux. On trouva dans la cave un tonneau de saumon fumĂ©, d’une parfaite conservation et d’un goĂ»t exquis. C’était une dĂ©couverte prĂ©cieuse, pour nous qui, depuis longtemps, ne mangions que des pommes de terre, et en petite quantitĂ© encore. AprĂšs nous en ĂȘtre rĂ©galĂ©s et avoir partagĂ© le reste, le bourgmestre de la ville vint avec un aide de camp du grand-duc de Berg rĂ©clamer ce tonneau. On lui rĂ©pondit que tout Ă©tait mangĂ©. L’aide de camp nous pria, s’il en restait encore, de vouloir bien lui en donner pour le souper du prince, qui manquait de tout. Nous fĂźmes la sourde oreille, parce que nous pensĂąmes qu’il Ă©tait plus facile au gĂ©nĂ©ral en chef de toute la cavalerie de se procurer des vivres qu’à nous, pauvres fantassins, qui ne pouvions pas nous Ă©carter de la route. Il se retira fort mĂ©content. 21 fĂ©vrier. – À OstĂ©rode, petite ville de la Prusse sur la route de KƓnigsberg Ă  Thorn. L’Empereur Ă©tablit son quartier gĂ©nĂ©ral dans cette ville et envoie en cantonnements dans les villages environnants toute la partie de la Garde qui n’est pas nĂ©cessaire au service de sa personne et de son Ă©tat-major. L’annonce de l’entrĂ©e en cantonnements fut accueillie avec une vive joie. Nous avions souffert tant de privations, Ă©prouvĂ© tant de fatigues, qu’il Ă©tait bien permis de se rĂ©jouir et d’aspirer Ă  un peu de repos. D’ailleurs, nos effets Ă©taient dans un Ă©tat de dĂ©labrement dĂ©plorable, nos pieds tout en compote, nos corps rongĂ©s par la vermine, faute de temps et de linge pour s’en dĂ©barrasser. Cette campagne, que j’appellerai une campagne de neige, comme la premiĂšre en fut une de boue, fut plus pĂ©nible encore par la privation de vivres que par l’intensitĂ© du froid qui cependant se fit sentir bien cruellement. 23 fĂ©vrier. – Schildeck, village Ă  deux lieues d’Osterode. Nous Ă©tablissons notre domicile dans le chĂąteau du seigneur du village, qui n’avait de seigneurial que le nom, car c’était un simple rez-de-chaussĂ©e, beau et assez vaste. Nous y logions tous, officiers, sous-officiers et chasseurs et vivions tous ensemble, Ă  la mĂȘme table, comme des frĂšres d’armes. Nous trouvĂąmes dans les greniers du grain ; Ă  l’écurie, des vaches ; Ă  la cave, de la biĂšre et des pommes de terre ; Ă  la grange, de la paille en sorte que nous pĂ»mes nous organiser pour passer les jours de repos, qui nous Ă©taient accordĂ©s, dans une douce et tranquille aisance. Ce bien-ĂȘtre inespĂ©rĂ© dut ĂȘtre souvent partagĂ© avec des passagers, mĂȘme avec des gĂ©nĂ©raux, qui venaient s’asseoir Ă  notre foyer domestique. Plus tard, quand on sut Ă  Osterode l’espĂšce d’abondance dans laquelle nous vivions, on nous demanda du grain. Mais pour remplir les commandes qui nous Ă©taient faites, il fallut battre en grange. C’était un travail peu connu de la majeure partie d’entre nous, c’était en outre bien fatigant ; nous y suppléùmes par des paysans que nous mettions en rĂ©quisition. D’abord, ils refusĂšrent avec obstination, mais quand ils se virent traitĂ© avec bontĂ©, et payĂ©s en nature, nous eĂ»mes plus de bras qu’il ne nous en fallait. Avec le repos et la nourriture, revinrent la santĂ©, la propretĂ© et la bonne tenue. Nos cadres, si faibles Ă  notre arrivĂ©e, se complĂ©tĂšrent par la rentrĂ©e des hommes restĂ©s aux hĂŽpitaux, par des vieux soldats et des nouveaux vĂ©lites venant des corps ou de France. On Ă©tait aussi heureux qu’on pouvait l’espĂ©rer dans notre position. Moi et deux ou trois camarades de la compagnie, nous faisions exception, nous avions les pieds gelĂ©s. Dans cette fĂącheuse position, je ne pouvais faire aucun service, ni suivre la compagnie en cas de dĂ©part. Le chirurgien dĂ©cida que je serais envoyĂ© sur les derriĂšres, au petit dĂ©pĂŽt de la Garde, de l’autre cĂŽtĂ© de la Vistule. J’en fus bien contrariĂ©, mais le rĂ©tablissement de ma santĂ© l’exigeait je dus obĂ©ir. Le 9, je quittai le cantonnement oĂč j’étais si bien, pour aller Ă  Osterode, oĂč on nous donna des voitures, car nous Ă©tions plusieurs malades ou blessĂ©s et conduits par un caporal. Le 15 mars, j’arrivai Ă  Inowraslow ou Inowladislow. Du 15 mars au 14 avril, Ă  Inowraslow – Au lieu d’entrer Ă  l’hĂŽpital Ă©tabli pour les troupes de la Garde impĂ©riale, je reçus un billet de logement. Le hasard me servit bien, puisque j’eus un logement chaud et tranquille, ce qui accĂ©lĂ©ra ma guĂ©rison, Ă  laquelle je donnai tous mes soins. La ville, ainsi que je l’ai dĂ©jĂ  dit, Ă©tait exclusivement affectĂ©e aux troupes de la Garde. Le nombre des blessĂ©s et des malades Ă©tait considĂ©rable, dans les premiers moments, mais l’influence du printemps commençant Ă  se faire sentir, il diminua bien vite, et le dĂ©pĂŽt de convalescence ne dut pas tarder aprĂšs mon dĂ©part, Ă  devenir presque inutile. Ce fut sur cette ville que tous nos blessĂ©s d’Eylau furent Ă©vacuĂ©s. L’hĂŽpital en Ă©tait plein, quand j’arrivai, mais il ne tarda pas Ă  se dĂ©semplir, plutĂŽt pour cause de mort que par guĂ©rison. Le pauvre chasseur, mon bon camarade, que j’avais aidĂ© Ă  porter Ă  l’ambulance, Ă©tait mort en route ; un seul, sur les trois, blessĂ©s par ce boulet, allait bien et paraissait sauvĂ©. Le 15 avril, j’allai rejoindre ma compagnie. Pendant mon absence, l’Empereur avait transfĂ©rĂ© son quartier gĂ©nĂ©ral Ă  Finckenstein, superbe chĂąteau au comte de Dohna, ancien premier ministre du roi de Prusse, prĂšs de la petite ville de Rosenberg. Dans cette ville, Ă©tait logĂ©e la majeure partie des officiers de la maison impĂ©riale. Le 27 avril, il y eut une grande revue de toute la Garde dans la plaine de Finckenstein ; un ambassadeur persan se trouvait Ă  cette revue. L’EMPEREUR GOÛTE LA SOUPE DE BARRÈS. 18 mai. – Sur une hauteur prĂšs de Finckenstein, pour y vivre dans des baraques que nous devions construire. DĂšs notre arrivĂ©e, on se mit Ă  l’Ɠuvre, et en peu de jours ce fut un camp de plaisance des plus intĂ©ressants. Il y eut beaucoup Ă  travailler, bien des bois abattus, bien des maisons dĂ©molies pour construire les nĂŽtres. C’était des actes de vandalisme qui affligeaient, mais la guerre fait une excuse. Le 25 mai, l’Empereur vint visiter notre camp. Il dut ĂȘtre satisfait, car on y avait pris peine pour le rendre digne de l’auguste visiteur. J’étais ce jour lĂ  de cuisine. Il visita la mienne comme les autres, me fit beaucoup de questions sur notre nourriture et surtout le pain de munition. Je lui dis sans balbutier, et trĂšs nettement, qu’il n’était pas bon, surtout pour la soupe. Il demanda Ă  le goĂ»ter, je lui en prĂ©sentai un. Il ĂŽta son gant, en brisa un morceau avec ses doigts, et, aprĂšs l’avoir mĂąchĂ©, il me le rendit en disant En effet, ce pain n’est pas assez bon pour ces messieurs. » Cette rĂ©ponse m’atterra. Il fit ensuite d’autres questions, mais, dans la crainte que je rĂ©pondisse comme je venais de le faire, le gĂ©nĂ©ral SoulĂšs prit la parole pour moi. Pendant quelques jours, dans le camp, on ne m’appelait que le monsieur ». Quoi qu’il en soit, nous eĂ»mes le lendemain du pain blanc pour mettre Ă  la soupe, du riz et une ration d’eau-de-vie de grain, qu’on appelle schnaps. Le mot messieurs » n’avait pas Ă©tĂ© dit pour se moquer de mon audacieuse rĂ©clamation. Le 31 mai, Ă  Finckenstein, pour faire le service auprĂšs de l’Empereur. Pendant les six jours que le rĂ©giment y resta, il y eut tous les jours parade et revue des troupes qui arrivaient de France. C’était long mais curieux Ă  voir. Je fus tĂ©moin de bien des impatiences, de bien des colĂšres, qui n’étaient pas toujours contenues, quand les manƓuvres allaient mal. Plus d’un officier se retira, l’oreille basse, et d’autres avec la douleur d’ĂȘtre renvoyĂ©s sur les derriĂšres. L’Empereur faisait aussi faire l’exercice Ă  feu et Ă  balle, par peloton, aux troupes arrivantes, dans le jardin du chĂąteau, rempli de bosquets, de jets d’eau et de statues. Il leur donnait pour point de mire une belle fontaine en pierre sculptĂ©e qui se trouvait Ă  l’extrĂ©mitĂ© et Ă  l’opposĂ© du palais. HEILSBERG 5 juin. – Reprise des hostilitĂ©s Au bivouac, en avant de Saafeld, petite ville de la Prusse ducale. Dans la journĂ©e, tous nos avant-postes placĂ©s sur la Passarge et l’Alle furent attaquĂ©s inopinĂ©ment et avec vigueur par les Russes, et repoussĂ©s sur tous les points. Cette nouvelle arriva au quartier gĂ©nĂ©ral impĂ©rial dans la soirĂ©e. Une heure aprĂšs, l’Empereur, sa suite et toute la Garde Ă©taient en marche pour Saafeld oĂč nous arrivĂąmes dans la nuit. L’Empereur passa dans nos rangs en voiture, allant trĂšs vite ; le grand-duc de Berg avait pris la place du cocher de la calĂšche oĂč se trouvait l’Empereur. La cĂ©lĂ©ritĂ© de notre marche, l’activitĂ© de tous les officiers attachĂ©s au grand quartier gĂ©nĂ©ral annonçait que cela pressait et que de grands coups se donnaient en avant de nous. Quand nous arrivĂąmes sur les hauteurs au-dessus de la plaine qui prĂ©cĂšde la ville de Heilsberg et non loin de la rive gauche de l’Alle, la bataille Ă©tait vivement engagĂ©e depuis le matin. PlacĂ©s en rĂ©serve, nous dĂ©couvrions les deux armĂ©es engagĂ©es et les attaques incessantes des Français pour s’emparer des redoutes Ă©levĂ©es qui, dans la plaine, couvraient le front de l’armĂ©e russe. Les troupes en lignes n’ayant pas pu s’en rendre maĂźtresse, l’Empereur y envoya les deux rĂ©giments de jeune garde, fusiliers, chasseurs et grenadiers, organisĂ©s depuis quelques mois et arrivĂ©s Ă  l’armĂ©e depuis peu de jours. Les redoutes furent enlevĂ©es, aprĂšs un grand sacrifice d’hommes et d’hĂ©roĂŻques efforts. Le gĂ©nĂ©ral de division Rousset[3], chef d’état-major qui les commandait, eut la tĂȘte emportĂ©e, et beaucoup d’officiers et de sous-officiers de la Garde qui les avaient organisĂ©s, et dont plusieurs Ă©taient de ma connaissance, y perdirent la vie. Pendant que ce beau fait d’armes s’accomplissait, trois ou quatre fusiliers de ces rĂ©giments traversĂšrent nos rangs en demandant oĂč Ă©taient leurs corps. L’Empereur qui Ă©tait devant nous, suivant avec sa lorgnette les progrĂšs de l’attaque, se retournant vivement, dit Ah ! ah ! des hommes qui ne sont pas Ă  leur poste ! GĂ©nĂ©ral SoulĂšs, vous leur ferez donner la savate ce soir et du gras encore ! » Une minute aprĂšs, il dit Demandez leur pourquoi ils sont restĂ©s derriĂšre » Ils rĂ©pondirent qu’ayant bu de l’eau trop fraĂźche, cela leur avait coupĂ© les jambes, etc. Ah ! ah ! c’est diffĂ©rent, je leur pardonne. Faites-les rentrer dans vos rangs, il fait meilleur ici que lĂ -bas » Par moment, quelques rares boulets envoyĂ©s de la rive droite de l’Alle venaient nous tuer des hommes et dĂ©ranger l’Empereur dans ses observations. Pour dĂ©tourner la direction de ces boulets, il envoya deux batteries de la Garde Ă©teindre le feu des canons russes. Ce fut l’affaire de deux ou trois volĂ©es, et puis ce fut fini. La journĂ©e se termina sans rĂ©sultat, chacun garda ses positions et nous bivouaquĂąmes sur le terrain que nous occupions, au milieu des morts du combat de la matinĂ©e. Nous Ă©tions restĂ©s douze heures sous les armes, sans changer de place. Le lendemain soir, l’ennemi Ă©vacua la ville d’Heilsberg, ses magasins et les retranchements dont la dĂ©fense avait fait couler tant de sang. FRIEDLAND 12 juin. – Nous quittĂąmes, Ă  dix heures du matin, les hauteurs que nous occupions depuis l’avant-veille ; nous traversĂąmes le terrain sur lequel s’était donnĂ© la bataille, puis la ville d’Heilsberg et nous arrivĂąmes, aprĂšs une longue marche de nuit, sur le champ de bataille d’Eylau, le 13, Ă  six heures du matin, pour bivouaquer Ă  peu prĂšs sur le mĂȘme emplacement oĂč nous avions Ă©tĂ© mitraillĂ©s quatre mois auparavant. Cette marche de nuit fut remarquable en ce que nous fĂ»mes assaillis, lorsque nous traversions une immense forĂȘt, par un orage si violent, si impĂ©tueux, que nous fĂ»mes obligĂ©s de nous arrĂȘter pour attendre qu’il fĂ»t passĂ©, dans la crainte qu’on s’égarĂąt. Nous arrivĂąmes dĂ©faits, mouillĂ©s, horriblement fatiguĂ©s et hors d’état de faire le coup de feu, si cela eĂ»t Ă©tĂ© nĂ©cessaire ; mais l’ennemi Ă©tait sur la rive droite de l’Alle et nous sur la rive gauche, Ă  une assez grande distance. 13 juin. – Au bivouac sur le champ de bataille d’Eylau. Je revis avec une certaine satisfaction ce terrain si cĂ©lĂšbre, si dĂ©trempĂ© de sang, maintenant couvert d’une belle vĂ©gĂ©tation et de monticules sous lesquels reposaient des milliers d’hommes. À la place de l’immense tapis de neige Ă©taient des prairies, des ruisseaux, des Ă©tangs, des bouquets de bois dont le jour de la bataille on ne distinguait rien. 14 juin. – On partit de grand matin, en se dirigeant Ă  droite, vers Friedland et les bords de l’Alle. Le canon se fit entendre de trĂšs bonne heure, et le bruit paraissait devenir plus fort, Ă  mesure que nous avancions. L’ordre fut donnĂ© de mettre nos bonnets Ă  poil et nos plumets ; c’était nous annoncer qu’une grande affaire allait avoir lieu. Nos chapeaux, en gĂ©nĂ©ral, Ă©taient en si mauvais Ă©tat, il Ă©tait si incommode de porter deux coiffures et d’en avoir toujours une sur le sac, qui embarrassait plus qu’elle ne valait, que cela fit prendre la rĂ©solution Ă  tous les chasseurs, et comme par un mouvement spontanĂ©, de jeter leurs chapeaux. Ce fut gĂ©nĂ©ral dans les deux rĂ©giments. On eut beau le dĂ©fendre et crier, l’autodafĂ© se fit au milieu des cris de joie de toute la garde Ă  pied. Une fois prĂȘts, on se remit en route ; peu de temps aprĂšs, on commença Ă  rencontrer les premiers blessĂ©s. Leur nombre devenait plus grand, d’un instant Ă  l’autre ; ce qui nous indiquait que l’affaire Ă©tait chaude et que nous approchions du lieu oĂč l’armĂ©e Ă©tait aux prises. Enfin nous sortons du bois oĂč nous Ă©tions depuis presque notre dĂ©part, nous dĂ©bouchons dans une assez grande plaine, et voyons devant nous l’armĂ©e russe en bataille, qui passait l’Alle sur plusieurs ponts, pour venir nous disputer le terrain que nous occupions, et se diriger sur KƓnigsberg pour le dĂ©bloquer. PlacĂ©s d’abord en bataille, Ă  portĂ©e de canon de l’ennemi, Ă  gauche de la route de Dom
 Ă  Friedland, nous restĂąmes plusieurs heures dans cette position ; mais quand une fois l’action fut bien engagĂ©e, vers 5 Ă  6 heures du soir, nous nous portĂąmes en avant pour prendre possession d’un plateau qui domine un peu la ville, et appuyer les attaques des corps d’armĂ©e qui agissaient. À 10 heures du soir, la bataille Ă©tait gagnĂ©e, les Russes enfoncĂ©s sur tous les points, jetĂ©s dans l’Alle, et toute la rive gauche dĂ©blayĂ©e de leur prĂ©sence. Leur perte fut immense, en hommes et en matĂ©riel. Cette sanglante et Ă©clatante dĂ©faite les terrassa complĂštement. Le 17 et le 18, l’Empereur logea au village de Sgaisgirren, dans le chĂąteau du baron. Je me trouvais de garde auprĂšs de sa personne. Le lendemain de son dĂ©part, je visitai ses appartements ; ils ne mĂ©ritaient pas cette attention, car ils Ă©taient plus que simples, mais j’y trouvai un gros paquet de journaux de Paris, d’Altona, de Francfort, de Saint-PĂ©tersbourg, dont je m’emparai avec joie, n’ayant pas eu l’occasion d’en lire depuis Varsovie. Ce fut une bonne fortune, car nous ne savions rien de ce qui se passait Ă  l’armĂ©e que par les journaux de Paris. La Garde bivouaqua autour du village. L’Empereur partit avant nous ; le bruit courait d’une suspension d’armes. Le piquet de garde ne quitta le poste que lorsque les voitures, les fourgons, les chevaux de mains et les mulets de l’Empereur et de sa suite furent prĂȘts Ă  partir, escortĂ©s par la gendarmerie d’élite. TILSITT Le 19 juin, Ă  Tilsitt, nous fĂ»mes logĂ©s dans le faubourg qui longe la rive gauche du NiĂ©men, au-dessus de la ville, mais comme l’emplacement Ă©tait trĂšs bornĂ© et malpropre, on prĂ©fĂ©ra bivouaquer dans les jardins et les champs d’alentour. Les habitants, avant notre arrivĂ©e avaient cachĂ© dans la terre de leurs jardins leurs effets et des provisions considĂ©rables. Quand ils virent qu’on respectait les propriĂ©tĂ©s et les personnes, ils vinrent nous prier de leur permettre de faire des fouilles pour dĂ©terrer les objets cachĂ©s. On y consentit avec empressement, mais avec cette rĂ©serve que s’il y avait des comestibles, ils nous en feraient part. Il se trouva en effet, tant et tant de piĂšces de lard et de jambon que nos ordinaires se trouvĂšrent pourvus, pour quelques jours, d’une denrĂ©e bien prĂ©cieuse pour donner du goĂ»t Ă  nos maigres aliments. La viande ne manquait pas, mais le pain, oĂč il y avait plus de paille et de son que de farine, Ă©tait dĂ©testable. Il fallait avoir une faim canine pour oser le porter Ă  la bouche. Les Russes Ă©taient campĂ©s sur l’autre rive du fleuve, oĂč on les voyait et les entendait facilement, surtout quand ils se rĂ©unissaient le soir pour chanter la priĂšre. Le beau pont en bois Ă©tabli sur cette riviĂšre Ă©tait brĂ»lĂ© ; aucune communication n’était possible entre les deux rives, car toutes les barques et bateaux avaient Ă©tĂ© emmenĂ©s ou coulĂ©s bas cependant, quand il fut convenu qu’une entrevue entre les deux empereurs aurait lieu sur un radeau, au milieu du fleuve, il s’en trouva pour porter les matĂ©riaux nĂ©cessaires Ă  sa construction. Ces prĂ©paratifs nous prĂ©occupĂšrent singuliĂšrement ; on Ă©tait las de la guerre, on se voyait en quelque sorte Ă  l’extrĂ©mitĂ© du monde civilisĂ©, Ă  cinq cents lieues de Paris et extĂ©nuĂ© de fatigue. C’était bien suffisant pour dĂ©sirer voir sortir de ce radeau une paix prochaine et digne des grands efforts d’une armĂ©e qui avait tout fait pour vaincre les ennemis de la France. 25 juin. – J’étais sur le rivage, quand l’Empereur s’embarqua pour rejoindre l’Empereur Alexandre, et j’y restai jusqu’à son retour. Ce spectacle Ă©tait si extraordinaire, si merveilleux, qu’il mĂ©ritait bien tout l’intĂ©rĂȘt qu’on lui attachait. 26 juin. – D’aprĂšs les conventions arrĂȘtĂ©es la veille sur le radeau, l’empereur Alexandre devait venir habiter Tilsitt, avec sa suite et 800 hommes de sa Garde. La ville fut dĂ©clarĂ©e neutre et partagĂ©e en partie française et en partie russe. Il nous fut dĂ©fendu d’entrer, mĂȘme sans armes, dans le quartier habitĂ© par l’empereur de toutes les Russies. Cependant, plus tard, il fut permis de le traverser pour nous rendre Ă  notre faubourg qui se trouvait dans cette direction, mais en tenue de promenade. Ce 26 juin, nous prĂźmes les armes Ă  midi et fĂ»mes nous former en bataille, dans la belle et large rue oĂč habitait NapolĂ©on l’infanterie Ă©tait Ă  droite et la cavalerie Ă  gauche. À un signal convenu, NapolĂ©on se rendit sur le bord du NiĂ©men pour recevoir Alexandre et le conduire Ă  son logement. Peu de temps aprĂšs, ces deux grands souverains arrivĂšrent, prĂ©cĂ©dĂ©s et suivis d’un immense et superbe Ă©tat-major, ayant Ă©changĂ© leurs cordons et se tenant par la main, comme de bons amis. AprĂšs avoir passĂ© le front des troupes, les deux empereurs se placĂšrent au pied de l’escalier de l’Empereur NapolĂ©on, et nous dĂ©filĂąmes devant eux. Une fois le dĂ©filĂ© terminĂ©, nous rentrĂąmes dans nos bivouacs, et l’empereur Alexandre fut reconduit chez lui avec le mĂȘme cĂ©rĂ©monial. 27 juin. – Grandes manƓuvres et exercices Ă  feu de toute la garde impĂ©riale, sur les hauteurs de Tilsitt, devant Leurs MajestĂ©s ImpĂ©riales. NapolĂ©on tenait beaucoup Ă  ce que sa Garde justifiĂąt la haute renommĂ©e qu elle s’était acquise, car, dans les feux, il passait derriĂšre les rangs pour exciter les soldats Ă  tirer vite, et dans les marches, pour les exciter Ă  marcher serrĂ©s et bien alignĂ©s. De la voix, du geste, du regard, il nous pressait et nous encourageait. De son cĂŽtĂ©, l’empereur Alexandre Ă©tait bien aise de voir de prĂšs ces hommes qui, soit qu’ils chargeassent sur sa cavalerie, soit qu’ils marchassent sur son infanterie, suffisaient par leur seule prĂ©sence pour les arrĂȘter ou les contenir. Il arriva un moment qu’il s’était placĂ© devant nos feux. NapolĂ©on fut le prendre par la main, et le retira de lĂ , en lui disant Une maladresse pourrait causer un grand malheur. » Alexandre rĂ©pondit Avec des hommes comme ceux lĂ , il n’y a rien Ă  craindre. » AprĂšs le dĂ©filĂ©, qui fut trĂšs bien exĂ©cutĂ©, on mit Ă  l’ordre du jour les tĂ©moignages de la satisfaction que l’empereur Alexandre avait plusieurs fois manifestĂ©e pendant les manƓuvres. 28 juin. – ArrivĂ©e de le roi de Prusse. J’étais en faction en bas des escaliers de la rue, quand l’Empereur NapolĂ©on vint le recevoir Ă  la descente de voiture. Il lui prit la main et le fit passer devant pour monter les escaliers. Ce n’était pas la rĂ©ception du 26, c’était un roi vaincu qui venait demander un morceau de sa couronne brisĂ©e. La Garde Ă  pied donna Ă  dĂźner, dans la plaine situĂ©e derriĂšre notre faubourg, aux 800 gardes russes qui faisaient le service auprĂšs de leur souverain. Pendant le dĂźner, les gardes prussiennes arrivĂšrent ; elles furent accueillies et traitĂ©es avec le plus vif empressement ; en gĂ©nĂ©ral, on les prĂ©fĂ©rait aux Russes, probablement parce qu’ils Ă©taient Allemands. Il y eut beaucoup de soĂ»leries, surtout chez les Russes, mais il n’y eut ni querelles, ni dĂ©sordre. Du reste, les officiers des trois puissances Ă©taient lĂ , pour arrĂȘter toute manifestation contraire Ă  la bonne harmonie. Pendant mon sĂ©jour Ă  Tilsitt, je reçus une lettre du vieux gĂ©nĂ©ral Lacoste, du Puy, pour son fils, gĂ©nĂ©ral de division du gĂ©nie, aide de camp de l’Empereur. Je fus trĂšs bien reçu, et il me promit de s’intĂ©resser Ă  moi. Un soir que j’étais en faction sur les bords du NiĂ©men, j’eus l’occasion de remarquer combien les nuits sont courtes dans le Nord, Ă  cette Ă©poque de l’annĂ©e. C’était le 23 juin. PlacĂ© en sentinelle Ă  11 heures du soir, il faisait encore assez clair pour lire une lettre, et quand on me releva Ă  une heure du matin, la nuit s’était Ă©coulĂ©e et le jour avait reparu. Les entrevues et les Ă©vĂ©nements de Tilsitt me firent connaĂźtre une infinitĂ© de grands personnages de l’Europe, que je remarquai avec plaisir et que j’étais bien aise d’observer. Peu d’occasions s’étaient prĂ©sentĂ©es oĂč l’on avait vu autant d’hommes marquants, rĂ©unis dans un si petit endroit. 3 juillet. – Les nĂ©gociations pour la conclusion de la paix presque terminĂ©es, les 2Ăšme rĂ©giments de chaque arme de la Garde reçurent l’ordre de partir le lendemain pour KƓnigsberg et ensuite pour la France. Cette nouvelle fut accueillie avec une grande dĂ©monstration de joie. La glorieuse paix qui venait d’ĂȘtre signĂ©e Ă  Tilsitt nous dĂ©dommageait bien de tous les maux que nous avions soufferts, pendant ces quatre grandes, rudes et vigoureuses campagnes, mais nous n’en Ă©tions pas moins dĂ©sireux de nous reposer un peu plus longtemps, de laisser aux rĂąteliers d’armes nos lourds fusils et sur la planche nos incommodes sacs, sauf Ă  les reprendre l’un et l’autre, si l’indĂ©pendance de la France rĂ©clamait nos bras et notre vie. Pour le moment, nous en avions assez. RETOUR EN FRANCE Du 7 au 13 juillet, nous fĂ»mes Ă  KƓnigsberg. Durant ce temps, l’Empereur, son Ă©tat-major et tout ce qui restait de la Garde arrivĂšrent de Tilsitt. Toutes les dispositions se faisaient pour quitter le Nord et reprendre le chemin de notre patrie, que nous appelions de tous nos vƓux. Les distributions de vivre, qui avaient presque cessĂ© depuis notre dĂ©part de Varsovie, reprirent leur rĂ©gularitĂ©. Elles furent mĂȘme abondantes et variĂ©es. L’ennemi, en Ă©vacuant la ville Ă  la nouvelle de la perte de la bataille de Friedland, y avait laissĂ© des magasins immenses, richement approvisionnĂ©s. IndĂ©pendamment des vivres ordinaires, ils contenaient de la morue, des harengs, du vin, du rhum, etc. Il y avait dans le port beaucoup de navires, chargĂ©es de denrĂ©es propres Ă  la nourriture et Ă  l’entretien de l’armĂ©e. Toutes ces causes rĂ©unies firent renaĂźtre l’abondance et le bien-ĂȘtre. Durant les six jours que nous restĂąmes dans cette ville, il m’arriva une aventure qui aurait pu me devenir fĂącheuse, si je n’avais pas Ă©tĂ© reconnu innocent de l’accusation qu’on portait contre moi. Nous Ă©tions logĂ©s six dans un petit cabaret, et confinĂ©s dans un cabinet oĂč Ă  peine si nous pouvions nous retourner. On rĂ©clama un appartement plus grand, sans pouvoir l’obtenir. Les plaintes se renouvelaient Ă  chaque instant, parce que nous Ă©touffions de chaleur, que nous manquions d’air, d’espace pour nous habiller et nous approprier. La mĂ©chante femme du cabaretier, toute jeune et jolie qu’elle Ă©tait, nous fut dĂ©noncer au gouverneur de la ville, qui n’était rien de moins que le gĂ©nĂ©ral Savary, colonel de la gendarmerie d’élite, l’officier gĂ©nĂ©ral le plus dur, disait-on, de toute l’armĂ©e. Elle arriva avec quatre hommes et un caporal de la ligne pour nous faire arrĂȘter. Mais faire conduire six hommes Ă  la fois lui paraissait un peu audacieux ; elle dĂ©signa le plus jeune comme le plus coupable. Le caporal m’invita Ă  le suivre, en m’expliquant l’ordre qu’il avait Ă  remplir. Je lui dis de passer devant avec les hommes, que je le suivrais et me rendrais chez le gouverneur. J’y arrive, j’explique notre position, la mĂ©chancetĂ© de cette femme et l’absurditĂ© de sa dĂ©nonciation. Tout ce que je disais parut si vrai, si naturel, si raisonnable, que le gouverneur fit chasser cette mĂ©gĂšre, me renvoya sans m’adresser un seul reproche, et nous fit changer de logement. La veille de notre dĂ©part, il y eut une grande promotion de vĂ©lites au grade de sous-lieutenant, et annoncĂ©e seulement au moment de nous mettre en marche. J’espĂ©rais beaucoup en faire partie, mais je fus trompĂ© dans mon impatiente attente. J’en fus assez contrariĂ©, et quittai sans regret une ville oĂč j’avais Ă©prouvĂ© des dĂ©sappointements et des vexations. Le 14 juillet, comme nous allions arriver Ă  Brandebourg, une partie des Ă©quipages de l’Empereur, escortĂ©s par les gendarmes d’élite, passa dans nos rangs. Un chasseur du bataillon cria Place aux immortels ! » Il s’en serait suivi une vive querelle, si les officiers n’étaient pas intervenus. Cette mordante Ă©pigramme Ă©tait rĂ©pĂ©tĂ©e Ă  tous les passages des gendarmes depuis IĂ©na. C’était parce que cette troupe d’élite, Ă©tant chargĂ©e de la police militaire du quartier gĂ©nĂ©ral impĂ©rial et de la garde des Ă©quipages de l’Empereur, ne paraissait jamais au feu, qu’on l’avait baptisĂ©e du nom d’immortelle. Cette insulte Ă©tait injuste, mais que faire contre une opinion rĂ©pandue ? Cependant, aprĂšs la bataille d’Eylau, l’Empereur ordonna qu’un jour de bataille les gendarmes auraient un escadron en ligne. Les hommes se firent tuer Ă  leur poste, mais cela ne tua pas la plaisanterie. Le 12 aoĂ»t, la veille de notre dĂ©part de Berlin, plusieurs de mes camarades me dirent qu’ils Ă©taient sĂ»rs que j’étais nommĂ© sous-lieutenant, mais rien ne vint confirmer cette bonne nouvelle ; on me l’avait dĂ©jĂ  dite en route. Je n’osai pas aller aux informations. Le 25 aoĂ»t, nous arrivĂąmes Ă  Hanovre, pour y rester jusqu’au 12 octobre, c’est-Ă -dire quarante-neuf jours. Ce long repos inattendu, et bien contraire Ă  notre empressement de nous rendre Ă  Paris fut nĂ©cessitĂ©, dit-on, par l’apparition d’une flotte anglaise dans la Baltique, le bombardement et la prise de Copenhague par les Anglais, et peut-ĂȘtre aussi pour veiller Ă  l’exĂ©cution des traitĂ©s de Tilsitt, Ă  la consolidation du royaume de Westphalie, nouvellement créé, etc. Nous aurions prĂ©fĂ©rĂ© continuer notre voyage ; nous Ă©tions trop rompus Ă  la marche pour dĂ©sirer de nous arrĂȘter. Je profitai de ce long relais pour visiter attentivement cette jolie ville ; je fus souvent au théùtre de la cour Ă©lectorale voir jouer des opĂ©ras allemands, dans une salle fort riche de dorures. Le colonel Boudinhon, du 4Ăšme hussards, nĂ© au Puy et ami de mon frĂšre, de passage Ă  Hanovre, m’invita Ă  dĂ©jeuner et me garda avec lui une partie de la journĂ©e. Un prĂȘtre Ă©migrĂ©, nĂ© en Auvergne, de la connaissance de mon pĂšre, professeur Ă  l’universitĂ© de cette ville, m’engagea souvent Ă  aller le voir pour parler du pays. Il mit Ă  ma disposition sa belle et riche bibliothĂšque ; sa connaissance me fut trĂšs prĂ©cieuse par ses entretiens pleins d’intĂ©rĂȘt. Plusieurs rĂ©giments espagnols, sous les ordres du marquis de La Romana, leur gĂ©nĂ©ral en chef, tenaient garnison avec nous. Leur indiscipline et leurs mƓurs fĂ©roces occasionnĂšrent de frĂ©quentes querelles, oĂč leurs poignards jouaient toujours le rĂŽle d’auxiliaire. Un sergent-major et deux ou trois militaires de la Garde furent tuĂ©s traĂźtreusement par eux. Ces Espagnols faisaient partie du corps d’armĂ©e que leur gouvernement avait mis Ă  la disposition de l’Empereur. Il y eut Ă  Hanovre une cinquiĂšme promotion de vĂ©lites. Je n’y fus pas compris, malgrĂ© tous les efforts que fit mon capitaine. Mes notes Ă©taient des plus favorables, mais il y en avait de bien plus protĂ©gĂ©s que moi. Enfin, le 25 octobre, nous arrivĂąmes Ă  Mayence, sur le sol de l’Empire français. Et, le 17 novembre, Ă  Meaux. La ville de Paris avait votĂ© des couronnes d’or, pour nos aigles, et une grande fĂȘte pour l’entrĂ©e de la Garde impĂ©riale dans la capitale. Afin que tous les corps qui la composaient fussent rĂ©unis, il fallut ralentir la marche de ceux qui faisaient tĂȘte de colonne, et les faire tourner autour de Paris pour donner place Ă  ceux qui nous suivaient. C’est ainsi que nous parcourĂ»mes Dammartin, Louvres, Luzarches, Gonesse, Rueil, en attendant que les derniĂšres troupes arrivassent aux portes de Paris. ENTRÉE TRIOMPHALE DE LA GARDE À PARIS 25 novembre. – La ville de Paris avait fait Ă©lever, prĂšs de la barriĂšre du Nord ou Saint-Martin, un arc triomphal de la plus grande dimension. Cet arc n’avait qu’une seule arcade, mais vingt hommes pouvaient y passer de front. À la naissance de la voĂ»te, et Ă  l’extĂ©rieur, on voyait de grandes RenommĂ©es prĂ©sentant des couronnes de laurier. Un quadrige dorĂ© surmontait le monument, des inscriptions Ă©taient gravĂ©es sur chacune des faces. DĂšs le matin, l’arc de triomphe Ă©tait entourĂ© par une foule immense de peuple. ArrivĂ©s Ă  Rueil, vers 9 heures, nous fĂ»mes placĂ©s en colonne serrĂ©e dans les champs qui bordent la route et le plus prĂšs possible de l’arc de triomphe, en laissant la route libre pour la circulation. À midi, tous les corps Ă©tant arrivĂ©s, les aigles furent rĂ©unies Ă  la tĂȘte de la colonne et dĂ©corĂ©es par le prĂ©fet de la Seine. Des couronnes d’or avaient Ă©tĂ© votĂ©es par le conseil municipal, qui, avec les maires de Paris, entourait le prĂ©fet, M. Frochot et tout notre Ă©tat-major gĂ©nĂ©ral, ayant Ă  sa tĂȘte le marĂ©chal BessiĂšres, notre commandant en chef. AprĂšs les discours d’usage et la rentrĂ©e des aigles Ă  leur place habituelle, 10 000 hommes en grande tenue s’avancĂšrent pour dĂ©filer sous l’arc de triomphe, au bruit des tambours, des musiques des corps, de nombreuses salves d’artillerie et des acclamations d’un peuple immense, qui s’était portĂ© sur ce point. De la barriĂšre au palais des Tuileries, les mĂȘmes acclamations nous accompagnĂšrent. Nous dĂ©filions entre les haies formĂ©es par la population de la capitale. Toutes les fenĂȘtres, tous les toits des maisons du faubourg Saint-Martin et des boulevards Ă©taient garnis de curieux. Des piĂšces de vers oĂč nous Ă©tions comparĂ©s aux dix mille immortels, et des chants guerriers Ă©taient chantĂ©s et distribuĂ©s sur notre passage. Des vivats prolongĂ©s saluaient nos aigles. Enfin, l’enthousiasme Ă©tait complet, et la fĂȘte digne des beaux jours de Rome et de la GrĂšce. En arrivant aux Tuileries, nous dĂ©filĂąmes sous le bel arc de triomphe qui avait Ă©tĂ© construit pendant notre absence. À la grille du Carrousel, aprĂšs avoir dĂ©posĂ© nos aigles au palais, oĂč elles restaient habituellement pendant la paix, nous traversĂąmes le jardin des Tuileries et y laissĂąmes nos armes, formĂ©es en faisceaux. On se rendit ensuite aux Champs-ÉlysĂ©es, oĂč une table de dix mille couverts nous attendait. Elle Ă©tait placĂ©e dans les deux allĂ©es latĂ©rales. Au rond-point Ă©tait celle des officiers, prĂ©sidĂ©e par le marĂ©chal. Le dĂźner se composait de huit plats froids, qui se rĂ©pĂ©taient indĂ©finiment ; tout Ă©tait bon ; on Ă©tait placĂ© convenablement, mais malheureusement la pluie contraria les ordonnateurs et les hĂ©ros de cette magnifique fĂȘte. AprĂšs le dĂźner, nous fĂ»mes dĂ©poser nos armes Ă  l’École militaire, oĂč nous Ă©tions casernĂ©s, et rentrĂąmes dans Paris pour jouir de l’allĂ©gresse gĂ©nĂ©rale, des illuminations, des feux d’artifices, des danses publiques et jeux de toute espĂšce. Les pauvres eurent aussi leur part dans ce gigantesque festin. Nous venions d’ĂȘtre absent de Paris ou de Rueil un an, deux mois et cinq jours. Durant plusieurs jours, les fĂȘtes continuĂšrent. Le 26, tous les spectacles de la capitale furent ouverts Ă  la Garde. On avait rĂ©servĂ© pour elle le parterre, l’orchestre et les premiĂšres loges, ainsi que les premiers rangs des autres. Je fus du nombre de ceux qui furent dĂ©signĂ©s pour le grand OpĂ©ra. On joua le Triomphe de Trajan, piĂšce de circonstance et pleine d’allusions Ă  la campagne qui venait de se terminer. La beautĂ© du sujet, les brillantes dĂ©corations, la pompe des costumes et le gracieux des danses et du ballet m’enivrĂšrent de plaisir. Quand Trajan parut sur la scĂšne, dans son char de triomphe, attelĂ© de quatre chevaux blancs, on jeta du centre du théùtre des milliers de couronnes de laurier, dont tous les spectateurs se couronnĂšrent comme des CĂ©sars ce fut une belle soirĂ©e et un beau spectacle. Le 28, le SĂ©nat conservateur nous donna ou voulut nous donner une superbe et brillante fĂȘte. Tout Ă©tait disposĂ© pour qu’elle fĂ»t digne du grand corps qui l’offrait, mais malheureusement le mauvais temps la rendit fort triste, et mĂȘme dĂ©sagrĂ©able. On avait Ă©levĂ© un temple Ă  la Gloire, oĂč toutes les victoires de la Grande ArmĂ©e Ă©taient rappelĂ©es sur des boucliers, entourĂ©s de couronnes de laurier et entremĂȘlĂ©s de trophĂ©es qui rĂ©unissaient les armes des peuples vaincus ; des inscriptions Ă©voquaient les grandes actions que la fĂȘte avait pour objet de cĂ©lĂ©brer ; des jeux de toute espĂšce, des orchestres et une infinitĂ© de buffets bien garnis remplissaient ce beau jardin. La neige qui tombait en abondance, l’humiditĂ© du sol et le froid noir de l’automne glacĂšrent nos cƓurs, nos estomacs et nos jambes. Beaucoup de militaires demandĂšrent Ă  se retirer, mais les grilles Ă©taient fermĂ©es ; il fallut parlementer avec le SĂ©nat ; tout cela entraĂźnait des longueurs qui irritaient. Enfin, la menace d’escalader les murs s’étant rĂ©pandue, la consigne fut levĂ©e, les portes ouvertes et tous les vieux de la Garde s’échappĂšrent comme des prisonniers qui recouvrent la libertĂ©. Il n’y resta, je crois, que les fusiliers et ceux qui, n’ayant pas d’argent pour dĂźner en ville, trouvaient qu’il valait encore mieux manger un dĂźner froid que de ne pas dĂźner du tout. Ils durent s’en donner, car il y avait de quoi et du bon. Les officiers Ă©taient traitĂ©s dans le palais. Je fus, avec plusieurs de mes camarades, dĂźner chez VĂ©ry, ensuite au Français. Peu aprĂšs, l’ImpĂ©ratrice nous donna Ă  dĂźner Ă  la caserne, par escouade c’était l’ordinaire, mais considĂ©rablement augmentĂ©, et arrosĂ© d’une bouteille de vin de Beaune par homme. Enfin, le 19 dĂ©cembre, la Garde nous donna une grande fĂȘte Ă  la ville de Paris. Elle eut lieu le soir, dans le Champ de Mars et le palais de l’École militaire ; les apprĂȘts furent longs, parce qu’ils furent grandioses et tout militaires. Dans la vaste enceinte du Champ de Mars, on avait placĂ©, sur des fĂ»ts de colonnes, des vases remplis de matiĂšres inflammables, ou des aigles avec des foudres ailĂ©s remplis d’artifices. Les vases et les aigles alternaient et se communiquaient par un dragon volant, qui devait les embraser tous en mĂȘme temps. Au-dessous des aigles Ă©taient les numĂ©ros des rĂ©giments qui formaient la brigade, avec le nom du gĂ©nĂ©ral qui la commandait, et sous les pots Ă  feu, les noms d’une affaire et du gĂ©nĂ©ral de division qui y commandait les deux brigades. Au milieu, une immense carte gĂ©ographique du nord de l’Europe faisait voir en lettres Ă©normes les principales villes et le lieu de nos grandes batailles ; et le chemin suivi par la Grande ArmĂ©e, dans les campagnes de 1805, 1806 et 1807, Ă©tait tracĂ© par des Ă©toiles blanches sous lesquelles, ainsi que sous le nom des villes, il y avait un feu gras colorĂ©, qui devait brĂ»ler, pendant que l’artifice qui entourait la carte serait lui-mĂȘme en feu. Au-dessus de la carte, on voyait des Victoires ailĂ©es aussi garnies d’artifices, etc. La Garde Ă  pied se rendit en armes dans cette enceinte, pour faire l’exercice Ă  feu avec des projectiles d’artifice. Quand la nuit fut tout Ă  fait close, l’ImpĂ©ratrice mit le feu Ă  un dragon volant qui, au mĂȘme instant, le communiqua Ă  toutes les piĂšces d’artifice. Au mĂȘme instant aussi, les 4 000 Ă  5 000 hommes Ă  pied de la Garde firent, avec les cartouches artificielles, un feu de deux rangs des plus nourris. Cette voĂ»te des cieux Ă©clairĂ©e par des milliers d’étoiles flamboyantes, des Ă©pouvantables dĂ©tonations qui retentissaient dans tous les points du Champ de Mars, les cris de la multitude qui encombrait les talus, tout concourait Ă  donner Ă  cette fĂȘte militaire les plus grandes proportions, la plus noble opinion du vouloir des hommes, quand ils dĂ©ploient toutes leurs facultĂ©s pour faire du beau et du sublime. La Grande ArmĂ©e tenait sa place dans cette fĂȘte de la Garde impĂ©riale, puisque tous les corps d’armĂ©e, les divisions, les brigades et les rĂ©giments y figuraient par leurs numĂ©ros. Les feux et les salves d’artillerie terminĂ©s, nous rentrĂąmes au quartier. Le bal commença ensuite et se prolongea fort tard dans la nuit. Plus de quinze cents personnes de la cour et de la ville y assistĂšrent ; on dit qu’il fut magnifique
 Dans les premiers jours de notre arrivĂ©e, on renouvela complĂštement toutes les parties de notre habillement. La coupe des habits fut amĂ©liorĂ©e et calquĂ©e sur celle des Russes. Nos bonnets Ă  poil, qui Ă©taient devenus hideux, furent aussi remplacĂ©s. J’eus la satisfaction de tomber sur un oursin qui Ă©tait aussi beau que ceux des officiers. Quant aux chapeaux, il Ă©tait de toute nĂ©cessitĂ© qu’on nous en donnĂąt d’autres, puisque nous n’en avions plus depuis la bataille de Friedland. JE SUIS NOMMÉ SOUS-LIEUTENANT Quelques jours aprĂšs mon arrivĂ©e, je fus faire une visite Ă  M. le gĂ©nĂ©ral La Coste, qui m’accueillit bien et me tĂ©moigna toute sa surprise de voir que je n’étais pas officier. À quelques questions qu’il me fit, je crus remarquer qu’il pensait peut-ĂȘtre que ses recommandations n’avaient pas fait effet parce que ma conduite pouvait n’ĂȘtre pas rĂ©guliĂšre. Je le dĂ©sabusai, et me retirai assez mĂ©content. Le 31 dĂ©cembre, le gĂ©nĂ©ral SoulĂšs, notre colonel en premier, me fit dire de me rendre chez lui
 AprĂšs m’avoir demandĂ© mon nom, il sortit d’un tiroir de sa table plusieurs nominations de sous-lieutenant, oĂč je distinguai sur le champ la lettre qui Ă©tait pour moi. Il me demanda alors Avez-vous fait toute la campagne ? Étiez-vous Ă  IĂ©na, Ă  Varsovie, Ă  Eylau, Ă  KƓnigsberg, Ă  Berlin, au retour ? » Je rĂ©pondis oui Ă  toutes les questions, parce que cela Ă©tait vrai
 Mais alors, comment se fait-il que, lorsque j’ai fait demander aprĂšs vous en diffĂ©rentes fois, on m’ait rĂ©pondu que vous Ă©tiez inconnu au rĂ©giment ? – Cela tient Ă  deux faits, mon gĂ©nĂ©ral le premier, c’est que ce ne sont pas mes prĂ©noms. Le dĂ©cret porte Pierre-Louis, tandis que je m’appelle Jean-Baptiste-Auguste ; le deuxiĂšme, c’est plus grave j’ai le malheur de n’ĂȘtre pas aimĂ© du sergent-major. – Ah ! ah ! pourquoi cela ? – En voici la cause, mon gĂ©nĂ©ral Ă  la bataille d’Eylau, un boulet coupa en deux le fusil du sergent-major, qui Ă©tait alors reposĂ© sous les armes et le bras gauche appuyĂ© sur la douille de la baĂŻonnette, ce qui lui fit faire une si singuliĂšre pirouette, que je ne pus contenir un Ă©clat de rire qui m’échappa bien involontairement, sans malice et sans penser qu’il pouvait ĂȘtre blessĂ© ; il l’était en effet. En se retirant pour aller se faire panser, il me dit Je me souviendrai de votre rire. » Je compris de suite combien sa menace pourrait m’ĂȘtre prĂ©judiciable, car je le connaissais haineux et rancunier ; aussi je me tins sur mes gardes pour ne pas ĂȘtre puni par lui. À KƓnigsberg, Ă  Berlin et ailleurs, quand on appelait mon nom au rapport pour me faire remettre ma lettre de service, il rĂ©pondait Il y a bien un BarrĂšs, Ă  la compagnie, mais ce n’est pas celui-lĂ . » Il se gardait bien de m’en parler, de crainte que je ne fisse des dĂ©marches pour prouver que nous n’étions pas deux de ce nom dans les deux rĂ©giments. VoilĂ  pourquoi, mon gĂ©nĂ©ral, on m’a fait passer pour inconnu
 » AprĂšs quelques instants de rĂ©flexion, il me dit Mettez-vous Ă  mon bureau, et Ă©crivez. » C’était une lettre au ministre de la Guerre, pour lui demander un duplicata de ma lettre et la rectification des prĂ©noms. AprĂšs l’avoir signĂ©e, il me la remit en me disant Portez-lĂ  vous-mĂȘme au bureau de l’infanterie, et pressez-en le rĂ©sultat. Quant Ă  vous, vous ĂȘtes maintenant officier ; je vous dispense de tout service, jusqu’au moment de votre dĂ©part. » Ma nomination Ă©tait du 13 juillet, datĂ©e de KƓnigsberg, pour le 16Ăšme rĂ©giment d’infanterie lĂ©gĂšre. Je rentrai tout joyeux Ă  ma chambrĂ©e, oĂč je reçus les fĂ©licitations de mes camarades et donnai de bon cƓur un coup de pied Ă  mon sac, qui m’avait tant pesĂ© sur les Ă©paules
 J’entrai chez un coiffeur pour faire couper ma queue, ornement ridicule que l’infanterie de l’armĂ©e ne portait plus, exceptĂ© un ou deux rĂ©giments de la Garde. Quand je fus dĂ©barrassĂ© de cette incommode coiffure, je me rendis chez un ami de mon pĂšre, pour lui faire part de mon changement de position et lui souhaiter une bonne annĂ©e. Je dĂźnai chez lui et ne rentrai au quartier qu’à dix heures du soir. Ainsi, dĂšs le premier jour, je profitai des avantages de mon nouveau grade. Je restai Ă  Paris jusqu’au 6 fĂ©vrier 1808 au soir. Je mis Ă  profit avec dĂ©lices les quelques jours de libertĂ© que je me donnai, pour mieux connaĂźtre cette immense ville, passer les soirĂ©es aux spectacles et voir plus souvent quelques amis que j’y avais. Quel heureux changement je venais d’éprouver ! Il faut avoir fait trois campagnes et mĂȘme quatre, le sac sur le dos, et avoir parcouru Ă  pied la moitiĂ© de l’Europe, pour apprĂ©cier toute ma fĂ©licitĂ©. J’avais servi dans la Garde rĂ©ellement trois ans, six mois et dix-sept jours. Ma feuille de route me fut donnĂ©e, sur ma demande, le 2 fĂ©vrier, pour Neuf-Brisach, dĂ©pĂŽt du 16Ăšme lĂ©ger, et ma place fut retenue le 5, pour partir le 7 au matin, aux VĂ©locifĂšres de la rue du Bouloi. DIX-NEUF MOIS EN FRANCE De Neuf-Brisach, oĂč il est trĂšs heureux, BarrĂšs en mai 1808 est brusquement envoyĂ© Ă  Rennes. 14 juin. – Pour gagner Rennes, j’eus trente-cinq jours de marche ou de sĂ©jours. Le voyage fut heureux, tranquille et sans incident, les hommes se conduisirent bien, mais je m’ennuyais beaucoup, Ă  cause de mon isolement, surtout dans les lieux d’étape, oĂč j’étais obligĂ© de vivre et me promener seul. AussitĂŽt arrivĂ© Ă  Rennes, je fis les visites d’usage, pour connaĂźtre les personnes avec qui je devais vivre. À mon Ăąge, les rapports de bonnes relations s’établissent vite, surtout quand on est Ă  peu prĂšs du mĂȘme grade et qu’on a les mĂȘmes annĂ©es de service. Le soir du deuxiĂšme jour, j’étais comme en famille et me rĂ©jouissais du repos que j’allais prendre. Mais mon Ă©toile ou les Ă©vĂ©nements voulaient que tous ces projets ne fussent qu’illusoires. Le lendemain 16, on reçut l’ordre de faire partir, dans les vingt-quatre heures, toutes les troupes valides de la lĂ©gion pour NapolĂ©onville Pontivy. Je fus dĂ©signĂ© pour ĂȘtre officier-payeur du bataillon, faire provisoirement les fonctions d’adjudant-major et prendre le commandement d’une compagnie. C’était beaucoup trop pour un jeune sous-lieutenant de quatre mois, mais je fus tellement pressĂ© d’accepter par le chef de bataillon, le commandant du dĂ©pĂŽt et le commissaire des guerres chargĂ© de l’administration de la lĂ©gion, que je me laissai accabler d’honneurs et d’ouvrage. Le chef de bataillon, M. Dove, sortait de la Garde, oĂč je l’avais connu capitaine. Cette circonstance et quelque chose en moi qui lui plut me valurent cette prĂ©fĂ©rence et la confiance qu’il m’accordait. Tout le restant de cette journĂ©e et une partie de la nuit furent employĂ© Ă  habiller et armer nos jeunes conscrits, Ă©tablir les contrĂŽles, faire la situation, les bon-comptes, toucher une quinzaine de solde, etc. La nuit fut pour moi une nuit de travail. Le 3 juillet, je reçus l’ordre de partir le 4 avec tout mon bataillon, pour Belle-Île-en-Mer. Le 6 juillet, arrivĂ© Ă  Quiberon, qui est un triste et sale village dans les terres, je vis pour la premiĂšre fois la mer, dans toute son Ă©tendue, sa beautĂ© et ses divers aspects. Je passai une partie de la soirĂ©e sur les bords, pour la contempler dans toute son immensitĂ© et Ă©tudier quelques-unes de ses merveilles et de ses productions. Le lendemain 7, le dĂ©tachement fut embarquĂ© sur des chasse-marĂ©e, stationnĂ©s dans le port de Portaliguen, qui est Ă  peu de distance du bourg de Quiberon. Quand on se fut assurĂ© que le passage Ă©tait libre, que la traversĂ©e pouvait se faire sans danger, la mer et la marĂ©e Ă©tant bonnes, on hissa les voiles et on mit le cap sur Palais, chef-lieu et port de l’üle. AprĂšs trois heures de navigation, nous abordĂąmes, sans avoir Ă©tĂ© remarquĂ©s par les Anglais et sans accident. Je craignais d’ĂȘtre malade du mal de mer, mais j’en fus quitte pour la peur. Il n’en fut pas de mĂȘme chez les soldats ; ils Ă©taient presque tous dans un Ă©tat de prostration si complet, que si nous avions Ă©tĂ© abordĂ©s par une chaloupe ennemie, ils n’auraient pas pu faire usage de leurs armes, que j’avais eu la prĂ©caution de faire charger avant l’embarquement. Notre arrivĂ©e Ă©tant connue, je trouvai tous les officiers du 3Ăšme bataillon sur le quai pour me recevoir. Leur accueil fut trĂšs cordial. Dix-sept jours aprĂšs, le 3Ăšme bataillon partit en entier pour l’Espagne. On me prit une centaine d’hommes pour le complĂ©ter. Je restai seul avec mes deux compagnies, fortes encore de 220 hommes, pour les instruire, les discipliner et les administrer. L’embarras que cela me donnait, et le dĂ©sir que j’avais de faire campagne comme officier, me firent bien regretter de ne pas pouvoir suivre mes camarades. Je me sĂ©parai d’eux et surtout de quelques uns, dont les caractĂšres me plaisaient, avec une vĂ©ritable affliction. De ces vingt officiers, je n’en ai revu que deux, le commandant, qui Ă©tait devenu colonel, et un sous-lieutenant, capitaine. Tous les autres Ă©taient morts en 1814. Peu de jours suffirent pour me mettre en bonnes relations avec les officiers de ces corps, et avec presque toute la bourgeoisie de la ville, et cela dans de si bons termes que, chez eux, je me croyais chez moi. Ce fut une existence bien douce, dont j’apprĂ©ciai tout le charme. Pas un dĂźner de famille ou d’amis, pas une partie de campagne ou de pĂȘche dont je ne fisse partie. Les gĂ©nĂ©raux ne furent pas moins bien pour moi. Je mangeai souvent chez eux et surtout chez le gĂ©nĂ©ral de division Quentin, original, bizarre, capricieux, mais au fond excellent homme. Il m’avait pris en amitiĂ©, me choyait, me boudait, et, quand j’étais un jour sans aller chez lui, il m’envoyait chercher, en me disant, quand j’arrivais Ă  son quartier gĂ©nĂ©ral, comme il appelait sa maison Monsieur, j’ai un meilleur caractĂšre que vous ; j’oublie bien vite les torts des autres, comment se fait-il que vous n’oubliez pas les miens, si j’en ai ? » Je fus, trois mois, son aide de camp par intĂ©rim. Ce fut souvent plus qu’une corvĂ©e. La premiĂšre fois qu’il m’invita Ă  dĂźner, c’était peu de jours aprĂšs mon arrivĂ©e. J’étais de garde au poste. Sur le port, l’aide de camp M. de Bourayne, vint me dire que le gĂ©nĂ©ral m’invitait Ă  dĂźner pour 2 heures prĂ©cises et de m’y trouver exactement, car il se mettait Ă  table, sans attendre cinq minutes ses convives. J’observai que j’étais de service, que je ne m’appartenais pas. Il me rĂ©pondit Venez quand mĂȘme, j’en prĂ©viendrai le gĂ©nĂ©ral Roulland. » À 2 heures, j’étais dans sa salle Ă  manger. Il me dit d’un ton assez sec Que venez-vous faire ici ? – DĂźner, mon gĂ©nĂ©ral. – Comment dĂźner ? N’ĂȘtes-vous pas de service ? Pensez-vous que je sois capable de dĂ©tourner un officier de remplir ses devoirs ? – Mais je ne suis venu que parce que vous me l’avez fait dire par votre aide de camp. – Mon aide de camp a trop de tact pour avoir exĂ©cutĂ© une semblable mission. » Je ne savais plus que rĂ©pondre. Je commençai Ă  gagner la porte, fort mĂ©content de cette rĂ©ception, lorsque je m’écriai, moitiĂ© riant, moitiĂ© boudant Puisque je suis invitĂ©, je reste. – VoilĂ  qui est bien audacieux pour un sous-lieutenant, me dit-il, mais puisqu’il est un des braves d’Austerlitz, qu’il a Ă©tĂ© Ă  IĂ©na, Eylau, Friedland, il faut bien lui pardonner. » Il me plaça Ă  son cĂŽtĂ© et me fit toutes sortes d’amitiĂ©. Il se moqua beaucoup de mon embarras et de la piteuse figure que je fis pendant un moment. Du reste, cette rĂ©ception presque brutale Ă©tait bien faite pour intimider un jeune officier qui ne connaissait pas encore les allures de son chef supĂ©rieur. Dans d’autres circonstances, il voulut bien renouveler ce genre de pasquinades, mais cela ne prenait plus. Dans le courant du mois de septembre, plusieurs officiers venant de la rĂ©forme arrivĂšrent pour prendre le commandement des compagnies et du dĂ©tachement. Le capitaine, qui eut cet avantage Ă  cause de son anciennetĂ©, Ă©tait l’ĂȘtre le plus Ă©trange au moral et au physique, le plus ivrogne, le plus triste militaire que jusqu’alors j’avais vu. Heureusement que mes fonctions d’officier-payeur me plaçaient en quelque sorte au-dessus de lui. C’était un septembriseur. Dans un de ses moments d’ivresse, il m’avait parlĂ© de ces affreux Ă©vĂ©nements comme un tĂ©moin actif. C’était un grand maigre, sec, vieux, Ă  la figure Ă  moitiĂ© coupĂ©e par une tĂąche lie de vin, d’un dĂ©goĂ»tant aspect. Sa femme, car il Ă©tait mariĂ©, n’était ni plus jeune, ni plus sobre, ni moins hideuse que lui. Ah ! l’affreux couple, l’ignoble mĂ©nage, le honteux chef ! Dans ce temps lĂ , je fus envoyĂ© en cantonnement avec une section dans le village de Banger, au centre de l’üle. Je profitai de mon isolement pour inviter une bonne partie de mes connaissances du chef-lieu Ă  venir dĂźner dans ma triste solitude. Je leur annonçai l’arrivĂ©e d’une caisse de vin de Bordeaux que le pĂšre d’un conscrit de ma compagnie, que j’avais fait caporal, m’avait envoyĂ©e. Ils furent exacts au rendez-vous, et le dĂźner fut bon pour la saison et la localitĂ©, mais ce qui fut mieux, c’est qu’on y but non seulement le contenu de ma caisse, mais autant de vin ordinaire, qui Ă©tait encore du bordeaux, du frontignan, du punch, etc. Et alors, je dus louer des charrettes, les camper dessus, et puis, fouette cocher. Ils arrivĂšrent chez eux dans un Ă©tat dĂ©plorable, ensevelis dans une couche de boue Ă  les rendre mĂ©connaissables. Je fus plusieurs jours sans oser aborder leurs femmes, qui Ă©taient furieuses contre moi. On rit beaucoup de la colĂšre des unes et de la triste figure des autres. Ce repas pantagruĂ©lique me fit beaucoup d’honneur, parce qu’on ne pouvait pas s’imaginer qu’un jeune sous-lieutenant ait pu faire perdre la raison Ă  des tĂȘtes si vĂ©nĂ©rables, Ă  des hommes si recommandables par leur position et leur Ăąge. Janvier 1809. – J’étais encore dans ce village, quand une grosse tempĂȘte se fit sentir sur les cĂŽtes de l’üle et probablement dans bien d’autres lieux du continent. La mer bouleversĂ©e Ă©tait effrayante Ă  voir ; les vagues, monstrueuses. Leur choc contre les rochers de la mer sauvage, au sud de l’üle, ressemblait Ă  des dĂ©charges incessantes de batterie ; les flots brisĂ©s s’éparpillaient dans les airs et faisaient sentir leur amertume Ă  plus d’une demi-lieue. Les plus vieux marins ne se rappelaient rien de semblable. C’était le 6 janvier, jour des Rois ; j’étais invitĂ© Ă  dĂźner en ville chez un capitaine des canonniers garde-cĂŽtes sĂ©dentaires. Au moment oĂč j’allais me mettre en route, mon toit de chaume fut enlevĂ© ; je fis transporter mes effets dans une maison voisine et partis avec un sous-officier. En nous cramponnant mutuellement, nous arrivĂąmes en bon port Ă  notre destination, mais en entrant dans la maison oĂč j’étais attendu, je trouvai toute la famille et beaucoup d’étrangers en larmes. Une des cheminĂ©es de la maison avait Ă©tĂ© renversĂ©e et Ă©tait arrivĂ©e presque en bloc dans la salle Ă  manger, avait Ă©crasĂ© la table oĂč le couvert Ă©tait mis, et nous nous serions trouvĂ©s dessous, si j’étais arrivĂ© quinze Ă  dix-huit minutes plus tĂŽt, car on n’attendait que moi pour servir. Personne ne fut atteint, mais la maison n’était presque plus habitable. La façade avait Ă©tĂ© fortement Ă©branlĂ©e, deux planchers Ă©taient enfoncĂ©s, les meubles brisĂ©s, etc. Cette tempĂȘte, qui avait Ă©branlĂ© l’üle, se fit aussi sentir, jusqu’aux couches les plus profondes de la mer ; le lendemain et les jours suivants nos postes retirĂšrent de la mer plus de cent piĂšces doubles et ordinaires de vin de Porto. Ces beaux et forts tonneaux cerclĂ©s en fer Ă©taient recouverts d’une couche trĂšs Ă©paisse de madrĂ©pores, huĂźtres, bernicles et autres coquillages de ces parages. AprĂšs les avoir dĂ©barrassĂ©s de cette enveloppe marine, on lut sur tous le mot Malborough » On se rappela alors qu’en 1794 un vaisseau de guerre anglais de ce nom avait coulĂ© dans la baie de Quiberon. Il est probable que la carcasse Ă©tait restĂ©e intacte jusqu’à la tempĂȘte du 6 janvier, qu’elle fut brisĂ©e ce jour lĂ , et que les tonneaux n’étant plus retenus furent jetĂ©s non seulement sur les cĂŽtes de Belle-Île, mais aussi sur toutes celles de la Bretagne, car on opĂ©ra le sauvetage Ă  douze ou quinze lieues de la baie. Ce vin Ă©tait parfait et se vendait bien. Le dĂ©tachement eut, pour sa part de prise, plus de 300 francs, qui lui furent payĂ©s par l’Administration des douanes. J’eus aussi la mienne comme officier de dĂ©tachement. AprĂšs ĂȘtre rentrĂ© en ville et avoir habitĂ© quelque temps la citadelle, je fus dĂ©tachĂ© Ă  la batterie de Belle-Fontaine, peu Ă©loignĂ©e du Palais, oĂč je venais prendre mes repas et passer une partie de mes journĂ©es. Le logement que j’habitais ne pouvait contenir que mon lit, une chaise et une petite table ; mais il Ă©tait situĂ© dans un site charmant, prĂ©cĂ©dĂ© d’un dĂ©licieux petit parterre, et battu par la mer, oĂč je descendais de ma petite chambre pour prendre des bains Ă  marĂ©e basse. Quand elle Ă©tait haute et agitĂ©e, elle arrivait jusqu’à la croisĂ©e. Le 1er septembre, nous reçûmes l’ordre de partir le 6 pour LocminĂ©, et j’entrevis que j’irais en Espagne. MalgrĂ© tout le plaisir que je trouvais dans cet aimable et excellent pays, qui m’avait fait connaĂźtre tant de braves gens, je ne fus pas fĂąchĂ© de le quitter. J’étais blasĂ© de cette vie molle, tranquille et assoupissante. Mon Ăąme avait besoin de se retrouver dans une sphĂšre d’activitĂ© plus en rapport avec mon Ăąge, et de prendre un peu de la gloire et des pĂ©rils de mes camarades. Ces jours derniers furent employĂ©s Ă  rĂ©gler les comptes avec chacun, Ă  emballer les effets des magasins, Ă  faire la remise des lits, des fournitures diverses, du casernement, et autres dĂ©tails aussi fastidieux que nĂ©cessaires, et puis Ă  faire des adieux touchants, sincĂšres et bien sentis par moi et par tous ceux avec qui je vivais depuis longtemps dans cette douce intimitĂ©. Le gĂ©nĂ©ral Quentin, toujours extraordinaire dans tout, me vit partir avec regret. Je me sĂ©parai aussi de lui avec peine, malgrĂ© que son originalitĂ© ne fĂ»t pas toujours agrĂ©able ; Ă  la fin, je m’étais tellement habituĂ© Ă  ses folles bizarreries, que je ne m’en occupais plus et que je vivais avec lui comme presque avec un de mes Ă©gaux. Il enrageait de ne pas ĂȘtre comte ou baron ; de ne pas ĂȘtre Ă  la tĂȘte d’une division active, en Espagne ou ailleurs. Le ministre de la Guerre avait beau lui dorer la pilule, en lui disant que l’Empereur l’avait placĂ© Ă  l’avant-garde de l’Empire, cela ne lui suffisait pas. Que de lettres il m’a dictĂ©es, pour se plaindre de l’oubli oĂč on le laissait ! Que de fois il m’a fait part de l’insulte qu’on lui faisait, en mĂ©connaissant ses capacitĂ©s militaires. Un jour, il reçoit un paquet oĂč l’adresse portait Ă  M. le gĂ©nĂ©ral de division Quentin, Ă  l’armĂ©e d’Espagne. Il se croit nommĂ©, se fait couper la queue qui avait deux pieds de long, vend sa batterie de cuisine, prend pension dans un hĂŽtel et se dispose Ă  partir. AussitĂŽt ma nomination arrivĂ©e, me disait-il, j’écrirai pour te faire nommer mon aide de camp. » Je le remerciai bien sincĂšrement de cet honneur, auquel je ne tenais pas du tout
 Je le laissai bien dĂ©couragĂ© et sentant sa fin ou sa disgrĂące. Au fond, c’était un excellent homme, mais avec beaucoup d’esprit, manquant de tenue et de jugement. Il Ă©tait un autre homme que je voyais moins souvent, mais qui m’était aussi trĂšs attachĂ©, c’était le pĂšre du gĂ©nĂ©ral Bigarri, mon capitaine dans la Garde. Parler Ă  ce bon vieillard, qui Ă©tait commissaire des guerres, de son fils et de son gendre, quartier-maĂźtre au 16Ăšme lĂ©ger, c’était le faire revivre, c’était lui rappeler toutes ses affections. Aussi Ă©tais-je un de ses bons amis. J’ai beaucoup parlĂ© de Belle-Île, mais si j’avais voulu consigner dans ce journal toutes les particularitĂ©s de ma vie militaire et privĂ©e, pendant ces quatorze mois de sĂ©jour, il y faudrait un volume. Le souvenir de cet heureux pays ne s’effacera jamais de ma mĂ©moire. Ses fĂȘtes, ses rochers, ses bons habitants y tiendront toujours une trĂšs bonne place. ESPAGNE ET PORTUGAL DĂ©cembre 1809. – Je venais d’ĂȘtre nommĂ© lieutenant, quand l’ordre arriva de faire partir le bataillon, le 10 dĂ©cembre, pour l’Espagne. Le 31 dĂ©cembre, j’étais Ă  Bordeaux. Le matin du 4 janvier, avant le dĂ©part du bataillon pour Saint-AndrĂ©-de-Cubzac, je fus prendre Ă  la citadelle de Blaye cent conscrits rĂ©fractaires, pour ĂȘtre incorporĂ©s dans le corps aprĂšs notre entrĂ©e en Espagne. De crainte qu’ils dĂ©sertassent encore une fois, ils devaient marcher rĂ©unis, sous la conduite d’une escorte et ĂȘtre enfermĂ©s tous les soirs dans un local fermĂ©. 8 janvier 1810. – Un bataillon du 46Ăšme de ligne, commandĂ© par un chef de bataillon plus qu’original, faisait route avec nous depuis Bordeaux. Les officiers des deux corps mangeaient ensemble aux Ă©tapes. À Tartas, Ă  la fin du dĂźner, l’aubergiste vint annoncer qu’il manquait douze Ă  quinze couverts d’argent. Cette insolente rĂ©clamation souleva les murmures d’indignation de tous les convives. La porte fut sur le champ fermĂ©e, on ordonna Ă  l’hĂŽtelier de fouiller tous les officiers ; il s’y refusa ; le commandant le fit, en sa prĂ©sence. La visite Ă©tait prĂšs d’ĂȘtre terminĂ©e, quand on vint dire que les couverts Ă©taient retrouvĂ©s. Alors le commandant tomba sur cet homme, le battit horriblement, malgrĂ© les cris et les priĂšres de sa femme. Il fallut intervenir, pour empĂȘcher qu’il ne le laissĂąt mort sur la place. Il partit immĂ©diatement aprĂšs pour Mont-de-Marsan, dĂ©poser sa plainte chez le procureur impĂ©rial. Je ne sus pas ce que cela devint, mais il y eut de l’exagĂ©ration dans la vengeance, un emportement dĂ©placĂ©, et surtout un manque de tenue dans la conduite de ce chef. Le 15 janvier, nous Ă©tions Ă  Ernani, petite ville de la province de Guipuscoa Biscaye. Je procĂ©dai Ă  la rĂ©partition dans les compagnies des cent conscrits rĂ©fractaires qui m’avaient Ă©tĂ© remis Ă  Blaye. Il n’en manquait point ; il s’en trouva au contraire un de plus ! Je ne pus m’expliquer cette erreur, qu’on n’avait pas remarquĂ©e pendant la route, parce qu’on ne faisait pas l’appel et qu’on se contentait de les compter comme des moutons, qu’en pensant que cet homme s’était faufilĂ© dans les rangs des autres au moment du dĂ©part, pour recouvrer sa libertĂ© et essayer de la gloire. Quoi qu’il en soit, il fallut en rendre compte, Ă©crire Ă  bien des autoritĂ©s pour expliquer ce mystĂšre, et mettre les parents de ce soldat Ă  l’abri des rigueurs qu’on exerçait contre eux, lorsque leur enfant Ă©tait dĂ©clarĂ© dĂ©serteur. Le 16 Ă  Tolosa, au matin en me levant, je m’aperçus que ma chemise Ă©tait garnie de vermine. C’était un triste dĂ©but, qui me donna une bien mauvaise opinion de la propretĂ© espagnole. Le 20 janvier, l’ordre portait que nous devions tenir garnison Ă  Durango. Je fus dĂ©signĂ© pour commander la place. On logea les officiers et la troupe dans un couvent. Moi, je crus devoir prendre un beau logement en ville, avec sentinelle Ă  ma porte. Dans la nuit je fus rĂ©veillĂ© par un sale paysan couvert de guenilles, que je pris d’abord pour un guĂ©rilla mal intentionnĂ©, mais qui n’était autre qu’un agent du gĂ©nĂ©ral Avril, commandant Ă  Bilbao, qui m’envoyait l’ordre de nous rendre Ă  Vittoria. Je quittai sans regret mon noble logement et mes honorables fonctions, pour redevenir simple lieutenant. 26 janvier. – J’arrivai Ă  Burgos, pour y rester jusqu’au 27 fĂ©vrier. Ces trente-deux jours se passĂšrent fort tranquillement et mĂȘme agrĂ©ablement. Nous avions besoin de repos. Les quarante-huit journĂ©es de marche que nous venions de faire nous avaient rudement fatiguĂ©s. Le gĂ©nĂ©ral de division Solignac, gouverneur de la vieille Castille, donna plusieurs grandes soirĂ©es, fort remarquables par leur Ă©clat, leur affluence et la rage du jeu. Le duc et la duchesse d’AbrantĂšs, arrivĂ©s quelques jours aprĂšs nous, se trouvĂšrent Ă  quelques unes de ces soirĂ©es dansantes. Il y avait en outre beaucoup d’autres gĂ©nĂ©raux et de grands personnages des deux nations. Ces rĂ©unions Ă©taient gaies, vives, opulentes. Les dames espagnoles, qui s’y trouvaient en grand nombre, ne se faisaient gĂ©nĂ©ralement remarquer que par leur gaucherie et le mauvais goĂ»t de leur toilette française. Celles qui avaient eu le bon esprit de conserver le costume national Ă©taient beaucoup mieux. Dans ce pays arriĂ©rĂ©, on ne connaĂźt pas les cheminĂ©es, ni les fourneaux. On chauffe ses appartements avec des braseros, alimentĂ©s avec du charbon de bois, chauffage insuffisant et qui occasionne des maux de tĂȘte, quand il n’asphyxie pas. Pour Ă©chapper au froid et Ă  l’ennui de notre triste intĂ©rieur, nous allions au cafĂ©, tenu par un Français et constamment plein, malgrĂ© la vaste Ă©tendue des nombreuses salles. On y jouait tous les soirs des masses d’or. L’appĂąt du gain, le besoin de rĂ©parer de grandes pertes, entraĂźnĂšrent quelques officiers Ă  commettre des actions honteuses, qui amenĂšrent de frĂ©quents duels et des mesures de rigueur. Quelques un furent chassĂ©s de leur rĂ©giment. 20 mars. – À GradefĂšs, bourg prĂšs des frontiĂšres du royaume des Asturies, sur l’Elza. Le 4Ăšme bataillon fut logĂ© plus loin, en remontant le cours de la riviĂšre. Quelques grenadiers et une cantiniĂšre, Ă©tant restĂ©s derriĂšre, s’arrĂȘtĂšrent dans un village pour y passer la nuit. Le lendemain, on leur donna un guide qui les conduisit dans une embuscade prĂ©parĂ©e ; ils y furent tous Ă©gorgĂ©s, avec un raffinement de cruautĂ©. Le chef de bataillon, instruit de cet affreux guet-apens, marcha sur ce village, le fit cerner, s’empara de tous les hommes valides, et leur annonça qu’il les ferait tous passer par les armes, s’ils ne faisaient pas connaĂźtre les assassins. DĂ©jĂ  quatre Ă©taient tombĂ©s sous les balles des grenadiers, sans avoir rien avouĂ©, enfin le cinquiĂšme les fit connaĂźtre. Ils Ă©taient prĂ©sents ; ils furent fusillĂ©s. Cette dure reprĂ©saille donne une idĂ©e de ce qu’était la guerre d’Espagne. Nous restĂąmes dans ce village, avec un escadron de dragons, jusqu’au 5 avril. 8 avril. – À LĂ©on. Dans la matinĂ©e, j’avais reçu l’ordre de rejoindre mon bataillon. En route, Ă©tant Ă  quelques cent pas du dĂ©tachement et dans une position Ă  ne pas ĂȘtre aperçu de lui par la forme du terrain, je fus accostĂ© par un homme Ă  cheval, armĂ© jusqu’aux dents, en costume espagnol, dans le genre de celui de Figaro, avec un ample manteau par-dessus. À peine l’eus-je vu, qu’il Ă©tait sur moi. Il ouvre rapidement son manteau, cherche dans ses poches comme pour prendre ses pistolets, et me prĂ©sente une attestation pour indiquer qu’il Ă©tait au service de la France, je ne sais Ă  quel titre. Ma contenance fut assez embarrassĂ©e, croyant bien avoir Ă  faire Ă  une guĂ©rilla, avec d’autant plus de raison que je n’avais que mon Ă©pĂ©e pour me dĂ©fendre, pauvre arme contre des pistolets, un tromblon et une lance. Cette surprise inattendue me fit penser qu’il n’était pas prudent de s’éloigner de sa troupe, dans un pays oĂč chaque arbre, buisson ou rocher cachait un ennemi. Le 4Ăšme bataillon Ă©tait parti dans la matinĂ©e pour le blocus d’Astorga. Nous restĂąmes dans LĂ©on jusqu’au 13 avril, avec le 5Ăšme bataillon de notre division. 14 avril. – Au pont d’Orbigo, bourg Ă  deux lieues d’Astorga
 Nous restĂąmes dans ce bourg, pour assurer les communications avec LĂ©on et avec le derriĂšre des troupes employĂ©es au siĂšge d’Astorga, pour escorter les convois de vivres et de munitions de guerre, pour soigner les malades et les blessĂ©s des troupes du siĂšge, et pour fournir des dĂ©tachements armĂ©s aux tranchĂ©es. Le duc d’AbrantĂšs Ă©tant arrivĂ©, le blocus d’Astorga fut converti en siĂšge. L’artillerie nĂ©cessaire pour battre en brĂšche l’avait prĂ©cĂ©dĂ©. Les travaux de sape commencĂšrent immĂ©diatement. Le 20 avril vendredi saint, la batterie fut dĂ©masquĂ©e, et tira pendant trente-six heures, sans discontinuer, sur le mur d’enceinte. Mais pas assez armĂ©e ou peut-ĂȘtre trop Ă©loignĂ©, son effet fut mĂ©diocre ; malgrĂ© cela, l’assaut fut dĂ©clarĂ© praticable. Il eut lieu le 21, Ă  cinq heures du soir. Six compagnies d’élite, dont deux de notre 4Ăšme bataillon, furent chargĂ©es de cette terrible mission. Il fut long, meurtrier et incomplet. À cinq heures du matin, les assiĂ©geants Ă©taient retranchĂ©s sur la brĂšche, sans que nous puissions pĂ©nĂ©trer dans la ville par la difficultĂ© des obstacles que notre troupe rencontrait sur son passage. Toutefois, le commandant, quand le jour fut venu, demanda Ă  capituler. On accĂ©da Ă  ses propositions, et il fut convenu que la garnison sortirait le jour de PĂąques, Ă  midi, avec les honneurs de la guerre, et qu’elle serait prisonniĂšre de guerre. La matinĂ©e de PĂąques fut employĂ©e Ă  perfectionner les travaux, pendant qu’on parlementait, et Ă  donner la sĂ©pulture Ă  toutes les victimes de cette triste nuit. À midi, la garnison sortit avec ses armes, qu’elle dĂ©posa hors des murs ; elle Ă©tait encore forte. Dans le nombre, il se trouvait cinq Ă  six dĂ©serteurs français, qui furent reconnus et fusillĂ©s sur le champ, sans mĂȘme prendre leurs noms. Les pertes des Français furent trĂšs considĂ©rables, beaucoup trop, eu Ă©gard Ă  l’importance de la place. Mais le commandant du 8Ăšme corps d’armĂ©e voulait faire parler de lui ; il voulait conquĂ©rir, sur les murs de cette bicoque, un bĂąton de marĂ©chal d’Empire. Nos deux compagnies eurent plus de cent hommes tuĂ©s ou blessĂ©s, dont trois officiers de voltigeurs, tuĂ©s sur la brĂšche, et deux de grenadiers blessĂ©s. Pendant le siĂšge, je fus escorter un convoi de poudre pour Astorga. Les dix Ă  douze voitures de paysans, traĂźnĂ©es par des bƓufs, Ă©taient de celles dont les essieux en bois tournent avec les roues. En route, le feu prend Ă  un de ces essieux ; pas d’eau pour jeter dessus, la position Ă©tait critique. Je veux faire marcher les voitures qui Ă©taient en avant de celle qui brĂ»lait, et rĂ©trograder celles qui Ă©taient derriĂšre, mais les conducteurs qui ont peur de l’explosion se sauvent, quelques soldats en font autant. Cependant, il m’en reste assez pour faire exĂ©cuter ce que j’avais prescrit. Pendant de temps lĂ , quelques hommes lestes Ă©taient descendus dans le vallon, et m’apportĂšrent de l’eau dans leurs shakos ; cela nous sauva. Le convoi continua sa marche sans autre accident. Nous restĂąmes au pont d’Orbigo jusqu’au 29 avril. Puis vingt jours Ă  Morias, petit village Ă  une demi-lieue d’Astorga, sur la route et Ă  l’entrĂ©e des montagnes de la Galice. C’était un trĂšs pauvre village oĂč nous fĂ»mes plus que mal. Je fus plusieurs fois Ă  Astorga, par dĂ©sƓuvrement et aussi pour dĂźner chez un restaurateur français. Dans toutes les villes occupĂ©es par les Français, il s’établissait, dĂšs le lendemain de leur installation, au moins un restaurateur et cafetier de notre nation. Ils Ă©taient chers, ces empoisonneurs Ă  la suite de l’armĂ©e, mais du moins, ils nous rendaient service avec notre argent. Le 1er juin, Ă  Zamora, oĂč je sĂ©journai sept jours, je trouvai plusieurs officiers de ma connaissance et, entre autres, le gĂ©nĂ©ral Jeannin, qui avait Ă©tĂ© mon chef de bataillon dans la Garde. Ma visite lui fit plaisir, et il m’engagea Ă  aller manger sa soupe. Le gĂ©nĂ©ral Jeannin avait Ă©pousĂ© une des filles du fameux peintre David. Du 7 juillet au 31, je restai Ă  Salamanque. Quelques lieues avant d’y arriver, le bataillon, qui traversait un bois considĂ©rable, fur assailli par un troupeau de bƓufs sauvages, qui nous mit en dĂ©route. Il fallut tirer des coups de fusil, pour les forcer Ă  rentrer dans le taillis. Il y eut trois ou quatre hommes terrassĂ©s et blessĂ©s. Quand ce hourra d’un nouveau genre fut passĂ©, on rit beaucoup de cette charge Ă  fond, aussi imprĂ©vue qu’impĂ©tueuse. Les officiers, une fois le danger connu, avaient ralliĂ© une partie de leurs hommes, fait mettre la baĂŻonnette au bout du fusil et marcher contre eux, en leur tirant quelques coups de feu qui les dispersĂšrent. LogĂ© sur la grande place de Salamanque, si belle par son architecture uniforme, ses portiques couverts, ses galeries et ses balcons continus Ă  tous les Ă©tages, je fus tĂ©moin, de la croisĂ©e de mon logement, de plusieurs courses de taureaux qui m’intĂ©ressĂšrent vivement. Je montai deux fois la garde chez le prince d’Essling MassĂ©na, commandant en chef de l’armĂ©e du Portugal. Ces deux gardes me mirent en relation d’amitiĂ© avec le fils aĂźnĂ© du prince et le fils unique du marĂ©chal de Dantzick Lefebvre, et avec plusieurs autres officiers de son Ă©tat-major gĂ©nĂ©ral. Le 3 avril 1810, nous partĂźmes pour Ciudad-Rodrigo. Le terrain qui sĂ©pare Salamanque de Ciudad-Rodrigo est un pays dĂ©sert, stĂ©rile, sans culture et cependant couvert de chĂȘnes verts et d’une autre espĂšce qui produit des glands doux. Ces arbres sont beaux, vigoureux, Ă©pais, ce qui prouve que ce n’est pas la faute du sol, mais bien le manque de bras, s’il est pour ainsi dire inhabitĂ©. Le soir de mon arrivĂ©e Ă  Rodrigo, mon sous-lieutenant et moi, nous ne trouvĂąmes que deux chambres une occupĂ©e par un gendarme et l’autre par un valet du prince d’Essling. Nous dĂźmes Ă  la maĂźtresse de la maison que nous prenions une des deux chambres, et que l’autre resterait aux deux individus que je viens de dĂ©signer. BrisĂ© de fatigue par la marche, la chaleur et la maladie, je me couchai aussitĂŽt, sans manger, tant le besoin de repos se faisait sentir. Quelques instants aprĂšs, deux grands coquins de laquais vinrent me chercher querelle, parce que j’avais pris le lit de l’un d’eux. AprĂšs leur avoir expliquĂ© les arrangements qui avaient Ă©tĂ© pris, dans l’intĂ©rĂȘt des quatre ayants droit au logement, je les priai de se retirer, mais j’avais Ă  faire Ă  des insolents galonnĂ©s, et de bonnes raisons n’étaient pas capables d’arriver Ă  leur intelligence Ă©goĂŻste. Ils m’insultĂšrent, me menacĂšrent du prince et du grand prĂ©vĂŽt de l’armĂ©e, et de leurs poignets, si on ne leur rendait pas justice. Ils sortirent, et je me rendormis, mais une ou deux heures aprĂšs, je fus mandĂ© chez le grand prĂ©vĂŽt. Un marĂ©chal des logis de gendarmerie m’apportait cet ordre. ArrivĂ© prĂšs du colonel de gendarmerie Pavette, je lui expliquai ce qui s’était passĂ©. Comment, colonel, lui dis-je Ă  la fin de ma narration, un officier de l’armĂ©e qui expose tous les jours sa vie pour la dĂ©fense de la patrie, qui use sa santĂ© sur les routes Ă  la poursuite de l’ennemi, qui passe souvent les jours sans pain et les nuits sans sommeil, sera mandĂ© Ă  la requĂȘte d’un valet devant un prĂ©vĂŽt, comme un criminel. Est-ce ainsi qu’on respecte l’épaulette, l’honneur de l’armĂ©e, les soldats dont le sang est demandĂ© tous les jours ? » AprĂšs une conversation assez longue, oĂč le colonel mit autant de politesse que de mesure, je sortis et fus reprendre ma place dans ce misĂ©rable lit qu’on m’avait disputĂ©. Le lendemain, en causant de cette affaire avec les aides de camp du prince, j’appris que sur le rapport du grand prĂ©vĂŽt, l’audacieux valet et son digne acolyte, le piqueur, avaient Ă©tĂ© mis en prison. Peu auparavant, une pareille scĂšne, pour le mĂȘme motif, Ă©tait arrivĂ©e Ă  un capitaine d’un rĂ©giment de notre division, mais plus violent et armĂ© dans ce moment lĂ  de son sabre, il avait fait une blessure grave Ă  un domestique du duc d’AbrantĂšs. Celui-ci, aprĂšs avoir puni des arrĂȘts forcĂ©s l’officier, voulait le faire destituer. Les officiers du corps, instruits de cette inconvenante rigueur, lui firent dire que si cela arrivait, ils donneraient tous leur dĂ©mission motivĂ©e. Le duc eut peur, l’affaire en resta lĂ . Pendant le siĂšge d’Almeida, je fus deux fois en dĂ©tachement vers cette ville, depuis Rodrigo, pour escorter des convois. J’y Ă©tais, le soir oĂč le feu de nos piĂšces commença et occasionna l’épouvantable explosion du magasin Ă  poudre. On ne peut se faire une juste idĂ©e de l’intensitĂ© de la dĂ©tonation, de l’ébranlement gĂ©nĂ©ral de l’air, de l’énorme colonne de feu, de fumĂ©e, de pierres qui s’élevĂšrent dans les airs. Des pierres et des cadavres furent jetĂ©s jusque dans nos lignes. Cet Ă©vĂ©nement eut lieu le 26 aoĂ»t, la ville fut occupĂ©e le 27. Le 15 septembre BarrĂšs passe la frontiĂšre du Portugal, oĂč notre armĂ©e, forte de 50 000 hommes, Ă©tait commandĂ©e par MassĂ©na. 16 septembre. – Dans la matinĂ©e, ayant laissĂ© Almeida Ă  notre droite, nous passĂąmes le torrent de la Coa, dont l’abord est horrible, les pentes presque Ă  pic, et la profondeur Ă©norme. Tous les jours qui suivirent, il me fut le plus souvent impossible de me faire dire le nom de la ville ou du village que nous traversions, car nous ne rencontrions pas un seul habitant. Toute la population avait fui, en dĂ©truisant tout ce qui aurait pu nous ĂȘtre utile. Les Anglais avaient composĂ© cette Ă©migration gĂ©nĂ©rale, sur notre passage, pour crĂ©er des plus grands obstacles Ă  notre marche et nous rendre plus odieux aux Portugais. 25 septembre. – Dans cette journĂ©e, nous fĂ»mes attaquĂ©s assez vivement par un parti ennemi ; mais, vivement repoussĂ©, il se retira, aprĂšs nous avoir tuĂ© et blessĂ© plusieurs hommes. Le lendemain, nous eĂ»mes une alerte qui nous donna autant d’ouvrage que d’inquiĂ©tude. Le matĂ©riel que nous escortions Ă©tait parquĂ© sur une lande, calcinĂ©e par les grandes chaleurs que nous Ă©prouvions, depuis notre entrĂ©e dans ce royaume dĂ©sert. Le feu se mit Ă  cette bruyĂšre, et fit de si grands progrĂšs, malgrĂ© tous les moyens employĂ©s pour l’arrĂȘter, qu’on fut obligĂ© de faire venir les chevaux et d’atteler Ă  la hĂąte pour les parquer sur un autre terrain. Le danger Ă©tait grave ; la perte eut Ă©tĂ© immense pour l’armĂ©e, car toutes ses ressources pour la continuation de la guerre Ă©taient dans ce parc de rĂ©serve. 27 septembre. – Au bivouac, assez prĂšs du lieu oĂč se donna, le mĂȘme jour, la bataille de Bussaco et d’Alcoba, oĂč nous fĂ»mes sinon battus, du moins repoussĂ©s de tous les points dont on cherchait Ă  s’emparer. Cette funeste journĂ©e, qui coĂ»ta Ă  l’armĂ©e plus de 4 000 hommes tuĂ©s ou blessĂ©s, la dĂ©couragea beaucoup. Cependant le marĂ©chal MassĂ©na ne renonça pas au projet de marcher sur Lisbonne. Ayant reconnu un peu trop tard, et quand le mal Ă©tait fait, que la position de l’Alcoba Ă©tait inexpugnable de front, il rĂ©solut de tourner par la droite, en s’emparant des dĂ©filĂ©s de Serdao, que Wellington avait nĂ©gligĂ© d’occuper. Cette faute obligea le gĂ©nĂ©ral anglais de battre en retraite, de repasser le Mondego, d’évacuer Coimbre et de nous abandonner tout le pays entre les montagnes et la mer. Ainsi, malgrĂ© notre grave Ă©chec, nous continuĂąmes Ă  poursuivre une armĂ©e victorieuse, abondamment fournie de tout, ayant la sympathie des populations pour elle, tandis que nous, nous ne vivions que de maraudes, qu’il fallait aller chercher loin, ce qui augmentait les fatigues et les dangers des soldats. 2 octobre. – Dans la matinĂ©e, nous finissons de sortir du long dĂ©filĂ© de Serdao, oĂč nous Ă©tions depuis cinq jours, et enfin des montagnes que nous traversions depuis notre dĂ©part de Rodrigo. Nous dĂ©couvrons au loin la mer et, Ă  nos pieds, un beau pays. Nous voici dans une plaine riche, fertile, couverte de nombreux villages, dĂ©serts Ă  la vĂ©ritĂ©, comme tous ceux que nous avions trouvĂ©s, mais plus abondamment pourvus de vivres. Le 4 octobre dans la matinĂ©e, nous restĂąmes quelques heures Ă  Coimbre, belle et grande ville, sur le Mondego qui la divise en deux parties. La cathĂ©drale et les fontaines sont magnifiques, les environs couverts de vignes, d’orangers, d’oliviers. Les Anglais en l’abandonnant avaient forcĂ© les habitants Ă  quitter la ville. L’armĂ©e y fit de prĂ©cieuses provisions en riz, morue, cafĂ©, sucre, thĂ©, chocolat dont les magasins Ă©taient abondamment fournis. On laissa tous les blessĂ©s et les malades dans un couvent situĂ© sur une hauteur de la rive gauche du Mondego, avec une garde armĂ©e pour les faire respecter, mais, vingt-quatre heures aprĂšs, la garde Ă©tait prisonniĂšre et les malades dangereusement exposĂ©s Ă  ĂȘtre massacrĂ©s. Le 8 octobre, en avant de Leiria, par une pluie torrentielle, la compagnie ne trouva d’autre gĂźte disponible que l’église, dont elle prit possession avec joie. La place et le bois ne manquant pas, nous eĂ»mes bientĂŽt Ă©tabli un bivouac assez bon pour ne pas regretter les maisons qui regorgeaient de militaires. On y trouva d’excellent vin, et comme le sucre et la cannelle abondaient dans les sacs et bagages, on fit beaucoup de vin chaud, qui restaura tous ces corps accablĂ©s de fatigue et mouillĂ©s jusqu’à la moelle des os. 12 octobre. – Depuis trois jours, nous marchions dans les forĂȘts d’oliviers sans discontinuitĂ© et qui semblaient n’avoir pas de limites, quand nous atteignĂźmes la petite ville d’Alemquer, quartier gĂ©nĂ©ral du marĂ©chal prince d’Essling. Nous Ă©tions enfin arrivĂ©s dans la vallĂ©e du Tage, aprĂšs laquelle nous soupirions depuis longtemps, pensant que nous trouverions sur ses bords le bien-ĂȘtre, un peu de repos, ou du moins de meilleurs chemins et plus d’abri. Je vis, pour la premiĂšre fois de ma vie, autour de cette jolie petite ville, beaucoup de palmiers, qui me parurent d’une beautĂ© et d’une venue remarquables. Avant notre arrivĂ©e au gĂźte, le gĂ©nĂ©ral de cavalerie Sainte-Croix, officier d’un trĂšs grand mĂ©rite, tout jeune, fut coupĂ© en deux, au milieu de nos rangs, par un boulet de canon parti d’une canonniĂšre anglaise stationnĂ©e sur le Tage. Le lit de ce magnifique fleuve Ă©tait couvert de bĂątiments armĂ©s, destinĂ©s Ă  nous en dĂ©fendre l’approche. Le lendemain, par une dĂ©licieuse matinĂ©e, j’allai me promener avec plusieurs officiers sur les coteaux environnants, couverts de vignes, qui n’étaient pas encore vendangĂ©es, et de figuiers qui ployaient sous le poids des fruits. 14 octobre. – À Villafranca, petite ville sur les bords du Tage. Nous restons dans les maisons de campagne qui l’entourent jusqu’au 28 octobre inclus. Les majestueuses et riantes rives du Tage, les magnifiques maisons de campagne qui bordent ses bords enchanteurs, les jardins dĂ©licieux qui couvrent la plaine situĂ©e entre la colline Ă©levĂ©e et le fleuve, pleins d’orangers plantĂ©s rĂ©guliĂšrement, de citronniers, de lauriers roses et d’autres arbres aussi intĂ©ressants ; les coteaux tapissĂ©s de vignes, de figuiers, d’oliviers, un ciel d’une beautĂ© ravissante, une route magnifique, rendaient la position de Villafranca une des plus belles qu’il m’eĂ»t Ă©tĂ© donnĂ© d’admirer jusqu’alors. Ce beau pays me parut un sĂ©jour de dĂ©lices, un nouveau paradis terrestre, malgrĂ© les effroyables dĂ©tonations de la flottille anglaise, et les sifflements lugubres des Ă©normes boulets qu’ils nous envoyaient. En arrivant Ă  Villafranca, nous pensions en partir le lendemain pour nous rendre Ă  Lisbonne, mais des obstacles invincibles que nous, machines mouvantes et obĂ©issantes, nous ne connaissions pas, nous arrĂȘtĂšrent. La compagnie fut envoyĂ©e aux avant-postes, sur un petit ruisseau qui sĂ©parait les deux armĂ©es dans cette direction. Nous restĂąmes huit jours dans cette position, oĂč nous pĂ»mes, malgrĂ© le voisinage de l’ennemi, que le cours du ruisseau seul sĂ©parait de nous, prendre quelque repos et assurer nos subsistances. Nous occupions cinq ou six belles maisons de campagne, richement meublĂ©es, luxueuses, dans lesquelles nous trouvĂąmes quelques provisions et un peu de blĂ© cachĂ©. Dans une de ces maisons, il y avait un moulin Ă  farine, qui marchait par le moyen d’un ou plusieurs chevaux. Les voltigeurs servirent de bĂȘte de somme, et nuit et jour, ils le faisaient tourner. La farine Ă©tait grossiĂšre, brute, mais avec elle on faisait du pain sans levain, des galettes, de la bouillie. Enfin, nous vivions tant bien que mal, et nous nous trouvions tout trĂšs heureux, officiers et soldats, d’avoir cette ressource, qui devait avoir une courte durĂ©e. Notre gĂ©nĂ©ral en chef, le comte RĂ©gnier, envoyait, tous les jours une ou deux fois, son aide de camp, le capitaine Brossard, qui parlait anglais, aux avant-postes, pour porter des lettres, recevoir les rĂ©ponses et les journaux anglais. Il me prenait, en passant, avec un clairon, et nous allions, tous trois, Ă  une barricade Ă©levĂ©e de la route. En arrivant, je faisais sonner la trompette, un officier anglais remettait les journaux et les plis, le capitaine en faisait autant de son cĂŽtĂ©. On causait, on buvait du rhum, on mangeait de l’excellent biscuit de mer, que l’Anglais apportait, et on se retirait bons amis. Il avait Ă©tĂ© convenu qu’on n’attaquerait point sans se prĂ©venir d’avance et que les sentinelles ne feraient pas feu l’une sur l’autre ; ainsi il y avait sĂ»retĂ© provisoire et suspension d’armes tacite. Une nuit que j’étais de garde, on tira un coup de fusil sur la ligne des postes que je commandais. Je fis aussitĂŽt prendre les armes Ă  tous mes hommes et envoyai des patrouilles en reconnaissance. AprĂšs un temps assez long, mes hommes rentrĂšrent en riant et conduisant un prisonnier. C’était un de nos Ăąnes qui, en pĂąturant trĂšs pacifiquement, avait dĂ©passĂ© les deux lignes, violĂ© le territoire ennemi et s’était montrĂ© Ă  une sentinelle anglaise qui l’avait repoussĂ© de notre cĂŽtĂ©. Ma sentinelle cria Qui vive » Ă  son apparition et, n’ayant pas eu de rĂ©ponse, tira dessus, le manqua et occasionna une prise d’armes sur toute la ligne qui dut se prolonger bien loin, car on entendait bien longtemps aprĂšs cette alerte bouffonne Sentinelles, prenez garde Ă  vous. Ces utiles et patient animaux, disons-le Ă  cette occasion, ont rendu d’immenses services Ă  l’armĂ©e du Portugal, que la misĂšre a rendu bien ingrate envers ses sauveurs. Tous les rĂ©giments avaient au moins de cent vingt Ă  cent cinquante Ăąnes Ă  la suite, pour transporter les malades et les blessĂ©s, les sacs des convalescents, les provisions de vivres, quand on Ă©tait assez heureux d’en trouver pour plus d’un jour. Cette masse de quadrupĂšdes enlevait bien des hommes Ă  leur rang, alourdissait bien la marche des colonnes ; mais elle sauva bien des malheureux. Peu de jours aprĂšs notre arrivĂ©e devant les lignes anglaises, la misĂšre devint si poignante, si gĂ©nĂ©rale, que tous ces ĂȘtres inoffensifs furent tuĂ©s et mangĂ©s avec une espĂšce de sensualitĂ©. Ceux qui voulurent ou purent en conserver les tinrent bien cachĂ©s, et les surveillĂšrent, comme des chevaux de prix, car on les volait et on les tuait sans scrupule. J’ai dĂ©jĂ  dit que les Anglais couvraient le fleuve de leur flottille, et remontaient bien plus haut que la limite convenue entre les deux armĂ©es. Un homme ne pouvait pas se montrer sur la digue du Tage, ou passer sur la route, sans recevoir aussitĂŽt un coup de canon. Cette tracasserie meurtriĂšre gĂȘnait beaucoup nos mouvements. Une nuit que j’étais de garde aux avant-postes, je m’étais retirĂ© dans la cour d’une maison avec deux ou trois hommes, pour me chauffer, car la nuit Ă©tait froide et il y avait dĂ©fense de faire du feu en rase campagne. La porte extĂ©rieure de la cour Ă©tait ouverte son ouverture faisait face au fleuve, et le feu face Ă  cette porte cochĂšre. Le feu Ă©tait ardent et Ă©clairait bien ; assis sur une chaise et causant avec ces hommes, qui Ă©taient debout Ă  mes cĂŽtĂ©s, un boulet arrive et en coupe un en deux qui fut jetĂ© sur le foyer bien enflammĂ©. Le malheureux ne prononça pas un mot, sa mort avait Ă©tĂ© instantanĂ©e. Je fis Ă©teindre le feu, et passai le reste de la nuit avec mes hommes qui, tout en regrettant leur camarade, regrettaient aussi ce petit soulagement Ă  leur dure existence. À notre bivouac, au pied de la colline qui dominait Villafranca, il y avait des maisons isolĂ©es dans les vignes que nous habitions dans la journĂ©e pour nous mettre Ă  l’abri du soleil et prendre nos repas, quand il y avait quelque chose Ă  manger. Dans la nĂŽtre, nous trouvĂąmes une cachette remplie de livres français, presque tous de nos meilleurs auteurs, bien Ă©ditĂ©s et supĂ©rieurement reliĂ©s, c’étaient les deux encyclopĂ©dies, c’était Voltaire, Rousseau, Montesquieu, etc. Rien de semblable ne s’était offert Ă  mes yeux en Espagne. 29 octobre. – À Ponte de Mugen, sur la route de Santarem. Dans la matinĂ©e, notre bataillon reçoit l’ordre de prendre les armes et de se disposer Ă  partir pour remplir une mission particuliĂšre. Ce dĂ©part prĂ©cipitĂ©, pour une destination inconnue, excita vainement la sagacitĂ© des officiers qui devinaient tout. Les soldats se rĂ©jouirent de ce changement de position. TalonnĂ©s par la misĂšre, fatiguĂ©s de service, dĂ©vorĂ©s par de petites puces presque invisibles, ils ne pouvaient pas ĂȘtre plus mal ailleurs. Quelques heures aprĂšs notre dĂ©part du gĂźte, nous traversons Santarem, sur une hauteur baignĂ©e par le Tage. Nous nous arrĂȘtĂąmes, Ă  la nuit, dans une immense maison de campagne, remarquable par ses vastes magasins remplis de denrĂ©es coloniales, de caisses d’oranges, de grains, et ses caves par leurs vins. C’était l’abondance, aprĂšs les privations. Nous bivouaquĂąmes autour, et des sentinelles furent placĂ©es aux portes pour empĂȘcher le gaspillage. 31 octobre. – À Tancos, jolie petite ville sur le Tage. On nous tira, de l’autre rive, force coups de fusil auxquels nous ne faisions pas attention. Dans la journĂ©e, nous traversĂąmes une autre petite ville appelĂ©e Barquigny, oĂč il y avait, comme Ă  Tancos, des magasins de riz, cafĂ©, sucre, chocolat, morue, rhum, etc. On en chargea les Ăąnes qui nous restaient, et quelques autres qu’on avait dĂ©jĂ  recrutĂ©s depuis le dĂ©part, en battant la campagne Ă  gauche de la route. J’avais Ă  moi, depuis notre entrĂ©e en Portugal, un trĂšs fort mulet, que j’avais payĂ© assez cher et qui me rendit de trĂšs grands services. Je le chargeai autant que je le pus, pensant que nous allions faire le siĂšge d’AbrantĂšs sur lequel nous marchions. Le pays que nous avions traversĂ© jusqu’alors Ă©tait magnifique, riche, fertile ; les vignes n’étaient pas vendangĂ©es, ni les figues cueillies ; mais ce n’était plus une ressource les fruits Ă©taient en grande partie pourris. Quelles belles rĂ©coltes perdues, surtout les olives, qui Ă©taient dĂ©vorĂ©es par des millions de vanneaux ! Je n’avais jamais vu autant d’oiseaux c’était comme des nuages, lorsqu’ils passaient devant le soleil. Les villes et les villages Ă©taient sans habitants ni animaux. 1er novembre. – À PunhĂšte. Pour passer le Zezer, qui Ă©tait rapide et assez profond, il n’y avait ni pont, ni barques. On planta des jalons dans la largeur, et on assujettit des cordes bien tendues, pour que les hommes s’appuyassent dessus, de maniĂšre Ă  ne pas ĂȘtre entraĂźnĂ©s par le courant. De bons nageurs Ă©taient placĂ©s au-dessous, pour saisir au passage ceux que l’eau aurait entraĂźnĂ©s. Ce fut une opĂ©ration longue, difficile et mĂȘme dangereuse pour la majeure partie des soldats qui, ayant de l’eau au-dessus de la ceinture, Ă©taient soulevĂ©s et entraĂźnĂ©s, s’ils ne se tenaient pas fortement Ă  la corde. Beaucoup furent repĂȘchĂ©s par les nageurs. Il y eut quelques fusils perdus, mais point d’hommes noyĂ©s. Je le passai sur mon mulet, aprĂšs qu’il eut dĂ©posĂ© sur l’autre rivage son chargement. Le soir, le gĂ©nĂ©ral Foy, qui nous commandait, et que nous n’avions guĂšre vu jusqu’alors, Ă©tant toujours en avant avec la cavalerie, vint visiter nos bivouacs. À son approche, en l’absence du capitaine, je fus Ă  lui pour le recevoir et prendre ses ordres. AprĂšs avoir causĂ© assez longtemps avec lui sur divers sujets de service, il aperçut, en s’approchant davantage d’un de nous bivouacs, une espĂšce d’homme Ă  genoux prĂšs du feu, ayant les mains jointes et une chemise sur le corps Mon Dieu, me dit-il, qu’a donc cet homme, qu’a-t-il fait ? – Rassurez-vous sur son compte, mon gĂ©nĂ©ral ; cet homme est un dieu de bois en priĂšre, c’est un christ, qu’un voltigeur a pris Ă  l’église pour faire sĂ©cher sa chemise. » Il rit beaucoup, tout en la blĂąmant, de cette plaisanterie, peu rĂ©vĂ©rencieuse, que les dĂ©sordres de la guerre excusaient. La douceur du caractĂšre du gĂ©nĂ©ral Foy, son affabilitĂ© et son accueil bienveillant me charmĂšrent. C’était la premiĂšre fois que je lui parlais. Depuis Tancos, nous suivions le Tage sur ses bords, Ă  cause des montagnes, oĂč son lit Ă©tait trĂšs resserrĂ© et son cours trĂšs rapide. Ses rives Ă©taient plus pittoresques, mais les belles plaines qui le bordaient avaient disparu. 2 novembre. – Comme nous Ă©tions au bivouac, la diane fut battue plus matin encore que de coutume. Le bataillon prit les armes, et quand il fut formĂ©, le gĂ©nĂ©ral Foy rĂ©unit autour de lui les officiers, pour leur annoncer que nous allions en Espagne pour l’escorter, et, lui, en mission auprĂšs de l’Empereur. L’entreprise Ă©tait pĂ©rilleuse ; il ne s’agissait rien moins que de traverser un royaume en insurrection, mais avec de l’audace, de la bravoure et une parfaite soumission Ă  ses ordres, il se faisait fort de nous conduire en Espagne, sans combats, mais non pas sans fatigues. Il nous prĂ©vint qu’on partirait toujours avant le jour et qu’on ne s’arrĂȘterait qu’à la nuit, afin de dĂ©rober nos traces aux nombreux partis qui sillonnaient le royaume. Il nous recommanda de marcher serrĂ©s, et de ne pas nous Ă©carter de la colonne, sous peine d’ĂȘtre tuĂ©s par les paysans
 Voici l’ordre de marche qu’on devait suivre habituellement une compagnie de dragons Ă  la premiĂšre avant-garde ; une section de grenadiers en avant du bataillon ; les chevaux, les mulets, les Ăąnes, les malades et les blessĂ©s, derriĂšre le bataillon ; les voltigeurs Ă  l’arriĂšre-garde ramassant les traĂźnards, faisant serrer les hommes et les bagages ; une compagnie de dragons, plus en arriĂšre encore, pour surveiller les derriĂšres de la colonne ; enfin, sur les flancs, cinquante lanciers hanovriens, pour Ă©clairer, courir et battre la campagne au loin, afin d’annoncer l’approche de l’ennemi. Le dĂ©tachement Ă©tait fort de trois cent cinquante fantassins et deux cents chevaux. Le gĂ©nĂ©ral me recommanda d’étudier le pays que nous traversions, de prendre des notes et de les lui remettre tous les soirs, quand on serait arrĂȘtĂ©. Cette circonstance fit que je le voyais, tous les jours, deux ou trois fois, et me mit en rapport avec lui d’une maniĂšre presque intime. Entreprendre une expĂ©dition aussi hasardeuse, avec aussi peu de monde, Ă©tait bien hardi ; mais le gĂ©nĂ©ral Ă©tait actif, entreprenant, et il avait prĂšs de lui un Portugais qui connaissait le pays, plus un aide de camp qui parlait la langue pour interroger les habitants qu’on rencontrerait ou les prisonniers qu’on ferait. Pour faciliter cette course presque Ă  travers champs, et dĂ©gager le pays des bandes qui pouvaient s’y trouver, on envoya des troupes vers la place forte d’AbrantĂšs, avec l’idĂ©e de faire croire Ă  un prochain siĂšge. Cette crainte devait faire courir dans cette direction, Ă  la dĂ©fense d’AbrantĂšs, toutes les colonnes mobiles c’est ce qui arriva pour notre droite ; d’autres dĂ©monstrations faites Ă  notre gauche eurent le mĂȘme rĂ©sultat, en sorte que nous trouvĂąmes le pays Ă  parcourir presque libre. Du reste je ne doute pas que si nous avions Ă©tĂ© serrĂ©s de plus prĂšs, le gĂ©nĂ©ral aurait abandonnĂ© l’infanterie, qui s’en fĂ»t tirĂ©e comme elle aurait pu, et qu’il serait parti avec la cavalerie pour remplir sa mission, qui lui paraissait plus importante que la conservation de quelques centaines d’hommes. Quelques mots qu’il me dit dans une conversation particuliĂšre me le firent penser. Le 3 novembre, nous traversĂąmes un village oĂč il y avait une manutention de pain et des magasins de vivres et de vin pour les corps de partisans. À notre approche, les magistrats de la localitĂ© mirent le feu aux magasins et dĂ©foncĂšrent les tonneaux. Cependant on put prendre du pain, qui n’était pas encore la proie des flammes, et les soldats se mirent Ă  plat ventre et se dĂ©saltĂ©rĂšrent du vin qui coulait dans la rue, comme ils auraient fait de l’eau aprĂšs un orage. Le 4, peu de moments avant d’arriver au lieu oĂč nous devions passer la nuit, et quand il faisait dĂ©jĂ  noir, un coup de fusil fut tirĂ© sur la compagnie, par un homme embusquĂ© derriĂšre une haie, au-delĂ  d’un ruisseau Ă  notre gauche. La balle coupa la taille de mon habit, qui Ă©tait ouvert, et atteignit au bras gauche le sergent de remplacement qui Ă©tait Ă  ma droite. Les Ă©claireurs de la cavalerie Ă©tant rentrĂ©s sans avoir rien aperçu, nous continuĂąmes notre route. Le 5, au dĂ©part, le gĂ©nĂ©ral nous prĂ©vint que, dans quelques heures, nous traverserions une plaine, oĂč nous pourrions rencontrer la cavalerie de Silvera, gĂ©nĂ©ral portugais ; qu’il Ă©tait dĂšs lors prudent de marcher serrĂ©s, pour pouvoir se former de suite en carrĂ© et rĂ©sister Ă  son choc. En effet, Ă  la sortie d’un village, nous aperçûmes une grande plaine, prĂ©cĂ©dĂ©e d’un ruisseau qu’on dut passer sur une seule planche, homme par homme. Le commandant, assez pauvre militaire, continua de marcher sans reformer son bataillon, en sorte que les hommes avançaient dans cette plaine isolĂ©ment et en quelque sorte Ă©parpillĂ©s. Quand le gĂ©nĂ©ral s’en aperçut, il revint sur ses pas au galop ; bourra le chef de bataillon et les officiers de la maniĂšre la plus violente. Il Ă©tait si colĂšre qu’il ne pouvait plus parler. Je passai le ruisseau dans ce moment lĂ . J’arrĂȘtai les premiers hommes au-delĂ , et au fur et Ă  mesure qu’ils arrivaient, je faisais mettre la baĂŻonnette au fusil et former sur trois rangs. Le passage terminĂ©, je me portai en avant dans cet ordre, et parfaitement serrĂ©s. Quand le gĂ©nĂ©ral me vit arriver, il s’écria Enfin, voilĂ  une compagnie qui connaĂźt ses devoirs, qui comprend sa situation. TrĂšs bien, voltigeurs, trĂšs bien lieutenant BarrĂšs. » Le 7, dans la matinĂ©e, nous entrĂąmes dans un village d’Espagne, Ă  notre grande satisfaction, car nous Ă©tions horriblement fatiguĂ©s par ces six jours de marche forcĂ©e et maintenant il nous semblait que nous Ă©tions chez nous, malgrĂ© que le pays ne fĂ»t pas plus hospitalier. Le soir, nous n’étions plus qu’à trois lieues d’Almeida et cinq de Rodrigo. Malheureusement pour moi, dans la mĂȘme nuit, j’acquis la certitude que j’étais empoignĂ© par une violente fiĂšvre. Le 8 novembre, le matin, le gĂ©nĂ©ral nous rĂ©unit pour nous faire ses adieux. AprĂšs quelques mots obligeants, dits assez froidement, il me prit Ă  l’écart pour me demander les derniĂšres notes que j’avais pu prendre, et ajouta tout bas Je vous recommanderai au ministre. » Il partit ensuite avec la cavalerie. En arrivant Ă  Rodrigo, nous ne l’y trouvĂąmes plus ; il avait hĂąte d’arriver Ă  Paris pour exposer Ă  l’Empereur l’état oĂč il avait laissĂ© l’armĂ©e du Portugal et la nĂ©cessitĂ© qu’il y avait de lui envoyer un renfort. Ainsi se termina une expĂ©dition pleine de dangers, sans avoir rencontrĂ© une seule fois l’ennemi, ni mĂȘme reçu quelques coups de fusil, sinon celui dont j’ai parlĂ© et qui aurait pu m’ĂȘtre fatal. Nous eĂ»mes fort peu de malades, malgrĂ© les fatigues et l’assez mauvaise nourriture que nous prenions. Notre marche Ă©tait si irrĂ©guliĂšre qu’il aurait Ă©tĂ© trĂšs difficile Ă  l’ennemi de nous poursuivre, car, semblables au liĂšvre chassĂ©, nous changions plusieurs fois de direction dans la journĂ©e, pour rompre la piste de ceux qui nous auraient su en route. On dit, mais je ne l’ai pas vu, que les guides que l’on prenait Ă©taient ensuite tuĂ©s par les Hanovriens, lorsqu’ils arrivaient Ă  la gauche de la colonne. 9 novembre. – Ce jour lĂ  et le suivant, je ne sortis point de mon logement, j’étais trop accablĂ© par la fiĂšvre pour m’occuper de service. La maladie Ă©tant bien caractĂ©risĂ©e, et la guĂ©rison devant ĂȘtre longue, je me dĂ©terminai Ă  entrer Ă  l’hĂŽpital de Rodrigo, malgrĂ© la rĂ©pugnance que j’en avais. Je vendis alors mon mulet. EntrĂ© Ă  l’hĂŽpital le 11, j’y restai quarante jours, sans Ă©prouver un changement favorable Ă  ma santĂ©. Pensant peut-ĂȘtre que les mĂ©dicaments n’y Ă©taient pas bons, ou que l’air qu’on y respirait Ă©tait insalubre, j’en sortis aussi malade, le 21 dĂ©cembre, pour me faire traiter en ville Ă  mes frais. Le bataillon Ă©tait parti depuis longtemps pour Almeida. Je me trouvai donc seul, Ă  Rodrigo, avec un voltigeur qui sortait aussi de l’hĂŽpital. Un des premiers jours de ma sortie, retenu au lit par la souffrance, je lui dis Tu m’as menacĂ© un jour de me tuer, Ă  la premiĂšre occasion qui se prĂ©senterait ; tu m’en as menacĂ© au Portugal, parce que j’exigeais que tu portes le fusil d’un camarade malade, eh bien ! tu peux le faire aujourd’hui sans crainte, car je ne me sens pas la force de me dĂ©fendre. – Ah ! me rĂ©pondit-il en rougissant, ce sont des choses que l’on dit, quand on est en colĂšre, mais qu’on ne fait pas, Ă  moins d’ĂȘtre un scĂ©lĂ©rat. » J’avais entendu dire que le quinquina de premiĂšre qualitĂ©, infusĂ© dans du bon vin, Ă©tait un excellent fĂ©brifuge ; je me procurai l’un et l’autre, le jour mĂȘme de ma sortie, et j’en fis immĂ©diatement usage. Quelques jours aprĂšs, je n’eus plus de fiĂšvre, mais une trĂšs grande faiblesse que je ne pouvais pas rĂ©parer par une nourriture abondante et substantielle, crainte d’une rechute. Il n’y avait que le temps et beaucoup de mĂ©nagement qui pouvaient me rendre mes forces. 1er janvier. – Le premier jour de l’an 1811, comme je revenais de passer la soirĂ©e chez un capitaine de mes amis, blessĂ©, mon soldat me dit Il y a un officier couchĂ© dans votre lit. » Je le blĂąmai de l’avoir permis. Il s’excusa, en disant que ce capitaine Ă©tait trop fatiguĂ© pour aller faire changer son billet de logement, qu’il partait le lendemain au jour, que c’était un jeune officier, propre dans son extĂ©rieur, enfin qu’il l’avait priĂ© si poliment de lui permettre de coucher Ă  mes cĂŽtĂ©s qu’il ne s’était pas senti le courage ni la volontĂ© de l’en empĂȘcher. AprĂšs y avoir rĂ©flĂ©chi, sachant qu’il n’y avait que ce seul lit et cette seule chambre dans la maison, je pensai Ă  moi en pareille circonstance. Je me mis au lit Ă  cĂŽtĂ© de cet inconnu. Au jour, il se leva bien doucement pour ne pas me rĂ©veiller, mais ayant ouvert les yeux, je reconnus un officier du 16Ăšme lĂ©ger avec qui j’avais servi, un bon camarade qui m’avait donnĂ© de grandes preuves de regrets, lorsque nous nous dĂźmes adieu Ă  Belfort en 1808. Joie vive de part et d’autre, satisfaction de nous revoir, grĂące Ă  un hasard qui pourrait passer pour une rencontre de comĂ©die. Le 3 janvier, je me croyais assez bien rĂ©tabli pour pouvoir aller rejoindre ma compagnie ; mais la pluie et le froid de la journĂ©e me firent craindre le soir, Ă  GaliĂ©gos, d’avoir encore commis une imprudence. Le 4, quand je fus voir le capitaine Ă  mon arrivĂ©e, Ă  Almeida, il me dit Vous avez eu tort de venir, vous n’ĂȘtes pas encore rĂ©tabli. » Je l’assurai que je l’étais, mais mon physique et mes forces me dĂ©mentaient. Le lendemain, j’avais le dĂ©lire ; on me porta dans un grenier qui servait d’hĂŽpital. J’y restai trente-six jours entre la vie et la mort, sans connaissance, mais ayant conservĂ© le sens de l’ouĂŻe d’une maniĂšre remarquable. Aussi j’entendis, plusieurs matins de suite, le mĂ©decin dire Il n’y a plus de pouls, il n’en a pas pour longtemps. » Ou bien Il ne passera pas la journĂ©e. » J’en revins cependant, comme par miracle, tout le monde mourant autour de moi, grĂące surtout Ă  mon fort tempĂ©rament, car les soins et les remĂšdes qui me furent donnĂ©s furent trop insignifiants, s’ils ne furent pas mauvais. Pendant ma convalescence, le gĂ©nĂ©ral Foy revint de Paris. Ayant su que j’étais Ă  l’hĂŽpital, il vint m’y voir. Cette bienveillante attention me toucha jusqu’aux larmes. J’étais restĂ© Ă  Almeida ou Ă  l’hĂŽpital soixante-dix-huit jours, quand le 23 mars, le cadre du 4Ăšme bataillon, qui rentrait en France, vĂźnt Ă  passer. En faisant partie, je dus partir avec lui. Je n’en fus pas fĂąchĂ©, ma santĂ© demeurait trop dĂ©labrĂ©e pour que je regrettasse de ne pas ĂȘtre d’un cadre actif. Le 27, par Ciudad-Rodrigo, Samonios et Malitra, nous arrivions Ă  Salamanque, oĂč nous apprĂźmes la naissance du roi de Rome. Nous y restĂąmes jusqu’au 8 avril. Le 11 avril, nous approchions de Valladolid, quand je commis encore une imprudence qui aurait pu m’ĂȘtre funeste. À la halte de Valdesillas, je rencontrai plusieurs officiers de la garde impĂ©riale, que j’avais connu quand j’y servais. Ils m’invitĂšrent Ă  dĂ©jeuner, ce que j’acceptai avec plaisir, tout en leur disant que je n’avais que trois quarts d’heure Ă  rester, pour ne pas me trouver seul sur la route. On causa beaucoup, et, quand je sortis de table, la colonne Ă©tait partie. J’avais deux lieues Ă  faire dans un pays dĂ©sert, sillonnĂ© tous les jours par de nombreuses guĂ©rillas, qui avaient pour mission d’intercepter la route de Valladolid Ă  Madrid et Ă  Salamanque. Le danger Ă©tait grave, la mort presque certaine, mais la pensĂ©e d’ĂȘtre contraint d’attendre, peut-ĂȘtre longtemps, un autre convoi pour rentrer en France me fit tout braver. Je partis, peu rassurĂ© sur ma position. En route, je fus atteint par un gendarme Ă  cheval, qui allait grand train. Je saisis la queue de son cheval, et je galopai avec lui, mais bientĂŽt fatiguĂ©, je fus obligĂ© d’abandonner. Cependant, je gagnais du terrain ; enfin, j’étais prĂȘt d’atteindre la colonne, quand cinq ou six Espagnols Ă  cheval se montrĂšrent sur ma gauche. Soit qu’ils ne me vissent point, soit pour tout autre motif, ils n’avançaient point. Je redoublais d’effort pour me tirer de leurs griffes, lorsque j’aperçus, derriĂšre un petit bouquet de bois, cinq ou six cavaliers français qui venaient Ă  ma rencontre. Le bon gendarme les avait prĂ©venus du danger que je courais. AussitĂŽt l’officier d’arriĂšre-garde avait fait rebrousser chemin Ă  quelques cavaliers, pour me sauver, s’il Ă©tait encore temps. Sans eux, j’étais occis ces bandes cruelles ne faisaient pas de prisonniers. Je remerciai mes libĂ©rateurs, et aprĂšs m’ĂȘtre un peu reposĂ©, je continuai ma route avec eux jusqu’aux bords du Duero, oĂč j’atteignis la colonne. Le 12 avril, le marĂ©chal du d’Istrie nous passa en revue et nous chargea de la conduite en France de 3500 prisonniers, venant de Badajoz. C’était une dĂ©sagrĂ©able corvĂ©e, dont nous nous serions bien passĂ©s. À la visite que nous lui fĂźmes, il reconnut un capitaine du rĂ©giment, qui avait Ă©tĂ© fifre sous ses ordres en Égypte. Ah, te voilĂ , mauvais sujet. » – Merci, Monseigneur, je vois avec plaisir que vous vous rappelez de moi. » Le marĂ©chal rit beaucoup, et lui dit ensuite Je t’attends pour dĂźner. » Il y avait aussi, Ă  cette prĂ©sentation, un officier de nos amis, lieutenant au 70Ăšme, que le marĂ©chal reconnut, appelĂ© Porret, que nous appelions, nous, le sauveur de la France ». Il avait Ă  Saint-Cloud, lors du 18 Brumaire, pris Bonaparte dans ses bras, pour le garantir des coups qu’on lui portait et le sortir de la salle du Conseil des Cinq-Cents. Cela lui valut le grade d’officier, une pension, le titre de chevalier, avec des armoiries, et bien des cadeaux de prix. C’était un excellent homme, peu instruit, mais bon camarade. Le marĂ©chal le garda aussi Ă  dĂźner, ainsi que quelques officiers supĂ©rieurs. Depuis ce jour, j’ai eu souvent l’occasion de voir, Ă  Paris, ce robuste grenadier de la garde du Directoire, qui se vit enlever sa pension privĂ©e par la Restauration, mais qui en fut dĂ©dommagĂ© par le comte de Las-Cases. Las-Cases lui en fit une plus forte, rĂ©versible sur sa femme en cas de survie, du produit du legs que l’Empereur NapolĂ©on lui avait attribuĂ© dans son fameux testament de Saint-HĂ©lĂšne. Enfin le 27 avril au matin, nous passĂąmes la Bidassoa. Il serait difficile d’exprimer la joie qu’éprouvĂšrent tous ceux qui faisaient partie de cette immense colonne. Un hourra gĂ©nĂ©ral retentit sur toute la ligne. Une fois le pont passĂ©, nous n’avions plus Ă  redouter les assassinats et la misĂšre, ni la crainte de nous voir enlever nos prisonniers. J’étais si pauvre que je fus obligĂ© d’emprunter de l’argent Ă  mon capitaine, pour payer le premier repas que je prenais en France. Nous fĂźmes halte pour dĂ©jeuner Ă  Saint-Jean-de-Luz. J’étais restĂ© dans la pĂ©ninsule un an, trois mois et treize jours. DĂ©tachĂ© Ă  l’üle de Groix, BarrĂšs est promu capitaine le 19 avril 1812. Il rejoint la Grande ArmĂ©e, au dĂ©but de 1813 ; et en qualitĂ© de capitaine des voltigeurs du 3Ăšme bataillon de la 47Ăšme, reprend pour la troisiĂšme fois, en avril, la route de l’Allemagne. CAMPAGNES DE 1813 ET DE 1814 Le 5 mars 1813, dans la soirĂ©e, je partis en diligence pour Paris, oĂč j’étais envoyĂ© par le commandant du bataillon pour prendre des sabres, des buffleteries, des caisses de tambours et de clairons, enfin plusieurs effets d’uniforme ou de tenue pour les officiers. Pendant quatre jours, je m’occupai activement de la mission qui m’avait Ă©tĂ© confiĂ©e et que j’eus le bonheur de remplir complĂštement. Le 10, au matin, j’avais expĂ©diĂ© Ă  Saint-Denis, oĂč sĂ©journait le bataillon, tous les effets commandĂ©s, qui satisfirent gĂ©nĂ©ralement. Les officiers m’avaient chargĂ© de leur faire prĂ©parer un bon dĂźner, pour le 9. Je commandai chez Grignon, restaurateur, rue Neuve-des-Petits-Champs, Ă  un prix assez Ă©levĂ© pour que la plupart d’entre eux pussent dire que c’était le meilleur qu’ils eussent jamais fait. Il fut aussi gai que si on eĂ»t Ă©tĂ© en voyage pour une partie de plaisir, au lieu de l’ĂȘtre pour une campagne terrible, qui s’annonçait devoir ĂȘtre trĂšs meurtriĂšre, vu la masse des combattants qui allaient se trouver en ligne. À notre retour Ă  Paris en 1816, seize mois aprĂšs, la moitiĂ© au moins des convives de cette charmante et Ă©picurienne soirĂ©e n’avaient plus revu leur patrie. MalgrĂ© mes nombreuses occupations, j’eus le temps de faire faire mon portrait au physionotrace. Le bataillon arriva le 5 avril Ă  Mayence. J’y passais pour la troisiĂšme fois. Le 29 avril, dans l’aprĂšs-midi, Ă©tant au bivouac, nous entendĂźmes le canon pour la premiĂšre fois de cette campagne. Un jeune soldat du 6Ăšme, au bruit de cette canonnade, qui paraissait assez Ă©loignĂ©e, fut prendre son fusil aux faisceaux, comme pour le nettoyer, et dit Ă  ses camarades en s’éloignant Diable, voici dĂ©jĂ  le brutal. Je ne l’entendrai pas longtemps. » Il fut se cacher derriĂšre une haie et se fit sauter la cervelle. Cette action fut considĂ©rĂ©e comme un acte de folie, car elle Ă©tait incomprĂ©hensible. Si cet homme craignait la mort, il se la donnait cependant. S’il ne la craignait pas, il devait attendre qu’elle lui arrivĂąt, naturellement ou accidentellement. Le 1er mai, Ă  notre arrivĂ©e au bivouac, nous vĂźmes passer un fourgon qu’on conduisait au grand galop Ă  Weissenfels. Il contenait le corps du marĂ©chal duc d’Istrie BessiĂšres, qui venait d’ĂȘtre traversĂ© par un boulet sur les hauteurs situĂ©es en avant de nous. L’Empereur perdait en lui un fidĂšle ami, un vieux et brave compagnon d’armes. La mort de ce bon marĂ©chal m’attrista douloureusement, car j’avais Ă©tĂ© longtemps sous ses ordres il Ă©tait doux et affable. 2 mai 1813. – Lutzen. On se mit en marche de grand matin, en suivant la route de Leipsick. ArrivĂ©e sur la hauteur et Ă  l’entrĂ©e de la plaine de Lutzen, la division se forma en colonne Ă  gauche de la route. À l’horizon, en avant de nous, on voyait la fumĂ©e des canons ennemis. Insensiblement, le bruit augmenta, se rapprocha et indiqua qu’on marchait vers nous. Pendant ce temps, les 2Ăšme et 3Ăšme divisions de notre corps d’armĂ©e arrivaient et se formaient en colonne derriĂšre nous ; l’artillerie mettait ses prolonges et se prĂ©parait Ă  faire feu. Toute la garde impĂ©riale, qui Ă©tait derriĂšre, se portait Ă  marches forcĂ©es sur Lutzen, en suivant la chaussĂ©e. Enfin, nous nous Ă©branlĂąmes, pour nous porter en avant ; notre division Ă©tait Ă  l’extrĂȘme droite. En colonne serrĂ©e, nous traversĂąmes la route et nous nous portĂąmes directement sur le village, Ă  droite de Strasiedel. Nous laissions Ă  notre gauche le monument Ă©levĂ© Ă  la mĂ©moire du grand Gustave-Adolphe, tuĂ© Ă  cette place en 1632. En avant de Strasiedel, nous fĂ»mes saluĂ©s par toute l’artillerie de la gauche de l’armĂ©e ennemie et horriblement mitraillĂ©s. MenacĂ©s par la cavalerie, nous passĂąmes de l’ordre en colonne en formation de carrĂ©, et nous reçûmes dans cette position des charges incessantes, que nous repoussĂąmes toujours avec succĂšs. DĂšs le commencement de l’action, le colonel Henrion eut l’épaulette gauche emportĂ©e par un boulet et fut obligĂ© de se retirer. Le commandant Fabre prit le commandement du rĂ©giment, et fut remplacĂ© par un capitaine. En moins d’une demi-heure, moi, le cinquiĂšme capitaine du bataillon, je vis arriver mon tour de le commander. Enfin, aprĂšs trois heures et demie ou quatre heures de lutte opiniĂątre, aprĂšs avoir perdu la moitiĂ© de nos officiers et de nos soldats, vu dĂ©monter toutes nos piĂšces, sauter nos caissons, nous nous retirĂąmes en bon ordre au pas ordinaire, comme sur un terrain d’exercice, et fĂ»mes prendre position derriĂšre le village de Strasiedel, sans ĂȘtre serrĂ©s de trop prĂšs. Le chef de bataillon Fabre fut admirable dans ce mouvement de retraite quel sang-froid, quelle prĂ©sence d’esprit, dans cette organisation inculte ! Un peu de rĂ©pit nous ayant Ă©tĂ© accordĂ©, je m’aperçus que j’avais quarante-rois voltigeurs de moins, et un officier blessĂ© Ă  la tĂȘte. Je l’étais aussi en deux endroits, mais si lĂ©gĂšrement que je ne pensai pas Ă  quitter le champ de bataille. Une de ces blessures m’avait Ă©tĂ© faite par la tĂȘte d’un sous-lieutenant, qui m’avait Ă©tĂ© jetĂ©e Ă  la face. Je fus longtemps couvert de mon propre sang et de la cervelle de cet aimable jeune homme qui, sorti depuis deux mois de l’École militaire, nous disait la veille À trente ans, je serai colonel ou tuĂ©. » ObligĂ©s de battre en retraite, je crus la bataille perdue, mais un chef de bataillon sans emploi, arrivĂ© la veille d’Espagne avec cent autres au moins, me rassura en me disant qu’au contraire la bataille Ă©tait bien prĂšs d’ĂȘtre gagnĂ©e ; que le 4Ăšme corps comte Bertrand dĂ©bouchait Ă  notre droite, derriĂšre l’aile gauche ennemie, et que le 5Ăšme corps comte Lauriston dĂ©bouchait Ă  l’extrĂȘme gauche, derriĂšre l’aile droite ennemie. AprĂšs une demi-heure de repos, la division se porta de nouveau en avant, en repassant sur le terrain que nous avions occupĂ© si longtemps et jonchĂ© de nos cadavres. Nous trouvĂąmes un de nos adjudants, qui avait la jambe brisĂ©e par un biscayen, faisant le petit dans un sillon. Pendant plus d’une demi-heure, les boulets des deux armĂ©es se croisaient au-dessus de sa tĂȘte. AprĂšs avoir subi quelques charges de cavalerie, et essuyĂ© plusieurs dĂ©charges de mitraille, dont une tua ou blessa tous nos tambours et clairons, coupa le sabre du commandant et blessa son cheval, l’ennemi se retira sans ĂȘtre poursuivi, n’ayant point de cavalerie Ă  mettre Ă  ses trousses. Nous bivouaquĂąmes sur le champ de bataille, formĂ©s en carrĂ© pour nous mettre en mesure de repousser l’ennemi, s’il se prĂ©sentait dans la nuit. C’est ce qui arriva en effet, mais non pas Ă  nous. Nos jeunes conscrits se conduisirent trĂšs bien, pas un seul ne quitta les rangs ; il y en eut au contraire qu’on avait laissĂ©s derriĂšre, parce qu’ils Ă©taient malades, qui arrivĂšrent pour prendre leur place. Un de nos clairons, enfant de seize ans, fut de ce nombre. Il eut une cuisse emportĂ©e par un boulet, et expira derriĂšre la compagnie. Ces pauvres enfants, quand ils Ă©taient blessĂ©s Ă  pouvoir marcher encore, venaient me demander Ă  quitter la compagnie pour aller se faire panser c’était une abnĂ©gation de la vie, une soumission Ă  leur supĂ©rieur, qui affligeaient plus qu’elle n’étonnait. Ma compagnie Ă©tait dĂ©sorganisĂ©e ; il manquait la moitiĂ© des sous-officiers et des caporaux ; les fusils Ă©taient en partie brisĂ©s par la mitraille ; les marmites, les bidons, les Ă©paulettes, les pompons, etc., Ă©taient perdus. 3 mai. – Au bivouac, en avant de Pegau
 L’armĂ©e se mit en marche dans la matinĂ©e, toute disposĂ©e Ă  attaquer l’ennemi, s’il nous avait attendu sur l’Elster, mais nous ne le rencontrĂąmes pas. Je formais l’avant-garde du corps d’armĂ©e. AprĂšs avoir dĂ©passĂ© Pegau, je reçus l’ordre de m’arrĂȘter, de prendre position sur les hauteurs, et de me retirer ensuite quand j’aurais Ă©tĂ© relevĂ©. Pendant que j’étais dans cette position, un escadron de dragons badois se porta en avant pour faire une reconnaissance, et le poste qui devait me relever arriva. Je prĂ©vins le sous-officier du 86Ăšme que des cavaliers Ă©trangers ne tarderaient pas Ă  se prĂ©senter pour rentrer au camp les faire reconnaĂźtre, mais se garder de les prendre pour des ennemis. J’étais en route pour rejoindre mon bataillon, lorsque j’entendis tirer des coups de fusil derriĂšre moi. C’étaient les Badois qu’on prenait pour des Russes. Le poste lĂącha pied, lorsqu’il se vit charger et se dĂ©banda. L’alarme se rĂ©pandit dans les bivouacs de la division ; on prit les armes. J’envoyai de suite prĂ©venir que c’était une mĂ©prise, mais les troupes Ă©taient dĂ©jĂ  formĂ©es. Un quart d’heure aprĂšs, tout Ă©tait rentrĂ© dans l’ordre un cavalier avait Ă©tĂ© blessĂ©. Le sergent fut relevĂ© et puni. 4 mai. – Au bivouac, autour de Borna, petite ville de Saxe, Ă  quatre lieues d’Altenbourg. Je fus chargĂ© de faire l’arriĂšre-garde de la division. Le gĂ©nĂ©ral me recommanda de me tenir au moins Ă  une lieue en arriĂšre de toutes les troupes, de marcher prudemment et bien en ordre, parce que j’avais une plaine considĂ©rable Ă  traverser, oĂč je pouvais ĂȘtre chargĂ© par des cosaques cachĂ©s dans la forĂȘt que je longeais Ă  droite. J’en vis quelques uns, en effet, mais n’étant pas en assez grand nombre, ils ne vinrent pas nous attaquer. Le soir au bivouac, le commandant me fit faire des mĂ©moires de proposition pour de l’avancement et pour la dĂ©coration de la LĂ©gion d’honneur, ainsi qu’un ordre du jour pour des nominations de sous-officiers et de caporaux. Mon sergent-major fut fait adjudant sous-officier. Je cite cette promotion, parce qu’il est devenu plus tard un personnage important dans la finance. Encore adjudant en 1816, il demanda son congĂ© et l’obtint. Devenu commis d’un receveur gĂ©nĂ©ral, il Ă©tait en 1824 trĂ©sorier gĂ©nĂ©ral de la marine et avait vu son contrat de mariage signĂ© par Charles X et la famille royale. S’il Ă©tait devenu officier, il serait restĂ© au service. Mais Ă  supposer mĂȘme qu’il eĂ»t Ă©tĂ© heureux, sa position n’eĂ»t jamais valu probablement celle qu’il a acquise. Il s’appelle Morbeau et est encore en fonctions. JE REÇOIS LA LÉGION D’HONNEUR 18 mai. – Une lettre du major gĂ©nĂ©ral de la Grande ArmĂ©e, prince de NeufchĂątel et de Wagram, m’annonce que, par dĂ©cret datĂ© du 17, j’ai Ă©tĂ© nommĂ© chevalier de la LĂ©gion d’honneur, sous le numĂ©ro 35 505. Jamais rĂ©compense ne me causa autant de joie. Le commandant fut nommĂ© officier, le capitaine de grenadiers et deux ou trois autres sous-officiers et soldats furent nommĂ©s lĂ©gionnaires. Ceux des capitaines qui ne le furent pas, murmurĂšrent beaucoup contre le commandant, mais c’était injuste, car il l’avait demandĂ© pour tous. LES DEUX BATAILLES DE BAUTZEN 20 mai. – Tous les prĂ©paratifs d’une bataille gĂ©nĂ©rale ayant Ă©tĂ© terminĂ©s le 19 au soir, nous en fĂ»mes prĂ©venus le 20 au matin. On se disposa pour cette grande journĂ©e. Vers dix heures, nous nous portĂąmes en avant, pour forcer le passage de la SprĂ©e, ayant la ville de Bautzen situĂ©e sur l’autre rive. Le passage ne pouvait s’exĂ©cuter, faute de ponts. On en Ă©tablit sur des chevalets et, quand les rampes furent praticables, nous le franchĂźmes rapidement. Toutes les positions furent enlevĂ©es et nous laissĂąmes la ville derriĂšre nous. À sept heures du soir, la bataille Ă©tait gagnĂ©e, et les corps prenaient position pour passer la nuit en carrĂ©, car on craignait les surprises de la cavalerie. Avant de passer la SprĂ©e, le gĂ©nĂ©ral Compans, commandant notre division, m’avait demandĂ© quinze voltigeurs avec un sergent et un caporal. Il les conduisit lui-mĂȘme au pied des murs de la ville, leur indiqua une brĂšche oĂč ils pouvaient passer, leur dit de monter par lĂ , de renverser tout ce qui leur ferait obstacle et de se porter ensuite Ă  une porte qu’il leur indiqua pour l’ouvrir. Le sergent monte le premier, il est tuĂ©. Le caporal le remplace et donne la main aux voltigeurs pour les aider Ă  monter. Ils font le coup de feu, perdent deux ou trois hommes, arrivent Ă  la porte, l’ouvrent et donnent entrĂ©e Ă  des troupes du 11Ăšme corps qui attendaient au pied des murailles, ne pouvant pas les escalader, faute d’échelles. La ville prise, les voltigeurs vinrent me rejoindre. Un instant aprĂšs, le gĂ©nĂ©ral Compans arriva devant la compagnie. Il me dit Capitaine, vous allez faire sergent ce brave caporal, et caporal celui des voltigeurs qui a le plus d’instruction, car ils mĂ©riteraient tous des rĂ©compenses, ne faisant pas de diffĂ©rence entre eux. Si le sergent n’eĂ»t pas Ă©tĂ© tuĂ©, je l’aurais fait faire officier. Enfin, vous proposerez pour la dĂ©coration ce mĂȘme caporal, et un des voltigeurs Ă  votre choix. » Tout cela m’avait Ă©tĂ© dit Ă  l’écart. J’étais Ă©loignĂ© du bataillon, me trouvant alors dĂ©tachĂ© avec une batterie d’artillerie pour sa garde. Je fis les deux promotions, ce qui n’était pas trĂšs rĂ©gulier ; mais les ordres Ă©taient impĂ©ratifs, et le motif trop honorable pour que je ne les exĂ©cutasse pas sur le champ. Dans la soirĂ©e, mon soldat de confiance m’apporta du pain, du saucisson, une bouteille de liqueurs et une botte de paille qu’il avait achetĂ©s Ă  Bautzon. J’en fis part Ă  mes deux officiers. Puis j’étendis ma botte de paille, derriĂšre les faisceaux de la compagnie, dont un rang Ă©tait debout et les deux autres couchĂ©s, et ainsi alternativement d’heure en heure. Tout cela fut reçu avec reconnaissance, car nous Ă©tions bien anĂ©antis par la faim et la fatigue. 21 mai. – Avant le jour, on prit les armes, et plus tard on se porta au pied des collines qui se trouvaient de l’autre cĂŽtĂ© du ruisseau, oĂč nous nous Ă©tions arrĂȘtĂ©s la veille au soir. Dans l’ignorance de ce qui se passait, nous attendions l’ordre de nous porter en avant pour poursuivre l’ennemi ; mais la dĂ©tonation de plusieurs centaines de canons et la vive fusillade qui se firent entendre sur toute la ligne de l’armĂ©e nous apprirent que ce que nous avions fait la veille, n’était que le prologue d’un sanglant drame qui allait se jouer en avant de nous par 350 000 hommes conviĂ©s Ă  cette reprĂ©sentation. L’Empereur Ă©tant arrivĂ©, nous gravĂźmes sans rĂ©sistance la colline qui Ă©tait devant nous, et descendĂźmes dans la plaine opposĂ©e oĂč nous vĂźmes l’armĂ©e russe couverte par des redoutes et des retranchements, dont tout son front Ă©tait hĂ©rissĂ©. Cette ligne retranchĂ©e se prolongeait, depuis les versants des montagnes de la BohĂȘme, Ă  gauche de l’ennemi, jusqu’à une ligne de mamelons Ă  droite, perpendiculaire Ă  la ligne de bataille. Notre corps d’armĂ©e Ă©tait au centre ; il devait assez menacer la ligne retranchĂ©e ennemie pour donner Ă  penser qu’on voulait la forcer, attirer toute son attention sur ce point et ainsi permettre aux corps d’armĂ©e, qui Ă©taient aux extrĂ©mitĂ©s, de la tourner et de faire tomber le front sans l’attaquer directement. À cet effet, plus de cent piĂšces de canons furent mises en batterie et tirĂšrent constamment, depuis neuf heures du matin, jusqu’à quatre heures du soir. Nous Ă©tions en carrĂ©s dans cette plaine, derriĂšre les batteries, recevant tous les boulets qui leur Ă©taient destinĂ©s. Nos rangs Ă©taient ouverts, broyĂ©s, horriblement mutilĂ©s par cette masse incessante de projectiles qui nous arrivaient de ces diaboliques retranchements. Quelques giboulĂ©es de pluie qui obscurcissaient momentanĂ©ment l’atmosphĂšre nous laissaient quelques rĂ©pits dont nous profitions pour nous coucher, mais ils Ă©taient courts. Enfin, vers quatre ou cinq heures, l’ordre arriva d’enlever Ă  la baĂŻonnette ces formidables redoutes, dont le feu n’était pas encore entiĂšrement Ă©teint. On commençait Ă  former les colonnes d’attaque, lorsque la canonnade cessa tout Ă  coup l’ennemi nous abandonnait le champ de bataille, et se retirait en ordre. Nous le serrĂąmes de prĂšs, pendant une heure ou deux, et nous nous arrĂȘtĂąmes enfin, harassĂ©s, mourants de faim, mais fiers de notre triomphe. Je crois qu’il n’y a pas de plus beaux jours dans la vie que la soirĂ©e de celui oĂč l’on vient de remporter une grande victoire. Si cette joie est un peu tempĂ©rĂ©e par les regrets que cause la perte de tant de bons et valeureux camarades, elle n’en est pas moins vive, enivrante. Nous nous rĂ©unĂźmes autour du gĂ©nĂ©ral Joubert pour nous fĂ©liciter mutuellement du rĂ©sultat de cette terrible journĂ©e. Une bouteille de rhum circula pour boire Ă  la santĂ© de l’Empereur. On Ă©tait formĂ© en cercle, et l’on causait gaiement, lorsqu’un boulet perdu arrive, en ricochant lentement, mais ayant encore assez de force pour couper un homme en deux, s’il l’eĂ»t rencontrĂ©. PrĂ©venus Ă  temps, nous l’évitĂąmes lestement, et personne ne fut atteint. J’eus vingt et un hommes tuĂ©s ou blessĂ©s dans les deux journĂ©es. Les blessures Ă©taient horribles. 22 mai. – Nous prĂźmes position pour prendre part au combat de Reichenbach, qui eut lieu dans l’aprĂšs-midi, mais nous ne donnĂąmes pas. Ce fut dans ce combat d’arriĂšre-garde que le grand marĂ©chal du palais Duroc, duc de Frioul, et le gĂ©nĂ©ral du gĂ©nie de la garde Kirgener furent tuĂ©s par le mĂȘme boulet. Le soir, Ă  la lumiĂšre de notre bivouac, le commandant Fabre et moi, nous fĂźmes des mĂ©moires de proposition, pour pourvoir aux places vacantes d’officiers et pour des dĂ©corations. Je n’oubliai pas d’y porter le sergent qui s’était si bien conduit Ă  l’attaque de Bautzen, et un voltigeur que je choisis comme le plus mĂ©ritant, parmi les douze qui restaient. 26 mai. – L’ennemi voulut nous dĂ©fendre le passage de la Katsbach, prĂšs de WĂŒdschĂŒs, en nous envoyant des boulets. Je fus envoyĂ© en tirailleur, pour les chasser de la rive gauche et les suivre dans leur mouvement de retraite. AprĂšs une fusillade assez vive, oĂč je perdis trois hommes, ils se retirĂšrent. Je les suivais de prĂšs et comptais passer la riviĂšre aprĂšs eux, mais je me trouvai devant un cours d’eau considĂ©rable, que je ne pus franchir. La nuit arrivait, le marĂ©chal ne jugea pas Ă  propos d’engager une affaire Ă  une heure aussi avancĂ©e ; il me fit dire de bivouaquer un peu au-dessus du pont oĂč j’étais et oĂč je trouverais une route. Je m’y rendis ; je vis alors que l’obstacle qui m’avait arrĂȘtĂ© Ă©tait un amas d’eau artificiel, pour faire tourner un moulin. 26 mai. – Le matin, je pris la tĂȘte de la colonne et reçus directement les ordres du marĂ©chal. AprĂšs deux heures de mouvement, le marĂ©chal se dĂ©cida Ă  abandonner la vallĂ©e que nous suivions et se dirigea Ă  gauche pour traverser la plaine d’Iauer. Il y eut quelques charges de cavalerie, qui furent repoussĂ©es, et on arriva ainsi sous les murs de la ville d’Iauer. En traversant la ville, je butai contre un corps passablement gros, que je ramassai et emportai avec moi, ayant le pressentiment que ce pouvait ĂȘtre quelque chose de bon. En effet, c’était un Ă©norme dindon, le plus gros que j’avais vu jusqu’alors. PlumĂ©, vidĂ©, troussĂ©, renfermĂ© dans une serviette et une musette de cavalerie, je l’annonçai Ă  mes camarades, qui furent d’avis qu’on le mangerait le lendemain, tous ensembles, si, comme le bruit en courait, nous sĂ©journions dans cette position. Le 29, les officiers un peu cuisiniers se mirent Ă  l’Ɠuvre pour prĂ©parer le dĂźner projetĂ© la veille ; les vivres ne manquaient pas, l’art n’y fit pas dĂ©faut. Nous fĂźmes, ce jour lĂ , ce qui ne nous Ă©tait pas arrivĂ© depuis le passage du Rhin, un trĂšs bon repas, arrosĂ© de vin de Moravie excellent, qu’on avait trouvĂ© en ville. Les prĂ©paratifs, les difficultĂ©s Ă  vaincre, le plaisir d’ĂȘtre rĂ©unis et de manger, tranquillement assis, les produits de nos connaissances culinaires, nous firent passer quelques heures agrĂ©ables, moments rares Ă  la guerre. 30 mai. – Nous restĂąmes Ă  Eisendorf, qui est un village, prĂšs de Neumarckt, Ă  attendre que fĂ»t signĂ© l’armistice de Plessvitz, et le 6 juin commença notre mouvement rĂ©trograde, pour aller occuper les positions que la Grande ArmĂ©e devait prendre, pendant les cinquante jours de repos qui lui Ă©taient accordĂ©s par l’armistice. Le soir au bivouac, en avant de Neudorf, le voltigeur que j’avais proposĂ© pour la dĂ©coration se rendit coupable de vol envers un de ses camarades. SoupçonnĂ© de ce crime, il fut fouillĂ©, et trouvĂ© nanti de l’objet volĂ©. Les voltigeurs le saisirent, lui donnĂšrent la savate, et envoyĂšrent prĂšs de moi une dĂ©putation pour qu’il fĂ»t chassĂ© de la compagnie. J’étais retirĂ© dans une maison Ă  l’écart, ce qui fut cause que cette justice fut rendue Ă  mon insu. Je m’y serais opposĂ©, le vol, quoique prouvĂ©, Ă©tant d’une trĂšs petite valeur. Mais le mal Ă©tait fait, il fallait bien l’approuver tacitement, pour conserver dans la compagnie cette honorable susceptibilitĂ©. J’en rendis compte au commandant, et il fut convenu que si ce malheureux jeune homme Ă©tait nommĂ© lĂ©gionnaire, son brevet serait renvoyĂ© en expliquant les motifs. 7 juin. – Avant le dĂ©part de Neudorf, le gĂ©nĂ©ral Joubert me donna l’ordre de me rĂ©pandre, avec ma compagnie, dans tous les villages situĂ©s Ă  une lieue et plus du flanc droit de la colonne, et d’enlever tous les bestiaux que je trouverais, pour les conduire Ă  Gaadenberg, oĂč je devais ĂȘtre rendu le 8 au soir. Le 8, je rejoignis la division dans la soirĂ©e, longtemps aprĂšs qu’elle avait Ă©tabli ses bivouacs, avec quatre cents bƓufs ou vaches, trois mille moutons, quelques chĂšvres, chevaux, etc. Le gĂ©nĂ©ral Joubert fut enchantĂ© de cette excursion ; le gĂ©nĂ©ral Compans vint m’en faire compliment, et me dit de conduire mes prises au parc du corps d’armĂ©e. C’est tout ce que j’en eus, car si j’avais voulu faire de l’argent, je l’aurais pu sans difficultĂ©, les propriĂ©taires barons m’offrant de l’or pour leur laisser la moitiĂ© de ce que je leur prenais. Mais j’avais une mission de confiance Ă  remplir, je le fis en conscience. Cependant, quand les voltigeurs m’amenaient des vaches appartenant Ă  de pauvres gens qui venaient les rĂ©clamer, je les leur rendais. Dans une dĂ©pendance d’un trĂšs beau chĂąteau, un gĂ©nĂ©ral italien, un peu blessĂ©, et qui s’y trouvait, voulut s’opposer Ă  ma rĂ©quisition. Je le veux bien, mon gĂ©nĂ©ral, mais donnez-m’en l’ordre par Ă©crit. » Il n’osa pas. Le 10 juin ma compagnie eut pour quartier une trĂšs grosse ferme isolĂ©e, oĂč elle fut bien Ă©tablie. Nous commencions Ă  avoir un trĂšs grand besoin de repos. L’armĂ©e Ă©tait extrĂȘmement affaiblie par les combats de tous les jours, par les marches et les maladies, par les nombreuses mutilations, par les facilitĂ©s que l’ennemi avait de faire des prisonniers, les soldats cherchant les moyens de se faire prendre. Elle avait aussi un besoin pressant d’effets d’habillement de linge et de chaussures, tout Ă©tait Ă  rĂ©parer et en grande partie Ă  renouveler. DĂšs le lendemain, j’organisai des ateliers de tailleurs et de cordonniers pour les rĂ©parations. Il fallut s’occuper de guĂ©rir les maladies de peau, dĂ©barrasser les pauvres jeunes soldats de la vermine qui les rongeait, donner des soins aux maladies lĂ©gĂšres, envoyer Ă  l’hĂŽpital de Buntzlau les hommes les plus gravement atteints. Il fallut aussi s’occuper de l’armement, de la buffleterie, des mille dĂ©tails qu’exige l’administration d’une compagnie. Mon sous-lieutenant blessĂ© Ă  Lutzen m’ayant rejoint, j’avais trois officiers avec moi. Nous couchions tous quatre dans une petite chambre, sur de la paille, mais cela valait mieux que le meilleur bivouac, car nous Ă©tions Ă  couvert. Il y avait quarante-quatre nuits que je dormais Ă  la belle Ă©toile. Le 15 juin, le commandant reçut huit nominations de chevalier de la LĂ©gion d’honneur dont deux pour ma compagnie. Celle du voltigeur chassĂ© de la compagnie Ă©tait de ce nombre. Le mĂȘme jour, elle fut renvoyĂ©e au gĂ©nĂ©ral de brigade, accompagnĂ©e d’un rapport motivĂ©. Le 17, un dĂ©cret spĂ©cial, datĂ© de Dresde, annulait cette nomination. La proposition, la nomination et l’annulation ne furent pas connues du malheureux intĂ©ressĂ©, ni d’aucun des officiers du bataillon. Peu de jours aprĂšs notre Ă©tablissement dans ce village d’Ober-Thomaswald, un jeune parent, que j’avais amenĂ© de chez moi, aprĂšs avoir montrĂ© beaucoup d’énergie et de courage dans cette guerre qui en exigeait plus que d’ordinaire, tomba malade. Je le gardai quelque temps prĂšs de moi, puis, son Ă©tat s’aggravant, je le fis conduire Ă  l’hĂŽpital de Buntzlau, oĂč il succomba. Cette mort me fut douloureuse et me fit bien regretter de l’avoir pris avec moi. Pendant l’armistice, le marĂ©chal se fit prĂ©senter tous les hommes mutilĂ©s, le nombre en Ă©tait trĂšs grand. C’était vraiment affligeant. Il y en avait plus de vingt mille dans le bataillon, et peut-ĂȘtre plus de 15 000 dans toute l’armĂ©e. Ils furent renvoyĂ©s sur les derriĂšres, pour travailler aux fortifications, conduire les charrois, etc. Quand M. Larrey, chirurgien en chef de l’armĂ©e, assurait l’Empereur que le fait Ă©tait faux, il le trompait sciemment. Il n’y avait pas un officier dans l’armĂ©e qui en doutĂąt, car cela se passait pour ainsi dire sous leurs yeux. Cette dĂ©plorable monomanie datait dĂ©jĂ  depuis longtemps, mais elle fut bien plus pratiquĂ©e dans cette terrible campagne. C’était un prĂ©curseur de nos futurs dĂ©sastres. 18 juillet. – L’armistice, qui devait finir le 20 juillet, fut prolongĂ© jusqu’au 15 aoĂ»t. La fĂȘte de l’Empereur qui se cĂ©lĂ©brait ordinairement le 15 aoĂ»t fut rapprochĂ©e de cinq jours et fixĂ©e au 10. Pour lui donner tout l’éclat convenable, pour imposer Ă  cette grande solennitĂ© un caractĂšre en rapport avec les circonstances extraordinaires oĂč la France et l’armĂ©e se trouvaient, de grands prĂ©paratifs furent faits Ă  tous les quartiers gĂ©nĂ©raux et dans tous les cantonnements. Le 10 aoĂ»t, le corps d’armĂ©e se rĂ©unit dans une vaste plaine et fut passĂ© en revue par son chef, le marĂ©chal duc de Raguse, qui, en grand costume, manteau, chapeau Ă  la Henri IV, et bĂąton de marĂ©chal Ă  la main, passa devant le front de bandiĂšre de chaque corps. AprĂšs la revue, il y eut quelques grandes manƓuvres et dĂ©filĂ© gĂ©nĂ©ral. Le corps d’armĂ©e, composĂ© de trois divisions Compans, Bonnet et Friederich, Ă©tait remarquablement beau et plein d’enthousiasme. Sa force Ă©tait de 27 000 hommes et de 82 piĂšces de canons. AprĂšs la revue, tous les officiers de la division se rĂ©unirent Ă  Guadenberg pour assister Ă  un grand dĂźner que le gĂ©nĂ©ral de division donna dans le beau temple des protestants. On servit, sur un immense fer Ă  cheval, trois chevreuils rĂŽtis, entiers, se tenant sur les quatre jambes. Les amateurs de venaison bien faisandĂ©e purent se rĂ©galer, car ils empestaient la salle du festin. Dans la soirĂ©e, on se rendit au quartier gĂ©nĂ©ral, oĂč des jeux de toute espĂšce furent en activitĂ©. Ce fut une belle journĂ©e, que de bien mauvaises devaient suivre. Dans le village d’Ober-Thomaswald, oĂč je restai soixante-neuf jours, j’ai vu, pour la premiĂšre et derniĂšre fois une espĂšce de rosier, dont le bois et la feuille sentaient la rose, comme la fleur elle-mĂȘme, qui Ă©tait fort belle. DRESDE 18 aoĂ»t. – Reprise des hostilitĂ©s. Au bivouac, prĂšs de Gnadenberg, faisant face Ă  la BohĂȘme, pour couvrir notre flanc droit, menacĂ© par les Autrichiens qui venaient de se joindre Ă  la coalition. Cette guerre du beau-pĂšre contre le gendre surprit autant qu’elle indigna l’armĂ©e. Ce nouvel ennemi sur les bras, sans en compter bien d’autres qu’on nous annonçait, firent prĂ©voir des Ă©vĂ©nements dont beaucoup de nous ne devaient pas voir la fin. Mais nous Ă©tions confiants dans le gĂ©nie de l’Empereur, dans nos succĂšs antĂ©rieurs. Et cette prĂ©somption que rien ne pouvait nous abattre nous rassura sur l’issue de cette guerre. 26 aoĂ»t. – Au bivouac, Ă  deux lieues avant d’arriver Ă  Dresde. La pluie tomba par torrent toute la journĂ©e. La route Ă©tait couverte de troupes qui se rendaient aussi Ă  Dresde. Le canon qui se faisait fortement entendre dans cette direction, le passage continuel d’aides de camp et d’ordonnances, l’agitation qu’on remarquait sur toutes les figures annonçaient de grands Ă©vĂ©nements. Le bivouac fut triste, pĂ©nible, tout Ă  fait misĂ©rable. 27 aoĂ»t. – Nous partĂźmes de notre position avant le jour, mais la route Ă©tait si embarrassĂ©e de fantassins, de cavaliers, de canons, qu’à midi nous Ă©tions dans les rues de Dresde sans pouvoir dĂ©boucher dans la plaine. La pluie Ă©tait aussi forte que la veille. Les dĂ©tonations d’une immense artillerie nous assourdissaient. Enfin, nous arrivĂąmes sur le champ de bataille et nous fĂ»mes mis en ligne, mais dĂ©jĂ  la victoire Ă©tait restĂ©e Ă  nos aigles. Ce qui restait Ă  faire se rĂ©duisait Ă  profiter de cet Ă©clatant succĂšs. On poursuivit un peu l’ennemi ; le terrain Ă©tait trop dĂ©trempĂ© pour qu’on pĂ»t avancer vite et lui faire beaucoup de mal la nuit arriva, quand l’action s’engageait avec notre division. Au bivouac dans la boue et sur le champ de bataille. 28 aoĂ»t. – À la poursuite de l’ennemi dĂšs le jour. Nous l’abordĂąmes plusieurs fois, mais sans engagement sĂ©rieux il ne tenait pas. Sur les derniĂšres hauteurs qui entourent Dresde, le gĂ©nĂ©ral m’envoya fouiller un village que nous laissions Ă  notre droite, dans la vallĂ©e de Plauen, et dans lequel on lui avait signalĂ© beaucoup d’Autrichiens. Je m’y rendis avec ma compagnie, appuyĂ©e par celle des grenadiers, qui devait rester en rĂ©serve. Sur la hauteur, aprĂšs un Ă©change insignifiant de coups de fusil, je fis plus de cinq cent cinquante prisonniers, qui se rendirent plutĂŽt qu’ils ne se dĂ©fendirent. D’aprĂšs leurs dires, je pouvais en faire trois Ă  quatre mille en continuant ma course dans le fond de la vallĂ©e, et y trouver mĂȘme beaucoup de canons et de bagages, mais je reçus l’ordre de rentrer, le corps d’armĂ©e devant se porter plus Ă  gauche, oĂč l’arriĂšre-garde russe s’obstinait Ă  dĂ©fendre un dĂ©filĂ© difficile. Sa rĂ©sistance ne cessa qu’avec le jour. Nous bivouaquĂąmes de l’autre cĂŽtĂ© de la grande forĂȘt, et prĂšs de la petite ville de Dippoldwalde, dans la vallĂ©e de Plauen. En gĂ©nĂ©ral, les Autrichiens ne faisaient aucune rĂ©sistance, mais les Russes Ă©taient plus opiniĂątres que jamais. La bataille de Dresde avait dĂ©truit l’armĂ©e autrichienne, et fort peu entamĂ© les autres alliĂ©s. Je n’eus que deux hommes blessĂ©s dans cette journĂ©e, oĂč nous apprĂźmes, dĂšs le matin, la mort du gĂ©nĂ©ral Moreau, qui Ă©tait venu se faire tuer dans les rangs de l’armĂ©e russe ? Ce fut une punition du ciel. 30 aoĂ»t. – Combat de Zinwald. Je ne suis pas trĂšs sĂ»r de ce nom, l’ayant pris sur une carte dont j’étais pourvu, mais n’ayant personne pour m’indiquer si je ne commettais pas d’erreur de lieu. Ce combat fut trĂšs honorable pour ma compagnie, qui, de l’aveu du gĂ©nĂ©ral Joubert, avait fait plus, Ă  elle seule, que tous les autres tirailleurs de la division. Le rĂ©cit de ce combat serait intĂ©ressant Ă  Ă©crire, mais demanderait de trop longues descriptions. AprĂšs avoir enlevĂ© la position, nous jetĂąmes l’ennemi en dĂ©sordre dans la forĂȘt de LƓplitz, et nous y bivouaquĂąmes. J’avais eu huit hommes tuĂ©s ou blessĂ©s, et moi-mĂȘme, je reçus un coup de lance de cosaque, qui heureusement ne fit que m’effleurer l’épaule droite. Huit jours aprĂšs, la compagnie reçut deux dĂ©corations, pour sa belle conduite dans cette journĂ©e. Nous Ă©tions depuis deux jours au milieu des forĂȘts impĂ©nĂ©trables de la BohĂȘme, et parfois, dans des gorges d’une profondeur et d’une sauvagerie remplies de terreur. 31 aoĂ»t. – Presque au jour, les Russes nous attaquĂšrent avec une violence qui nous surprit et qui contrastait avec leur conduite des jours prĂ©cĂ©dents. D’abord vainqueur, nous les repoussĂąmes plus loin qu’ils ne se trouvaient le matin, jusqu’en vue de LƓplitz. RamenĂ©s Ă  notre tour, jusqu’à notre premiĂšre position, nous y restĂąmes malgrĂ© tous les efforts qu’ils firent pour nous en chasser. Toute la division se battait en tirailleurs, sauf quelques rĂ©serves destinĂ©es Ă  relever les compagnies trop fatiguĂ©es. À quatre heures du soir, je me retirai un instant du combat pour nettoyer mes armes ; elles Ă©taient si encrassĂ©es que les balles n’entraient plus dans le canon. Je rentrai de nouveau en ligne jusqu’à la nuit. Nous bivouaquĂąmes sur le mĂȘme terrain de la veille, cruellement maltraitĂ©s. Le bataillon avait eu plusieurs officiers tuĂ©s ou blessĂ©s et prĂšs du tiers de ses soldats. Je comptais un officier et vingt-cinq hommes de moins dans mes rangs. Dans le milieu de la nuit, nous reçûmes l’ordre de faire de grands feux le bois ne manquait pas et de nous retirer ensuite en silence, sans tambours ni trompettes, par le mĂȘme chemin que nous avions suivi les jours prĂ©cĂ©dents. La marche fut lente, dangereuse, dans ces chemins affreux oĂč l’on ne voyait rien. À l’aube, du jour, nous arrivĂąmes sur le terrain de combat du 30. Nous y restĂąmes quelques instants, pour nous organiser et nous reposer, car nous en avions grand besoin. C’est alors que nous apprĂźmes que le gĂ©nĂ©ral Vandamme, commandant le 1er corps d’armĂ©e, avait Ă©tĂ© complĂštement battu le 30, Ă  Culm, pas bien loin de nous, sur notre gauche, mais si profondĂ©ment sĂ©parĂ© par des gorges affreuses et des bois si touffus, qu’on n’aurait pas pu lui porter secours. Cela nous expliqua l’acharnement du combat de la veille et notre mouvement de retraite. 2 septembre. – Depuis six jours, nous Ă©tions sans vivres. Je ne mangeai guĂšre autre chose que des fraises et des myrtilles, qu’on trouvait abondamment dans les bois. Enfin, la cantiniĂšre de la compagnie, sur la voiture de laquelle j’avais des vivres, nous rejoignit. Cette misĂ©rable femme nous avait abandonnĂ©s, quand elle avait vu que nous entrions dans un pays si sauvage. 4 septembre. – Un dĂ©cret de ce jour ordonne que sur dix hommes trouvĂ©s hors de leur corps, il en serait fusillĂ© un. Cette mesure indique suffisamment combien la dĂ©moralisation est rĂ©pandue dans l’armĂ©e. 10 septembre. – Au camp de baraque, devant Dresde, nous avons un repos de trois jours. Il me rĂ©tablit complĂštement. J’avais Ă©tĂ© bien mal, sans lĂącher pied. Il fit aussi beaucoup de bien Ă  l’armĂ©e qui, depuis vingt-quatre jours, Ă©tait sur les chemins, de l’aube Ă  la nuit. Le 13, Ă  Grossen-Hayn il se passa un Ă©vĂ©nement qui me navra le cƓur. Un pauvre soldat avait Ă©tĂ© condamnĂ© Ă  mort pour un crime ou dĂ©lit assez insignifiant. Conduit sur le terrain pour ĂȘtre fusillĂ© et aprĂšs avoir entendu la lecture de son jugement, il cria grĂące et s’enfuit Ă  toutes jambes. Il fut poursuivi Ă  coups de fusil, et finit par ĂȘtre atteint. Une fois tombĂ©, on l’acheva. 27 septembre. – Dans la nuit, on fut instruit que la cavalerie ennemie approchait et se disposait Ă  attaquer la nĂŽtre, qui, composĂ©e de jeunes soldats, n’était pas en mesure de pouvoir lui rĂ©sister. Notre bataillon partit le premier pour prendre position Ă  l’entrĂ©e d’un dĂ©filĂ©, afin de protĂ©ger la retraite de la cavalerie. Je fus placĂ© dans le cimetiĂšre d’un village que la route traversait. Je fis cacher mes hommes, et leur donnai la consigne de ne faire feu sur les cosaques que quand notre cavalerie serait entrĂ©e dans le village. Peu de temps aprĂšs, je vis arriver notre mauvaise cavalerie dans un dĂ©sordre effroyable, suivie d’une immense nuĂ©e de cosaques. Quand elle fut Ă  peu prĂšs toute passĂ©e, je fis faire feu, ce fut alors au tour des cosaques Ă  fuir. Quelle raclĂ©e ils reçurent, avec quelle vitesse ils disparurent ! Une fois Ă©loignĂ©s, je rejoignis mon bataillon qui Ă©tait de l’autre cĂŽtĂ© du ravin. On rallia la cavalerie et une fois organisĂ©e, on se remit en marche, mais une demi-heure aprĂšs, elle Ă©tait encore en dĂ©route et s’était laissĂ© prendre deux piĂšces de canon. Le bataillon tout entier partit au pas de charge et les reprit. Dans cette position, le bon colonel Boudinhox, commandant un rĂ©giment provisoire de dragons, vint me voir et m’offrir ses services. Il Ă©tait navrĂ© de commander de si mauvais cavaliers. Je fus ensuite envoyĂ© par le duc de Raguse sur une hauteur, pour garder le dĂ©bouchĂ© de deux chemins, avec ordre de ne quitter cette position que quand il n’y aurait plus de nos gens dans la plaine, et de faire ensuite l’extrĂȘme arriĂšre-garde. Je marchai au hasard, une partie de la nuit, pour rejoindre le corps d’armĂ©e, que je trouvai prĂšs de l’Elbe, en face de Meissen, oĂč nous bivouaquĂąmes. Je fus bien heureux de n’avoir pas Ă©tĂ© enlevĂ© par les cosaques, dans l’abandon oĂč l’on m’avait laissĂ©, car, Ă  moins de me jeter dans les bois et de marcher Ă  l’aventure dans un pays que je ne connaissais pas, je n’aurais pas pu rĂ©sister longtemps Ă  de nombreuses charges rĂ©itĂ©rĂ©es. 28 septembre. – Nous descendĂźmes la rive gauche de l’Elbe. À une lieue au-dessous de Meissen, Ă  un endroit oĂč le fleuve est resserrĂ© entre deux chaĂźnes de collines assez Ă©levĂ©es, nous fĂ»mes horriblement canonnĂ©s par quinze ou vingt piĂšces de canon placĂ©es sur une hauteur de la rive droite, tirant Ă  plein fouet des boulets et de la mitraille, avec d’autant plus de succĂšs qu’on ne leur ripostait pas. Ce qu’il y avait de mieux Ă  faire, c’était d’accĂ©lĂ©rer le pas, pour se trouver, le plus vite possible, hors d’atteinte des projectiles ; la cavalerie put le faire rapidement, mais nous, ce n’était pas aussi facile. Nous laissĂąmes sur le terrain plus de trente morts, indĂ©pendamment d’une vingtaine de blessĂ©s, dont deux officiers que nous enlevĂąmes. Nous fĂźmes pendant quelque temps le coup de fusil, pour faire Ă©loigner les piĂšces, mais ce fut sans succĂšs. Nous restĂąmes Ă  peu prĂšs un quart d’heure sous les coups de cette incessante canonnade. Le soir, nous avons logĂ© Ă  Riesa, sur les bords de l’Elbe, c’est le premier logement que nous faisions depuis le 17 aoĂ»t
 8 octobre. – Nous Ă©tions au bivouac, sous les murs de Torgau, sur l’Elbe. Le 9 au matin, le comte de Narbonne, aide de camp de l’Empereur, et gouverneur de Torgau vint nous passer en revue et nous pria de le dĂ©gager un peu. Il y eut alors un combat, qu’on pourrait considĂ©rer comme une petite bataille en miniature, entre les glacis de la place et les blockhaus construits par les troupes du blocus. Trop faible pour tenir la campagne, l’ennemi chercha Ă  nous attirer vers ses retranchements pour nous accabler de sa grosse artillerie, mais, Ă  notre tour, nous n’étions pas assez nombreux pour tenter l’attaque de ces nombreuses positions aussi bien armĂ©es ; en sorte que la journĂ©e se passa en dĂ©monstrations de part et d’autre sans engagement trĂšs vif. Toutes les armes, infanterie, cavalerie, artillerie, furent en action, sans Ă©prouver beaucoup de pertes. Ma compagnie jouait le rĂŽle d’éclaireurs. Mais l’entreprise Ă©tait au dessus de nos forces. Le 12 octobre, nous sommes passĂ©s sur la rive droite de l’Elbe Ă  Vittemberg, et je commençai l’affaire sur l’ordre du gĂ©nĂ©ral Chastel, commandant une brigade de cavalerie du corps d’armĂ©e du gĂ©nĂ©ral Regnier. Ce combat combat de Coswick fut heureux et brillant. On y prit beaucoup de prisonniers, de bagages, et l’on fit un grand chemin en courant, car l’ennemi fut mis en dĂ©route dĂšs le commencement de l’affaire. Nous avons bivouaquĂ© Ă  deux lieues en avant du champ de bataille. Nous Ă©tions trĂšs fatiguĂ©s, parce que nous avions voulu rivaliser de vitesse avec la cavalerie. Le 13, nous avons poursuivi l’ennemi jusqu’en face d’Ackern. Il y eut dans la journĂ©e plusieurs charges de cavalerie trĂšs heureuses sur l’arriĂšre-garde ennemie. Nous allions Ă  marche forcĂ©e. Dans la journĂ©e, nous fĂźmes halte dans la jolie petite ville de Roslau. Pour avoir un bon dĂ©jeuner, mes camarades dirent au propriĂ©taire de la maison oĂč nous Ă©tions entrĂ©s militairement, que j’étais gĂ©nĂ©ral et qu’eux Ă©taient mon Ă©tat-major. Je devais cet honneur Ă  un large galon d’or que j’avais Ă  mon pantalon, et Ă  un manteau Ă  collet qui cachait mes Ă©paulettes. Dans la soirĂ©e, une terrible canonnade nous enleva plusieurs hommes. La nuit arrivĂ©e, nous revĂźnmes Ă  marche forcĂ©e coucher Ă  Coswick. Il Ă©tait quatre heures du matin. Le 14, dans la matinĂ©e, nous repassĂąmes l’Elbe Ă  Vittemberg, et fĂ»mes Ă©tablir notre bivouac prĂšs de Daben, petite ville. Nous marchions fort vite, les cosaques nous entouraient et s’ouvraient pour nous laisser passer. Ils nous enlevĂšrent beaucoup de traĂźnards. Le 15, nous avons bivouaquĂ© prĂšs de Leipsick. MĂȘme accĂ©lĂ©ration de marche que la veille, et mĂȘme entourage de cosaques. AprĂšs nous, le passage Ă©tait fermĂ©, et toute communication avec les derriĂšres interceptĂ©e. LE DÉSASTRE DE LEIPSICK 16 octobre. – Bataille de Wackau – Dans les premiĂšres heures de la matinĂ©e, nous traversĂąmes un faubourg de Leipsick, ayant la ville Ă  notre droite, pour nous diriger sur le village de Holzhausen, oĂč nous avions l’ordre de nous rendre. À peine y Ă©tions-nous arrivĂ©s que les mille canons qui Ă©taient en batterie Ă©clatĂšrent en mĂȘme temps. Toutes les armĂ©es du nord de l’Europe s’étaient donnĂ© rendez-vous sur le terrain qui entourait Leipsick. Un gĂ©nĂ©ral du 11Ăšme corps d’armĂ©e nous donna l’ordre de nous porter en avant, vers un bois assez Ă©tendu, et d’en dĂ©loger l’ennemi. Nous nous trouvions Ă  l’extrĂȘme gauche de l’armĂ©e. Le bois fut attaquĂ© par les six compagnies, en six endroits diffĂ©rents ; par mon rang de bataille, je me trouvai le plus Ă©loignĂ©. EntrĂ© de suite en tirailleurs, je dĂ©busquai assez vivement les Croates autrichiens que j’y rencontrai, mais Ă  mesure que j’avançais, je trouvais plus de rĂ©sistance, et quand mon feu Ă©tait vif, on criait trĂšs distinctement Ne tirez pas, nous sommes Français. » Quand je faisais cesser le feu, on tirait alors sur nous. Le bois Ă©tait trĂšs Ă©pais ; c’était un taillis fourrĂ© oĂč l’on ne distinguait rien Ă  dix pas. Ne sachant plus Ă  qui j’avais affaire, ne comprenant rien Ă  cette dĂ©fense de faire feu, et criblĂ© en mĂȘme temps de balles, j’avançais seul, avec quelque prĂ©caution, vers le lieu d’oĂč partaient ces voix françaises ; je vis derriĂšre un massif un bataillon de Croates, qui fit feu sur moi. Mais j’avais eu le temps de me jeter Ă  plat ventre, en sorte que je ne fus pas atteint. Je criai Ă  mes voltigeurs d’avancer, et une fois entourĂ© par eux, je fis sonner la charge. Alors on avança avec plus de confiance, sans plus s’occuper des cris Ne tirez pas ! » car il Ă©tait visible que c’était nos soldats prisonniers qu’on obligeait Ă  parler ainsi. Cependant une fois on m’appela par mon nom en criant À moi, BarrĂšs, Ă  mon secours ! » Nous accĂ©lĂ©rĂąmes le pas, et je repris un capitaine du bataillon avec quelques Croates. Enfin je sortis du bois, chassant devant moi une centaine d’ennemis, qui fuyaient Ă  toutes jambes Ă  travers une plaine qui se prĂ©senta Ă  nous aprĂšs cette Ă©paisse broussaille. Point d’ennemis Ă  notre gauche, rien dans la plaine, et bien loin sur ma droite l’enfer dĂ©chaĂźnĂ© tous les efforts et tous les effets d’une grande bataille. AprĂšs avoir ralliĂ© tous mes voltigeurs, je marchai sur le village de Klein-Possna, occupĂ© par des Autrichiens et des cosaques, qui se retirĂšrent aprĂšs une fusillade de moins d’un quart d’heure. Enhardi par ce succĂšs, je dĂ©passai le village, Ă  la suite de ceux que je venais d’en faire sortir, et vis de l’autre cĂŽtĂ©, sur la lisiĂšre d’un bois, pas mal d’ennemis. Je fus obligĂ© de m’arrĂȘter et de me tenir sur la dĂ©fensive. Je fis alors fouiller le village par quelques hommes, pour faire des vivres, et j’attendis la nuit, qui approchait, pour me retirer. Mes hommes rentrĂ©s, je marchai par ma droite vers le point oĂč l’on se battait et m’installai Ă  l’entrĂ©e du village, dans un prĂ© clos de haies, Ă  l’embranchement de deux chemins. J’avais choisi ce lieu, parce qu’il me mettait Ă  l’abri d’une surprise de nuit, et je pensais que le bataillon viendrait peut-ĂȘtre dans cette direction. Depuis le matin, je ne savais pas oĂč il pouvait ĂȘtre. J’avais combattu toute la journĂ©e isolĂ©ment et pour mon compte, sans avoir vu un seul chef. Avant que la nuit fĂ»t tout Ă  fait venue, le gĂ©nĂ©ral de division GĂ©rard, du 15Ăšme corps, vint Ă  mon bivouac. Je lui rendis compte de ce que j’avais fait, et des motifs qui m’avaient fait prendre cette position. Il m’approuva, et me dit d’y rester. Je lui demandai le rĂ©sultat de la bataille. Il me rĂ©pondit Vous voyez que nous sommes vainqueurs ici ; je ne sais pas ce qui se passe ailleurs. » Cette journĂ©e m’avait coĂ»tĂ© huit hommes blessĂ©s, dont un officier. Je fondais tous les jours. La nuit venue, la cavalerie de cette partie de l’armĂ©e vint occuper le village que j’avais pris. Quelques heures aprĂšs, lorsque le calme le plus parfait semblait rĂ©gner dans les deux armĂ©es, une vive canonnade se fit entendre et porta l’effroi chez des hommes se reposant avec douceur des dures fatigues de la journĂ©e. Brusquement Ă©veillĂ©s par le bruit et par un obus qui me brisa trois fusils, les hommes, transis de froid et sous le coup d’une impression aussi inattendue, coururent Ă  leur armes. De son cĂŽtĂ©, la cavalerie en fit autant, en sorte que cette nuit, que l’on avait tant dĂ©sirĂ©e, se passa dans les alarmes et les dangers. Cela n’eut pas de suites, mais les hommes et les chevaux avaient perdu ce sommeil rĂ©parateur si nĂ©cessaire dans de semblables circonstances. C’était sans doute un dĂ©serteur, ou un prisonnier de guerre d’un esprit faible, qui avait indiquĂ© le village oĂč s’était retirĂ©e notre cavalerie. En envoyant des obus, l’ennemi voulait l’incendier et faire pĂ©rir nos chevaux dans les flammes. DĂšs le point du jour, j’envoyai des sous-officiers sur les derriĂšres pour chercher le bataillon, mais ils ne le trouvĂšrent pas. Plus tard je vis passer le gĂ©nĂ©ral Reisat Ă  la tĂȘte de sa brigade de cavalerie. Je lui demandai des nouvelles du bataillon. Il ne put m’en donner. Je lui exposai mon embarras et mes inquiĂ©tudes sur le compte de mes camarades ; il me dit Venez avec moi. – Merci, mon gĂ©nĂ©ral, si la bataille recommençait pendant que je serais dans la plaine, je serais broyĂ© entre tant de chevaux. Je me tirerai mieux d’affaire, avec mes quarante hommes isolĂ©s. » Il rit de mon observation et l’approuva. Enfin, dans la journĂ©e, j’appris que le bataillon Ă©tait Ă  Holzhausen depuis la veille au soir. Je m’y rendis ; on fut bien surpris de me revoir, car on nous croyait tous prisonniers. La journĂ©e se passa en concentration de troupes et dispositions prĂ©paratoires pour la bataille du lendemain, qui devait dĂ©cider la question restĂ©e indĂ©cise la veille. 18 octobre. – La matinĂ©e de cette journĂ©e, fatale Ă  nos armes, fut calme. PrĂšs de 300 000 hommes sur le point de s’entr’égorger attendaient sous les armes que le signal fĂ»t donnĂ©. Avant que l’action s’engageĂąt, le major Fabre, notre chef de bataillon, promu Ă  ce grade depuis moins d’un mois mais restĂ© Ă  notre tĂȘte jusqu’à ce qu’un chef de bataillon fĂ»t venu le remplacer, rĂ©unit les officiers pour leur demander s’il n’était pas plus convenable d’aller combattre dans les rangs du 6Ăšme corps, auquel nous appartenions et oĂč nous Ă©tions connus des gĂ©nĂ©raux, que de rester au 11Ăšme, auquel nous nous trouvions attachĂ©s sans savoir pourquoi, et oĂč personne ne faisait attention Ă  nous. Tous les officiers furent de cet avis, et nous quittĂąmes aussitĂŽt cette partie du champ de bataille, pour nous porter de l’autre cĂŽtĂ© de la Parthe, sur la route de Duben, par oĂč nous Ă©tions arrivĂ©s le 16 au matin et oĂč se trouvait le 6Ăšme corps. Dans cette marche, nous trouvĂąmes la garde impĂ©riale qui Ă©tait en rĂ©serve, prĂȘte Ă  se porter partout oĂč sa prĂ©sence deviendrait nĂ©cessaire. ArrivĂ©s Ă  ce point, la bataille commença. Le cercle du combat s’était rĂ©trĂ©ci ; nous Ă©tions dans un centre de feu, car partout, sur tous les points, dans toutes les directions, on se battait. Au passage de la Parthe, l’armĂ©e saxonne passa Ă  l’ennemi sous nos yeux. Ceux des Saxons qui se trouvaient de ce cĂŽtĂ©-ci de la riviĂšre ne purent exĂ©cuter assez tĂŽt leur mouvement de dĂ©sertion. Ils furent arrĂȘtĂ©s et envoyĂ©s sur les derriĂšres. Un marĂ©chal des logis d’artillerie, traversant nos rangs Ă  la suite de sa batterie, criait Ă  tue-tĂȘte Paris, Paris ! » Un sergent du bataillon, indignĂ© comme toute l’armĂ©e de cette lĂąche dĂ©sertion et de son insolence, lui rĂ©pondit Dresde, Dresde ! » et l’étendit mort Ă  ses pieds d’un coup de fusil. Peu de minutes aprĂšs, nous arrivĂąmes sur le terrain oĂč se trouvait le dĂ©bris du 6Ăšme corps, qui avait Ă©tĂ© anĂ©anti le 16. Il Ă©tait dans le beau village de Schönefeld, luttant corps Ă  corps avec les SuĂ©dois, au milieu des flammes et des dĂ©combres. La 1Ăšre division, dont nous faisions partie, Ă©tait Ă  droite, hors du village, contenant l’artillerie, qui foudroyait les masses ennemies, Ă  mesure que celles-ci approchaient pour tourner le village et nous jeter dans la Parthe. Le marĂ©chal Marmont et le gĂ©nĂ©ral Compans nous virent arriver avec plaisir, car notre bataillon, tout faible qu’il Ă©tait, Ă©tait encore plus fort que ce qui restait de cette belle division, forte de plus de 8 000 hommes Ă  la reprise des hostilitĂ©s. DĂšs notre arrivĂ©e, notre mince colonne fut sillonnĂ©e par les boulets ennemis. Les officiers et les soldats tombaient, comme les Ă©pis sous la faux du moissonneur. Les boulets traversaient nos rangs, du premier jusqu’au dernier, et enlevaient chaque fois trente hommes au moins, quand ils prenaient la colonne en plein. Les officiers qui restaient ne faisaient qu’aller de la droite Ă  la gauche de leur peloton, pour faire serrer les rangs vers la droite, tirer les morts et les blessĂ©s hors des rangs et empĂȘcher les hommes de se pelotonner et de tourbillonner sur eux. Le marĂ©chal Marmont et le gĂ©nĂ©ral Compans ayant Ă©tĂ© blessĂ©s, nous passĂąmes sous les ordres du marĂ©chal Ney, qui vint nous encourager Ă  tenir bon. Enfin, aprĂšs plusieurs heures de cette formidable canonnade, nous fĂ»mes contraints de nous retirer, quand Schönefeld eut Ă©tĂ© enlevĂ©, et notre gauche prise Ă  revers par les troupes qui venaient de s’emparer du faubourg de Halle. Notre retraite se fit en bon ordre, sous la protection de la grosse artillerie de rĂ©serve, qui arrĂȘta court l’armĂ©e de Bernadotte, ancien marĂ©chal français, prince royal de SuĂšde. Nous nous arrĂȘtĂąmes sur la rive droite de la Parthe, oĂč nous passĂąmes la nuit. Elle fut triste, pĂ©nible, cruelle ! La douleur d’avoir perdu un grande et sanglante bataille, l’effrayante perspective d’un lendemain qui serait peut-ĂȘtre plus malheureux, le canon qui grondait sur tous les points de nos tristes lignes, la dĂ©fection de nos lĂąches alliĂ©s, les cris de nos malheureux blessĂ©s, enfin les privations de toute espĂšce qui nous accablaient depuis quelques jours tous ces maux et ces causes rĂ©unis me firent faire de bien amĂšres rĂ©flexions sur la guerre et ses vicissitudes ! Nous perdĂźmes, dans cette dĂ©sastreuse journĂ©e, la plus meurtriĂšre qui ait eu lieu jusqu’alors, la majoritĂ© des officiers et plus de la moitiĂ© de nos soldats. Il ne me restait pas vingt hommes, sur plus de deux cents qui avaient rĂ©pondu Ă  l’appel depuis le commencement de cette funeste campagne. Le corps d’armĂ©e n’existait plus que de nom. Plus des deux tiers des gĂ©nĂ©raux avaient Ă©tĂ© tuĂ©s ou blessĂ©s. 19 octobre. – Au jour, nous reçûmes l’ordre de commencer notre mouvement de retraite, qui devait s’opĂ©rer par corps d’armĂ©e et Ă  des heures fixĂ©es. ArrivĂ©s sur les boulevards, qui Ă©taient encombrĂ©s de canons, de caissons, de fourgons, de voitures de luxe, de charrettes, de cantines, de chevaux, etc., nous ne pĂ»mes pĂ©nĂ©trer plus avant, tant le dĂ©sordre, le pĂȘle-mĂȘle Ă©taient complets. Notre gĂ©nĂ©ral de brigade nous fit entrer dans un enclos, pour attendre le moment favorable de passer l’unique pont par oĂč nous devions nous retirer. Ce pont fut les fourches caudines de l’armĂ©e. Pendant ce temps lĂ , l’armĂ©e ennemie nous resserrait davantage dans Leipsick ; une attaque impĂ©tueuse par le faubourg de Halle, afin de s’emparer du pont, la seule retraite de l’armĂ©e, faisait des progrĂšs ; on nous y envoya. On se battait dans les rues, dans les jardins, dans les maisons ; les balles arrivaient sur les boulevards. Je ne pourrais dire comment il se fit qu’en allant d’un point Ă  un autre pour soutenir mes voltigeurs, je me trouvai seul, entourĂ© d’ennemis et prĂšs d’ĂȘtre saisi. Je m’esquivai par la porte d’un jardin, et aprĂšs avoir marchĂ© quelque temps, je me trouvai seul du bataillon sur le boulevard, au milieu de l’armĂ©e dans la plus complĂšte dĂ©route. Je suivis le mouvement, sans savoir oĂč j’allais, je passai le pont qui Ă©tait fermĂ© Ă  l’entrĂ©e par un des battants de la grille en fer, et encombrĂ© de cadavres qu’on foulait aux pieds. Enfin je me trouvai de l’autre cĂŽtĂ©, portĂ© par la masse des hommes qui se sauvaient. C’était une confusion qui faisait saigner le cƓur. Une fois sur l’autre rive, je rencontrai le capitaine de grenadiers qui, comme moi, Ă©tait sans soldats ; qui, comme moi, ne savait pas ce qu’était devenu le bataillon. Nous nous arrĂȘtĂąmes sur le cĂŽtĂ© droit de la route, pour l’attendre. Nous pleurions de rage, de douleur ; nous versions des larmes de sang sur cet immense dĂ©sastre. Moins de cinq minutes aprĂšs nous ĂȘtre couchĂ©s sur l’herbe, car nous Ă©tions trop fatiguĂ©s, trop malades au physique et au moral pour pouvoir nous tenir debout, le pont sauta et nous fĂ»mes couverts de ses dĂ©bris. C’était le dĂ©nouement de cette lugubre tragĂ©die qui avait commencĂ© le 17 aoĂ»t. Alors nous nous acheminĂąmes vers Langenau, oĂč finissait cette chaussĂ©e Ă©troite, construite artificiellement au-dessus des basses prairies inondĂ©es par l’Elster et ses affluents. Le dĂ©sordre y Ă©tait aussi grand que sur les promenades de Leipsick. Sortis enfin de cette Ă©troite route, nous trouvĂąmes l’Empereur dans la plaine, Ă  cheval c’est la derniĂšre fois que je l’ai vu, disant aux officiers qui passaient prĂšs de lui Ralliez vos soldats ! » Des poteaux, oĂč Ă©taient Ă©crits en gros caractĂšres les numĂ©ros des corps d’armĂ©e, indiquaient les chemins qu’on devait prendre. ArrivĂ©s Ă  Markrunstedt, nous trouvĂąmes le bataillon, qui avait passĂ© le pont avant nous. Cette rencontre inopinĂ©e me combla de joie. Je trouvai aussi mon domestique, qui avait sauvĂ© mon cheval et mon portemanteau. Enfin un voltigeur, qui avait trouvĂ© un cheval abandonnĂ© sur les boulevards de la ville et qui l’avait pris, me l’offrit, moyennant une petite indemnitĂ©. Ce beau cheval appartenait Ă  un commissaire des guerres, d’aprĂšs le contenu de son portemanteau, qui Ă©tait trĂšs bien garni d’effets. Je les distribuai Ă  ceux des officiers du bataillon qui avaient tout perdu dans cette Ă©pouvantable dĂ©route. Les papiers furent conservĂ©s en cas de rĂ©clamation ; je les mis dans les fontes. Nous passĂąmes une partie de la nuit sur l’emplacement oĂč je trouvai le bataillon ; mais avant le jour, l’ordre fut donnĂ© de se mettre en marche sans bruit et de se diriger sur Weissenfels. 20 octobre. – PassĂ© Ă  Lutzen et sur une portion de ce cĂ©lĂšbre champ de bataille que, prĂšs de sept mois auparavant, nous avions illustrĂ© par une brillante victoire. Les temps Ă©taient bien changĂ©s. Nous passĂąmes la Saale Ă  Weissenfels, et nous bivouaquĂąmes sur la rive gauche, prĂšs de la ville. Dans la matinĂ©e, Ă©tant sur mon cheval de la veille, je fus accostĂ© par son propriĂ©taire qui le rĂ©clama. Je lui fis observer que l’ayant abandonnĂ© il avait perdu tous ses droits Ă  sa possession. AprĂšs bien des pourparlers, il me demanda son portemanteau je lui dis l’usage que j’en avais fait et je lui remis ses papiers. Le soir, au bivouac, un caporal de ma compagnie, gravement blessĂ© au pied, me pria, les larmes aux yeux, de lui donner ce cheval pour le porter Ă  Mayence. Pour sauver ce malheureux soldat, qui avait bien fait son devoir pendant la campagne, je le lui donnai, Ă  condition qu’il me le remettrait Ă  Mayence. Je me condamnai Ă  faire la route Ă  pied pour lui ĂȘtre utile. Ayant passĂ© l’Unstrut Ă  Freybourg, non loin de Roosbach, sur un pont battu par l’artillerie ennemie, BarrĂšs est envoyĂ© Ă  Erfurt pour prendre des effets d’habillement. Cependant, la retraite se poursuit, aggravĂ©e par le froid et la faim. Le 27 octobre, Ă  Vach, la terre Ă©tait couverte de neige. N’ayant ni bois pour nous chauffer, ni paille pour nous reposer, je m’étais rĂ©fugiĂ©, la nuit, dans une Ă©glise. Au matin, mon fidĂšle domestique vint me dire d’arriver de suite pour manger un peu de soupe qu’il avait prĂ©parĂ©e. C’était une bonne fortune, car depuis plusieurs jours, je n’avais pas mĂȘme de pommes de terre. En approchant du feu oĂč il avait passĂ© la nuit, je le vis qui pleurait de dĂ©sespoir et de colĂšre. Pendant le peu de temps qu’il avait mis pour venir me prĂ©venir, on lui avait volĂ© son pot et les seules provisions qu’il avait pu se procurer en courant une partie de la nuit pour les trouver. Son chagrin me toucha, car c’était par intĂ©rĂȘt pour moi qu’il Ă©tait si dĂ©solĂ©. Dans la matinĂ©e du 30, je fus tĂ©moin d’un Ă©vĂ©nement qui m’affecta bien douloureusement. ArrĂȘtĂ© un instant dans un village entre Auttenau et Hanau, par suite d’embarras, ce qui nous arrivait souvent, un pauvre soldat blessĂ© au cĂŽtĂ© sortit un instant, par une nĂ©cessitĂ©, de la maison oĂč il s’était rĂ©fugiĂ© pour se guĂ©rir. En rentrant dans le logis, il fut accrochĂ© par un panier qui se trouvait sur un cheval qui passait. Il fut atteint Ă  l’endroit de sa blessure qui se rouvrit, poussa un cri de douleur, monta au second oĂč il Ă©tait logĂ© et se jeta par la fenĂȘtre sur la route, oĂč il vint tomber Ă  quelques pieds de moi et oĂč il fut tuĂ© raide sur le coup. Quelques soldats de ma compagnie, ayant aperçu un paysan, qui s’approcha de la fenĂȘtre quand le malheureux soldat s’y Ă©tait prĂ©cipitĂ©, criĂšrent de suite que c’était le paysan qui l’avait jetĂ©. C’était absurde, mais le malheur empĂȘche de raisonner. On saisit l’infortunĂ© paysan, et on le fusilla Ă  cent pas plus loin, hors du village. J’eus beau le dĂ©fendre et expliquer comment cela avait du se passer, je ne fus pas Ă©coutĂ©. L’officier d’état-major qui avait pris cette affaire en main voulut avoir raison, Ă  lui seul. Il commit un crime au lieu d’un acte de justice. AprĂšs ĂȘtre sorti de ce village, oĂč venait de s’accomplir un suicide et une atroce exĂ©cution, nous entendĂźmes en avant de nous de fortes dĂ©tonations de canon qui, par leur intensitĂ© et leur prolongation, nous annoncĂšrent que l’ennemi nous avait devancĂ©s, et cherchait Ă  nous barrer le passage, comme il l’avait dĂ©jĂ  tentĂ© deux ou trois fois, mais sans succĂšs, depuis le commencement de notre retraite. Plus loin, des officiers d’état-major, envoyĂ©s sur les derriĂšres pour accĂ©lĂ©rer la marche des troupes, nous apprirent que c’était l’armĂ©e bavaroise qui Ă©tait arrivĂ©e en poste et nous disputait le passage Ă  la hauteur de Hanau. On ne marchait plus, on courait. Avant d’arriver sur le terrain oĂč se livrait la bataille, nous fĂ»mes canonnĂ©s par des piĂšces qui se trouvaient sur la rive gauche de la Kinzig. Je fus envoyĂ© avec mes voltigeurs, pour les obliger Ă  s’éloigner de cette rive. Mes hommes s’étant embusquĂ©s derriĂšre les arbres du rivage pour faire feu sur les canonniers, ceux-ci aprĂšs quelques dĂ©charges se sauvĂšrent plus vite qu’ils Ă©taient venus. Les dĂ©bris du 6Ăšme corps se formĂšrent en colonne d’attaque et, marchant au pas de charge et Ă  la baĂŻonnette le long de la rive droite de la Kinzig, ils concoururent, avec les autres troupes dĂ©jĂ  engagĂ©es, Ă  jeter les perfides Bavarois dans cette riviĂšre, et Ă  rĂ©tablir les communications interceptĂ©es depuis quarante-huit heures. Les Bavarois se rappelleront longtemps la leçon qu’ils reçurent dans cette chaude journĂ©e. Leurs pertes furent considĂ©rables, mais comme ils occupaient la place forte de Hanau, qu’ils n’évacuĂšrent que dans la nuit, et les rives gauches du Main et de la Kinzig, on ne jugea pas prudent de les poursuivre. Du reste, la nuit Ă©tait close quand la victoire fut complĂšte. 31 octobre. – Nous restĂąmes jusqu’à midi sur le champ de bataille, que nous quittĂąmes pour continuer notre mouvement sur Francfort. On se battit, toute la matinĂ©e, Ă  coups de canon, d’une rive Ă  l’autre de la Kinzig. Dans un moment de relĂąche oĂč la troupe n’était pas sous les armes, je me chauffais prĂšs d’un feu de bivouac, oĂč je faisais cuire quelques pommes de terre, et en attendant, je lisais un journal que j’avais trouvĂ© sur le champ de bataille un boulet vint me tirer de mes rĂ©flexions que cette lecture faisait naĂźtre, et m’enlever le frugal dĂ©jeuner que je convoitais avec une espĂšce de sensualitĂ©. Ce maudit boulet, aprĂšs avoir emportĂ© la tĂȘte d’un chef de bataillon d’artillerie de marine qui Ă©tait appuyĂ© contre un arbre, tenant son cheval par la bride, vint ricocher au milieu de mon feu, m’enleva mes pommes de terre et me couvrit de charbons ardents et de cendres. Un voltigeur qui se trouvait en face de moi eut le mĂȘme dĂ©sagrĂ©ment et le mĂȘme bonheur. Ce fut un coup bien heureux pour nous, car si nous avions Ă©tĂ© placĂ©s diffĂ©remment l’un et l’autre, nous Ă©tions coupĂ©s en deux. L’effet de ce boulet donna lieu Ă  une discussion et Ă  un incident bizarres. Le commandant mort, le cheval effrayĂ© se sauva dans le bois oĂč nous nous trouvions et, Ă©pouvantĂ© de nouveau par quelques boulets qui sifflĂšrent Ă  ses oreilles, on eut mille maux pour l’attraper. Le soldat qui le prit prĂ©tendit que c’était sa propriĂ©tĂ©, que tout ce qu’on prenait sur un champ de bataille Ă©tait de bonne prise. Les officiers du corps se rĂ©unirent immĂ©diatement, sous la prĂ©sidence du gĂ©nĂ©ral de brigade, pour dĂ©cider de cette grave question, qui fut tranchĂ©e, aprĂšs des divergences d’opinion, en faveur des hĂ©ritiers du commandant. Pendant qu’on dĂ©libĂ©rait sous la volĂ©e des piĂšces de canon de nos ex-alliĂ©s, mon premier clairon, qui me manquait depuis trois jours, rentra Ă  la compagnie, m’apportant une volaille cuite et un pain pour faire excuser son absence. Je ne voulais pas l’accepter, mais mes officiers, qui n’avaient pas autant de motifs d’ĂȘtre sĂ©vĂšres, m’engagĂšrent Ă  fermer les yeux sur quelques actes d’indiscipline de cette nature, vu la faiblesse de leurs estomacs
 Cette considĂ©ration me fit ranger Ă  leur opinion. Mais comme je savais que notre excellent chef, le major Fabre, n’avait pas l’estomac plus garni que nous, je l’invitai Ă  venir en prendre sa part. Celui-ci me fit observer que le gĂ©nĂ©ral Joubert se mourait de faim. Je fus l’engager Ă  manger une aile de volaille, qu’il accepta de grand cƓur. Mais en pensant au plaisir qu’il allait avoir, il se rappela tout Ă  coup que le gĂ©nĂ©ral de division Lagrange, commandant le reste des trois divisions du corps d’armĂ©e, n’avait rien non plus pour dĂ©jeuner ; il me dit d’ĂȘtre bon prince Ă  son Ă©gard et de l’inviter Ă  en prendre sa part. Ainsi nous Ă©tions six affamĂ©s, autour d’une pauvre piĂšce qui n’aurait pas suffi Ă  un seul pour apaiser sa faim dĂ©vorante. Des troupes encore en arriĂšre Ă©tant arrivĂ©es pour nous relever, nous partĂźmes Ă  midi pour Francfort. Un peu plus tard, nous aurions assistĂ© Ă  une autre bataille qui commença peu de temps aprĂšs notre dĂ©part. Cette nouvelle attaque, trĂšs chaude, mais moins meurtriĂšre que celle de la veille, n’eut pas le mĂȘme rĂ©sultat. Les Bavarois furent refoulĂ©s dans la ville ou jetĂ©s dans la Kinzig. Notre marche sur Francfort fut difficile. La route encombrĂ©e de traĂźnards, de blessĂ©s, de malades, de voitures de toute espĂšce, horriblement mauvaise par suite du dĂ©gel, de la pluie et de la fonte des neiges, Ă©tait peu favorable Ă  un prompt Ă©coulement. Il Ă©tait nuit, quand nous prĂźmes possession du terrain sur lequel nous devions bivouaquer. Nous Ă©tions dans les vignes, autour et au-dessus de Francfort, dans la boue jusqu’aux genoux, sans feu, sans paille, sans abri et une pluie battante sur le corps. Quelle affreuse nuit ! Quelle faim ! 1er novembre. – Au bivouac autour de Höchet, petite ville au duc de Nassau, oĂč je passais pour la quatriĂšme fois. Il y avait eu beaucoup de dĂ©sordre au passage du pont de la Nidda, riviĂšre qui coula prĂšs de cette ville, mais cette nuit fut moins dĂ©sagrĂ©able que la prĂ©cĂ©dente. Nous eĂ»mes au moins un abri, des vivres et surtout de l’excellent vin du Rhin pour nous rĂ©chauffer et nous rĂ©conforter. Ce soir lĂ , je fus accostĂ© par notre officier-payeur que nous n’avions pas vu depuis longtemps. Il me raconta, les larmes aux yeux, que la veille de la bataille de Hanau, lui, le sergent vaguemestre, les hommes d’escorte, la caisse, la comptabilitĂ© et la caisse d’ambulance avaient Ă©tĂ© pris par les Bavarois, mais que dans la nuit il Ă©tait parvenu Ă  s’évader de leurs mains. Il me priait de prĂ©venir le major de ce malheur, et de lui Ă©pargner les premiers mouvements de sa colĂšre. Une fois Ă©tabli sur la position oĂč nous devions passer la nuit, je fus rendre compte de la nouvelle fĂącheuse que je venais d’apprendre. Le major entra dans une grande colĂšre, mais quand je lui eus expliquĂ© les moyens Ă  employer pour rĂ©parer ce malheur, et mettre sa responsabilitĂ© Ă  couvert ; quand je lui eus dit que je me chargeais de toutes les Ă©critures et des dĂ©marches Ă  faire pour y parvenir, il se radoucit. Je fis venir alors le jeune officier, Ă  qui il pardonna. Mais aprĂšs cette explication, je lui dis d’aller de suite voir le gĂ©nĂ©ral Joubert, pour lui en rendre compte et se faire dĂ©livrer un certificat qui constatĂąt que c’était par suite des Ă©vĂ©nements militaires de la retraite que la caisse avait Ă©tĂ© perdue. 2 novembre. – Enfin, aprĂšs dix-sept jours de fatigues, de combats, de privations de tout genre, d’émotions et de dangers de toute nature, nous atteignons les bords tant dĂ©sirĂ©s du Rhin, de ce majestueux fleuve qui allait, au moins pour quelques jours, mettre un terme Ă  nos nombreux maux ! Nous voici au bivouac prĂšs des glacis de Cassel. Retracer les dĂ©sastres de cette horrible, je ne dis pas retraite, mais dĂ©route, ce serait Ă©crire le tableau le plus douloureux de nos revers. AprĂšs les malheurs de Leipsick, on ne prit, ou ne put prendre, aucune mesure sĂ©rieuse pour rallier les soldats et rĂ©tablir l’ordre et la discipline dans l’armĂ©e. On marchait Ă  volontĂ©, confondus, poussĂ©s, Ă©crasĂ©s sans pitiĂ©, abandonnĂ©s sans secours, sans qu’une main amie vĂźnt vous soutenir ou vous fermer les yeux. Les souffrances morales rendaient indiffĂ©rents aux souffrances physiques ; la misĂšre rendait Ă©goĂŻstes des hommes bons et gĂ©nĂ©reux ; le moi personnel Ă©tait tout ; la charitĂ© chrĂ©tienne, l’humanitĂ© envers ses semblables n’étaient plus que des mots. Nous arrivĂąmes sur les bords du Rhin, comme nous Ă©tions partis des bords de l’Elster en pleine dissolution. Nous avions couvert la route des dĂ©bris de notre armĂ©e. À chaque pas que nous faisions, nous laissions derriĂšre nous des cadavres d’hommes et de chevaux, des canons, des bagages, des lambeaux de notre vieille gloire. C’était un spectacle horrible, qui navrait de douleur. À tous ces maux rĂ©unis, il vint s’en joindre d’autres qui augmentĂšrent encore notre triste situation. Le typhus Ă©clata dans nos rangs dĂ©sorganisĂ©s, d’une maniĂšre effrayante. Ainsi on peut dire qu’en partant de Leipsick, nous fĂ»mes accompagnĂ©s par tous les flĂ©aux qui dĂ©vorent les armĂ©es. J’eus le plaisir d’ĂȘtre rejoint Ă  mon bivouac par plusieurs voltigeurs guĂ©ris de leurs blessures, et entre autres par le caporal Ă  qui j’avais donnĂ© mon cheval pour le porter. Il allait mieux, sans ĂȘtre toutefois guĂ©ri. Je me trouvai avoir en peu d’instant sept chevaux, que les voltigeurs blessĂ©s me donnĂšrent. Mais comme ne n’avais pas le moyen de les nourrir, je les donnai Ă  mon tour aux officiers du bataillon qui en avaient besoin. 3 novembre. – Passage du Rhin Ă  Mayence. On nous envoie en cantonnement Ă  Dexheim, village situĂ© prĂšs d’Oppenheim, en remontant la rive gauche du Rhin. Notre envoi dans des villages, pour nous reposer, fut accueilli avec joie. C’était nĂ©cessaire ; nous Ă©tions Ă©puisĂ©s par la marche et les privations de toute espĂšce. Toujours au bivouac, dans la neige ou dans la boue, depuis prĂšs d’un mois, n’ayant eu pour vivre que les dĂ©goĂ»tants restes de ceux qui nous prĂ©cĂ©daient sur cette route de douleur, il n’était pas surprenant que nous fussions avides de repos. Pendant les cinq jours que le bataillon resta dans le village, je ne pus parvenir Ă  apaiser ma faim, malgrĂ© les cinq ou six repas que je faisais par jour, lĂ©gers Ă  la vĂ©ritĂ© pour ne pas tomber malade, mais assez copieux cependant pour satisfaire deux ou trois hommes en temps ordinaire. J’étais restĂ© de l’autre cĂŽtĂ© du Rhin sept mois. 9 novembre 1813. – Avant que nous fussions envoyĂ©s Ă  Mayence pour y tenir garnison, le prince de NeufchĂątel rĂ©unit notre corps d’armĂ©e dans une plaine, sur les bords du Rhin, au-dessous d’Oppenheim, pour ĂȘtre rĂ©organisĂ© et pourvu des officiers qui lui manquaient. Nous fĂźmes nos adieux au bataillon du 86Ăšme, avec qui nous avions fait toute la campagne et qui, plus malheureux que nous encore, avait Ă©tĂ© presque entiĂšrement dĂ©truit, le 16 octobre, Ă  Leipsick. En arrivant Ă  Mayence, nous trouvĂąmes sur la place d’armes le 4Ăšme bataillon, qui venait d’avoir une chaude affaire sur les hauteurs de Hocheim, pour son dĂ©but, et avait Ă©prouvĂ© quelques pertes d’hommes. Nous cĂ©lĂ©brĂąmes notre rĂ©union par un bon dĂźner, qui leur fit oublier les Ă©motions de la journĂ©e. En ce temps lĂ , je fus envoyĂ© Ă  Oppenheim et logĂ© chez un propriĂ©taire aisĂ©, grand amateur des vins de son pays, qu’il mettait bien au-dessus des meilleurs crus de Bordeaux. Aussi m’en faisait-il boire d’excellents Ă  tous les repas, car je mangeais chez lui pour lui ĂȘtre agrĂ©able, me l’ayant demandĂ© avec instance. Pour que ses vieux vins ne perdissent pas de leur qualitĂ©, il faisait rincer les verres avec du vin ordinaire. Cet excellent homme, pĂšre d’une nombreuse et aimable famille, descendait d’une famille française, expatriĂ©e pour cause de religion, lors de la rĂ©vocation de l’Édit de Nantes. Il Ă©tait Français de cƓur, et se proposait de quitter le pays, s’il redevenait Allemand. Le 28 dĂ©cembre, les deux bataillons reçurent l’ordre de remonter jusqu’en face de Mannheim pour surveiller le Rhin, sur les deux rives. Et moi je dus aller pour service Ă  Mayence. Le 31, pour rejoindre le rĂ©giment, j’étais en route sur mon bon cheval de prise, quand je rencontrai le gĂ©nĂ©ral Merlin, qui allait rejoindre Strasbourg. Il me demanda Ă  l’acheter, je consentis Ă  le lui cĂ©der moyennant 300 francs, qu’il me paya sur le champ. Peu aprĂšs, c’était au sortir de Worms, je rencontrai mon chef de bataillon, le commandant D
, qui se plaignait d’un rhumatisme aigu. Ce qui me chagrine, me dit-il, c’est que je voudrais partir pour Paris, et je n’ai pas le sou pour faire ce voyage. – Si ce n’est que cela qui vous inquiĂšte, je puis vous dĂ©barrasser de cet ennui. VoilĂ  300 francs en or, vous me les remettrez quand vous pourrez. » Il accepta, et continua sa route. Plus fin et plus ambitieux que tous les officiers du bataillon, il voyait que nous ne tarderions pas Ă  ĂȘtre bloquĂ©s dans Mayence, oĂč il n’y avait pas d’avancement Ă  espĂ©rer, et peut-ĂȘtre Ă©tait-il dĂ©jĂ  dans la confidence des trames prĂ©parĂ©es pour le retour des Bourbons. J’arrivai Ă  Ogersheim, le dernier soir de dĂ©cembre, comme un dĂ©tachement de cent hommes commandĂ©s par un capitaine de mes amis, ayant sous ses ordres trois officiers, partait pour tenir garnison dans une redoute Ă©levĂ©e en face de Mannheim pour dĂ©fendre le passage du Rhin en cet endroit. On lui donna la consigne de ne point entrer en pourparlers, pour aucune espĂšce de capitulation. Il fallait vaincre ou mourir. Absurde alternative, pour si peu de dĂ©fenseurs. Vers la fin de cette nuit, du 31 dĂ©cembre au 1er janvier 1814, une forte canonnade nous annonça que sa redoute Ă©tait attaquĂ©e et que l’armĂ©e prussienne, sous les ordres de BlĂŒcher, exĂ©cutait le passage du Rhin. Nous prĂźmes de suite les armes et marchĂąmes au canon. Mais dĂ©jĂ  la redoute Ă©tait enveloppĂ©e, vivement attaquĂ©e, et la plaine couverte d’éclaireurs ennemis. Ceux-ci, nous les repoussĂąmes sans peine, mais bientĂŽt nous nous trouvĂąmes en face de forces si supĂ©rieures que, pour ne pas ĂȘtre coupĂ©s de Mayence, oĂč nous avions ordre de rentrer, nous nous retirĂąmes en bon ordre et tenant toujours tĂȘte Ă  l’ennemi, sur Franckhal et Worms, oĂč nous arrivĂąmes dans la nuit. La redoute se dĂ©fendit trois heures, et finit par ĂȘtre prise d’assaut. Heureusement que ce qui restait de dĂ©fenseurs fut Ă©pargnĂ©. Bien plus, le roi de Prusse, qui se trouvait Ă  Mannheim, fit rendre aux officiers leurs Ă©pĂ©es, et les habitants s’empressĂšrent de rhabiller les soldats qui arrivaient nus dans cette ville. C’était un hommage qu’on rendait Ă  leur belle conduite, qui trouva mĂȘme chez leurs ennemis des sentiments de justice. Les Prussiens avouĂšrent avoir laissĂ© sept cent morts ou blessĂ©s dans les fossĂ©s ; le dĂ©tachement Ă©tait rĂ©duit de moitiĂ©. Cependant nous poursuivions notre retraite sur Mayence, et, la nuit venue, nous Ă©tions installĂ©s dans nos bivouacs, prĂšs de je ne sais quel village, quand le chef de bataillon du 4Ăšme invita quelques officiers, dont j’étais, Ă  venir manger un pĂątĂ© de foie d’oie qu’il venait de recevoir de Strasbourg. Nous Ă©tions autour de la piĂšce, nous la dĂ©vorions des yeux, attendant que ce fĂ»t avec nos bonnes dents, lorsqu’un cri sinistre se fit entendre Aux armes ! aux armes ! C’étaient les vedettes des gardes d’honneur qui arrivaient au grand galop, pour nous annoncer l’approche de l’ennemi. Nous courĂ»mes Ă  nos compagnies, et le commandant, tout en demandant son cheval, disait Ă  son domestique N’oublie pas le pĂątĂ© ! » Il lui fit au moins dix fois cette recommandation, ce qui nous faisait rire malgrĂ© la contrariĂ©tĂ© que nous Ă©prouvions de nous ĂȘtre contentĂ©s de l’avoir vu, car il ne fut plus question de le manger en famille, comme le disait le commandant, pour cĂ©lĂ©brer le renouvellement de l’annĂ©e. Elles furent fameuses, nos Ă©trennes de 1814 ! Nous continuĂąmes notre retraite sur Worms. Le 2 janvier, Ă  notre dĂ©part de Worms, nous eĂ»mes Ă  repousser plusieurs charges de cavalerie, qui ne nous firent aucun mal et oĂč l’ennemi fut assez maltraitĂ©. Ayant marchĂ© toute la journĂ©e, nous arrivĂąmes Ă  Mayence, au milieu de la nuit, avec la cavalerie russe sur les talons. SIÈGE DE MAYENCE Le bivouac commença le 4 janvier et ne finit que le 4 mai. Les deux bataillons du rĂ©giment furent laissĂ©s dans le faubourg de la Weisnau, pour le dĂ©fendre et faire le service de cette partie de la ville. C’est un faubourg sur la route d’Oppenheim, le long du Rhin, au-dessous d’une espĂšce de camp retranchĂ© dont nous avions la garde. Le service Ă©tait rigoureux, surtout les rondes de nuit, qui se renouvelaient souvent, Ă  cause de la dĂ©sertion gĂ©nĂ©rale des soldats hollandais, belges, rhĂ©nans et mĂȘme piĂ©montais. Le froid fut trĂšs dur, cette annĂ©e ; le Rhin gela complĂštement, Ă  pouvoir passer en voiture sur la glace ; on allait Ă  pied au fort de Cassel. Cette circonstance fit encore redoubler la surveillance des postes, car l’ennemi pouvait en profiter et achever la dĂ©fection commencĂ©e. Pendant les deux mois que nous restĂąmes dans ce faubourg, nous eĂ»mes quelques combats Ă  soutenir contre les troupes du blocus, qui Ă©taient peu dangereuses, car c’étaient en gĂ©nĂ©ral des conscrits levĂ©s de la veille ; mais nous Ă©tions si faibles, si accablĂ©s par la fiĂšvre typhoĂŻde, que nous ne valions guĂšre mieux que les assiĂ©geants. Une grande calamitĂ© avait frappĂ© notre malheureuse garnison et les habitants de la ville. Pendant plus de deux mois, la mort sĂ©vit avec tant de violence qu’on ne pouvait pas suffire Ă  enlever les victimes de cette horrible maladie. Les pestes d’Asie, la fiĂšvre jaune des colonies ne firent pas autant de dĂ©gĂąts que le typhus dans Mayence. On estime qu’il mourut 30 000 militaires ou habitants. On faisait des fosses qui contenaient jusqu’à 1 500 cadavres, qu’on brĂ»lait avec de la chaux. Nous perdĂźmes nos trois chirurgiens, trois officiers de voltigeurs, cinq ou six autres des compagnies du centre et la moitiĂ© de nos soldats. C’est ainsi que nous fĂ»mes plus faibles Ă  notre dĂ©part de Mayence que lorsque nous avions passĂ© le Rhin au retour de Leipsick, malgrĂ© les nombreuses recrues reçues avant le blocus. Le prĂ©fet, le fameux Jean Bon Saint-AndrĂ©, plusieurs gĂ©nĂ©raux, et beaucoup de personnages haut placĂ©s succombĂšrent. Au retour du beau temps, nous rentrĂąmes en ville, ce qui nous plut trĂšs fort, ayant Ă©tĂ© fort mal, pendant ces deux mois, dans ce faubourg ruinĂ©. Avec mars et la douce chaleur du printemps, revinrent la santĂ©, la gaietĂ© et les dĂ©cevantes espĂ©rances. On forma un Conseil d’administration des convalescents, sous la prĂ©sidence du colonel Follard, qui eut pleins pouvoirs du gĂ©nĂ©ral en chef pour tout accorder dans l’intĂ©rĂȘt des militaires, qui seraient envoyĂ©s au dĂ©pĂŽt des convalescents. J’étais le deuxiĂšme membre et le plus actif, puisque j’étais chargĂ© de l’exĂ©cution de tout ce qui avait Ă©tĂ© dĂ©libĂ©rĂ© et adoptĂ© dans la sĂ©ance du Conseil, qui se tenait le matin de chaque jour. J’avais plus de quarante officiers sous mes ordres, un pour chaque corps ou portion de corps. Ce Conseil commença ses opĂ©rations le 1er mars, et ne les cessa que vers la fin d’avril, lorsque la maladie eut tout Ă  fait disparue. Il s’assemblait tous les jours, et resta souvent en permanence. Son action sauva bien des malades d’une mort inĂ©vitable. Ma coopĂ©ration y contribua un peu, car, ainsi que je l’ai dit plus haut, j’étais toujours lĂ  pour veiller Ă  l’exĂ©cution des mesures ordonnĂ©es et supplĂ©er aux insuffisances. Les misĂšres du blocus, sous le rapport alimentaire, ne furent pas trĂšs rigoureuses. Si on excepte la viande de boucherie, qui manqua totalement, dĂšs les premiers jours, le pain, les lĂ©gumes secs, les salaisons, furent distribuĂ©s assez rĂ©guliĂšrement et en quantitĂ© suffisante, d’aprĂšs les rĂšgles en usage dans les places assiĂ©gĂ©es. La viande de bƓuf fut remplacĂ©e par celle de cheval. Un de mes officiers, chargĂ© des distributions, ne m’en laissa pas manquer. On donnait aussi un peu de vin, d’eau-de-vie, de la morue, des harengs secs, etc. On pouvait, en payant un peu cher, trouver Ă  dĂźner dans les hĂŽtels, mais quels dĂźners ! MalgrĂ© ces privations et la mortalitĂ© qui Ă©tait effrayante, les cafĂ©s, les théùtres, les concerts, les bals Ă©taient trĂšs suivis. Le spectacle Ă©tait trĂšs bon, malgrĂ© la mort de plusieurs acteurs. J’y allais souvent, pour chasser les prĂ©occupations du moment. Le 11 avril, nous apprĂźmes les Ă©vĂ©nements de Paris, et successivement, tous ceux qui en furent la suite. Cette foudroyante nouvelle nous fut communiquĂ©e officiellement par le gĂ©nĂ©ral SĂ©mĂ©lĂ©, qui avait rĂ©uni Ă  la Weisnau les officiers de sa division pour leur en faire part. Tous les officiers, Ă  peu prĂšs, versĂšrent des larmes de rage et de douleur, Ă  la lecture de cette accablante fin de notre hĂ©roĂŻque lutte avec l’Europe entiĂšre. On se retira morne, silencieux, dĂ©vorant intĂ©rieurement les souffrances morales que causaient des Ă©vĂ©nements qui nous avaient semblĂ© ne devoir jamais se rĂ©aliser. Avant d’entrer en ville, je fus accostĂ© par mon chef de bataillon, le commandant D
, qui n’avait pas pu s’éloigner de Mayence, comme il en avait le projet. – Mon Dieu, lui dis-je, que va devenir la France, si elle tombe au pouvoir des bourbons que je croyais tous morts depuis longtemps ? Que vont devenir nos institutions, ceux qui les ont fondĂ©es, les acquĂ©reurs de biens nationaux, etc ? – Mon cher capitaine, me rĂ©pondit-il avec vivacitĂ©, vous ressemblez Ă  tous les officiers que nous venons de voir et d’entendre vous vous figurez que les Bourbons, que vous ne connaissez que d’aprĂšs les horreurs qu’on a dites d’eux pendant la RĂ©volution, sont des tyrans et des imbĂ©ciles. Rassurez-vous sur l’avenir de la France. Elle sera plus heureuse, sous leur sceptre paternel, que sous la verge de fer de cet aventurier qu’on va chasser, s’il ne l’est dĂ©jĂ . Je m’éloignai furieux, aprĂšs lui avoir dit – Vous pensiez diffĂ©remment il y a trois mois. Je suffoquais de douleur et de honte pour mon pays. Le 21 avril, nous arborĂąmes le drapeau blanc et prĂźmes la cocarde de la vieille monarchie. Le mĂȘme jour, les officiers durent remettre individuellement un acte d’adhĂ©sion au nouvel ordre de choses. DĂšs ce moment, les relations avec l’extĂ©rieur furent permises, et les communications avec les ennemis, qu’on appelait nos alliĂ©s, autorisĂ©es. DĂ©jĂ , beaucoup d’officiers gĂ©nĂ©raux et supĂ©rieurs Ă©taient partis pour Paris, pour aller saluer les nouveaux astres ; cet empressement devint plus vif aprĂšs la cĂ©rĂ©monie de la reconnaissance du drapeau. La cocarde tricolore fut quittĂ©e avec douleur, et la cocarde blanche arborĂ©e avec un serrement de cƓur. La veille de ce jour, avant que l’ordre en fĂ»t donnĂ©, je vis un colonel en second des gardes d’honneur avec une cocarde blanche. Je dis tout haut aux officiers qui se trouvaient avec moi Tiens, voilĂ  une cocarde blanche ! » Le colonel en colĂšre marcha sur moi, en me disant Eh bien ! monsieur, qu’avez-vous Ă  dire sur le compte de cette cocarde ? » Je lui rĂ©pondis froidement C’est la premiĂšre que je vois de ma vie. » Il se retira sans rien ajouter, mais visiblement courroucĂ© de mon exclamation. Il devint pair de France sous la Restauration. C’était le marquis de Pange. Je l’ai beaucoup connu par la suite, quand il commandait le dĂ©partement de la Meurthe, et nous riions de ce souvenir. L’ordre arriva de remettre au prince de Saxe-Cobourg, qui commandait les troupes du blocus, la cĂ©lĂšbre et forte place de Mayence, avec son immense matĂ©riel. Nous en sortĂźmes en vertu de la convention spoliatrice du 23 avril, que reportait la France Ă  ses anciennes limites. Que de pertes nous fĂźmes dans un seul jour ! Quels regrets amers nous causa cet abandon ! Les derniers jours furent passablement dĂ©sordonnĂ©s. Les soldats, satisfaits de partir et tenant peu Ă  la conservation des choses qu’ils Ă©taient obligĂ©s d’abandonner aux Ă©trangers, commirent beaucoup de dĂ©gĂąts, enlevĂšrent ce qu’ils purent pour le vendre aux juifs, brĂ»lĂšrent la poudre des batteries, pillĂšrent l’arsenal, etc. Les officiers ne firent rien pour arrĂȘter ces dĂ©sordres, parce qu’ils partageaient le mĂ©contentement des soldats, qui Ă©taient indignĂ©s contre les habitants, qui mutilaient les aigles des Ă©tablissements publics ou manifestaient publiquement la joie qu’ils Ă©prouvaient de nous voir partir. J’eus l’occasion de dire Ă  quelques bourgeois que je connaissais Vous voyez notre dĂ©part avec plaisir. Avant un mois vous regretterez notre puissance et nos institutions. » LA PREMIÈRE RESTAURATION LA RENTRÉE EN FRANCE Enfin le jour du dĂ©part, fixĂ© au 4 mai, arriva. Le 4Ăšme corps d’armĂ©e, fort de 15 000 hommes, sortit en bon ordre, emmenant deux piĂšces de canon par 1000 hommes, et prit la route de France. À Spire, le 5 mai, nous demandĂąmes la permission au major, trois capitaines et moi, de partir en avant pour aller visiter Mannheim, et de voyager pour notre compte jusqu’au sĂ©jour. Nous avions un si grand besoin d’air, de libertĂ©, d’indĂ©pendance qu’il semblait que tout cela nous manquĂąt, mĂȘme en plein champ. Nous prĂźmes Ă  la poste une voiture et des chevaux, et partĂźmes, heureux d’ĂȘtre nos maĂźtres. Nous visitĂąmes successivement Franckhal, Mannheim, Ogersheim, en changeant de vĂ©hicule Ă  tous les relais. À Landau, le 7, nous trouvĂąmes des agents du nouveau gouvernement, qui avaient toute la marque des ci-devant nobles. Ce fut la premiĂšre fois que je vis la croix de Saint-Louis. À Annweiler, petite ville de l’ancien duchĂ© des Deux-Ponts, nous avons rejoint le rĂ©giment. D’étape en Ă©tape, le 7 juin, nous Ă©tions Ă  Verdun et Clermont. LĂ , Ă  la halte, il s’éleva une querelle trĂšs vive entre nos soldats et des fantassins russes, qui s’y trouvaient en cantonnement. Sans l’intervention active des officiers, une collision dangereuse aurait pu naĂźtre et amener de graves dĂ©sordres. Nos soldats Ă©taient taquins en diable contre ces Ă©trangers, qui foulaient le sol de notre pays. DĂ©jĂ , depuis notre dĂ©part de la Sarre, de semblables scĂšnes avaient eu lieu. Celle-ci plus dangereuse, puisqu’il y eut du sang versĂ©. Le 9, Ă  ChĂąlons-sur-Marne, un vieil Ă©migrĂ©, chez qui j’étais logĂ©, et qui avait la vue trĂšs affaiblie par l’ñge, me prit pour un officier russe. Il m’accueillit de la maniĂšre la plus distinguĂ©e. Il n’y avait rien d’assez bon, d’assez digne de m’ĂȘtre offert. Il me fit d’étranges confidences. Les vanteries de ce voltigeur surannĂ© m’amusĂšrent beaucoup, et m’engagĂšrent Ă  le laisser dans son ignorance, jusqu’à mon dĂ©part. Quand il fut dĂ©sabusĂ©, sa colĂšre fut comique ! Il y eut aussi des querelles, entre des sous-officiers du corps et des officiers russes, assez compliquĂ©es, mais qu’on arrangea. Ce qui fut cause qu’on nous fit partir de ChĂąlons, au lieu d’y sĂ©journer, pour nous envoyer dans un village ruinĂ© par l’invasion, sur la route de Montmirail. Le 12 juin, une heure aprĂšs notre arrivĂ©e Ă  Montmirail, je partis, avec trois autres officiers, dans une voiture particuliĂšre, pour Paris. J’y Ă©tais envoyĂ© par le major pour toucher la solde des officiers du mois de mai et celle des soldats, qu’on n’avait pu se procurer chez les payeurs des villes, oĂč nous Ă©tions passĂ©s, faute de fonds. Nous passĂąmes la nuit Ă  TrĂ©pors, village sur la rive gauche de la Marne. L’auberge oĂč nous descendĂźmes Ă©tait remplie de filles publiques de Paris, qui avaient accompagnĂ© jusqu’à ce village les Russes qui se retiraient. Nous arrivĂąmes Ă  Paris, le 13, de bonne heure dans l’aprĂšs-midi, et Ă  peine si le soir nous Ă©tions logĂ©. La restauration de la vieille monarchie avait attirĂ© Ă  Paris tant de nobles et d’émigrĂ©s, tant de VendĂ©ens et de chouans, tant de partisans des Bourbons et de victimes de la RĂ©volution, tant d’hommes bien pensants, tant d’hommes retournĂ©s, que tous les hĂŽtels Ă©taient pleins jusqu’aux combles. Et les théùtres aussi. On y jouait des piĂšces de l’ancien rĂ©pertoire, appropriĂ©es aux circonstances ; je citerai entre autres la Partie de chasse de Henri IV, qui Ă©tait vigoureusement applaudie. On aurait dit que l’Europe entiĂšre s’était donnĂ© rendez-vous dans le jardin du Palais-Royal. DĂšs mon arrivĂ©e, je m’occupai, activement de ma mission, mais je trouvai partout des fins de non-recevoir. J’étais renvoyĂ© de l’inspecteur aux revues au ministĂšre de la Guerre, de celui-ci Ă  celui des Finances ; mes piĂšces en rĂšgle, je me prĂ©sentai chez le payeur, qui n’avait pas de fonds ou ne voulait pas m’en donner. Il fallait recommencer les courses, les sollicitations, faire renouveler les autorisations de paiement, etc. Cela dura six jours. Enfin, le 20 dans la journĂ©e, nous fĂ»mes payĂ©s. Pendant ces interminables formalitĂ©s, le rĂ©giment que j’avais laissĂ© sans argent cheminait pauvrement vers la Bretagne, vivant presque de charitĂ©. Moi, Ă  Paris, dans les derniers jours, je n’étais guĂšre plus heureux. Ayant partagĂ© mes ressources avec mes compagnons de voyage, – ressources qu’on ne mĂ©nagea point dans le commencement, parce qu’on comptait sur le paiement de la solde et de l’indemnitĂ© de route, – il arriva que le dernier jour nous n’aurions pas dĂ©jeunĂ©, si un dĂ©putĂ© de mes amis n’avait mis sa bourse Ă  ma disposition. Le 21 juin, je pus rejoindre mes camarades Ă  Mortagne. Je les trouvais Ă  table, mangeant leur dernier Ă©cu. Mon arrivĂ©e fut saluĂ©e avec des transports de joie. Avec moi, revint la bonne humeur, parce que j’apportais ce qui la fait naĂźtre et l’entretient. Le major m’avoua qu’on dĂ©pensait ce soir le dernier sol » qu’il y eut dans les bataillons. Cette situation n’étant plus tenable, il avait pris la rĂ©solution de s’arrĂȘter Ă  Alençon, et de prier le maire d’inviter les habitants Ă  nourrir les soldats, jusqu’à ce qu’ils eussent reçu l’argent nĂ©cessaire pour continuer leur route. Le 6 juillet, nous arrivĂąmes Ă  Lorient qui Ă©tait le lieu de notre destination. Dans le courant du mois de septembre, le chef de notre bataillon, le commandant D
, qui avait pris le titre de comte et qui Ă©tait restĂ© Ă  Paris depuis notre passage, pour se faire admettre comme officier dans la maison du roi chevau-lĂ©gers, ayant Ă©chouĂ© dans ses prĂ©tentions, m’écrivit pour me demander s’il avait des chances d’ĂȘtre employĂ© dans le rĂ©giment. Je lui rĂ©pondis que par son anciennetĂ©, il pouvait l’ĂȘtre encore, mais qu’il fallait se hĂąter d’arriver, parce qu’il se prĂ©sentait beaucoup d’officiers de son grade pour concourir. Il vint de suite, bien guĂ©ri de son enthousiasme pour les Bourbons, mĂ©content de la cour, et fort courroucĂ© contre le duc de Berri qui n’avait pas voulu admettre ses droits Ă  l’emploi qu’il sollicitait. J’appris par lui bien des choses sur l’opposition que le nouveau gouvernement rencontrait dans sa marche, sur les bĂ©vues qu’il commettait, les mĂ©contents qu’il faisait, et les injustices qu’on lui reprochait. Ce langage m’étonna, car Ă©tranger aux intrigues de cour, aux antichambres des ministres et au crĂ©dit des protecteurs en faveur, je ne comprenais pas qu’on eĂ»t besoin et qu’on employĂąt de pareils moyens pour arriver plus haut. Mais ce qui m’étonnait le plus, c’était d’entendre de semblables choses sortir de la bouche d’un homme qui m’avait si fort rembarrĂ©, quand j’avais mis en doute la bontĂ© du gouvernement qui allait nous ĂȘtre imposĂ©. Pendant un mois qu’il resta Ă  Lorient, nous fĂ»mes presque toujours ensemble. N’ayant pas Ă©tĂ© employĂ©, il fut manger sa demi-solde Ă  Paris. Lors de la cĂ©rĂ©monie du Champ-de-Mai, l’annĂ©e suivante, il Ă©tait un des officiers chargĂ©s de placer les troupes dans le Champ-de-Mars, avant la distribution des aigles. Ce retour vers l’aventurier fut cause qu’il resta sans emploi aprĂšs les Cent-Jours. Mais par la protection de son parrain, le duc d’OrlĂ©ans, aujourd’hui Louis Philippe, il entra dans les gardes du corps Ă  pied et arriva successivement au grade de lieutenant-gĂ©nĂ©ral, directeur gĂ©nĂ©ral au ministĂšre, conseiller d’État, etc. L’obligation d’aller Ă  la messe tous les dimanches contraria beaucoup les officiers et leur fit prendre les Bourbons en grippe, mais plus encore la certitude qu’une immensitĂ© d’entre nous serait envoyĂ©e en demi-solde. Le 1er octobre, l’organisation du 44Ăšme de ligne se fit dans le cabinet du colonel, en prĂ©sence de l’inspecteur gĂ©nĂ©ral comte de Clausel, mais ce travail demeura secret. Le 3, cette opĂ©ration se fit sur le terrain du polygone, en prĂ©sence d’un grand concours d’officiers, qui attendaient avec anxiĂ©tĂ© le rĂ©sultat des notes donnĂ©es sur le compte de chacun d’eux. L’appel des officiers maintenus en activitĂ© se fit d’abord pour les officiers supĂ©rieurs, puis pour les officiers comptables, puis pour les officiers de campagne. Quoique j’eusse une espĂšce de certitude, je trouvai cependant le temps long de ne pas entendre mon nom. Je fus appelĂ© le dernier, parce que je devais commander la 3Ăšme de voltigeurs. BarrĂšs, mis en congĂ© de semestre au dĂ©but de novembre 1814, se retira en Auvergne auprĂšs des siens 23 novembre. – À Blesle, oĂč j’ai le plaisir de retrouver ma mĂšre et tous mes parents en bonne santĂ©. Le changement de gouvernement avait aussi changĂ© l’esprit de la sociĂ©tĂ©. Il n’y avait plus l’entrain de 1812. La politique avait divisĂ© les individus et refroidi les familles. La noblesse avait repris son orgueil et ne recevait plus avec la mĂȘme simplicitĂ© qu’auparavant. Pour ne pas ĂȘtre tĂ©moin de ses hauteurs, je la frĂ©quentai peu, je sortis moins et m’ennuyai assez. Cependant il y avait une maison, illustre dans le pays par sa naissance et ses vieux parchemins, oĂč j’allais tous les vendredis, avec mon frĂšre, qui Ă©tait aussi en congĂ© de semestre, passer vingt-quatre heures. C’était chez le comte Hippolyte d’Espinchal, chef d’escadron au 81Ăšme de chasseurs, demeurant Ă  Massiac, petite ville Ă  une lieue de Blesle. Mon frĂšre servait dans le mĂȘme corps. PENDANT LES CENT-JOURS Ce fut dans la derniĂšre de ces courses, vers le 9 mars 1815, vaguement le vendredi soir, mais positivement le samedi matin, que j’appris par plusieurs lettres de Paris, que NapolĂ©on avait dĂ©barquĂ© en Provence le 1er mars, et marchait sur Lyon. Cette nouvelle plus qu’immense me surprit et m’étonna beaucoup. RentrĂ© chez moi, je contins la joie que j’en Ă©prouvais, sans pouvoir la dĂ©finir, car j’étais aussi inquiet sur les suites que satisfait de l’évĂ©nement. J’attendis quelques jours, espĂ©rant que des ordres me parviendraient, mais, n’en recevant pas, je me rendis au Puy pour savoir ce que nous devions faire. C’est dans ce temps lĂ  que le courrier qui portait les fonds du gouvernement fut arrĂȘtĂ© entre le Puy et Yssengeaux par des voleurs. Un gĂ©nĂ©ral que l’Empereur avait chassĂ© des rangs de l’armĂ©e, et qui commandait le dĂ©partement, eut l’infamie de soupçonner les officiers en demi-solde d’avoir exĂ©cutĂ© ce coup de main. Il les fit venir chez lui, aussitĂŽt qu’il eut connaissance de ce vol, pour s’assurer de leur prĂ©sence au chef-lieu. Quand les officiers eurent connaissance du motif de cet injurieux appel, ils traitĂšrent le gĂ©nĂ©ral comme il le mĂ©ritait ; et quand ils surent que l’Empereur Ă©tait Ă  Paris et que le roi Ă©tait parti, ils furent chez lui pour lui signifier de quitter le Puy, Ă  l’instant mĂȘme, parce que, une heure aprĂšs, ils ne rĂ©pondaient plus de son existence. Il partit immĂ©diatement, bien heureux d’en ĂȘtre quitte pour des menaces. Le jour qu’on reçut la nouvelle que l’Empereur Ă©tait arrivĂ© Ă  Paris, j’allai Ă  la prĂ©fecture avec mon frĂšre, pour voir notre aĂźnĂ©, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral. Nous Ă©tions tous les deux en uniforme. PrĂšs d’entrer dans l’hĂŽtel, nous fĂ»mes assaillis par une multitude de misĂ©rables en haillons qui tombĂšrent sur nous aux cris de Vive l’Empereur, Ă  bas la cocarde blanche ! » et sans nous donner le temps de rĂ©pondre, nous bousculĂšrent, s’emparĂšrent de nos shakos, arrachĂšrent nos cocardes et nous couvrirent d’injures. Mon frĂšre et moi, nous avions mis l’épĂ©e Ă  la main pour nous dĂ©fendre, mais saisis en mĂȘme temps par derriĂšre, nous ne pĂ»mes en faire usage. La garde de la prĂ©fecture vint aussitĂŽt Ă  notre secours, et nous dĂ©livra des mains de ces forcenĂ©s, qui auraient fini par nous Ă©charper. Mon Dieu, que j’étais en colĂšre ! Je pleurais de rage ! Je pris ma feuille de route, le lendemain, pour rejoindre Ă  Brest le rĂ©giment. À Tours, Ă  l’hĂŽtel oĂč nous descendĂźmes, nous avons trouvĂ© plusieurs officiers de l’ancienne armĂ©e qui, Ă©tant entrĂ©s dans la Maison Rouge du roi, l’avaient accompagnĂ© jusqu’à la frontiĂšre. Ils se plaignaient amĂšrement des mauvais procĂ©dĂ©s des troupes envoyĂ©es Ă  la poursuite du roi, et qu’ils avaient rencontrĂ©es Ă  leur retour. Nous achetĂąmes un tout petit bateau pour descendre la Loire jusqu’à Nantes, et louĂąmes un homme pour la conduire. Il fallut ramer souvent et longtemps pour vaincre la rĂ©sistance du vent et Ă©viter les vagues qui Ă©taient trĂšs fortes. J’avais plus de vingt ampoules aux mains quand je sortis du bateau. Nous le vendĂźmes plus qu’il ne nous avait coĂ»tĂ©, et le produit du passage de trois Ă  quatre personnes, que nous prĂźmes en route, nous couvrit de tous nos frais. Le voyage fut charmant pendant les deux premiers jours, et nous pĂ»mes voir sans fatigue, trĂšs en dĂ©tail, les rives tant vantĂ©es de la majestueuse Loire. À Quimpert-Corentin, mon chef de bataillon, qui y Ă©tait en garnison, nous chercha querelle, parce que nous avions encore sur nos croix d’honneur l’effigie d’Henri IV, lui qui, quelques mois auparavant, voulait m’envoyer aux arrĂȘts parce que je n’avais pas fait changer l’effigie de NapolĂ©on et remplacer l’aigle impĂ©riale par les fleurs de lis de l’ancien rĂ©gime ! À Brest, oĂč nous arrivĂąmes le 18 mars, nos camarades nous accueillirent avec cet empressement, cette cordialitĂ© qu’on ne trouve plus guĂšre que chez les militaires. Le colonel lui-mĂȘme nous invita Ă  dĂźner, chose qu’il ne faisait guĂšre et nous tĂ©moigna beaucoup d’amitiĂ©. Cela tenait en grande partie Ă  ce que, pendant notre absence, il avait Ă©tĂ© excessivement mal pour les officiers. Ceux-ci, au retour de l’Empereur, le dĂ©noncĂšrent et demandĂšrent son renvoi. Un capitaine se chargea de porter la pĂ©tition Ă  Paris, et de la remettre en personne Ă  l’Empereur. Cette requĂȘte, contraire Ă  la discipline et Ă  la soumission envers un chef, fut envoyĂ©e au prĂ©sident d’une commission, chargĂ©e de purger l’armĂ©e de tous les officiers, Ă©migrĂ©s ou autres, qu’on y avait introduits depuis le retour des Bourbons. Ce gĂ©nĂ©ral, ami du colonel, ne donna pas suite Ă  cette dĂ©nonciation, et renvoya le capitaine au rĂ©giment. Il fut mis aux arrĂȘts forcĂ©s, pour s’ĂȘtre absentĂ© du corps sans permission. Les capitaines qui Ă©taient cause de sa punition se rĂ©unirent pour demander sa grĂące. C’était audacieux, mais l’effervescence du moment autorisait bien des choses. La demande ne fut pas accueillie ; on devait s’y attendre ; mais il s’en suivit des paroles si extraordinaires, des reproches si sanglants, des accusations si monstrueuses, que la majeure partie des capitaines qui les entendirent furent effrayĂ©s. Un capitaine accusa le colonel, aprĂšs bien d’autres reproches, d’ĂȘtre un lĂąche, un voleur, un tigre Vous ĂȘtes un lĂąche, je vous ai vu fuir Ă  Wagram ; un voleur, pour avoir fait tort aux soldats de telle et telle somme qu’il spĂ©cifia ; un tigre, vous avez fait manger des nĂšgres par vos chiens Ă  Saint-Domingue. Vous ne le nierez pas, je l’ai vu
 » Le colonel Ă©couta toutes ces accusations avec beaucoup de sang-froid, et nous renvoya en nous disant VoilĂ  cependant oĂč conduit l’indiscipline ; mais je ne m’abaisserai pas Ă  me justifier d’aussi atroces calomnies. » La Bretagne manifesta des symptĂŽmes d’insurrection, en faveur des Bourbons, qui nĂ©cessitĂšrent un envoi de troupes dans le Morbihan. Deux cents hommes du 3Ăšme bataillon y furent envoyĂ©s, sous le commandement des deux plus anciens capitaines. Le gĂ©nĂ©ral nous envoya parcourir le dĂ©partement pour contenir les partis, surveiller les cĂŽtes, et peut-ĂȘtre aussi pour se dĂ©barrasser de nous, se mĂ©nageant dĂ©jĂ  les moyens de se rĂ©concilier avec les Bourbons, dont la rentrĂ©e prochaine devait lui ĂȘtre connue. Pendant notre sĂ©jour Ă  Morlaix, plusieurs agents des rĂ©publiques de l’AmĂ©rique mĂ©ridionale nous engagĂšrent, vu les circonstances malheureuses oĂč se trouvait la France, Ă  aller servir dans leurs troupes. Les promesses Ă©taient avantageuses, mais elles ne sĂ©duisirent aucun de nous. LA DEUXIÈME RESTAURATION Quelques jours aprĂšs notre rentrĂ©e Ă  Brest, le 8 juillet, on apprit officiellement, coup sur coup, l’entrĂ©e des ennemis de la France Ă  Paris, le dĂ©part de NapolĂ©on et de l’armĂ©e pour la rive gauche de la Loire, l’arrivĂ©e de Louis XVIII et de toute sa famille Ă  Paris. Tous ces malheurs, suite inĂ©vitable du dĂ©sastre de Waterloo, nous accablĂšrent de douleur. Le 19 juillet, le gĂ©nĂ©ral commandant rĂ©unit tous les officiers de la garnison, pour nous engager Ă  reprendre la cocarde blanche, et Ă  faire acte d’adhĂ©sion au nouvel ordre des choses. Il nous demanda le sacrifice de nos opinions, dans l’intĂ©rĂȘt de la France, qui Ă©tait gravement en danger, l’ennemi ne demandant que la dĂ©sunion de l’armĂ©e pour la morceler et l’anĂ©antir. Les officiers de la ligne baissĂšrent la tĂȘte, pour gĂ©mir sur tant de maux ; mais ceux des bataillons des gardes nationales des CĂŽtes-du-Nord refusĂšrent avec une violence extrĂȘme. Alors, aprĂšs bien des dĂ©bats tumultueux, un colonel d’état-major s’écria Retirons-nous et faisons notre devoir de bons citoyens, en nous soumettant Ă  ce que nous ne pouvons pas empĂȘcher ! Laissons cette minoritĂ© factieuse dans ses rĂȘves insensĂ©s et son impuissance ; sauvons Brest contre les Prussiens qui marchent sur la Bretagne, contre les Anglais qui voudraient nous voir en rĂ©bellion pour pouvoir prendre la ville et la dĂ©truire. » Les officiers se retirĂšrent avec leurs chefs pour dĂ©libĂ©rer de nouveau. Il fut convenu qu’on se conformerait Ă  ce que ferait l’armĂ©e de la Loire. Chacun de nous prit cet engagement par Ă©crit, et le signa individuellement. Je fus chargĂ© de porter ces adhĂ©sions conditionnelles au gouverneur, qui ne voulut pas les accepter. C’est une escobarderie, me dit-il il faut dans notre mĂ©tier plus de franchise. Allez, mon cher capitaine, dire Ă  vos camarades d’ĂȘtre plus consĂ©quents et de se dĂ©clarer franchement pour ou contre le gouvernement des Bourbons. Dans une heure, j’annoncerai par le tĂ©lĂ©graphe la soumission entiĂšre de la garnison ou la rĂ©sistance de quelques corps. » De retour chez le major O’Neill, oĂč les officiers m’attendaient, je fis part de l’ultimatum du gĂ©nĂ©ral. LĂ -dessus grands cris, vacarme
 AprĂšs avoir bien exposĂ© la position des choses Ă  tous mes camarades, je pris une feuille de papier oĂč j’écrivis Je reconnais pour mon souverain lĂ©gitime Louis XVIII, et jure de le servir fidĂšlement. » ; et aprĂšs l’avoir signĂ©e, je la fis passer sous les yeux de quelques voisins qui la copiĂšrent. Une demi-heure aprĂšs, je les dĂ©posais toutes entre les mains du gouverneur qui fut fort satisfait. Le major O’Neill, excellent officier sous tous les rapports, s’était tenu Ă  l’écart, pour ne pas gĂȘner les officiers dans leur dĂ©termination. Le 20 juillet au matin, les canons de la place, des forts en mer et de la rade, saluĂšrent le nouveau drapeau et la cocarde blanche fut reprise. L’agitation de la veille avait cessĂ©, et les gardes nationales avaient reçu l’ordre de rentrer dans leurs foyers. Le gouverneur nous fit dire qu’il comptait sur la bravoure et le dĂ©vouement des troupes de la garnison pour conserver Ă  la France son plus riche matĂ©riel. L’ordonnance du 3 aoĂ»t, qui licenciait l’armĂ©e, ne fut mise Ă  exĂ©cution, en Bretagne, qu’au dĂ©but d’octobre, car on craignait le voisinage des Prussiens qui avaient pĂ©nĂ©trĂ© jusque dans le Morbihan. Le marĂ©chal de camp Fabre eut la mission de nous licencier. Mission douloureuse, pour un militaire qui aimait ses compagnons de gloire et son pays. Le 3 octobre, nous passĂąmes la derniĂšre revue comme 47Ăšme. Le lendemain 4, les derniers dĂ©bris de cette vaillante armĂ©e, qui pendant vingt-quatre annĂ©es avait rempli le monde de ses exploits et montrĂ© ses immortelles couleurs dans toutes les capitales de l’Europe, Ă©taient dissĂ©minĂ©s sur toutes les routes, le bĂąton Ă  la main comme des pĂšlerins, demandant protection Ă  ces ennemis que nous avions si souvent vaincus, plus gĂ©nĂ©reux que nos compatriotes qui traitaient de Brigands de la Loire ces nobles vĂ©tĂ©rans de la gloire, ces victimes de la trahison. Il y avait dans le port un chasse-marĂ©e en partance pour Bordeaux. Pour ne pas ĂȘtre obligĂ© de rencontrer sur ma route les oppresseurs de mon pays, les soutiens de ces nobles qui se vengeaient sur nous des vingt-cinq annĂ©es d’humiliations que la RĂ©volution leur avait fait subir, j’y pris passage avec deux officiers. LA TERREUR BLANCHE 12 octobre. – Le lendemain de mon arrivĂ©e Ă  Bordeaux, je fus voir quelques connaissances que j’avais dans cette ville. Dans une maison, on me dit Nous sommes bons royalistes, mais nous ne voulons de mal Ă  personne. Vous ĂȘtes probablement bonapartiste, nous vous engageons Ă  vous assurer si vous n’avez rien de sĂ©ditieux dans vos malles, parce qu’on est capable d’aller les visiter pendant votre absence, et Ă  ne pas aller dans les cafĂ©s, crainte d’ĂȘtre insultĂ©. Enfin dans votre intĂ©rĂȘt et pour votre sĂ»retĂ©, nous vous engageons Ă  quitter la ville le plus tĂŽt possible. » C’était une jeune femme de vingt ans qui me disait cela, les larmes aux yeux. Le soir, je fus au spectacle avec mes amis et un capitaine du 86Ăšme de ma connaissance. On chanta entre les deux piĂšces la fameuse cantate dont le refrain Ă©tait Vive le roi, vive la France, et le chant Ă  la mode, vive Henri IV. Il fallut se lever de suite, et rester debout pendant tout le temps, et agiter son mouchoir blanc. À ne pas le faire, on aurait Ă©tĂ© jetĂ© des loges dans le parterre. Je n’ai jamais entendu autant crier, hurler, vocifĂ©rer le cri de vive le roi, que dans cette infernale soirĂ©e. Ce n’était pas un spectacle, mais bien un vrai pandĂ©monium oĂč tous les dĂ©mons de tous les sexes, de tous les Ăąges et de toutes les conditions, s’étaient rĂ©unis pour exprimer des sentiments horribles. Peu de jours avant, les deux frĂšres Faucher, tous deux marĂ©chaux de camp, avaient Ă©tĂ© fusillĂ©s par les royalistes bordelais. La ville accusait les bonapartistes de leur avoir refusĂ© la franchise du port. Le matin du 14, je fis porter ma malle Ă  la diligence de Clermont, et me dĂ©cidai Ă  faire le voyage Ă  pied. Mes compagnons suivaient une autre direction. Nous eĂ»mes un dĂ©jeuner d’adieu. Au cours de ce repas, un commis voyageur, ancien sous-officier du rĂ©giment, se permit de blĂąmer notre conduite, d’avoir suivi les drapeaux de l’usurpateur. Il s’ensuivit une forte querelle, qui ne cessa que par la disparition du provocateur. Le maĂźtre de l’hĂŽtel, qui avait entendu cette discussion, nous dit Partez vite dans votre intĂ©rĂȘt, et sortez par la porte de derriĂšre. » On se dit adieu Ă  la hĂąte, et l’on se sĂ©para. Dix minutes aprĂšs j’avais quittĂ© Bordeaux, passĂ© la Garonne en bateau, et cheminais tranquillement sur la route de Brannes, oĂč j’arrivai pour passer la nuit. Dans l’auberge, je fus pris pour le fils de la maison, qui Ă©tait aussi au service. D’abord, je me prĂȘtai Ă  cette plaisante erreur, mais quand elle devint plus sĂ©rieuse, je dus faire bien des efforts pour dĂ©sabuser ces braves gens, qui ne voulaient pas me croire. Je fus obligĂ©, pour les convaincre, de leur montrer ma feuille de route et de demander Ă  me retirer dans ma chambre. Les pleurs de la vieille mĂšre me faisaient mal. Le 16 octobre, je trouvai Ă  Bergerac, dans l’auberge oĂč je descendis, un capitaine de grenadiers du 47Ăšme, de mes meilleurs amis. Je demeurai lĂ , pour passer avec lui deux jours, dans une douce intimitĂ©. Ce capitaine, excellent officier et brave militaire, avait alors une certaine popularitĂ©, dans la partie de la France que l’ennemi n’avait pas envahie. Il Ă©tait chantĂ©, louĂ©, applaudi par tous les Français qui ne voyaient pas dans nos ennemis des amis. Ce fut lui qui, Ă©tant de garde, Ă  l’entrĂ©e du pont de Tours, du cĂŽtĂ© de la ville, le jour de la fĂȘte du roi de Prusse, fit coucher sur le pont toutes les dames de Tours qui Ă©taient allĂ©es cĂ©lĂ©brer cette fĂȘte dans les camps prussiens. AprĂšs la retraite, les barriĂšres des deux cĂŽtĂ©s furent fermĂ©es et tout ce qui se trouva entre fut condamnĂ© Ă  y rester jusqu’au lendemain matin. Les dames furent chansonnĂ©es, et le capitaine fĂ©licitĂ© par tous les gĂ©nĂ©raux d’avoir un peu vengĂ© l’insulte qu’on faisait Ă  la France. Le 20 octobre, un pauvre diable avec qui j’avais voyagĂ© dans la journĂ©e du 17 et Ă  qui j’avais payĂ© une bouteille de vin, sachant que je devais arriver, dans cette soirĂ©e, Ă  Argentat, eut la gĂ©nĂ©rositĂ© de venir m’attendre sur la route pour me conduire Ă  la meilleure auberge. Il Ă©tait dĂ©jĂ  nuit, et j’étais horriblement fatiguĂ©, quand j’y entrai. Ma lassitude, mon abattement, ma tenue assez mesquine, me firent sans doute prendre pour un des gĂ©nĂ©raux proscrits Ă  cette Ă©poque de vengeance, car aussitĂŽt assis auprĂšs du feu, un monsieur sortit de l’auberge pour aller chercher les gendarmes et m’arrĂȘter. Je leur prĂ©sentai ma feuille de route ; ils ne voulurent pas la regarder. Ils me dirent de les suivre chez le maire ; je protestai contre cette maniĂšre de faire leur devoir ; ils persistĂšrent je dus obĂ©ir. Ce pauvre diable dont je viens de parler, et qui ne m’avait pas encore quittĂ©, me disait Ne vous fĂąchez pas, ne rĂ©sistez pas, ils vous mettraient en prison. » Conduit par eux, le peuple criait sur mon passage Vive le roi, Ă  bas le brigand de la Loire ! Dix minutes aprĂšs, j’étais de retour Ă  l’auberge, le maire ayant trouvĂ© mes papiers trĂšs en rĂšgle, et s’excusant beaucoup d’avoir Ă©tĂ© contraint Ă  cette mesure de police. Je fus me coucher sans rien prendre, tant la marche de la journĂ©e et mon arrestation de la soirĂ©e m’avaient accablĂ©. Le 21, Ă  mon dĂ©part d’Argentat, je fus atteint par une forte pluie, qui ne me quitta point jusqu’à mon arrivĂ©e Ă  Pleau. N’ayant que ce que j’avais sur moi, je demandai du linge et des effets pour changer en attendant que les miens se sĂ©chassent, mais j’étais logĂ© dans une auberge oĂč il n’y avait que des femmes ; je dus me servir d’une de leurs chemises, et passer le reste de la journĂ©e au lit, dans une chambre qui servait de salle Ă  manger. C’était jour de foire, le temps Ă©tait affreux ; j’eus nombreuse compagnie de forains. En passant par Pleau, j’avais le projet de traverser les hautes montagnes d’Auvergne pour abrĂ©ger ma route, mais je dus y renoncer, tous les montagnards me disaient que le passage, en cette saison, Ă©tait impraticable. Je dus alors chercher Ă  atteindre Aurillac, dont je m’étais Ă©loignĂ© en me dirigeant sur Pleau. J’arrivai Ă  Aurillac, trop blessĂ© aux pieds pour pouvoir continuer de marcher, et j’y attendis la diligence pour terminer mon voyage en voiture. Le 25 octobre, j’arrivai Ă  Blesle, dans ma famille, bien satisfait de voir la fin de mon voyage. J’étais restĂ© vingt-deux jours en route, c’était beaucoup de temps et de fatigue ! Voyager Ă  pied, seul, un bĂąton Ă  la main, cela peut ĂȘtre charmant dans la belle saison et pour un amateur de pittoresque, mais pour un militaire, qui a passĂ© les dix plus belles annĂ©es de sa vie sur les grandes routes, cela n’a plus le mĂȘme attrait. Je ne fus pas enchantĂ© de ma fantaisie philosophique. Chez ma mĂšre, je trouvai une lettre du marĂ©chal de camp Romeuf, commandant le dĂ©partement de la Haute-Loire, qui me prĂ©venait que j’étais nommĂ© commandant provisoire de la lĂ©gion du dĂ©partement, et de me rendre Ă  Brioude, ville non occupĂ©e par nos amis les ennemis ils n’avaient pas dĂ©passĂ© l’Allier, pour commander le noyau qui s’y formait. J’avais besoin de repos, je le pris jusqu’au 4 novembre, tout flattĂ© que j’étais de la prĂ©fĂ©rence qu’on m’avait donnĂ©e. Le 4 novembre, j’allai Ă  Brioude, oĂč je trouvai une centaine d’hommes et l’ordre de partir avec eux pour Craponne, oĂč je trouverais des instructions. Le 6, je me perdis dans les bois et les neiges des montagnes de la Chaise-Dieu, aussi hautes que sauvages. Heureusement que le maire de la Chaise-Dieu fit sonner les cloches, dont le son me guida. Le lendemain 7, j’arrivai de la Chaise-Dieu Ă  Craponne. On avait rĂȘvĂ© que les gĂ©nĂ©raux proscrits s’étaient cachĂ©s dans les environs. Ma mission Ă©tait de visiter tous les villages, de dĂ©sarmer les habitants, de battre les bois, de fouiller les montagnes et de me mettre en rapport avec les colonnes mobiles de la Loire et du Puy-de-DĂŽme. Je le fis par devoir, mais sans conviction ; assez ostensiblement pour qu’on connĂ»t d’avance mes projets. Un jour, cette petite ville de Craponne ressembla Ă  un quartier gĂ©nĂ©ral d’armĂ©e. Les prĂ©fets de ces trois dĂ©partements et le gĂ©nĂ©ral comte de la Roche-Aymon, escortĂ©s de zĂ©lĂ©s royalistes Ă  cheval et en riche uniforme, s’y trouvĂšrent rĂ©unis pour se concerter sur les moyens d’arrĂȘter les projets rĂ©volutionnaires des bonapartistes, des libĂ©raux, des brigands de la Loire. La peur leur faisait voir partout des conspirateurs, mais ils ne faisaient rien pour calmer les populations irritĂ©es. Le 5 avril 1816, au Puy, un incident se produit. Quelques officiers, Ă  l’hĂŽtel, proposent de boire Ă  la santĂ© du roi. SoupçonnĂ© de n’avoir pas rĂ©pondu Ă  cette invite avec assez d’empressement, BarrĂšs est dĂ©noncĂ© au colonel, puis au gĂ©nĂ©ral, puis au prĂ©fet qui dĂ©cident de le maintenir dans la lĂ©gion, mais de le rĂ©primander. Il fallait alors, Ă©crit-il, ĂȘtre chaud royaliste, chaud jusqu’à l’extravagance. » Mes fonctions de commandant de place m’assujettissaient Ă  bien des occupations puĂ©riles, Ă  des courses de nuit, Ă  des enquĂȘtes prĂ©paratoires, Ă  des appels frĂ©quents chez le gĂ©nĂ©ral et le prĂ©fet. Ces messieurs voyaient partout des complots, des conspirations, des boutons Ă  l’aigle, des cocardes tricolores, des signes de rĂ©bellion. C’était Ă  qui montrerait le plus de zĂšle et de dĂ©vouement pour la bonne cause. Un dimanche du mois de juillet 1816, le prĂ©fet, pour cĂ©lĂ©brer l’anniversaire de la rentrĂ©e des Bourbons Ă  Paris, fit apporter, sur la plus grande place du Puy, tout le papier timbrĂ© Ă  l’effigie impĂ©riale, les sceaux des communes de la RĂ©publique et de l’Empire, et un magnifique buste colossal en marbre blanc d’Italie de l’empereur NapolĂ©on, chef d’Ɠuvre du cĂ©lĂšbre statuaire Julien, qui l’avait offert lui-mĂȘme Ă  ses ingrats et barbares compatriotes. Tout cela fut brĂ»lĂ©, mutilĂ©, brisĂ©, en prĂ©sence de la troupe et de la garde nationale sous les armes, des autoritĂ©s civiles, militaires, judiciaires, au bruit du canon, aux cris sauvages de Vive le roi ! ». Cet acte de vandalisme me brisa le cƓur.[4] Le 15 aoĂ»t 1816, nous reçûmes l’ordre de partir pour Besançon. Ce fut comique. Le gĂ©nĂ©ral Romeuf nous accompagna, pour surveiller notre marche. La gendarmerie nous suivait derriĂšre, pour empĂȘcher la dĂ©sertion des soldats. À Yssingeaux, le comte de MoidiĂšre, notre lieutenant-colonel, proposa sĂ©rieusement aux commandants de compagnie de prendre aux soldats leur culotte, pour les empĂȘcher de partir la nuit, et de la leur rapporter le lendemain matin pour la route ! En vĂ©ritĂ©, ces gens-lĂ  avaient perdu la tĂȘte. À notre arrivĂ©e Ă  Besançon, nous vĂźmes les inspecteurs gĂ©nĂ©raux chargĂ©s d’achever notre organisation. L’un d’eux Ă©tait un gĂ©nĂ©ral allemand, passĂ© au service de la France, le prince de Hohenlohe ! Leur premiĂšre opĂ©ration fut de dĂ©signer la moitiĂ© des officiers de tous grades pour aller en semestre forcĂ©. Je fus de ce nombre. On pense si cette mesure inique dĂ©plut Ă  tous les officiers qui la subirent ! Pour mon compte, elle me contraria beaucoup, car je n’étais guĂšre dans ce moment en position de supporter les frais d’un voyage aussi inattendu. Je m’en retournai en Auvergne. J. – B. BarrĂšs poursuivi par la dĂ©nonciation qui l’accuse d’avoir refusĂ© de boire Ă  la santĂ© du roi est cependant nommĂ© capitaine de grenadier du 2Ăšme bataillon. En mars 1817, il va d’Auvergne rejoindre la lĂ©gion Ă  Strasbourg et successivement en 1818 et 1819, il tient garnison au Puy, Ă  Grenoble, et Ă  Montlouis, prĂšs de la frontiĂšre espagnole. BARRÈS EST MIS EN DEMI-SOLDE Montlouis. – Le 15 octobre 1820, l’inspecteur gĂ©nĂ©ral, M. le marĂ©chal de camp VautrĂ©, commença ses opĂ©rations. Elles durĂšrent huit jours. Comme les annĂ©es prĂ©cĂ©dentes, je fus proposĂ© pour chef de bataillon et invitĂ© Ă  dĂźner par lui. Je fus aussi proposĂ© pour la croix de Saint-Louis. Le 17 dĂ©cembre, le mĂȘme gĂ©nĂ©ral VautrĂ© revint. À son arrivĂ©e, il demanda si je lisais encore le Constitutionnel. Le colonel, commandant de la place rĂ©pondit Oui. » Il mentait. Il aurait dĂ» dire non et que depuis septembre l’abonnement Ă©tait expirĂ©. Il aurait dit la vĂ©ritĂ©. Il le savait bien, puisque nous le lisions ensemble lui, le colonel, un chef de bataillon et dix capitaines, mais il eut peur et se tut. Sur cette affirmation, le gĂ©nĂ©ral dit BarrĂšs paiera pour les autres. Je le faisais passer au 19Ăšme de ligne lĂ©gion de la Gironde, il ira en demi-solde. » Ce dialogue, je l’ignorais. Il y eut un dĂźner. Tous les officiers Ă©taient tristes, parce qu’on savait dĂ©jĂ  les noms de plusieurs d’entre nous qui changeaient de corps ou Ă©taient renvoyĂ©s en demi-solde. J’étais de ce nombre. On me le laissa ignorer longtemps, mais enfin on finit par me l’apprendre. J’étais loin de penser qu’une semblable mesure pĂ»t jamais m’atteindre. J’avais rendu de si grands services ; ma conduite privĂ©e et militaire avait Ă©tĂ© si exempte de blĂąme, sous tous les rapports, que je restai confondu, anĂ©anti. Le lendemain, je voulus voir le gĂ©nĂ©ral ; il me fit dire de rester tranquille dans mon intĂ©rĂȘt. Ainsi j’étais condamnĂ© sans avoir Ă©tĂ© entendu. Je fus chez le colonel, qui eut l’air de me plaindre beaucoup. Chez le lieutenant-colonel, je trouvai plus de manifestation de regret et d’indignation. Mais comme je le connaissais faux, je ne me fis pas beaucoup d’illusion sur la sincĂ©ritĂ© de ses dĂ©monstrations. En voici une preuve lui ayant exprimĂ© l’inquiĂ©tude que j’avais que mon frĂšre, vicaire gĂ©nĂ©ral de l’archevĂȘque de Bordeaux, pĂ»t croire que j’avais commis quelque acte dĂ©shonorant dans ma carriĂšre militaire, il lui Ă©crivit une lettre de quatre pages pour lui faire mon Ă©loge. Quinze jours aprĂšs, il rĂ©clama cette lettre. Heureusement que je trouvai dans l’expression des regrets de la presque totalitĂ© de mes camarades, dans leur bonne affection, quelques consolations Ă  ma profonde douleur. Ce qui m’affligeait le plus dans cette brutale disgrĂące, c’était de voir que ce colonel qui, pendant cinq annĂ©es, m’avait comblĂ© de bons procĂ©dĂ©s, donnĂ© des preuves sincĂšres d’attachement, deux compagnies d’élite Ă  commander, proposĂ© pour chef de bataillon et pour la croix de Saint-Louis, choisi entre tous mes camarades pour remplir des fonctions dans les conseils de guerre, dans les places, dans l’administration, me sacrifiait pour complaire Ă  un gĂ©nĂ©ral qui voulait donner la preuve de son dĂ©vouement aux Bourbons en sacrifiant l’existence et l’avenir des anciens officiers, ses compagnons de l’Empire. Le 25 dĂ©cembre, au matin, je fis mes adieux, le cƓur bien gros, les yeux pleins de larmes, Ă  tous les officiers rĂ©unis. Ces derniers moments furent trĂšs touchants. Plusieurs m’accompagnĂšrent jusqu’à Prades. À Perpignan, le 27, je trouvai plusieurs de nos camarades du 1er bataillon, qui Ă©tait en garnison Ă  Collioure depuis un mois, venus pour m’accueillir. Pendant le dĂ©jeuner qu’ils m’offraient, le gĂ©nĂ©ral VautrĂ© me fit demander. Je trouvai chez lui le colonel O-Mahony, qui me parut assez embarrassĂ©. Le gĂ©nĂ©ral me dit d’un air assez dĂ©gagĂ©, en m’abordant – J’ai appris avec surprise, mon cher capitaine, que vous Ă©tiez trĂšs chagrin de la mesure que j’avais prise Ă  votre Ă©gard, et que je vous avais condamnĂ© sans vous avoir entendu ; ce qui pouvait vous faire croire que j’avais agi avec passion et d’aprĂšs des rapports qui m’auraient Ă©tĂ© faits contre vous, Ă  mon arrivĂ©e, dans le but de vous nuire. DĂ©trompez-vous ; voici une note ministĂ©rielle oĂč votre nom figure avec plusieurs autres. Je pris connaissance de ce document, Ă©manĂ© du ministĂšre de la Guerre, qui portait en tĂȘte Noms des officiers sur lesquels on prendra des renseignements. – Eh bien ! mon gĂ©nĂ©ral, avez-vous pris des renseignements sur mon compte ? Il me dit que oui. Alors un dialogue trĂšs vif s’établit entre lui et moi, oĂč je rĂ©futai victorieusement toutes les accusations qu’il me portait. – Si j’étais seul avec vous, mon gĂ©nĂ©ral, vous pourriez ne pas me croire, mais le colonel est lĂ  qui m’entend et qui peut dire si je mens. À chaque rĂ©ponse que je faisais je disais au colonel – Est-ce vrai ? Celui-ci Ă©tait bien forcĂ© de dire oui. Du reste, la principale accusation un peu sĂ©rieuse, c’était d’avoir Ă©tĂ© abonnĂ© au Constitutionnel. Mais quand je lui exposai que le colonel, un chef de bataillon et cinq ou six autres capitaines l’étaient aussi, cela le dĂ©concerta et embarrassa beaucoup le colonel. C’est alors que je lui dis – Si jamais je suis rappelĂ© Ă  faire partie de l’armĂ©e et que je sois tuĂ© au service du roi, viendra-t-on demander sur mon cadavre si je lisais le Constitutionnel ou le Drapeau blanc. Il me rĂ©pondit vivement et comme entraĂźnĂ© par mon apostrophe – Je suis convaincu que les lecteurs du premier firent toujours mieux leur devoir que les lecteurs du second. Une autre fois je lui dis – Comment se fait-il, mon gĂ©nĂ©ral, que vous m’ayez proposĂ© pour chef de bataillon, il y a deux mois, et que je ne sois pas mĂȘme bon aujourd’hui Ă  servir dans l’armĂ©e ? – Cela est vrai, mais alors je ne savais pas que vous fussiez un libĂ©ral. Il me fit lire les notes qu’il m’avait donnĂ©es Ă  cette Ă©poque, en me disant – Vous voyez que vous Ă©tiez bien dans mon esprit et que vous l’ĂȘtes encore, car je vous donne ma parole d’honneur qu’avant qu’il soit vingt jours vous serez replacĂ©. Je sortis satisfait, moins de ce que j’avais l’espoir d’ĂȘtre rĂ©intĂ©grĂ© dans mon grade, que d’avoir prouvĂ© que j’avais Ă©tĂ© calomniĂ©, mal jugĂ© et abandonnĂ© par mon protecteur naturel. Une heure aprĂšs, je montais en voiture pour Montpellier. Tous les officiers qui m’avaient invitĂ© Ă  dĂ©jeuner m’accompagnĂšrent jusqu’au bureau de la voiture. Le capitaine, aprĂšs m’avoir embrassĂ© avec toute l’effusion d’un cƓur chaud et aimant, et sitĂŽt que je fus hors de vue, se rendit chez le gĂ©nĂ©ral. Il y trouva l’aide de camp qui demanda aprĂšs moi. Il lui dit que j’étais parti. – Ah ! mon Dieu ! tant pis, le gĂ©nĂ©ral vient de le placer au 15Ăšme rĂ©giment d’infanterie lĂ©gĂšre. – C’est bien, dit le bouillant GuinguenĂ©, dans trois heures, je vous le ramĂšnerai. Il fut Ă  la poste aux chevaux, en monta un et se faisant prĂ©cĂ©der d’un postillon, il dit Ventre Ă  terre jusqu’à la rencontre de la voiture qui vient de partir. » Deux heures aprĂšs, il Ă©tait Ă  la portiĂšre de ma voiture, oĂč il me dit Descendez, j’ai ordre de vous ramener Ă  Perpignan. » AbsorbĂ© dans mes douloureuses rĂ©flexions, je crus rĂȘver quand je le vis auprĂšs de moi. AprĂšs quelques explications, je montai derriĂšre le postillon et nous galopĂąmes vers la ville. Le contentement que j’éprouvai de ce retour Ă  une meilleure apprĂ©ciation de ma conduite militaire et privĂ©e Ă©tait bien loin d’égaler la peine que j’avais ressentie en apprenant la fatale injustice, mais je triomphais un peu de mes lĂąches dĂ©nonciateurs. Nous Ă©tions prĂšs de Salus quand je fus sommĂ© de descendre de voiture. Le temps Ă©tait affreux ; la pluie tombait Ă  torrent, en sorte que quand nous arrivĂąmes Ă  Perpignan nous Ă©tions horriblement mouillĂ©s et crottĂ©s. MalgrĂ© cela nous descendĂźmes de cheval Ă  la porte du gĂ©nĂ©ral et montĂąmes chez lui. En me voyant, il vint Ă  moi, me serra cordialement la main, en me disant – Vous voyez que je ne garde pas toujours rancune. Une inclination fut ma seule rĂ©ponse. Il me dit ensuite – Vous pourrez partir quand vous voudrez pour PĂ©rigueux oĂč est le 15Ăšme lĂ©ger, j’ai dĂ©jĂ  donnĂ© avis de votre admission. J’observai qu’il me serait pĂ©nible d’arriver au rĂ©giment avant que l’organisation y fut faite, ma prĂ©sence devant ĂȘtre dĂ©sagrĂ©able Ă  ceux qui pourraient se trouver dans la position oĂč j’étais il y a quelques jours. – Rassurez-vous, me rĂ©pondit-il, vous ne dĂ©placez personne, vous remplacez un officier qui demande sa retraite, et ceux qui doivent partir le sont dĂ©jĂ . Du reste vous rejoindrez quand vous voudrez, je vous donnerai une autorisation pour cela. CHEZ L’ARCHEVÊQUE DE BORDEAUX BarrĂšs se met en route vers PĂ©rigueux, et s’arrĂȘte pendant le trajet, Ă  Bordeaux, pour voir son frĂšre. À Agen, trois voyageurs montĂšrent dans la diligence, l’un trĂšs partisan du magnĂ©tisme, un autre trĂšs versĂ© dans la littĂ©rature anglaise, et enthousiaste de Lord Byron et de Walter Scott, dont j’entendais parler pour la premiĂšre fois, et le troisiĂšme, un rĂ©dacteur en chef d’un journal libĂ©ral de Bordeaux, qui s’était rendu Ă  Agen pour prier le prĂ©fet de ne pas lui faire l’honneur de composer un jury exprĂšs pour lui, vu qu’il se contenterait de celui qui serait chargĂ© de juger les assassins et les voleurs. Il Ă©tait poursuivi pour dĂ©lit de presse, pour avoir demandĂ© la dĂ©molition de la fameuse colonne du 12 mars qui Ă©tait une insulte Ă  la France. La conversation trĂšs spirituelle de ces trois hommes me fit supporter agrĂ©ablement l’ennui d’un long sĂ©jour en lourde diligence. AprĂšs avoir pris un logement, je fus Ă  l’archevĂȘchĂ© voir mon frĂšre aĂźnĂ©, vicaire gĂ©nĂ©ral. Il avait Ă©tĂ© successivement Ă©lĂšve de l’École normale et professeur de littĂ©rature Ă  l’École centrale. Sous l’Empire, il avait Ă©tĂ© deux fois candidat au Corps lĂ©gislatif, et chevalier de la LĂ©gion d’honneur. En 1817, alors qu’il Ă©tait secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de la prĂ©fecture du Puy, il s’était dĂ©goĂ»tĂ© du monde, et Ă©tait allĂ© se rĂ©fugier dans un sĂ©minaire pour y prendre les ordres. Il me prĂ©senta Ă  l’archevĂȘque. Ce bon vieillard, aussi respectable par ses vertus que par son grand Ăąge, exigea de moi, comme un devoir qui m’était imposĂ©, d’aller dĂźner tous les jours chez lui, tant que je resterais Ă  Bordeaux. C’est ce que je fis. À table, il ne voulut pas qu’on parlĂąt mĂ©tier, malgrĂ© les cinq ou six prĂȘtres qui s’y trouvaient habituellement. Il fallait lui parler guerre, batailles, et autres rĂ©cits de ce genre. Il n’admettait pas que d’autres que moi lui versassent Ă  boire. Enfin ce saint homme, comme on l’appelait dans la maison, me fit promettre, aprĂšs m’avoir donnĂ© sa bĂ©nĂ©diction, que dans les beaux jours du printemps je reviendrais le voir et que j’irais habiter sa belle maison de campagne qui lui avait Ă©tĂ© donnĂ©e par l’Empereur NapolĂ©on. Il me dit que quand il fut nommĂ© chevalier du Saint-Esprit, on avait voulu lui faire quitter sa croix d’officier de la LĂ©gion d’honneur, dont il Ă©tait toujours dĂ©corĂ©, mais qu’il s’y Ă©tait refusĂ© en disant que celui qui la lui avait donnĂ©e savait bien ce qu’il faisait. Pendant les quatre jours que je restai dans cette ville, je fus tous les soirs au spectacle, oĂč je vis jouer plusieurs opĂ©ras nouveaux, qui me firent d’autant plus de plaisir que j’en Ă©tais privĂ© depuis longtemps et qu’ils Ă©taient bien reprĂ©sentĂ©s. Dans les Voitures versĂ©es, musique de Boieldieu, il y a une scĂšne oĂč trois jeunes femmes en grande toilette se trouvent rĂ©unies. Elles avaient chacune une couronne, l’une bleue, la deuxiĂšme blanche et la troisiĂšme rouge, et placĂ©es dans cet ordre. Quand elles parurent, elles furent applaudies. En 1815, les actrices et leurs admirateurs auraient Ă©tĂ© mangĂ©s vifs, c’est le mot, car je ne pouvais pas me rappeler sans effroi la soirĂ©e que j’y avais passĂ©e Ă  cette Ă©poque. Quel changement en si peu d’annĂ©es ! AprĂšs le spectacle, j’allais passer le reste de ma soirĂ©e avec des chanoines. On y buvait d’excellent vin de Bordeaux, et on y causait fort gaiement. J’eus le plaisir de visiter dans tous les dĂ©tails un bateau Ă  vapeur, le premier que je voyais et nouvellement construit. De Grenoble oĂč il assiste, le 24 aoĂ»t 1822, Ă  une grande cĂ©rĂ©monie militaire et civile pour la translation des cendres de Bayard, BarrĂšs revient, en 1823, tenir garnison Ă  Paris. Le 3 juillet, nous fĂ»mes prĂ©sentĂ©s Ă  Monsieur, comte d’Artois, et Ă  Mme la duchesse de Berry, prĂšs de laquelle Ă©tait le duc de Bordeaux. Le lendemain, 4, le roi nous reçut. Le 15 aoĂ»t, nous bordĂąmes la haie sur le quai de la CitĂ© quai NapolĂ©on pour le passage de la procession du vƓu de Louis XIII, oĂč se trouvaient Monsieur et les princesses de la famille royale. Le 25 aoĂ»t, je fus reçu chevalier de Saint-Louis par le colonel PerrĂ©gaux, et immĂ©diatement aprĂšs nous allĂąmes prĂ©senter nos hommages Ă  Louis XVIII, Ă  l’occasion de la fĂȘte. Tous les officiers de la garde royale, de la garnison et de la garde nationale, se rĂ©unirent dans la grande galerie du Louvre avant de dĂ©filer devant le trĂŽne. Le roi, affaissĂ© par l’ñge et la maladie, la tĂȘte pendante sur ses genoux, ne voyait ni ne regardait rien. C’était un cadavre, devant lequel on passa sans s’arrĂȘter. Il Ă©tait entourĂ© d’une cour splendide, par la richesse des costumes, la variĂ©tĂ© des couleurs, la beautĂ© des broderies, la multitude et l’éclat des dĂ©corations. Nous pĂ»mes croire qu’avant peu de jours nous assisterions Ă  des funĂ©railles royales. Elles n’eurent lieu pourtant que l’annĂ©e suivante. SĂ©jour dans le Nord, Ă  Dunkerque, Lille, Gravelines. Au camp de Saint-Omer, des grandes manƓuvres permettent Ă  BarrĂšs de faire apprĂ©cier l’instruction et la tenue de ses troupes. PremiĂšre tentative faite pour Ă©tablir une communication directe entre Dunkerque et la cĂŽte anglaise par bateaux Ă  vapeur l’entreprise ne rĂ©ussit pas, faute de passagers. Rencontre de deux officiers anglais qui avaient gardĂ© NapolĂ©on Ă  Sainte-HĂ©lĂšne. Tout ce qu’ils me racontaient me navrait de douleur et m’attachait Ă  eux, en mĂȘme temps que je les maudissais d’avoir contribuĂ© pour leur part Ă  river ses fers. » BarrĂšs a l’occasion de passer en Belgique, Ă  Ypres, avec ses camarades, en uniforme. Nous fĂ»mes saluĂ©s avec respect par tous les habitants que nous rencontrĂąmes et engagĂ©s Ă  dĂ©jeuner. Ils nous prouvĂšrent qu’ils se rappelaient qu’ils avaient Ă©tĂ© Français du grand peuple. » De lĂ , il est envoyĂ© Ă  Nancy, oĂč l’attendait l’évĂ©nement qui allait transformer sa vie. DE SAINT-OMER À NANCY LES DANSES DE SAINT-MIHIEL Le voyage de Saint-Omer Ă  Nancy fut trĂšs agrĂ©able. Il Ă©tait facile de voir la tournure militaire de nos hommes, Ă  l’aplomb de leur marche, que nous sortions d’une Ă©cole un peu rude le camp de Saint-Omer, mais favorable Ă  la discipline, Ă  la tenue et au dĂ©veloppement des forces physiques. Partis de Saint-Omer, le 28 septembre, nous passĂąmes par Arras, Cambrai, Landrecies, Avesnes, Hirson, Charleville. À Sedan, je dĂźnai chez la sƓur d’un de mes meilleurs amis, Mme de Montagnac, la mĂšre du brave et infortunĂ©, lieutenant-colonel du 15Ăšme lĂ©ger qui, plus tard, en Afrique, victime d’une infĂąme trahison, devait succomber avec tous les hommes qu’il commandait. Le 15 octobre, ayant dĂ©passĂ© Verdun, nous arrivions Ă  Saint-Mihiel. La soirĂ©e de ce jour, qui se trouvait un dimanche, Ă©tant fort belle et illuminĂ©e par un admirable clair de lune, toute la population dansante de la ville Ă©tait rĂ©unie sur les places et carrefours pour rondier. Il y avait, dans ces bals improvisĂ©s en plein air, tant de gaietĂ© et d’entrain, et dans les airs qu’on y chantait quelque chose de si mĂ©lodieux, que je pris un plaisir infini Ă  les regarder. La joie de cette bonne jeunesse me rĂ©jouissait l’ñme, et me faisait me rappeler que, moi aussi, j’avais Ă©tĂ© jeune. Si je ne dansai pas, du moins je partageai le bonheur de ceux qui me causaient d’aussi douces Ă©motions. Je ne me retirai qu’aprĂšs que les chants eurent cessĂ©. Le surlendemain, 17 octobre, nous arrivĂąmes Ă  Nancy, oĂč j’étais dĂ©jĂ  passĂ© le 5 fĂ©vrier 1806, en revenant d’Austerlitz. SÉJOUR À NANCY Nous allions demeurer dix-huit mois Ă  Nancy. C’est la garnison la plus agrĂ©able et une des meilleures de France. Les femmes de Nancy sont citĂ©es pour leur bon goĂ»t, la recherche dans la composition de leurs toilettes, et l’art de les bien porter. Avant de passer Ă  un fait personnel, je veux tout de suite noter comment, le 9 novembre 1827, le rĂ©giment prit les armes pour assister Ă  la translation des restes des ducs de Lorraine, dont les nombreux tombeaux avaient Ă©tĂ© violĂ©s et dispersĂ©s pendant la tourmente rĂ©volutionnaire. Ces poudreux dĂ©bris avaient Ă©tĂ© jetĂ©s dans une fosse d’un des cimetiĂšres de la ville. Ils furent recueillis avec soin et portĂ©s Ă  la cathĂ©drale, oĂč ils reçurent les honneurs dus Ă  leur rang et Ă  leur mĂ©moire. Une chapelle ardente y prĂ©sentait un aspect imposant, aussi curieux par l’éclat des tentures et des lumiĂšres que par son caractĂšre religieux. Tous les officiers de la garnison, le gĂ©nĂ©ral Ă  leur tĂȘte, furent jeter de l’eau bĂ©nite sur les cercueils et les urnes, qui contenaient les cendres de ces princes lorrains, dont quelques uns avaient joui d’une grande cĂ©lĂ©britĂ©. Le lendemain, la translation fut solennelle, majestueuse, aussi religieuse que militaire. Le roi de France, l’empereur d’Autriche s’y Ă©taient fait reprĂ©senter. La foule Ă©tait immense et recueillie. Dans la chapelle Ronde ou ducale, disposĂ©e pour recevoir les dĂ©bris de tant de grandeurs, on avait envoyĂ© de Paris les tentures qui avaient servi aux obsĂšques de Louis XVIII. Je n’avais rien vu jusqu’alors qui pĂ»t ĂȘtre comparĂ© Ă  la magnificence et Ă  la majestĂ© de cette dĂ©coration. Cette chapelle Ronde, rĂ©parĂ©e et embellie, est celle des anciens ducs, dont le vieux palais existe encore et sert maintenant de caserne Ă  la gendarmerie. Un caveau construit exprĂšs pour recevoir tous les ossements, et des monuments Ă©levĂ©s pour perpĂ©tuer la mĂ©moire des plus illustres princes de cette cĂ©lĂšbre maison de Lorraine, font de cette chapelle, dĂ©jĂ  remarquable par son architecture, un lieu plein de vĂ©nĂ©ration. Un discours ou sermon de l’évĂȘque Forbin-Janson, dirigĂ© contre la RĂ©volution et la philosophie, termina mal cette pompeuse cĂ©rĂ©monie. Il fut vivement censurĂ©, parce qu’il Ă©tait indigne d’un chrĂ©tien et d’un homme qui est censĂ© avoir de l’esprit et du jugement. C’est en grande partie la cause des disgrĂąces que l’évĂȘque eut Ă  subir, aprĂšs la RĂ©volution de juillet. ChassĂ© de son diocĂšse par le peuple, il est mort sans en avoir repris possession, la prudence n’ayant pas permis au gouvernement de l’y autoriser, car la haine qu’on lui portait demeurait toujours vivace. C’était la quatriĂšme cĂ©rĂ©monie de ce genre oĂč j’étais acteur et tĂ©moin depuis quelques annĂ©es deux Ă  Grenoble pour le connĂ©table de LesdiguiĂšres et Bayard, et la troisiĂšme Ă  Cambrai pour tous les archevĂȘques de cette ville et particuliĂšrement pour les prĂ©cieux restes de FĂ©nelon, qui furent trouvĂ©s sous le parvis de l’ancienne cathĂ©drale, quand on voulut en faire une place publique. MON MARIAGE Le jour mĂȘme de mon arrivĂ©e Ă  Nancy, je fis la rencontre d’un de mes anciens camarades des vĂ©lites d’Écouen, que je n’avais plus revu depuis que j’avais quittĂ© la garde impĂ©riale au commencement de 1808. Ce vĂ©lite Ă©tait capitaine d’infanterie chargĂ© du recrutement du dĂ©partement de la Meurthe. Se faire un joyeux accueil Ă©tait trop naturel Ă  deux militaires qui avaient vĂ©cu de la mĂȘme vie, pendant plus de trois annĂ©es. PrĂ©sentĂ© par lui, dĂšs le lendemain, Ă  sa jeune femme et Ă  sa nouvelle famille, je fus accueilli avec cordialitĂ©, et traitĂ© par la suite comme un ami qu’on Ă©tait heureux de revoir. Dans le courant de l’hiver, il me proposa d’aller le printemps Ă  Charmes, petite ville des Vosges, pour faire connaissance de sa grand’mĂšre par sa femme. Je ne pensais guĂšre alors que ce petit voyage, dans un pays qui m’était aussi inconnu que la personne que j’allais voir, et fait autant par complaisance que par goĂ»t, me donnerait une Ă©pouse ; que mon ami deviendrait mon cousin, sa belle-mĂšre ma tante, et que sa grand’mĂšre serait aussi la mienne au mĂȘme titre. C’est ainsi que souvent les choses les plus futiles deviennent, par l’effet du hasard, des Ă©vĂ©nements trĂšs importants dans la vie, et qu’on s’engage dans des affaires desquelles on se serait Ă©loignĂ© peut-ĂȘtre, si on avait pu les prĂ©voir. 14 avril 1827. – La veille de PĂąques j’arrivai donc chez ma future grand’mĂšre qui m’accueillit parfaitement. Je le fus de mĂȘme par ses enfants et ses petits-enfants qui habitaient cette ville, c’est-Ă -dire poliment, aucun motif ne devant les engager Ă  faire plus, puisque j’étais Ă©tranger pour eux, et sans rapprochement de position. Cependant une circonstance bizarre fit que je fus un peu considĂ©rĂ© comme Ă©tant de la famille, c’est que deux frĂšres des personnes prĂšs desquelles je me trouvais, avaient Ă©tĂ© vĂ©lites. La niĂšce d’un de ces vĂ©lites Ă©tait une jeune fille dont les bonnes maniĂšres, l’agrĂ©ment et un Ăąge assez en rapport avec le mien, me firent impression. Huit jours restĂ© dans cette ville et une frĂ©quentation journaliĂšre m’amenĂšrent Ă  penser Ă  ce qui m’avait le moins occupĂ© jusqu’alors, au mariage. J’en parlai Ă  mon ami, qui approuva mon projet de demande, et ensuite, Ă  ma rentrĂ©e Ă  Nancy, Ă  sa belle-mĂšre, qui me fit espĂ©rer que mes vƓux pourraient ĂȘtre favorablement accueillis. Bref, aprĂšs quelques lettres Ă©crites, dont une par mon excellent colonel, je fus autorisĂ© Ă  me prĂ©senter. J’arrivai le 9 mai, je fis la demande le 10, et grĂące aux personnes qui s’intĂ©ressaient Ă  mon succĂšs, toutes les difficultĂ©s furent aplanies, les arrangements convenus, et le jour du mariage, fixĂ© au 3 juillet. DĂšs ce moment, je songeai sĂ©rieusement aux engagements que j’allais prendre, aux obligations que ma nouvelle situation devait m’imposer, aux dĂ©marches Ă  faire pour obtenir toutes les piĂšces qui m’étaient nĂ©cessaires. Je fis plusieurs voyages Ă  Charmes, pour faire ma cour et me faire connaĂźtre de celle qui devait devenir ma compagne. Je fus une fois la prendre, pour l’accompagner Ă  Nancy, avec sa mĂšre, pour les emplettes d’usage. Enfin, le 30 juin, je quittai mes camarades de pension pour ne plus manger avec eux. 3 juillet. – CĂ©lĂ©bration de mon mariage avec Marie-Reine Barbier. – Je n’ai jamais trouvĂ© le temps aussi long que depuis le jour oĂč je fus admis Ă  prĂ©senter mes hommages jusqu’à la date qui scella mon bonheur. Être l’époux de la femme qu’on recherche, sentir pour la premiĂšre fois trembler sa main dans la vĂŽtre, penser que des liens sacrĂ©s et doux vous unissent Ă  jamais, quand on a le pressentiment que ces chaĂźnes qu’on s’impose seront lĂ©gĂšres Ă  porter, c’est un beau jour de la vie, c’est ce que je considĂ©rai comme devant faire mon bonheur. Le colonel et le capitaine Chardron assistĂšrent Ă  mon mariage, qui fut cĂ©lĂ©brĂ© avec dignitĂ© et convenance. Aucun membre de ma famille n’y assista Ă  cause de l’éloignement. Le 6 juillet, nous fĂ»mes en famille chez un des oncles maternels de ma femme, maĂźtre de forges prĂšs de Rambervillers et qui par la suite allait ĂȘtre dĂ©putĂ© des Vosges, M. Gouvernel. Le 8, nous Ă©tions de retour ; le 11, nous partĂźmes pour Nancy oĂč nous entrĂąmes Ă  notre grande satisfaction dans notre petit mĂ©nage. Peu de semaines aprĂšs, quelques symptĂŽmes pleins d’espĂ©rance nous annoncĂšrent que notre union prospĂ©rait et qu’un nouveau gage de la meilleure des Ă©pouses viendrait bĂ©nir les liens qui nous unissaient. BientĂŽt et comme pour sceller son bonheur, BarrĂšs reçoit, Ă  Nancy, la nouvelle d’un avancement depuis longtemps attendu Le dimanche 18 novembre, au moment oĂč l’on allait dĂ©filer, aprĂšs une revue du marĂ©chal de camp commandant le dĂ©partement, le colonel reçut une lettre de M. O’Neill qui lui annonçait que j’étais nommĂ© chef de bataillon, Ă  la date du 14 novembre, pour le 3Ăšme bataillon qu’on allait organiser. Cette agrĂ©able nouvelle me fut communiquĂ©e immĂ©diatement, ainsi qu’à ma femme, qui se trouvait sur la place CarriĂšre oĂč la troupe Ă©tait rĂ©unie. Les compliments qui lui furent faits en cette occasion et la joie qu’elle en Ă©prouva doublĂšrent la mienne. C’était beaucoup d’ĂȘtre nommĂ© chef de bataillon, de l’ĂȘtre au choix, – j’étais le centiĂšme capitaine d’infanterie au 1er janvier 1827, – et dans son rĂ©giment, de n’avoir pas Ă  faire de nouvelles connaissances, ni Ă  changer d’uniforme, et surtout de ne point voyager dans un moment oĂč ma femme ne le pouvait pas. Enfin je continuais Ă  servir sous les ordres du colonel PerrĂ©gaux, dont j’avais tant Ă  me louer depuis 1813, et je ne quittais pas une ville que j’affectionnais pour son agrĂ©ment et son voisinage de Charmes. Pendant le mois de dĂ©cembre, je m’équipai, je reçus des visites, des sĂ©rĂ©nades, et donnai un grand dĂźner Ă  la majeure partie des officiers. Tout cela, y compris l’achat d’un beau cheval de selle, me coĂ»ta beaucoup d’argent, mais je ne le regrettai pas il me semblait que je ne pouvais payer trop cher l’avantage et la satisfaction de mon nouveau grade. Quel changement dans ma position ! quelle diffĂ©rence dans le service ! Cependant, le 10 avril 1828, le rĂ©giment partait pour Lyon. Mme BarrĂšs, restĂ©e Ă  Charmes, met au monde, le 12 mai, un fils, qui reçoit les prĂ©noms de Joseph Auguste. Au moment oĂč il arrive, BarrĂšs trouve sa femme gravement malade d’une inflammation du rein droit elle put ĂȘtre sauvĂ©e, mais resta dans un Ă©tat de faiblesse des plus inquiĂ©tants. Le dĂ©but de 1829 lui apporte une nouvelle tristesse il a la douleur, le 28 janvier, d’apprendre la mort de sa mĂšre, dĂ©cĂ©dĂ©e Ă  Blesle Ă  l’ñge de soixante-dix-sept ans. Il se rend auprĂšs des siens et passe quelques jours auprĂšs de sa sƓur, Ă  Ă©voquer les temps insoucieux de l’enfance. La tombe s’est fermĂ©e, dit-il, sur mes bons parents, et la mienne ne sera pas prĂšs de la leur. D’autres destinĂ©es, d’autres devoirs ont fixĂ© ma place ailleurs. » En mai 1829, le rĂ©giment est de nouveau envoyĂ© Ă  Paris. Ce ne fut pas sans une bien vive et parfaite satisfaction que je me vis Ă©tabli Ă  Paris pour une bonne annĂ©e au moins. Je commençais Ă  me fatiguer des voyages et Ă  m’ennuyer des routes, et puis je voyais la possibilitĂ© de conduire ma femme Ă  Paris, aprĂšs la saison des eaux qu’elle devait aller prendre en Ă©tĂ©. C’était pour nous deux une joie d’enfant de lui faire visiter ce beau Paris, qu’elle dĂ©sirait tant connaĂźtre. CHARLES X Le 31 mai 1829, je me rendis Ă  Saint-Cloud, avec tous les officiers supĂ©rieurs, pour faire notre cour au roi et Ă  la famille royale. PrĂ©sentĂ©s d’abord Ă  Mme la Dauphine par le colonel, nous le fĂ»mes ensuite Ă  Mgr le Dauphin qui, en entendant prononcer mon nom, se rappela m’avoir proposĂ© pour chef de bataillon deux ans auparavant et m’adressa la parole. Je ne m’attendais pas Ă  tant d’honneur. RĂ©unis ensuite dans la grande galerie du palais pour attendre le roi, nous y restĂąmes pour entendre la messe, ou plutĂŽt pour causer, n’ayant pu pĂ©nĂ©trer dans la chapelle, qui est peu spacieuse. AprĂšs la messe, le roi se promena longtemps dans la galerie, adressant la parole Ă  tous ceux qui lui prĂ©sentaient leurs hommages, avec beaucoup de grĂące et d’amĂ©nitĂ©. Cette prĂ©sentation me fit grand plaisir, car depuis longtemps je n’avais vu autant de dignitaires, ou de personnages cĂ©lĂšbres. C’étaient les ministres, les marĂ©chaux, des pairs, des dĂ©putĂ©s, des ambassadeurs, des gĂ©nĂ©raux. Les courtisans Ă©taient nombreux, l’assemblĂ©e Ă©clatante de broderies, de plaques, de cordons, de diamants. Dans cette belle galerie, on Ă©tait mĂȘlĂ©, confondu, chacun jouant son rĂŽle, guettant un regard du maĂźtre et cherchant Ă  l’approcher de plus prĂšs, pour se faire voir ou demander quelque faveur. PlacĂ© dans un des angles, hors du tourbillon des grands et des admirateurs passionnĂ©s de la puissance souveraine, je pus observer Ă  loisir ce magnifique ensemble des grandeurs du jour, chercher Ă  connaĂźtre tous ces illustres personnages, et me faire une idĂ©e de l’éclat des cours. Je ne vis rien de grand ni de distinguĂ© dans les maniĂšres du duc d’AngoulĂȘme, rien de bon dans les yeux ni les traits de Mme la Dauphine. Quand Ă  Charles X, il me fit l’effet d’un vieillard vert encore, qui inspire du respect, mais dont la figure annonce quelque chose de commun. Ce cĂ©lĂšbre palais de Saint-Cloud me fit ressouvenir qu’autrefois j’y avais montĂ© la garde, en ma qualitĂ© de chasseur vĂ©lite, que j’y avais vu une cour jeune, brillante, pleine de vigueur et d’espĂ©rance. Il y avait bien encore des hommes de cette Ă©poque Ă  la cour de Charles X, mais ce n’était plus que l’ombre de ces grands caractĂšres, de ces valeureux officiers, si cĂ©lĂšbres par leurs grandes actions de guerre. La gloire avait fait place Ă  l’hypocrisie dĂ©vote, les cĂ©lĂ©britĂ©s de l’Empire aux petits hommes de l’émigration, et les grandes actions de NapolĂ©on aux intrigues d’un gouvernement mal assis. Le soir, je fus au Théùtre Français voir jouer Henri III, drame en cinq actes d’Alexandre Dumas. C’était la piĂšce Ă  la mode, le triomphe des romantiques. MalgrĂ© le beau talent des acteurs, le luxe des dĂ©corations et la vĂ©ritĂ© des costumes, je jugeai la piĂšce bien au-dessous de sa haute rĂ©putation. Du moins je n’y trouvai pas ces grandes Ă©motions que j’avais Ă©prouvĂ©es, autrefois, aux piĂšces de Corneille et de Racine. Mlle Mars, comme Ă  son ordinaire, Ă©lectrisa tous les spectateurs. 7 juin. – Je vais aux Tuileries voir la procession des chevaliers du Saint-Esprit, le jour de la PentecĂŽte, fĂȘte de l’Ordre. Les chevaliers en manteaux de soie verte, richement brodĂ©s, chapeaux Ă  la Henri IV, tuniques, culottes et bas de soie blancs, collier au cou, sortirent des grands appartements, deux Ă  deux, pour se rendre Ă  la chapelle, et revinrent de mĂȘme dans la salle du trĂŽne. Le roi Ă©tait le dernier. Je ne pus entrer dans la chapelle pour voir les rĂ©ceptions qu’on y fit, les portes Ă©tant fermĂ©es aprĂšs l’entrĂ©e des chevaliers. À la sortie, me trouvant dans le premier salon qui suit celui des marĂ©chaux, le roi m’adressa la parole sur le sĂ©jour du rĂ©giment Ă  Paris. Cette promenade cĂ©rĂ©monieuse, plus curieuse encore qu’imposante, m’intĂ©ressa cependant, parce qu’elle me mit en position de connaĂźtre un foule de grands personnages, cĂ©lĂšbres tant par leur illustration propre, que par leur naissance, leurs titres, leurs fonctions et les services qu’ils ont rendu Ă  l’État, et beaucoup d’anciens Ă©migrĂ©s. Je vis lĂ , pour la premiĂšre fois, toute la famille du duc d’OrlĂ©ans. Un court voyage Ă  Charmes, auprĂšs de sa femme, dont l’état de santĂ©, aprĂšs une amĂ©lioration passagĂšre, est redevenu alarmant, permet Ă  BarrĂšs de voir son fils qui commence Ă  jaser et marcher ». C’est Ă  peine si la grĂące de l’enfant suffit Ă  apporter quelque trĂȘve Ă  ses inquiĂ©tudes grandissantes. Il revient Ă  Paris, en juillet, aprĂšs une absence de vingt jours. 8 aoĂ»t. – Murmures, inquiĂ©tudes dans Paris sur l’annonce qu’un changement de ministĂšre aurait lieu dans la journĂ©e, et que le prince de Polignac serait nommĂ© prĂ©sident du Conseil. Cette nouvelle d’un ministĂšre congrĂ©ganiste et contre-rĂ©volutionnaire frappait de stupeur tous les amis de nos institutions constitutionnelles. Ayant Ă  leur tĂȘte le comte Coutard, commandant la 1Ăšre division, tous les officiers de la garnison allĂšrent faire une visite officielle Ă  M. le ministre de la Guerre, le lieutenant-gĂ©nĂ©ral comte de Bourbon. Je trouvai le ministre embarrassĂ©, peut-ĂȘtre honteux de se voir le chef d’une armĂ©e française, lui qui avait abandonnĂ©, quelques jours avant la dĂ©sastreuse bataille de Waterloo, l’armĂ©e qui fut vaincue dans cette funeste journĂ©e, malheur et deuil de la France. Le poids de cette trahison devait lui peser sur le cƓur comme un remords, si, comme il fut dit dans les salons du ministĂšre, des gĂ©nĂ©raux refusĂšrent de prendre la main qu’il prĂ©sentait. 15 aoĂ»t. – Je prends le commandement de deux cent cinquante hommes d’élite du rĂ©giment, pour aller border la haie, sur une partie du quai de la CitĂ©, jusqu’à la porte de la MĂ©tropole, Ă  l’occasion de la procession du VƓu de Louis XIII. À quatre heures, le roi, le dauphin, la dauphine et la cour passĂšrent Ă  pied dans nos rangs, escortĂ©s par les gardes du corps Ă  pied du roi les Cent Suisses. Le cortĂšge Ă©tait beau, mais simple. Aucuns cris d’allĂ©gresse et d’hommages ne se firent entendre sur le passage du roi. Les cƓurs Ă©taient glacĂ©s, les visages froids et mornes, depuis l’avĂšnement du ministĂšre Polignac. UNE SÉANCE DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE 25 aoĂ»t. – SĂ©ance publique et solennelle de l’AcadĂ©mie française. Avant de m’y rendre, je fus Ă  Saint-Germain-l’Auxerrois entendre le panĂ©gyrique de Saint-Louis, prononcĂ© devant les membres de l’AcadĂ©mie, suivant l’ancien usage. Peu d’immortels, et guĂšre plus d’auditeurs. Ni l’éloge, ni l’orateur ne firent d’effet. À une heure, j’entrais dans la salle des sĂ©ances publiques de l’Institut. Me trouvant un des premiers, je pus choisir ma place. La salle peu vaste me parut bien distribuĂ©e, dĂ©corĂ©e avec goĂ»t et simplicitĂ©. On n’y est admis que par billets, qu’on doit demander plusieurs jours Ă  l’avance. C’est habituellement l’élite du grand monde, les savants français et Ă©trangers, et quelques Ă©tudiants studieux qui composent l’auditoire. Dans les nombreuses piĂšces qui prĂ©cĂšdent la salle, sont les statues en marbre de nos grands poĂštes et prosateurs, historiens et philosophes, orateurs et savants. J’y remarquai celle de La Fontaine, ouvrage de Julien du Puy, mon compatriote et l’ami de mon frĂšre. À deux heures, la salle et les tribunes Ă©taient combles ; il n’y avait plus de places pour les derniers arrivĂ©s. À deux heures et demie, M. Cuvier, directeur en exercice, ouvrit la sĂ©ance. La premiĂšre lecture fut faite par M. Andrieux, secrĂ©taire perpĂ©tuel, et le discours pour la distribution des prix de vertu par le prĂ©sident, le baron Cuvier. La piĂšce de vers qui avait remportĂ© le prix fut lue par M. Lemercier, avec une verve, une chaleur qui doublĂšrent le mĂ©rite de la composition. Le sujet du concours Ă©tait la dĂ©couverte de l’imprimerie. Beaucoup de vers furent vigoureusement applaudis, surtout ceux qui avaient trait Ă  la libertĂ© de la presse, et aux dangers qu’elle pouvait courir sous un gouvernement ennemi des lumiĂšres. Quand le poĂšte laurĂ©at, M. LegouvĂ©, fils de l’acadĂ©micien dĂ©cĂ©dĂ©, auteur de la Mort d’Abel et du MĂ©rite des femmes, se prĂ©senta au bureau pour recevoir la mĂ©daille d’or, son nom fut couvert par de nombreux applaudissements. Je remarquai, sur les banquettes destinĂ©es aux membres de l’Institut, MM. de Lally-Tollendal, BarbĂ©-Marbois, Chaptal, Arago, de SĂ©gur, Casimir Delavigne, etc., et dans la salle ou les tribunes, le dernier prĂ©sident du Directoire, le vĂ©nĂ©rable Gohier, le prĂ©sident du Consistoire M. Marron, Mlle LĂ©ontine Fay, etc. Je regrettai de ne pas m’ĂȘtre trouvĂ© prĂšs de quelqu’un qui connĂ»t bien les acadĂ©miciens et les personnages distinguĂ©s, prĂ©sents Ă  cette rĂ©union, pour me les dĂ©signer par leurs noms. À quatre heures et demie, on sortit. Je passai dans cette cĂ©lĂšbre enceinte un instant de la journĂ©e fort agrĂ©ablement. 30 aoĂ»t. – Je suis allĂ© cet aprĂšs-midi, dans le faubourg Saint-Antoine, visiter le propriĂ©taire de la maison chez qui je loge. Je m’y suis rencontrĂ© avec un jeune Russe, un capitaine aux grenadiers Ă  cheval de la garde royale, du nom d’Espinay Saint-Luc, et quelques autres personnes. On vint Ă  parler du passage des Balkans par les Russes et de leur marche triomphale sur Constantinople. Le jeune Russe, plein d’enthousiasme, cĂ©lĂ©brait avec chaleur la bravoure de ses compatriotes. Le capitaine dĂ©fendait les Turcs, et dĂ©plorait amĂšrement la triste position oĂč allait se trouver le sultan Mahmoud. On lui demanda Ă  la fin quel intĂ©rĂȘt il pouvait porter Ă  ce monarque, pour le plaindre si vivement. Il rĂ©pondit, les larmes aux yeux Mahmoud est mon cousin germain. Sa mĂšre et la mienne Ă©taient sƓurs. » AprĂšs cette extraordinaire confidence, qui nous surprit tous, on se tut. En effet, la mĂšre du sultan Ă©tait une demoiselle d’Espinay Saint-Luc. Elle avait Ă©tĂ© prise par des corsaires algĂ©riens, vers 1786, Ă©tant ĂągĂ©e de trois ans. 31 aoĂ»t. – Je vais au théùtre de l’OpĂ©ra Comique, salle Ventadour, nouvellement construit, et que je ne connaissais pas encore. Une salle superbe. On jouait la Dame Blanche et Marie, opĂ©ras que j’avais dĂ©jĂ  vus en province, mais que j’entendis de nouveau avec plaisir. Ce fut la derniĂšre fois que je fus au spectacle ; je n’eus plus envie plus tard d’y retourner, ni de prendre aucun autre plaisir ni distraction de ce genre. C’est Ă  cette Ă©poque que BarrĂšs va Ă©prouver la plus grande douleur de sa vie sa femme qui, aprĂšs sa cure de PlombiĂšres, Ă©tait venue le rejoindre Ă  Paris, subit une grave opĂ©ration, pratiquĂ©e le 4 octobre par le docteur Piollet, sur les conseils de Dupuytren. La lĂ©gĂšre amĂ©lioration qui suivit permit un instant d’espĂ©rer la guĂ©rison. BarrĂšs put reprendre son service. DANS LA PLAINE DE GRENELLE 29 octobre. Revue par le roi des troupes de la garnison et des environs de Paris, dans la plaine de Grenelle. Toute la troupe de ligne Ă©tait placĂ©e en premiĂšre ligne, l’infanterie de la garde en deuxiĂšme ligne. Toute la cavalerie, ligne et garde, Ă©tait aussi sur deux lignes, derriĂšre l’infanterie. Enfin la belle artillerie de la garde Ă©tait sur les flancs, dans les intervalles et en rĂ©serve. Notre premier bataillon, en tirailleurs, couvrait le front de la bataille qui faisait face Ă  la Seine. Mon bataillon Ă©tait Ă  sa place de bataille, Ă  la gauche de la premiĂšre ligne. On comptait en tout seize bataillons d’infanterie et quatre rĂ©giments de cavalerie. L’emplacement et l’ordre de bataille dĂ©terminĂ©s, on attendit dans cette position l’arrivĂ©e du roi. À une heure, le canon, les musiques, les fanfares et les tambours annoncĂšrent son approche. Il passa successivement devant le front de bandiĂšre des quatre lignes, prĂ©cĂ©dĂ© et suivi d’un Ă©tat-major innombrable, brillant, riche de broderies et de dĂ©corations. Dans une calĂšche, Ă  la suite du roi, Ă©taient la dauphine, la duchesse de Berry, Mlle de Berry et le duc de Bordeaux. Dans une autre, qui suivait de prĂšs la premiĂšre, se trouvaient les princesses d’OrlĂ©ans. Le duc d’OrlĂ©ans, en costume de colonel gĂ©nĂ©ral des hussards, et ses deux fils aĂźnĂ©s, les ducs de Chartres et de Nemours, entouraient le dauphin, le chef de l’État. AprĂšs quelques passages des lignes, aprĂšs des feux, en avançant et en retraite, on se disposa Ă  exĂ©cuter la fameuse manƓuvre de Wagram, lorsque l’armĂ©e d’Italie, sous les commandements du prince EugĂšne et de Macdonald, alors simple gĂ©nĂ©ral de division, enfonça le centre de l’armĂ©e autrichienne et dĂ©cida de la victoire. Ce grand mouvement stratĂ©gique terminĂ©, on dĂ©fila, la gauche en tĂȘte. Par mon rang dans l’ordre de bataille, je me mis en marche, le premier, et ouvris le dĂ©filĂ©. L’affluence des curieux Ă©tait prodigieuse, on ne voyait que des tĂȘtes dans cette vaste plaine de Grenelle. Tout y fut beau, superbe, majestueux, comme le temps qui concourut Ă  cette brillante revue. La raretĂ© des cris de Vive le roi ! » dut faire sentir Ă  Charles X que le ministĂšre Polignac Ă©tait odieux Ă  la nation. Le marĂ©chal Macdonald, duc de Tarente, major gĂ©nĂ©ral de la garde, commandait et dirigeait les divers mouvements, qui furent tous exĂ©cutĂ©s avec prĂ©cision et ensemble. Mme BarrĂšs s’éteignait, le 25 novembre, en pleine jeunesse, veillĂ©e par son mari jusqu’au dernier moment. Les obsĂšques furent cĂ©lĂ©brĂ©es Ă  Saint-Jacques-du-Haut-Pas. La seule consolation de BarrĂšs, c’est sa tendresse pour le jeune fils en qui il est assurĂ© de trouver un jour un ami pour lui rappeler les mĂ©rites de celle qui lui restera chĂšre Ă  tous jamais ». AprĂšs une quarantaine de jours passĂ©s Ă  Charmes, il est de retour Ă  Paris en janvier 1830. 31 mai. – Je vais au Palais Royal voir l’illumination du palais et du jardin, prĂ©parĂ©e Ă  l’occasion de la fĂȘte que donnait le duc d’OrlĂ©ans au roi de Naples, son beau-frĂšre, et Ă  la cour de France. Les officiers supĂ©rieurs du rĂ©giment y Ă©taient invitĂ©s, quelques uns y furent, mais je m’en abstins, d’abord Ă  cause de ma position, et ensuite parce qu’il fallait se mettre en bas de soie, culotte blanche, boucle en or, dĂ©pense que je ne me souciais pas de faire pour un ou deux bals de la cour oĂč j’aurais pu aller. DĂšs la nuit arrivĂ©e, le jardin et la grande cour du palais se trouvĂšrent pleins de curieux, et en si grand nombre qu’on ne pouvait plus guĂšre circuler, et malgrĂ© cela, la foule grossissait Ă  vue d’Ɠil. Je pensai que, si je ne me retirai pas de bonne heure, je ne le pourrais bientĂŽt plus sans de trĂšs grandes difficultĂ©s. Cette foule d’hommes de tous les rangs, mais surtout de jeunes gens et d’ouvriers, l’agitation tumultueuse, l’inquiĂ©tude qu’on voyait sur beaucoup de figures et surtout chez les marchands des galeries, qui fermaient en hĂąte leur boutique, tous ces symptĂŽmes d’émeutes et de troubles me dĂ©terminĂšrent Ă  quitter une enceinte embrasĂ©e de tous les feux de la discorde. Je sortis un peu aprĂšs neuf heures, comme Charles X y arrivait en grand appareil, avec assez de difficultĂ©, mais sans incident. Quand je sus le lendemain qu’on s’y Ă©tait ruĂ©, qu’on y avait brĂ»lĂ© toutes les chaises du jardin, dĂ©truit les clĂŽtures des parterres, brisĂ© les fleurs, en criant À bas Polignac ! À bas les ministres ! Vive le duc d’OrlĂ©ans ! » je me fĂ©licitai bien sincĂšrement de ne m’ĂȘtre pas trouvĂ© dans cette orageuse bagarre. 27 juin. – C’était un dimanche. Je fus Ă  Saint-Cloud, dans la calĂšche du colonel, faire notre cour au roi, et aux membres de la famille royale. Mme la comtesse de Bourmont, Ă©pouse du gĂ©nĂ©ral en chef de l’expĂ©dition d’Alger, reçut les compliments du roi et de la famille royale, sur les succĂšs de son mari et l’heureux dĂ©but de la campagne. L’empressement devint alors plus grand autour d’elle. 11 juillet. – Un Te Deum solennel fut chantĂ© Ă  Notre-Dame, en prĂ©sence du roi, de la cour et de tous les grands dignitaires de la couronne et du royaume, en action de grĂąces pour la prise d’Alger, qui avait eu lieu le 5, et dont la nouvelle avait Ă©tĂ© apprise Ă  Paris, la veille, dans la journĂ©e. N’étant pas de service pour border la haie sur le passage de Sa MajestĂ©, je me rendis Ă  la mĂ©tropole. En moins de vingt-quatre heures, l’église avait Ă©tĂ© magnifiquement tendue. La cĂ©rĂ©monie fut majestueuse, la musique et les chants pleins de suavitĂ©. Il y avait beaucoup de monde, et l’on n’entrait que par billet ou en uniforme. Eh bien ! malgrĂ© l’importance du succĂšs, malgrĂ© les lauriers que venait de remporter notre belle et brave armĂ©e d’Afrique, il n’y eut point de cris d’allĂ©gresse. Sur le passage du roi, dans cette foule du parvis de Notre-Dame, dans les rues traversĂ©es par cette Ă©clatante escorte, point de preuves d’enthousiasme ni de sympathie. Le roi fut reçu Ă  la porte de l’église par l’archevĂȘque, qui prononça un discours, amĂšrement censurĂ© le lendemain par toute la presse libĂ©rale. Ce discours fut cause du sac de l’archevĂȘchĂ©, moins de trois semaines aprĂšs. Charles X, placĂ© sous un dais, fut conduit Ă  sa place par tout le chapitre, ayant autour de lui les princes de la maison d’OrlĂ©ans, les ministres, les marĂ©chaux, et ses grands officiers. Pendant qu’on chantait l’hymne par laquelle on remerciait le ciel du triomphe qu’on venait de remporter en AlgĂ©rie, je me rappelai, comme un glorieux souvenir pour moi, que j’avais vu, dans cette mĂȘme enceinte sacrĂ©e, une cĂ©rĂ©monie encore plus grandiose, plus sublime, le couronnement de l’empereur NapolĂ©on par un pape, entourĂ© de l’élite de la nation française d’alors. Vingt-six annĂ©es s’étaient Ă©coulĂ©es, depuis cette grande Ă©poque impĂ©riale. Le maĂźtre du monde, l’homme du destin, le vainqueur des rois avait Ă©tĂ© dĂ©trĂŽnĂ© deux fois, en moins de dix ans de rĂšgne, et Ă©tait mort dans l’exil, sur un affreux rocher au milieu de l’ocĂ©an. Qui m’aurait dit que ce vĂ©nĂ©rable souverain que j’avais sous les yeux, prosternĂ© Ă  dix pas de moi, au pied des autels, enivrĂ© d’hommages et entourĂ© d’un profond respect, qui paraissait si puissant et si fort, serait, Ă  vingt jours de lĂ , chassĂ© de son palais, et obligĂ© pour la troisiĂšme fois de quitter la France, qu’une de ses armĂ©es venait d’illustrer, et de reprendre le chemin de la terre d’exil ! Ô vicissitudes humaines, combien vos coups sont imprĂ©vus et frappent de haut ! Les priĂšres terminĂ©es, le roi fut reconduit avec le mĂȘme cĂ©rĂ©monial, et la famille d’OrlĂ©ans, l’ayant accompagnĂ© jusqu’à la porte, sortit par une autre issue pour monter en voiture. Quand le grand maĂźtre des cĂ©rĂ©monies, M. le marquis de Dreux-BrĂ©zĂ©, que je connaissais un peu, me dit, en me touchant l’épaule avec son bĂąton d’ébĂšne Mon cher commandant, faites place Ă  M. le duc d’OrlĂ©ans », qu’il reconduisait jusqu’à ses voitures, il ne pensait pas plus que moi que c’était pour son futur souverain qu’il rĂ©clamait le passage libre. 21 juillet. – Je vais Ă  l’observatoire royal, pour assister Ă  l’ouverture du cours d’astronomie fait par M. Arago. Son frĂšre, capitaine d’artillerie de ma connaissance, voulait bien me conduire. Ce cours public, destinĂ© aux gens du monde, promettait d’offrir un grand intĂ©rĂȘt. Je me proposais de suivre trĂšs exactement les leçons du grand astronome, afin de satisfaire ainsi un goĂ»t trĂšs prononcĂ© pour cette difficile et sublime science, mais les Ă©vĂ©nements politiques qui survinrent quelques jours aprĂšs arrĂȘtĂšrent, dĂšs son dĂ©but, les bonnes intentions du professeur et celles d’un de ses plus zĂ©lĂ©s auditeurs. 25 juillet. – Tous les officiers supĂ©rieurs du rĂ©giment se rendirent Ă  Saint-Cloud, pour voir le dauphin, Ă  qui le colonel avait une grĂące Ă  demander pour la veuve d’un capitaine du rĂ©giment on lui refusait une pension, parce qu’elle ne pouvait pas justifier qu’elle Ă©tait lĂ©gitimement mariĂ©e, le mariage ayant Ă©tĂ© fait en pays Ă©tranger. Notre prĂ©sentation terminĂ©e, nous nous rendĂźmes dans la galerie d’Apollon, pour attendre le roi et entendre la messe. RestĂ© dans la galerie, je causai avec plusieurs gĂ©nĂ©raux et officiers de ma connaissance. Il n’y avait chez personne ni agitation, ni inquiĂ©tude, malgrĂ© que les nouvelles des dĂ©partements fussent dĂ©favorables au ministĂšre. Si la figure des courtisans Ă©tait assombrie, si de nombreux apartĂ©s annonçaient des prĂ©occupations, le visage du roi Ă©tait d’une placiditĂ© remarquable. Il causait, comme Ă  son ordinaire, avec les personnes qu’on lui prĂ©sentait, sans que rien indiquĂąt sur ses traits calmes une grande rĂ©solution prise. Il s’entretint assez longtemps avec l’Hospodar de Moldavie, qui, dit-on, lui exprimait ses vƓux pour qu’il pĂ»t vaincre la rĂ©sistance qu’on apportait Ă  ses intentions conciliatrices, et Ă  qui il rĂ©pondait On y a songĂ©. » Quoi qu’il en soit, ce fut en rentrant dans son cabinet, Ă  l’issue de cette rĂ©ception, que les fatales ordonnances de juillet furent signĂ©es, fatales pour lui et sa famille surtout. Ce fut la derniĂšre messe que j’entendis Ă  Paris, et la derniĂšre visite que je fis aux Bourbons de la branche aĂźnĂ©e. LA RÉVOLUTION DE 1830 LES ORDONNANCES 26 juillet. – DĂšs le matin de ce grand jour, le rĂ©giment prit les armes pour passer la revue administrative de M. le baron de Joinville, intendant militaire de la premiĂšre division, et se rendit Ă  cet effet dans l’enclos du collĂšge Henri IV, derriĂšre le PanthĂ©on. À dix heures, la troupe Ă©tait rentrĂ©e dans ses quartiers, et les officiers dans leurs logements, sans qu’aucun bruit fĂ»t parvenu Ă  nos oreilles sur ce qui agitait dĂ©jĂ  Paris. À onze heures, j’ignorais encore complĂštement que la capitale Ă©tait en Ă©moi et que j’étais sur un volcan qui devait renverser un trĂŽne, dont j’étais appelĂ© Ă  devenir un des dĂ©fenseurs. Un violent coup de sonnette me tira de cette tranquillitĂ© d’esprit. C’était mon colonel qui venait m’annoncer les foudroyantes nouvelles du Moniteur officiel la publication de plusieurs ordonnances royales, dĂ©truisant la libertĂ© de la presse, annihilant divers articles de la Charte constitutionnelle, du Code civil et du Code d’instruction criminelle, annulant les lois Ă©lectorales votĂ©es par les pouvoirs lĂ©gislatifs, supprimant les garanties accordĂ©es Ă  la libertĂ© individuelle et dissolvant la Chambre des dĂ©putĂ©s. Je fus glacĂ© d’épouvante Ă  cette Ă©numĂ©ration odieuse et Ă  l’idĂ©e des malheurs qui allaient se rĂ©pandre sur notre France. Il semblait, par la douloureuse impression que j’en ressentis, que je pressentisse dĂ©jĂ  la majeure partie des sinistres Ă©vĂ©nements qui allaient suivre. Le colonel me dit en se retirant Il y aura aujourd’hui du bruit dans Paris. Demain, on tirera des coups de fusil pour protester contre ce coup d’État et le faire avorter, s’il est possible. » Je sortis pour tĂącher de lire le Moniteur ; je ne pus y parvenir ; on se l’arrachait, on faisait queue dans les cabinets pour l’avoir Ă  son tour. Des groupes nombreux, dans les rues, causaient avec animation ; les places se remplissaient de jeunes gens, qui parlaient haut et se concertaient dĂ©jĂ  pour rĂ©sister Ă  la tyrannie menaçante. Les figures Ă©taient tristes, concentrĂ©es ; une grande agitation se manifestait chez tous les individus qui s’abordaient. AprĂšs avoir longtemps parcouru divers quartiers de Paris, pour Ă©tudier l’opinion publique, et ĂȘtre sorti de dĂźner, je fus me promener dans le jardin du Luxembourg. L’affluence y Ă©tait beaucoup plus grande que de coutume. L’évĂ©nement du jour faisait le sujet de toutes les conversations. J’entendis des prĂȘtres qui disaient, en parlant de Charles X Le voilĂ  donc maĂźtre, roi absolu ! Dieu l’a inspirĂ© ! » Les insensĂ©s ! J’étais indignĂ©, je me retirai de bonne heure, le cƓur navrĂ© et livrĂ© Ă  de bien pĂ©nibles rĂ©flexions. LES TROIS GLORIEUSES – 27 JUILLET À mon rĂ©veil, j’appris qu’il y avait eu, le soir, au Palais-Royal et dans les rues environnantes, un grand tumulte et des attroupements trĂšs considĂ©rables on prĂ©ludait. À trois heures et demie du matin, je montai Ă  cheval, pour me rendre au Champ de Mars, oĂč le rĂ©giment devait s’exercer pour son instruction ordinaire. Au premier repos, le colonel rĂ©unit les officiers autour de lui pour leur parler de ce qui prĂ©occupait si vivement les esprits. Il leur dit qu’ils seraient dans les choses possibles que le rĂ©giment fut appelĂ© Ă  prendre les armes, dans la journĂ©e, pour maintenir l’ordre et dissiper les attroupements. Si cela arrive, je recommande Ă  tout le monde, chefs et soldats, beaucoup de prudence, du sang-froid et de l’indiffĂ©rence pour les provocations, injures et menaces qui pourraient vous ĂȘtre faites. Ne prenez en aucun cas l’initiative, attendez l’attaque pour riposter, mais alors, et seulement alors, vous vous dĂ©fendrez. » Avant la fin de l’exercice, la place fit demander un piquet de deux cents hommes et prĂ©venir les officiers de ne pas s’écarter de leurs logements. L’orage rĂ©volutionnaire commençait Ă  gronder. Tout annonçait qu’il Ă©claterait dans la soirĂ©e. Les officiers Ă©taient pensifs ; on osait Ă  peine se communiquer les inquiĂ©tudes qu’on Ă©prouvait, tant la gravitĂ© des Ă©vĂ©nements causait d’apprĂ©hensions. Un trĂšs petit nombre approuvait les ordonnances, la grande majoritĂ© les condamnait, et pourtant dans quelques heures nous devions prendre les armes pour les soutenir, les faire trouver bonnes et lĂ©gales. Cruelle et affligeante position ! Un peu avant cinq heures du soir, l’ordre fut donnĂ© de se trouver Ă  six heures, le 1er bataillon, commandant BarthĂ©lemy, et l’état-major, sur le Pont-Neuf, en face de la rue de la Monnaie ; le 3Ăšme, commandant Maillard, successeur du chef de bataillon Garcias, sur le quai aux Fleurs, gardant le Pont-au-Change, etc. ; le 2Ăšme le mien, sur la place du PanthĂ©on, avec un fort dĂ©tachement sur la place de l’École-de-MĂ©decine. Je devais, avec une partie de mon bataillon on m’avait pris deux compagnies pour renforcer les deux autres, maintenir l’ordre dans ce quartier populeux quartiers Saint-Jacques et Saint-Marceau, contenir les Écoles polytechniques, de droit et de mĂ©decine, garder la prison militaire de Montaigne, de la Dette, Sainte-PĂ©lagie, et protĂ©ger l’hĂŽpital militaire du Val-de-GrĂące. Mes instructions portaient que je devais, par de fortes et frĂ©quentes patrouilles, conserver mes communications avec tous les Ă©tablissements dont je viens de parler, avec la caserne des gendarmes de la rue de Tournon, et avec les deux bataillons qui Ă©taient sur la Seine. C’était beaucoup plus que je n’aurais pu faire, mĂȘme avec dix fois plus de monde ; aussi, aprĂšs plusieurs courses dans l’intĂ©rieur de l’espace que je gardais, fus-je contraint de me resserrer successivement et de borner ma dĂ©fense aux alentours de la place du PanthĂ©on, pour ne pas compromettre inutilement la vie de mes hommes, en cas d’attaque imprĂ©vue et de surprise prĂ©parĂ©e sous des prĂ©textes de bon accord. Soixante cartouches furent donnĂ©es Ă  chaque soldat. En les distribuant, comme en faisant partir les patrouilles, je recommandai avec soin et expliquai aux chefs l’usage qu’il devaient en faire, et la conduite qu’ils devaient tenir dans la position critique oĂč ils pourraient souvent se trouver. Au dĂ©but de la nuit, jusque vers dix heures, de nombreux attroupements d’hommes de tout rang et de tout Ăąge se prĂ©sentĂšrent Ă  l’entrĂ©e de la place en criant Vive la Charte, vive la Ligne ! » mais toujours sans intentions hostiles, ou du moins ne les faisant pas paraĂźtre, car ils voyaient bien que j’étais inexpugnable de la position que j’occupai sur le parvis du monument. Dans nombre de ces groupes, on portait des cadavres qui venaient des rues Richelieu, Saint-HonorĂ©, etc. Les individus qui les portaient et les accompagnaient criaient avec des voix stridentes Aux armes ! on Ă©gorge vos frĂšres, vos amis, Polignac veut vous rendre esclaves, etc. » Des hommes, des femmes, descendaient dans la rue, jusque sous les yeux des soldats en patrouilles, pour venir tremper leurs mouchoirs dans le sang de ces premiĂšres victimes d’une rĂ©volution qui commençait sous de sinistres auspices. L’agitation Ă©tait extrĂȘme, des cris d’indignation et de vengeance se faisaient entendre de toutes parts, mais la prĂ©sence de la troupe comprimait encore l’élan des masses, ou plutĂŽt leur moment d’agir avec vigueur n’était pas arrivĂ©. Dans ce quartier retirĂ©, le silence rĂšgne de bonne heure. Les boutiques avaient Ă©tĂ© fermĂ©es longtemps avant la nuit ; les armes de France, le nom du roi et des membres de la famille royale avaient Ă©tĂ© effacĂ©s des enseignes, et les Ă©cussons aux fleurs de lis, arrachĂ©s et brisĂ©s. Mais des Ă©vĂ©nements plus graves se passaient ailleurs. Nous entendions la mousqueterie et les coups de fusils se succĂ©der rapidement. La guerre civile Ă©tait commencĂ©e la troupe Ă©tait aux prises avec une population immense, ardente, jeune, brave, indignĂ©e. Quel serrement de cƓur j’éprouvai quand j’entendis les premiĂšres dĂ©tonations ! Mon Dieu, qu’elles me firent mal ! C’était la guerre entre Français, au sein du royaume, peut-ĂȘtre de grands massacres et la perte de tous nos droits civils et politiques. La situation des officiers qui ne partageaient pas les opinions des ultra-monarchistes, des Ă©migrĂ©s et des prĂȘtres Ă©tait vraiment Ă  plaindre. Donner la mort ou la recevoir, pour une cause anti-nationale, qu’on dĂ©fendait Ă  regret, c’était affreux, et cependant le devoir l’exigeait. AprĂšs dix heures, tous les rĂ©verbĂšres furent brisĂ©s autour de nous, et il n’y eut que ceux de la place du PanthĂ©on qui demeurĂšrent intacts. À onze heures, tout Ă©tait tranquille. Je fis cesser les patrouilles et rentrer les dĂ©tachements placĂ©s en diffĂ©rents lieux. Une partie de mes communications Ă©taient interrompues ; pour les rĂ©tablir, il aurait fallu employer la force ; je m’y opposai. Mon but et mes instructions Ă©taient de maintenir l’ordre, et non pas d’irriter cette partie de la population qui avait montrĂ©, jusqu’alors, beaucoup de prudence et de modĂ©ration. Un peu avant deux heures, je reçus l’ordre de faire rentrer ma troupe dans la caserne de Mouffetard. Les hommes Ă©taient horriblement fatiguĂ©s. Ainsi se termina cette premiĂšre soirĂ©e qui, si elle fut orageuse, du moins ne fut pas ensanglantĂ©e. 28 JUILLET À huit heures du matin, l’ordre arriva de prendre les armes, et de rĂ©cupĂ©rer les emplacements de la veille. À neuf heures, je pris position sur le pĂ©ristyle du PanthĂ©on, et envoyai des postes Ă  tous les dĂ©bouchĂ©s de la place. Je voulus aussi Ă©tendre mon influence sur d’autres points Ă©loignĂ©s, mais l’insurrection faisait tant de progrĂšs, les intentions devenaient si hostiles, que je dus, pour ne pas exposer inutilement la vie de mes hommes, renfermer mon action dĂ©fensive au terrain que j’occupais. Peu d’heures aprĂšs, les bandes insurrectionnelles devinrent plus nombreuses, plus arrogantes, plus hideuses, en quelque sorte, par leur monstrueuse composition. Elles Ă©taient toutes armĂ©es de fusils d’infanterie, ou de chasse, qu’on avait pris dans les dĂ©pĂŽts de la garde nationale, aux mairies, ou chez les sergents-majors, qui les conservaient depuis le licenciement en 1827 ; d’autres provenaient de la troupe, qu’on avait dĂ©sarmĂ©e dans les postes, ou des pillages exĂ©cutĂ©s chez les armuriers de Paris. Ceux qui n’avaient pas de fusils Ă©taient armĂ©s de pistolets, sabres, fleurets dĂ©mouchetĂ©s, haches, faux, fourches ou bĂątons ferrĂ©s. Des drapeaux, noirs ou tricolores, apparaissaient avec des inscriptions incendiaires. Des vocifĂ©rations, des provocations, des menaces, des cris sinistres, se faisaient entendre dans toutes les directions, mais toujours Ă  des distances respectueuses de la troupe. Calme et majestueuse dans sa force contenue, celle-ci laissait passer, sans s’émouvoir, ces flots populaires qui ne cessaient de crier À bas la garde, Ă  bas les gendarmes, Ă  bas le roi, Ă  bas les Bourbons, Ă  bas les ministres ! » et puis aprĂšs Vive la Charte, la RĂ©publique, la Ligne ! » selon qu’ils Ă©taient dirigĂ©s par des hommes plus ou moins anarchiques, plus ou moins civilisĂ©s. En mĂȘme temps, la gĂ©nĂ©rale battait dans toutes les rues, le tocsin sonnait Ă  toutes les Ă©glises, le gros bourdon de la cathĂ©drale faisait entendre sa voix puissante, et tous ensembles appelaient aux armes. On dĂ©pavait les rues, on les barricadait, on accumulait les pavĂ©s dans les Ă©tages supĂ©rieurs des maisons pour arrĂȘter la marche des troupes et assommer les soldats. Dans le centre de Paris, on se battait Ă  outrance, on Ă©gorgeait, on massacrait tout ce qui se dĂ©fendait, tout ce qui rĂ©sistait. De la position que j’occupais, j’entendais distinctement la fusillade, le long sifflement des boulets, dont plusieurs passĂšrent par-dessus nous, tirĂ©s de la place de GrĂšve pour abattre le drapeau tricolore qui flottait sur une des tours de Notre-Dame. C’était un spectacle terrible et grand, celui d’une nation qui se rĂ©veille pour briser ses fers, et demander compte du sang qu’on lui fait verser. Tout en Ă©tant l’adversaire d’un mouvement rĂ©volutionnaire que je devais combattre, je ne pouvais cependant m’empĂȘcher d’admirer l’énergie de ces Parisiens effĂ©minĂ©s, qui dĂ©fendaient leurs droits avec un courage digne de cette grande cause. Ma position devenait d’un instant Ă  l’autre plus difficile. J’étais entourĂ© d’adversaires qui me craignaient encore, ou qui me mĂ©nageaient. Ma position toute militaire, presque inattaquable les faisait rĂ©flĂ©chir. De mon cĂŽtĂ©, je ne me dissimulais pas qu’attaquĂ© vivement, je ne devais pas tarder Ă  succomber, par le peu d’hommes que j’avais avec moi, par le grand nombre des combattants que j’aurais eu sur les bras, au premier coup de fusil, sans espoir de secours, sans retraite, et sans aucune chance de succĂšs, soit pour le triomphe de la cause que je devais dĂ©fendre, soit pour l’honneur de nos armes. Je cherchai dĂšs lors Ă  agir avec prudence, pour Ă©viter tout ce qui pouvait troubler cette espĂšce de neutralitĂ© qui s’était Ă©tablie naturellement entre les deux partis. J’engageai le peuple Ă  se retirer, ou du moins Ă  se tenir toujours Ă  l’autre extrĂ©mitĂ© de la place, dans la rue Saint-Jacques, Ă  ne pas chercher Ă  dĂ©tourner mes soldats de leur devoir, ainsi qu’à Ă©viter de me mettre dans la dure nĂ©cessitĂ© de faire usage de mes armes. J’étais souvent Ă©coutĂ©, mais souvent aussi il fallait marcher sur eux, la baĂŻonnette croisĂ©e, pour les obliger Ă  laisser la place libre. À tout instant, des orateurs de carrefour, des mandataires du peuple, se prĂ©sentaient pour me parler, pour haranguer de loin mes troupes, qui riaient de leur tournure grotesque, et de l’originalitĂ© de leur langage, qui ressemblait fort Ă  celui de leur prĂ©dĂ©cesseur, le sans-culotte PĂšre Duchesne, de sanglante mĂ©moire. D’autres fois, c’étaient les chefs des attroupements de passage qui dĂ©siraient connaĂźtre mes opinions, mes sentiments, qui venaient me tĂąter, pour tĂącher de m’entraĂźner dans leur rĂ©bellion. Beaucoup d’entre eux, c’étaient les mieux Ă©levĂ©s, me priaient de ne pas faire couler le sang français, le sang de mes concitoyens et de mes subordonnĂ©s, et autres propos aussi sages qu’humains, mais qui souvent aussi Ă©taient dĂ©pourvus de sens commun. Je leur rĂ©pondais, chaque fois, que bien positivement je ne commencerais pas, mais que je me dĂ©fendrais vigoureusement si l’on m’attaquait ; que je voulais avoir la place entiĂšrement Ă  ma disposition, et que, quoi que l’on fĂźt, je n’abandonnerais jamais mon poste, qu’au besoin je me rĂ©fugierais dans l’église, et m’y retrancherais de maniĂšre Ă  braver tous les efforts de l’émeute. Plusieurs fois, je fus menacĂ© personnellement ; j’eus des pistolets ou des poignards sur la poitrine, pour m’intimider, mais ces violences ne m’en imposaient pas. Je rĂ©pondais tranquillement qu’on pouvait me tuer, mais que j’avais derriĂšre moi des vengeurs qui sauraient bien faire repentir les assassins. Les hommes sensĂ© se retiraient en criant Vive le commandant ! » les fougueux, les ultra-rĂ©volutionnaires, avec colĂšre et menaces. Ces scĂšnes populaires et dĂ©magogiques se renouvelaient Ă  chaque instant ; Ă  toute minute, j’étais obligĂ© de me porter en avant de ces bandes, presque toujours hideuses, pour les empĂȘcher d’approcher mes soldats, et pour entendre leurs harangues. Il fallait y rĂ©pondre, souvent les mĂ©nager, pour ne pas voir arriver le malheur que je voulais Ă©viter, mĂȘme au risque de me compromettre aux yeux du pouvoir. Ma position dĂ©jĂ  dĂ©licate s’aggravait par le voisinage de la prison militaire de Montaigne, oĂč quatre cents bandits Ă©taient en pleine insurrection, depuis le matin, pour s’évader et se joindre Ă  l’émeute parisienne. J’avais dĂ©tachĂ© cent hommes pour les contenir. C’était une grande force de moins, pour moi, qui n’avais plus que cent cinquante soldats sous mon commandement direct. Je courais encore le danger de me voir enlever mon dĂ©tachement ou de le laisser massacrer. J’étais dans une bien grande perplexitĂ© abandonner les prisonniers Ă  eux-mĂȘmes, c’était les envoyer sur les bords de la Seine oĂč se dĂ©cidait la question du droit divin ou de la souverainetĂ© du peuple, c’était envoyer un vigoureux renfort aux Parisiens. Je rĂ©solus, dans l’intĂ©rĂȘt mĂȘme des citoyens armĂ©s, pour ne pas laisser dĂ©shonorer leur victoire par des auxiliaires aussi criminels que mauvais soldats, de les conserver dans cette position Ă  tout prix. Avant la nuit, ils avaient brisĂ© plusieurs portes et Ă©taient parvenus jusqu’à celle de la cour, qu’ils allaient enfin franchir, lorsque le capitaine qui commandait le dĂ©tachement les prĂ©vint que si, Ă  la troisiĂšme sommation, ils n’étaient pas rentrĂ©s dans leurs dortoirs, il ferait tirer sur eux. Cette menace ne les arrĂȘta pas ; ils continuĂšrent Ă  dĂ©molir le bĂątiment, avec plus de fureur encore. Enfin, aprĂšs la troisiĂšme lecture de la loi martiale, en prĂ©sence d’un commissaire de police, le capitaine ordonna le feu. Un homme fut tuĂ©, et cinq blessĂ©s tombĂšrent Ă  la premiĂšre dĂ©charge dirigĂ©e contre la porte. On entra aussitĂŽt dans le bĂątiment, la baĂŻonnette croisĂ©e, et tout rentra dans l’ordre pour le reste de la nuit. La chaleur pendant cette journĂ©e fut excessive. Les hommes placĂ©s sur le pĂ©ristyle du PanthĂ©on, exposĂ©s pendant huit heures Ă  l’action dĂ©vorante du soleil, furent accablĂ©s d’une soif qui les fatigua beaucoup. J’eus soin de leur faire donner de l’eau, acidulĂ©e avec du vinaigre, pour mieux les dĂ©saltĂ©rer et les empĂȘcher d’ĂȘtre malades. Quelques habitants apportĂšrent du vin ; je l’aurais reçu avec reconnaissance, en tout autre circonstance ; mais dans celle-ci je craignais l’ivresse, les transports au cerveau, et les dĂ©sordres que cela pouvait amener. Par l’intermĂ©diaire d’inoffensifs bourgeois qui m’étaient dĂ©vouĂ©s, j’avais conservĂ© quelques relations avec le colonel et avec la caserne de Mouffetard, oĂč Ă©taient dĂ©posĂ©s tous les magasins d’habillement, les approvisionnements, les armes, les munitions de guerre, les archives du corps, etc. Ces moyens de communications finirent par me manquer, en sorte que je ne sus plus ce qui se passait, hors de l’enceinte que j’occupais. Je ne reçus jamais aucun argent de l’autoritĂ©, aucun avis, aucune instruction pour me guider ; j’étais entiĂšrement livrĂ© Ă  moi-mĂȘme, ce dont, du reste, je me fĂ©licitai, pouvant me diriger d’aprĂšs mes propres inspirations. J’étais seul en armes, dans toute cette partie de Paris. ExceptĂ©s la place du PanthĂ©on et quelques dĂ©pĂŽts de rĂ©giments, bien barricadĂ©s dans leurs casernes, le peuple Ă©tait maĂźtre de toute la rive gauche de la Seine. C’était dans le Paris de la rive droite que se livrait la bataille. Tous les postes, qu’on avait eu la sottise de ne pas faire rentrer dans leurs corps, avaient Ă©tĂ©, dĂšs le matin, enlevĂ©s, dĂ©sarmĂ©s, massacrĂ©s. La poudriĂšre des Deux-Moulins Ă©tait prise, les dĂ©pĂŽts d’armes des mairies pillĂ©s, en sorte que la rĂ©bellion avait acquis dans la soirĂ©e une supĂ©rioritĂ© incontestable sur les dĂ©fenseurs d’un trĂŽne qui, Ă  l’entrĂ©e de la nuit, Ă©tait irrĂ©vocablement perdu. Vers dix heures, j’appris, par des hommes sur qui je pouvais compter, qu’on devait tenter un coup de main sur ma caserne, pour enlever les armes et la poudre qui s’y trouvaient ; que les troupes stationnĂ©es dans l’intĂ©rieur devaient se retirer sur les Tuileries, quand l’émeute ne gronderait plus autant. Tout paraissait assez calme devant moi et autour de moi. Les scĂšnes affligeantes de la journĂ©e Ă©taient terminĂ©es, mais ce pouvait bien ĂȘtre un calme trompeur, prĂ©curseur d’un orage qui pouvait fondre sur moi d’un instant Ă  l’autre. Des barricades formidables s’élevaient entre la place et ma caserne, et dans toutes les rues qui conduisaient sur le boulevard extĂ©rieur. Ma prĂ©sence sur cette place devenant inutile, je me dĂ©cidai, d’aprĂšs tout ce que j’apprenais, Ă  sortir au plus vite de cette souriciĂšre, et Ă  me retirer dans mes casernes Mouffetard et de Lourcine, soit pour veiller Ă  leur conservation, soit pour y attendre la fin des Ă©vĂ©nements. Avant de commencer mon mouvement de retraite, j’envoyai couper les principaux dĂ©bouchĂ©s des rues oĂč je devais passer et faire suspendre la construction des barricades, pour effectuer en ordre cette Ă©vacuation volontaire. Je laissai, pour la garde de la prison militaire de Montaigne, ma compagnie et une section de voltigeurs. Tout s’opĂ©ra dans le plus profond silence, et avec la rĂ©gularitĂ© d’une marche en retraite. Nous fĂ»mes partout respectĂ©s et mĂȘme favorablement accueillis sur notre passage. Les habitants de ces quartiers, moins agitĂ©s que dans le centre de Paris, Ă©taient intĂ©ressĂ©s Ă  nous mĂ©nager ; il n’y avait que les exaltĂ©s, les forçats libĂ©rĂ©s dont le faubourg Saint-Marceau abonde, et les ivrognes qui pouvaient mettre obstacle Ă  notre rentrĂ©e, pour faire naĂźtre des dĂ©sordres, et quelques uns pour en profiter. À onze heures du soir, j’étais rentrĂ© dans ma caserne. ImmĂ©diatement, les compagnies qui appartenaient Ă  la caserne Lourcine rentrĂšrent de mĂȘme chez elles. J’organisai mes moyens de dĂ©fense, et distribuai les officiers et les soldats sur tous les points nĂ©cessaires, soit pour Ă©viter toute surprise, soit pour repousser toute attaque de vive force. Je dĂ©fendis expressĂ©ment de commander le feu, et de rien faire sans avoir pris mes ordres. Au cours de cette nuit, j’eus des nouvelles des deux autres bataillons et quelques dĂ©tails sur leurs opĂ©rations de la journĂ©e. Le sang avait coulĂ© dans le premier, malgrĂ© toutes les mesures prises pour Ă©viter ce malheur. Il en coĂ»tait tant de faire feu sur ses concitoyens, et de dĂ©fendre, par de si cruels moyens, une cause rĂ©prouvĂ©e par tous les hommes amis de leur pays, qu’il fallut des motifs bien puissants pour porter le colonel PerrĂ©gaux, un des militaires les plus humains que j’aie connus, Ă  sortir de la ligne de modĂ©ration qu’il s’était tracĂ©e. Voici comment la chose advint. Le premier bataillon Ă©tait depuis plusieurs heures Ă  l’entrĂ©e de la rue de la Monnaie, sur le prolongement du Pont-Neuf, gardant les quais et cette rue, lorsqu’il reçut l’ordre d’aller dĂ©gager un bataillon de la garde royale et deux piĂšces de canon, qui se trouvaient bloquĂ©s dans le marchĂ© des Innocents. Il suivait en colonne les rues de la Monnaie et du Roule, sans rĂ©sistance, franchissant les barricades sans opposition, les habitants s’empressant de se rendre aux priĂšres et Ă  la puissance des raisons que le colonel donnait pour remplir sa mission, sans effusion de sang. Retirez-vous, leur criait-il, je ne tirerai point sur vous ; jamais ma bouche ne donnera de semblables ordres. » On rĂ©pondait Vive le colonel, vive le dieu de la prudence ! » Mais arrivĂ© Ă  la rue Saint-HonorĂ©, il n’en fut plus de mĂȘme ; on parlementa en vain, on ne put s’entendre. Dans la chaleur de la discussion, survint un officier de gendarmerie et quelques gendarmes qui, placĂ©s entre les 1er et 2Ăšme pelotons, firent feu avec leurs pistolets contre les dĂ©fenseurs des barricades placĂ©es aux points d’intersection des quatre rues. DĂšs lors tout fut perdu, une vive fusillade s’engagea de part et d’autre, les barricades furent enlevĂ©es Ă  la baĂŻonnette, et le bataillon se trouva bientĂŽt sur le marchĂ© de la rue des Prouvaires. LĂ , la rĂ©sistance fut si vigoureuse que, malgrĂ© la bonne contenance et l’extrĂȘme bravoure des troupes, on fut forcĂ© d’aller reprendre en combattant la position d’oĂč on Ă©tait parti. Cette affaire coĂ»ta la vie Ă  un lieutenant M. Mari et Ă  huit soldats ; deux officiers et vingt soldats furent griĂšvement blessĂ©s. Un sergent fut tuĂ© d’un coup de pistolet par une mĂ©gĂšre, qui sortit d’une allĂ©e pour commettre ce guet-apens. Le colonel fut longtemps le point de mire des tireurs embusquĂ©s, mais sa bonne Ă©toile ne voulut pas qu’il soit atteint au corps, ses habits seuls furent trouĂ©s. Son cheval reçut cinq balles, et s’abattit avec son cavalier, en passant par-dessus une barricade, qu’il franchit en avant des carabiniers. Pendant ce temps, le 3Ăšme bataillon, placĂ© sur le marchĂ© aux fleurs, y resta toute la journĂ©e dans une position aussi critique que les deux bataillons, mais n’ayant point d’ennemis armĂ©s devant lui. Le commandant Maillard reçut par trois fois l’ordre du gĂ©nĂ©ral Taton en personne, de faire feu sur les aboyeurs qui l’entouraient. Il refusa avec fermetĂ©, en disant qu’il ne le ferait qu’autant qu’on tirerait sur lui. Le gĂ©nĂ©ral se retira furieux, la menace Ă  la bouche, et le cƓur rempli de vengeance. GrĂące Ă  la prudence et au grand sang-froid du commandant, ce mĂȘme gĂ©nĂ©ral et les bataillons de la garde, qui occupaient l’HĂŽtel de Ville et la place de GrĂšve, purent dans la nuit opĂ©rer leur retraite avec sĂ©curitĂ©. Si le commandant avait obĂ©i aux ordres irrĂ©flĂ©chis du gĂ©nĂ©ral, il aurait infailliblement perdu la position toutes les croisĂ©es de ce marchĂ© Ă©taient pourvues d’hommes armĂ©s, qui auraient tirĂ© Ă  coup sĂ»r ; le bataillon aurait Ă©tĂ© dĂ©cimĂ©, la place perdue, et les communications entre la GrĂšve et les Tuileries interceptĂ©es. À deux heures du matin, les deux bataillons purent bivouaquer dans le jardin des Tuileries. À cette heure, le drapeau tricolore flottait sur les neuf dixiĂšmes de Paris. 29 JUILLET Le jour me trouva prĂȘt Ă  me dĂ©fendre, si j’étais attaquĂ© brutalement, comme le succĂšs de la veille devait me faire craindre, mais je pensais aussi que quelque moyen se prĂ©senterait, pour Ă©viter le dĂ©sastre qui allait fondre sur nous et sur tous les habitants qui nous environnaient. Je ne m’étais jusqu’alors fait aucun plan de conduite que celui que l’honneur me prescrivait de suivre me dĂ©fendre et mourir. Cependant, quand je sus par des avis secrets que ma caserne Ă©tait minĂ©e ; que des pĂ©tards Ă©taient prĂ©parĂ©s, pour faire sauter les portes et un mur nous sĂ©parant des jardins voisins ; que des matiĂšres incendiaires devaient ĂȘtre jetĂ©es pour la brĂ»ler ; que des troupes de la garnison deux rĂ©giments, 5Ăšme et 53Ăšme de ligne avaient arborĂ© la cocarde tricolore ; que la garde royale elle-mĂȘme ne voulait plus se battre ; que tous fuyaient vers Saint-Cloud, et que l’évacuation de Paris serait complĂšte avant quelques heures, si elle ne l’était dĂ©jĂ , je compris, aprĂšs y avoir bien rĂ©flĂ©chi, que ma position n’était ni raisonnĂ©e, ni tenable. Accepter le combat, c’était vouer Ă  une mort certaine les quinze officiers et les deux cents soldats, bien portants ou malades, que j’avais avec moi ; c’était vouer Ă  la destruction le bĂątiment, les riches magasins, et les maisons voisines. Des torrents de sang couleraient, ma mĂ©moire resterait responsable de tant de calamitĂ©s, et pour qui ? Pour un roi parjure, pour un gouvernement inepte, et imposĂ© Ă  la France par des baĂŻonnettes Ă©trangĂšres. Jusqu’alors, j’avais servi fidĂšlement et consciencieusement, je n’avais aucune mauvaise action Ă  me reprocher envers les Bourbons, mais ce malheureux souverain, mal conseillĂ©, ayant violĂ© ses serments, ne m’avait-il pas dĂ©gagĂ© des miens ? Un autre motif, non moins puissant, devait encore me diriger. En admettant la dĂ©fense aussi belle que possible, je devais finir par succomber, car je ne pouvais attendre aucun secours de personne, et toute retraite m’était ĂŽtĂ©e. Comment la faire, au milieu d’une population exaspĂ©rĂ©e, dans des rues barricadĂ©es, ayant Ă  lutter contre des forces dĂ©cuples des miennes, ou peut-ĂȘtre plus nombreuses encore ? Commencer le combat, se rendre ensuite si on voyait les choses dĂ©favorables, c’était vouloir se faire Ă©gorger sans pitiĂ©, ne devant attendre aucune gĂ©nĂ©rositĂ© de la part de ceux qu’on venait d’égorger soi-mĂȘme
 Je faisais toutes ces rĂ©flexions, en me promenant dans la cour du quartier ; j’étais calme, je donnais mes ordres avec beaucoup de sang-froid ; mais intĂ©rieurement j’éprouvais un malaise, plus facile Ă  comprendre qu’à dĂ©finir. Avant dix heures, je fus prĂ©venu, par tous les officiers rĂ©unis, que des bandes nombreuses se portaient Ă  toutes les casernes des environs pour dĂ©sarmer les troupes, qui s’y Ă©taient enfermĂ©es, et enlever les armes qui s’y trouvaient en dĂ©pĂŽt. En aucune part on n’avait fait rĂ©sistance on s’était soumis Ă  la loi du plus fort, Ă  la loi de la raison. Les officiers me dirent qu’il y aurait folie Ă  se conduire autrement, et que pour eux, ils Ă©taient rĂ©solus Ă  cĂ©der, si on faisait des propositions qu’on pĂ»t accepter sans dĂ©shonneur. Je leur rĂ©pondis que c’était bien ainsi que je l’entendais, et les renvoyai chacun Ă  son poste. AprĂšs dix heures, plusieurs attroupements, plus ou moins nombreux, se prĂ©sentĂšrent devant la façade principale de la caserne rue Neuve-Sainte-GeneviĂšve. Leurs voix, leurs gestes, leurs costumes, tout Ă©tait effrayant. La majeure partie de ces hĂ©ros des faubourgs et de la banlieue Ă©taient armĂ©e. À leur tĂȘte, on remarquait des hommes bien vĂȘtus, ayant de bonnes maniĂšres, des dĂ©corations, des chefs enfin avec lesquels on pouvait s’aboucher. De la fenĂȘtre du premier, oĂč je m’étais placĂ©, je fis signe que je voulais parler. On fit d’abord silence, mais quand on entendit parler de conditions Ă  stipuler, de neutralitĂ© Ă  garder, des cris furieux À bas les armes, Ă  l’assaut ! » poussĂ©s par les Ă©nergumĂšnes, ivres de leur succĂšs, couvrirent ma voix. Tous les fusils se dirigĂšrent vers moi ; quelques soldats qui m’entouraient me saisirent en me disant Retirez-vous, commandant, ils vous tueront. » L’agitation Ă©tait extrĂȘme, dĂ©jĂ  on montait aprĂšs les ifs qui servent aux illuminations. C’était, dans toute la force du mot, une des scĂšnes hideuses de 1793. RestĂ© toujours Ă  la place que j’occupais, je parvins Ă  faire entendre que je dĂ©sirais m’entretenir avec deux ou trois de leurs chefs. Cette proposition acceptĂ©e, je fis ouvrir la porte aux trois commissaires dĂ©signĂ©s qui se trouvaient ĂȘtre un Ă©lĂšve de l’École polytechnique, un Ă©tudiant en droit de ma connaissance, et un personnage dĂ©corĂ©, probablement officier en demi-solde, dont je fus trĂšs peu satisfait. AprĂšs des dĂ©bats assez longs, dans cette confĂ©rence diplomatico-militaire, qui se tenait dans le corps de garde, il fut Ă©tabli qu’on n’entrerait point dans ma caserne, que je ne remettrais qu’un certain nombre de fusils qu’on ferait passer par les croisĂ©es, et que l’élĂšve de l’École Polytechnique, un peu malade, resterait en otage prĂšs de moi pour la garantie des conditions convenues. Tout fut exĂ©cutĂ© de bonne foi, de part et d’autre. Quand j’eus dĂ©clarĂ© Ă  plusieurs reprises que je n’avais plus d’armes Ă  donner, on se retira fort satisfait, en criant Vive le commandant, vive le 15Ăšme lĂ©ger ! » Quant Ă  moi, je les envoyais au diable de bien bon cƓur. Je fis de suite armer de nouveau les chasseurs qui ne l’étaient plus, et reprendre Ă  chacun les postes qui leur Ă©taient dĂ©signĂ©s. Je n’eus qu’à me louer des commissaires avec lesquels je traitais. Ils furent pleins de bons procĂ©dĂ©s. Pour attĂ©nuer tout ce que cet Ă©vĂ©nement avait de douloureux pour moi, ils me firent de bienveillants compliments sur la maniĂšre dont j’avais conduit cette affaire jusqu’à sa fin, sur le succĂšs que j’avais obtenu pour la conservation des magasins, sur ma conduite prudente et habile de la veille, place du PanthĂ©on, etc. MalgrĂ© tous ces Ă©loges, exprimĂ©s avec gĂ©nĂ©rositĂ©, l’idĂ©e d’avoir remis des armes sans combattre m’obsĂ©dait comme un reproche. Il me semblait que j’avais terni par une honteuse condescendance mes vingt-six annĂ©es de service. Du reste, je ne vis pas, dans les regards des officiers, un seul signe de blĂąme ni de mĂ©contentement ; au contraire, ils me tĂ©moignĂšrent tous leur profonde gratitude, et leur satisfaction de s’ĂȘtre tirĂ©s honorablement d’une position assez dĂ©licate. Pour me le prouver, ils m’embrassĂšrent tous. Cet Ă©panchement de l’ñme, aprĂšs une crise semblable, avait quelque chose de salutaire pour nous. Si ce n’était pas une justification, c’était du moins l’approbation de tous. Nos casernes de Lourcine et du Foin furent pillĂ©es, mais les soldats qui les occupaient furent respectĂ©s. Le mĂȘme sort fut rĂ©servĂ© aux casernes des gardes du corps, de la garde, et des autres rĂ©giments de la garnison. Celle de Babylone, oĂč Ă©taient les Suisses de la garde, fut dĂ©fendue d’abord, et ensuite abandonnĂ©e, aprĂšs avoir vu tomber plusieurs des Suisses, sous les coups d’une attaque en rĂšgle par une masse d’insurgĂ©s. Heureusement les dĂ©fenseurs purent gagner les boulevards dont ils Ă©taient proches, car ils auraient Ă©tĂ© tous massacrĂ©s. AprĂšs qu’ils l’eurent pillĂ©e, les insurgĂ©s y mirent le feu. Peu de temps aprĂšs que j’avais remis une partie de mes armes, d’autres bandes d’insurgĂ©s se prĂ©sentĂšrent. Il fallut leur en donner encore ; d’autres suivirent avec les mĂȘmes exigences. C’était en vain que je leur disais que je n’en avais plus, ils en voulaient absolument. Ils demandaient Ă  visiter la caserne, ce que je refusais obstinĂ©ment. Pour Ă©viter ce malheur et le contact de ces hordes dĂ©guenillĂ©es, je fis prendre quelques fusils au magasin, oĂč il s’en trouvait plus de cinq cents, ainsi que plusieurs milliers de cartouches Ă  balles. Ces bandes se renouvelant sans cesse, je compris que ma position se compliquait et devenait inquiĂ©tante. Pour sauver mes hommes, qui n’auraient pu bientĂŽt plus se dĂ©fendre, en cas de persistance dans le projet de pĂ©nĂ©trer dans la caserne, je sortis du quartier pour aller inviter un capitaine de la garde nationale, que je voyais en uniforme Ă  l’extrĂ©mitĂ© de la rue, Ă  mettre un poste de gardes nationaux armĂ©s pour la protĂ©ger et la garder, renonçant dĂ©sormais Ă  le faire. Je lui remis les clĂ©s des magasins et des bureaux, en le rendant responsable de tout ce qui s’y trouvait. Il s’en chargea et conserva tout, exceptĂ© ce qui Ă©tait l’objet d’armement et de grand Ă©quipement, qu’il fit prendre pour organiser les compagnies de sa lĂ©gion. Ce fut pour moi une grande satisfaction de n’avoir plus de rapport avec toutes ces bandes Ă  faces sinistres, qui venaient, la plupart, chercher des fusils pour les revendre aux gardes nationaux qui s’organisaient Ă  la hĂąte pour sauver Paris du pillage. Je savais que le rĂ©giment Ă©tait sorti de Paris, je n’avais plus Ă  craindre que les armes que je donnais fussent employĂ©es contre lui. C’est ce qui m’avait fait tant tenir Ă  leur conservation. De son cĂŽtĂ©, le capitaine que j’avais installĂ© dans le corps de garde ne voulut plus en donner Ă  tous ceux qui se prĂ©sentaient. Il fallait ĂȘtre de l’arrondissement, et ĂȘtre connu par un citoyen honorable pour en obtenir. Je lui dis souvent N’armez pas les prolĂ©taires, maintenant que tout est fini. Ils pourraient continuer la rĂ©volution pour leur compte, et nous livrer Ă  l’anarchie dĂ©magogique. » Les rapports que j’eus avec ce capitaine et avec plusieurs autres officiers, qui vinrent le seconder, furent trĂšs agrĂ©ables. Pendant cette tourmente, le dĂ©tachement, laissĂ© la veille pour la garde de la prison de Montaigne, rentra en ordre, mais dĂ©sarmĂ©e. Ce fut en vain que le capitaine Chardron, qui le commandait, observa aux insurgĂ©s que sa mission Ă©tait d’empĂȘcher les malfaiteurs qui s’y trouvaient renfermĂ©s de se rĂ©pandre dans Paris, pour commettre des dĂ©lits et peut-ĂȘtre des crimes ; il ne put parvenir Ă  faire comprendre Ă  un de ces derniers attroupements, moins prudent que plusieurs autres qui l’avaient prĂ©cĂ©dĂ©, les motifs qu’il avait pour tenir Ă  la conservation de ses armes. Il ne fut pas Ă©coutĂ©. Il dut cĂ©der. RĂ©sister eut Ă©tĂ© une folie, quand tous se soumettaient autour de lui. Cependant, il ne le fit que sur mon invitation. Une fois parti, les prisonniers sortirent, et rĂ©pandirent bientĂŽt dans les rues la consternation. Le premier usage qu’ils firent de leur libertĂ©, ce fut d’aller chez le capitaine qui avait ordonnĂ© de faire feu sur eux, pour l’assassiner. Heureusement qu’il put s’échapper par une porte de derriĂšre de son appartement, et se rĂ©fugier dans une maison oĂč on ne le vit pas entrer. À la caserne, j’étais restĂ©, seul officier, pour maintenir les soldats dans la ligne de leur devoir, les protĂ©ger et leur faire connaĂźtre la nouvelle position oĂč ils allaient se trouver. Je pensais les avoir convaincus, mais le dĂ©mon de la discorde et de l’insubordination vint dĂ©truire l’effet de mes paternelles recommandations. Nous n’avons plus d’armes, plus de drapeau, plus de gouvernement, nous sommes donc libĂ©rĂ©s du service, et maĂźtres de nos actions. Vive la libertĂ©, et au diable l’obĂ©issance et la discipline ! » Et au mĂȘme instant ils se prĂ©cipitĂšrent tous vers la porte, pour sortir. Vainement je m’y opposai, les liens de la soumission aux lois Ă©taient brisĂ©s, ma voix et mon grade mĂ©connus. Je dus cĂ©der Ă  cette autre rĂ©bellion. À six heures du soir, je sortis de la caserne. Tout ce qui arrivait depuis trois jours m’avait brisĂ© le cƓur ; je doutais encore, aprĂšs ĂȘtre sorti de cette caserne oĂč mon pouvoir Ă©tait si fort, quelques heures auparavant, qu’un trĂŽne si haut placĂ© dans l’opinion des peuples venait de s’écrouler, qu’un roi si puissant Ă©tait dĂ©chu, sa couronne brisĂ©e, et lui-mĂȘme peut-ĂȘtre en fuite pour Ă©viter la colĂšre d’une grande nation irritĂ©e. Quand je songeais Ă  tout cela, j’en avais des vertiges, une espĂšce de fiĂšvre dĂ©vorante. Mon beau-frĂšre, M. Kellermann, bibliothĂ©caire Ă  l’École des ponts et chaussĂ©es, Ă©tait venu me prendre Ă  la caserne, peu avant que j’en sortisse. Sa prĂ©sence me fit du bien. J’avais besoin d’ĂȘtre plaint, consolĂ©, de recevoir des tĂ©moignages d’amitiĂ© pour chasser de ma pensĂ©e les impressions de la journĂ©e. Elles Ă©taient douloureuses. Je ne pouvais que voir, avec plaisir, la France recouvrant la plĂ©nitude de ses droits politiques, mais le choc avait Ă©tĂ© trop violent, trop extraordinaire, pour que ma raison n’en fĂ»t pas Ă©branlĂ©e, et pĂ»t apprĂ©cier Ă  premiĂšre vue tous les avantages qu’une pareille secousse devait amener. Je craignais la guerre civile, le triomphe des prolĂ©taires, l’institution d’une rĂ©publique, la guerre Ă©trangĂšre, enfin tous les maux qu’engendrent l’anarchie et le triomphe des partis extrĂȘmes. Mon beau-frĂšre dĂźna chez moi, oĂč il y avait une pension bourgeoise qui nous fournissait tout ce dont nous avions besoin. Il me donna des dĂ©tails sur les Ă©vĂ©nements des trois jours, que j’ignorais complĂštement. Pendant le dĂźner une dame, jeune et jolie, mais que je ne connaissais pas assez pour espĂ©rer d’elle une si grande preuve d’intĂ©rĂȘt, vint me voir avec son mari, pour m’exprimer toute la joie qu’elle Ă©prouvait de me trouver sain et sauf. Je fus bien vivement touchĂ© de cette obligeante attention ; une mĂšre, une femme, une sƓur, n’auraient ni mieux exprimĂ© leur joie, ni donnĂ© plus d’expression Ă  leur lĂ©gitime tendresse. Cette visite inattendue me fit oublier bien des souvenirs amers. Au cours de cette journĂ©e du 29, les deux bataillons du rĂ©giment qui Ă©taient sur l’autre rive de la Seine, aprĂšs avoir passĂ© une partie de la nuit et de la matinĂ©e dans le jardin des Tuileries, Ă©taient allĂ©s prendre position dans les Champs-ÉlysĂ©es. C’était le moment oĂč les Parisiens attaquaient le Louvre, et peu aprĂšs le palais du roi. Le palais pris, toutes les troupes se retirĂšrent en dĂ©sordre sur Saint-Cloud, en prenant toutes les directions qui y conduisent. Notre 15Ăšme, toujours ralliĂ© et maintenu, forma l’arriĂšre-garde pour soutenir la retraite. Il se retirait par le quai. Malheureusement, la barriĂšre des Bonshommes ou de Passy Ă©tait fermĂ©e et dĂ©fendue par les gardes nationaux d’Auteuil, Boulogne, Passy, etc. La situation Ă©tait critique attaquĂ© en queue et en flanc, placĂ© entre la Seine et la colline de Chaillot, que garnissaient des tirailleurs audacieux et adroits, on se trouvait acculĂ© dans une impasse, et dans l’impossibilitĂ© de faire aucun mouvement, Ă  moins de revenir sur ses pas pour marcher sur le ventre des Parisiens et prendre le pont d’IĂ©na. Le capitaine Bidou, qui commandait la premiĂšre compagnie des carabiniers, eut l’heureuse idĂ©e de faire mettre la crosse en l’air Ă  sa compagnie. Ce signal pacifique fut compris et la barriĂšre s’ouvrit pour laisser passer le seul rĂ©giment qui ne fĂ»t pas entiĂšrement dĂ©moralisĂ©. Quoiqu’il ne rĂ©pondĂźt pas aux coups de feu, des individus placĂ©s sur la colline, et cachĂ©s derriĂšre des murs, ne discontinuĂšrent pas de tirer sur lui, et, par malheur, avec une adresse fĂ©roce. Un capitaine fut tuĂ©, ainsi que plusieurs soldats, deux officiers et beaucoup de soldats furent blessĂ©s. Ils tombĂšrent victimes de la funeste adresse de quelques individus, qui croyaient sans doute s’illustrer en assassinant de sang-froid et sans danger des compatriotes, plus français et meilleurs citoyens qu’eux, puisqu’ils ne rĂ©pondaient pas Ă  leur attaque, et qu’ils se retiraient sans combattre. Cet acte barbare fut un vĂ©ritable crime, qu’on ne saurait trop anathĂ©matiser. AprĂšs avoir passĂ© la barriĂšre, le rĂ©giment fut se reposer sous les ombrages du Bois de Boulogne, oĂč les habitants d’Auteuil, sur la demande du colonel, lui apportĂšrent avec empressement des vivres. La chaleur Ă©tait excessive, on Ă©tait accablĂ© de fatigues, de chagrins et de funestes pressentiments. C’était entre midi et quatre heures. Le dauphin vint voir le rĂ©giment. Il fut accueilli froidement. Le prestige avait disparu, le malheur avait passĂ© sur toutes les tĂȘtes, si fiĂšres, si droites quelques jours auparavant. On vit un homme, plus que mĂ©diocre, se montrer quand le danger Ă©tait passĂ©, qui ne sut ni remercier, ni encourager. La dĂ©fection commença, aprĂšs cette revue. On se mit en marche pour Vaucresson, en passant par Saint-Cloud, oĂč l’on dĂ©libĂ©ra longtemps pour savoir si on permettrait de traverser le parc, pour abrĂ©ger la distance. Le rĂ©giment passa sous les fenĂȘtres du roi ; il Ă©tait alors Ă  dĂźner, ce qui fut cause sans doute qu’il ne se dĂ©rangea pas pour le voir, et pour saisir cette occasion de dire de ces choses qui dĂ©dommagent un peu des fatigues et des dangers courus. Cette indiffĂ©rence maladroite blessa vivement les officiers, qui regrettĂšrent alors d’avoir quittĂ© Paris et de s’ĂȘtre exposĂ©s pour un prince qui ne leur en tenait aucun compte. ADHÉSION AU NOUVEAU RÉGIME 30juillet. – De grand matin, la majeure partie des officiers du rĂ©giment qui se trouvaient Ă  Paris se rĂ©unirent chez moi pour prendre, tous ensemble, une dĂ©termination sur la conduite que nous devions tenir. Il fut rĂ©solu Ă  l’unanimitĂ© que je me prĂ©senterais dans la matinĂ©e chez le lieutenant-gĂ©nĂ©ral, comte GĂ©rard, membre du gouvernement provisoire, et au domicile de M. Laffitte, banquier et dĂ©putĂ©, pour donner notre adhĂ©sion au nouvel ordre de choses, et prendre des ordres dans notre singuliĂšre position. Chef de corps, par l’absence du colonel qui Ă©tait avec les deux bataillons, et du lieutenant-colonel qui Ă©tait en congĂ© Ă  Lyon, je dus d’abord aviser aux moyens d’assurer la subsistance de la troupe, qui Ă©tait sans pain depuis deux jours ; et aussi aviser Ă  faire bien comprendre aux hommes de ne point imiter la conduite de leurs camarades, qui avaient quittĂ© leur compagnies et qui ne tarderaient pas Ă  ĂȘtre arrĂȘtĂ©s, soit Ă  Paris, soit sur les routes, s’ils avaient cherchĂ© Ă  se rendre dans leurs foyers. Je leur recommandai en outre la conservation de leurs effets, et une bonne tenue, s’ils sortaient du quartier, et d’éviter d’aller boire dans les cabarets, crainte de querelle avec les hĂ©ros du jour, qui Ă©taient fort insolents. Ce furent en grande partie des conseils superflus. Le travail de plusieurs annĂ©es disparut complĂštement dans un jour. Plus de respect, de soumission, de discipline, ni de tenue anarchie et dĂ©sordre presque complets. Le soir, les effets Ă©taient vendus, dĂ©chirĂ©s, couverts de boue et de graisse. Ce n’étaient dĂ©jĂ  plus des soldats. AprĂšs ma visite dans les casernes, je me rendis au siĂšge du gouvernement provisoire, rue d’Artois maintenant Laffitte, pour remplir ma mission. Le gĂ©nĂ©ral GĂ©rard n’y Ă©tant pas, je m’adressai au gĂ©nĂ©ral Pujol, commandant en second la force armĂ©e de Paris. Je fus parfaitement bien accueilli, et obtins tout ce que je lui demandai pour le bien-ĂȘtre de mes subordonnĂ©s. AprĂšs avoir longtemps causĂ© avec lui de notre position et de la part que nous avions prise aux Ă©vĂ©nements, je me retirai trĂšs satisfait, et plus que je n’osais l’espĂ©rer, car j’avais craint que les articles violents, publiĂ©s par les journaux contre le rĂ©giment, ne l’eussent indisposĂ© contre nous. Je fus ensuite Ă  l’HĂŽtel de Ville voir le gĂ©nĂ©ral La Fayette, pour lui faire connaĂźtre nos intentions. Il me garda peu de temps, Ă©tant trĂšs occupĂ© Ă  recevoir des rapports et Ă  donner des instructions. J’étais horriblement fatiguĂ© Ă  ma rentrĂ©e chez moi. Cette promenade forcĂ©e dans Paris, cette longue course en habit de ville, Ă  pied, Ă  cause des barricades, et par une chaleur accablante, me fit connaĂźtre les immenses travaux et les Ă©pouvantables ravages d’une guerre civile de trois jours. Dans toutes les rues, sur les quais, sur les boulevards et sur les ponts, Ă©taient Ă©tablies des barricades, placĂ©es tous les soixante pas, hautes de quatre Ă  cinq pieds et construites avec des diligences, des omnibus, des voitures de maĂźtre, charrettes, camions, tonneaux, caisses ou planches. Sur les boulevards, les arbres Ă©taient coupĂ©s et abattus en travers ; les rues en partie dĂ©pavĂ©es et parsemĂ©es de verre de bouteille, pour arrĂȘter la cavalerie. Paris ressemblait Ă  une ville prise d’assaut. Son aspect Ă©tait morne et sĂ©vĂšre. Peu de mouvement dans les rues, beaucoup d’hommes mal habillĂ©s, groupĂ©s sur diffĂ©rents points ; point de femmes Ă©lĂ©gantes, de voitures, de boutiques ouvertes ; mais des convois funĂšbres, des femmes occupĂ©es Ă  faire de la charpie, des corps de garde improvisĂ©s Ă  tous les coins de rues, des vitres et des rĂ©verbĂšres brisĂ©s, des murs couverts de proclamations appelant le peuple aux armes, et des ordonnances Ă  cheval se rendant dans toutes les directions. Ce spectacle triste et saisissant, attestait combien l’orage rĂ©volutionnaire avait dĂ» ĂȘtre brĂ»lant. Presque toutes les barriĂšres et les corps de garde de la garnison furent incendiĂ©s. Beaucoup d’objets d’art furent mutilĂ©s, brisĂ©s, volĂ©s, dans les galeries du Louvre et les appartements du chĂąteau ; le musĂ©e de l’artillerie, l’archevĂȘchĂ©, la cathĂ©drale furent aussi dĂ©vastĂ©s et saccagĂ©s. Assez gĂ©nĂ©ralement, les vainqueurs donnĂšrent des preuves de gĂ©nĂ©rositĂ©, d’humanitĂ© et de dĂ©sintĂ©ressement. Mais aussi il s’en trouva qui Ă©gorgĂšrent sans pitiĂ© des hommes dĂ©sarmĂ©s, qui les jetĂšrent vivants dans la Seine, qui les tuĂšrent par derriĂšre. Quatre hommes du rĂ©giment, un capitaine de la garde royale, de mes amis, avec qui j’avais dĂźnĂ© le dimanche 25, des gardes royaux, des Suisses, des gendarmes, Ă©prouvĂšrent ce sort. La perte totale du rĂ©giment fut d’un capitaine, un lieutenant et seize sous-officiers et soldats tuĂ©s ; quatre officiers et trente-neuf sous-officiers et chasseurs blessĂ©s. Le rĂ©giment fut un de ceux qui se conduisirent avec le plus de prudence, qui tira le moins et qui a Ă©tĂ© cependant signalĂ©, par la presse libĂ©rale, comme un parricide et un ennemi de la libertĂ©. À mon retour de l’HĂŽtel de Ville, j’appris que deux de nos officiers un capitaine criblĂ© de dettes, et le porte-drapeau, homme fort tarĂ©, tous deux les obligĂ©s du colonel qui avaient quittĂ© la veille, dans le Bois de Boulogne, leurs camarades et leur drapeau, s’étaient prĂ©sentĂ©s Ă  l’HĂŽtel de Ville, pour offrir leurs services au gouvernement provisoire, et faire parade d’un dĂ©vouement patriotique dont ils ne se doutaient pas deux jours auparavant. À force de calomnies et de mensonges, ils parvinrent Ă  faire croire au gĂ©nĂ©ral Dubourg que, s’il leur donnait pleins pouvoirs, ils organiseraient un bataillon modĂšle et sĂ»r, ce qui ne serait pas, si on le laissait entre les mains des officiers actuels, tous animĂ©s, surtout son chef c’était moi, d’un trĂšs mauvais esprit. Ils obtinrent sans difficultĂ© les pleins pouvoirs qu’ils demandaient, et se mirent de suite Ă  l’Ɠuvre. Le capitaine se nomma chef de bataillon, et fit tous les sergents-majors sous-lieutenants, en attendant qu’il pĂ»t entraĂźner dans son parti quelques officiers pour en faire des capitaines et de lieutenants. C’est au moment qu’il rĂ©volutionnait ainsi les trois casernes que je rentrais chez moi. J’y trouvai tous les officiers de mon bataillon, qui m’attendaient avec impatience, furieux, indignĂ©s contre l’audace de ces deux officiers, dont la conduite, dans cette circonstance, Ă©galait la lĂąchetĂ© habituelle. AprĂšs avoir entendu leurs rĂ©cits et leurs plaintes, reçu leur tĂ©moignage d’estime et d’affection, j’écrivis au gĂ©nĂ©ral La Fayette, pour lui faire part de ce qui se passait, de la surprise qui avait Ă©tĂ© faite au gĂ©nĂ©ral Dubourg, de la conduite honorable que tous les officiers de mon bataillon avait tenue pendant les trois journĂ©es, et lui montrer que nous Ă©tions calomniĂ©s par deux intrigants sans influence sur l’esprit des soldats, qui avaient lĂąchement abandonnĂ© leur drapeau pour venir Ă  Paris mendier un avancement qu’ils ne mĂ©ritaient pas. Un officier porta ma lettre, et, une demi-heure aprĂšs, je reçus l’ordre de conserver le commandement, ainsi que tous les officiers que j’avais avec moi. Je fis tout de suite mettre cette rĂ©ponse Ă  l’ordre du jour dans les trois casernes, et donner la consigne d’arrĂȘter ces deux officiers pour les conduire Ă  la prison de l’Abbaye. 31 juillet. – Je fus dans la matinĂ©e chez le lieutenant-gĂ©nĂ©ral comte Roguet, nommĂ© commandant des troupes de Paris, pour prendre ses ordres et lui rendre compte des Ă©vĂ©nements intĂ©rieurs du corps. L’acte d’indiscipline de ces deux officiers le mĂ©contenta beaucoup. Il m’ordonna de les faire arrĂȘter. Il me demanda de lui remettre, dans la soirĂ©e, un rapport trĂšs circonstanciĂ© sur l’esprit et la situation de la portion de corps que je commandais, sur les magasins du rĂ©giment, sur les pertes Ă©prouvĂ©es et sur les moyens employĂ©s pour assurer la subsistance de la troupe depuis les Ă©vĂ©nements. À trois heures, quand le travail Ă©tait achevĂ©, le lieutenant-colonel arriva de Lyon. Je le lui prĂ©sentai, pour le signer et le porter, en sa qualitĂ© de chef de corps. Par modestie, il refusa l’un et l’autre, mais ensuite, se ravisant et prĂ©voyant que cette visite pourrait lui ĂȘtre utile plus tard, il m’accompagna au quartier gĂ©nĂ©ral, place VendĂŽme, oĂč logeait le comte Roguet. Quelle fut ma surprise, dans notre entretien, avec le gĂ©nĂ©ral, sur les efforts que nous devions faire pour ramener la discipline, d’entendre cet officier dire avec beaucoup de suffisance qu’il regrettait fort de s’ĂȘtre trouvĂ© absent du rĂ©giment pendant les Ă©vĂ©nements, que sa prĂ©sence au corps, et l’influence qu’il y exerçait, auraient empĂȘchĂ© le 15Ăšme de prendre part Ă  cette lutte, et que, dĂšs le premier jour, il l’aurait entraĂźnĂ© Ă  se mettre du cĂŽtĂ© du peuple ! Cette impudence me rĂ©volta, et amena cette rĂ©ponse fort simple et trĂšs naturelle Et le devoir, et vos serments ? » Le gĂ©nĂ©ral approuva de la tĂȘte mon observation, et nous congĂ©dia. Sur la place, nous eĂ»mes une vive altercation, oĂč je lui reprochai le blĂąme qu’il semblait vouloir jeter sur ceux qui n’avaient fait que mettre en action ce que lui-mĂȘme avait si souvent recommandĂ© dans ses allocutions Ă  la troupe assemblĂ©e, oĂč il ne savait quelles expressions employer pour parler de sa fidĂ©litĂ©, de son dĂ©vouement au roi et de son amour pour la famille royale. VoilĂ  bien l’esprit de beaucoup des hommes que j’ai connus ! Quand l’idole est debout, ils l’encensent ; quand elle est Ă  terre, ils lui donnent un coup de pied. Ce mĂȘme jour, le duc d’OrlĂ©ans fut reconnu lieutenant-gĂ©nĂ©ral du royaume, ayant acceptĂ© l’offre que lui avait faite la Chambre des dĂ©putĂ©s de se mettre Ă  la tĂȘte du gouvernement provisoire. Son arrivĂ©e Ă  Paris et sa prĂ©sentation au peuple, par le gĂ©nĂ©ral La Fayette, sur la place de GrĂšve, produisirent un bon effet sur tous les hommes amis de leur pays. On ne dĂ©sespĂ©ra plus du salut de la patrie. 1er aoĂ»t. – Dans la matinĂ©e, le lieutenant-colonel, Ă  qui je venais de remettre le commandement du rĂ©giment, rĂ©unit tous les hommes dans la cour de la caserne de Lourcine, pour les haranguer. Il nous dit trĂšs sĂ©rieusement qu’il avait servi avec fidĂ©litĂ© la RĂ©publique, le Consulat, l’empereur NapolĂ©on, Louis XVIII et Charles X, et qu’il servirait de mĂȘme le souverain que les Chambres appelleraient au trĂŽne. Les officiers sourirent et le reconnurent pour la plus vieille girouette du rĂ©giment. Au fait, ce n’était ni sa faute ni la nĂŽtre, si les Ă©vĂ©nements nous forçaient Ă  servir tant de gouvernements divers, mais il aurait pu se dispenser de faire parade de nos honteuses palinodies, de la frĂ©quence de nos serments si solennellement prĂȘtĂ©s, et souvent si peu respectĂ©s. Ses frais d’éloquence touchĂšrent peu les soldats qui se croyaient dĂ©gagĂ©s depuis le 29 juillet de tout frein disciplinaire. 2 aoĂ»t. – Ce jour-lĂ , les dĂ©bris de nos 1er et 3Ăšme bataillons nous revinrent. Le colonel nous les renvoyait, sans les accompagner. Voici leur histoire. J’ai dit que les deux bataillons Ă©taient arrivĂ©s Ă  Vaucresson, le 29 juillet. Fort mal Ă  ce bivouac, et inquiets sur les suites que pouvait avoir pour les officiers leur Ă©loignement de Paris, les officiers commencĂšrent Ă  murmurer. DĂšs le 30, les ambitieux et les mariĂ©s quittĂšrent furtivement. Leur dĂ©fection et la dĂ©sertion des soldats furent plus ostensibles le 31. En effet, ce jour-lĂ , le colonel PerrĂ©gaux avait donnĂ© l’ordre de se rapprocher de Rambouillet, oĂč s’était retirĂ©e la cour. Le colonel, qui avait amĂšrement censurĂ© les ordonnances du 25 juillet, ne voulait pas entraĂźner son rĂ©giment Ă  continuer une dĂ©fense qui n’était ni dans ses principes, ni dans ses intĂ©rĂȘts, mais il lui rĂ©pugnait d’abandonner une cause malheureuse, sans avoir reçu l’avis officiel que ses services n’étaient plus nĂ©cessaires. C’est pourquoi il crut devoir se rapprocher de Rambouillet, oĂč le roi Ă©tait dĂ©jĂ  abandonnĂ© par la majeure partie de sa garde et par ses courtisans. Ce mouvement en avant Ă©claircit singuliĂšrement les rangs le soir, il n’y restait plus guĂšre que ces hommes fidĂšles et dĂ©vouĂ©s que tous les Ă©vĂ©nements ont toujours trouvĂ©s Ă  leur poste. En consĂ©quence, le colonel invita les deux chefs de bataillon Ă  conduire leurs hommes Ă  Paris, en prenant les mesures convenables pour assurer leur retour d’une maniĂšre lĂ©gale. Il fit rendre au drapeau les honneurs militaires, et partit pour Rambouillet, accompagnĂ© d’un officier et d’un dĂ©tachement de sous-officiers et de caporaux qui s’offrirent spontanĂ©ment pour escorter le drapeau. À son arrivĂ©e au chĂąteau, il remit au roi le drapeau du 15Ăšme en lui disant Sire, vous me l’aviez confiĂ©, je vous le rends, puisque je ne puis plus le dĂ©fendre. » Le roi le remercia beaucoup et le nomma commandeur de la LĂ©gion d’honneur, pensant encore pouvoir rĂ©compenser la fidĂ©litĂ© au malheur, mais le pouvoir souverain Ă©tait brisĂ© dans ses mains depuis son dĂ©part de Saint-Cloud. Ce fut une lettre morte. Les dĂ©bris de nos 1er et 3Ăšme bataillons nous arrivĂšrent donc Ă  Paris, dans la matinĂ©e, le 2 aoĂ»t, sous le commandement de leurs chefs, tambours battants et baĂŻonnettes au bout des fusils. C’était la premiĂšre troupe armĂ©e de la ligne qu’on revoyait dans nos parages ; et ils se prĂ©sentaient dans cette attitude militaire, en vertu d’une convention faite avec les commissaires envoyĂ©s pour recevoir leur adhĂ©sion. Les honnĂȘtes gens virent avec plaisir que la force armĂ©e rĂ©guliĂšre et disciplinĂ©e allait reprendre le service de la capitale. GrĂące Ă  l’arrivĂ©e de ces deux bataillons, le rĂ©giment se trouva de nouveau rĂ©uni. Mais ce n’était plus le mĂȘme corps. Que de divisions, parmi les officiers ! Des ambitions bien peu justifiĂ©es se montraient, des haines se manifestaient Ă  toutes les rĂ©unions. Le 15Ăšme avait cessĂ© d’ĂȘtre le modĂšle des autres corps. Sur les 1500 hommes qu’il avait prĂ©sentĂ©s Ă  la revue du 26, il ne lui en restait pas 400. Plus de 1000 hommes avaient dĂ©sertĂ©. Quant Ă  la tenue, elle n’existait plus. La plupart des soldats vendaient, le soir, les effets qu’on leur dĂ©livrait le matin. 9 aoĂ»t 1830. – Louis Philippe, roi des Français, accepte la nouvelle Charte, et prĂȘte serment devant les dĂ©putĂ©s rĂ©unis au palais de la Chambre
 Pour moi, Ă  deux heures et demie du matin, je pris le commandement d’une nombreuse corvĂ©e, que je devais conduire Ă  Vincennes pour recevoir six cents fusils. Je rentrai Ă  deux heures aprĂšs midi, bien mĂ©content des hommes et de leurs officiers qui n’osaient plus les commander. Cette journĂ©e me laissa de douloureux souvenirs sur le funeste effet de l’indiscipline. Quelle diffĂ©rence avec les soldats d’avant la RĂ©volution ! quel changement profond dans les caractĂšres en si peu de jours ! Ce qui occasionna en grande partie les nombreux Ă©carts de dĂ©sobĂ©issance dont les soldats se rendirent coupables, c’est la faim. RestĂ©s Ă  Vincennes plus longtemps qu’on ne pensait, parce que d’autres rĂ©giments s’y trouvaient en mĂȘme temps que nous, l’heure du dĂ©jeuner Ă©tait passĂ©e depuis longtemps quand notre tour d’ĂȘtre armĂ©s arriva, ce qui exaspĂ©ra les hommes, facilement irritables Ă  cette Ă©poque de dissolution sociale. La plus grande difficultĂ©, ce fut de les empĂȘcher d’entrer dans Paris par la rue du Faubourg-Saint-Antoine, que je ne voulais pas traverser, dans la crainte que le peuple avide d’armes ne les dĂ©sarmĂąt ce que mes indisciplinĂ©s chasseurs auraient volontiers laissĂ© faire, pour ne pas se donner la peine de porter leurs armes. Enfin je parvins, presque seul, Ă  vaincre toutes ces rĂ©sistances, et arrivai au quartier sans avoir perdu un seul fusil, malgrĂ© toutes les tentations qu’on mit en jeu pour que les hommes en vendissent, pendant ce long trajet, autour des murs d’enceinte et depuis la barriĂšre de la RĂąpĂ©e jusqu’à la caserne. Si ces hommes furent ce jour-lĂ  mauvais soldats, ils furent du moins honnĂȘtes gens. LA MONARCHIE DE JUILLET LA FAMILLE ROYALE Le soir de ce 9 aoĂ»t, je fus, avec les autres officiers supĂ©rieurs du rĂ©giment, prĂ©senter mes hommages Ă  notre nouveau roi et Ă  la famille royale. Je fus vivement Ă©merveillĂ© de la simplicitĂ© et de la bontĂ© remarquables de cette belle et intĂ©ressante famille, qui s’était trouvĂ©e au milieu de nous pour nous prĂ©server de l’anarchie. AprĂšs avoir causĂ© quelques instants avec le roi, nous fĂ»mes prĂ©sentĂ©s Ă  la reine, Ă  Mme AdĂ©laĂŻde, aux jeunes princesses et aux ducs de Chartres et de Nemours. Il y avait beaucoup de monde, notamment les marĂ©chaux, duc de Dalmatie Soult, duc de TrĂ©vise Mortier, duc de Tarente Macdonald, duc de Reggio Oudinot et les comtes Jourdan et Molitor, en grand costume de dignitaires, au milieu d’un trĂšs grand nombre de gĂ©nĂ©raux. On Ă©tait sur la galerie vitrĂ©e du Palais Royal, tant pour jouir de la fraĂźcheur de la soirĂ©e que pour voir l’affluence des curieux dans la grande cour et le jardin. Tout Ă©tait plein. Les cris de Vive le roi ! » et des airs patriotiques jouĂ©s par diverses musiques, se firent constamment entendre, jusqu’au moment oĂč la pluie vint interrompre cet admirable concert de satisfaction. On passa dans les salons. La reine, les princesses et quelques dames se placĂšrent autour d’une table ronde oĂč elles travaillĂšrent, les hommes circulĂšrent tout en causant Ă  travers les salons. Le roi, M. Laffitte et d’autres personnages politiques que la RĂ©volution venait d’élever aux premiĂšres fonctions, s’entretenaient dans une embrasure de croisĂ©e ; les princes recevaient les nouveaux arrivants, et surtout leurs condisciples du collĂšge Henri IV. Enfin tout, dans cette premiĂšre rĂ©union royale, charmait par sa simplicitĂ©. C’était un tableau de famille, plein de douce Ă©motion et d’heureuses espĂ©rances. REVUE DE LA GARDE NATIONALE Le 28 aoĂ»t, le rĂ©giment change de caserne. Il est envoyĂ© Ă  l’École militaire. Le lendemain a lieu, au Champ de Mars, une grande revue de la garde nationale, pour la distribution des drapeaux aux bataillons des douze lĂ©gions. Cette cĂ©rĂ©monie frappa d’admiration les personnes qui en furent tĂ©moins. On ne pouvait concevoir que dans l’espace d’un mois, 45 000 hommes eussent pu s’habiller, s’armer, s’équiper et acquĂ©rir assez d’instruction pour exĂ©cuter passablement les diffĂ©rents mouvements de l’exercice et de la marche en colonne. Le Champ de Mars Ă©tait presque plein de ces soldats-citoyens qui, placĂ©s sur plusieurs lignes, prĂ©sentaient un coup d’Ɠil fait pour inspirer un juste orgueil. L’arrivĂ©e du roi des barricades », comme l’appelaient les Parisiens, fut moins annoncĂ©e par les salves d’artillerie des Invalides que par les vivats d’enthousiasme de 300 000 personnes, placĂ©es sur les talus et les banquettes de ce vaste forum. Cette immense population, avide de voir le souverain qu’elle venait de se donner, se pressait autour de lui, prenait ses mains, et lui prodiguait toutes sortes d’hommages. C’était un pĂšre au milieu de ses enfants, un citoyen couronnĂ© au milieu de ses Ă©gaux. Point de gardes, point de courtisans dorĂ©s, mais beaucoup d’officiers de tous les grades qui lui faisaient cortĂšge. Les lĂ©gions n’étant pas encore toutes rĂ©unies, il monta dans les appartements d’honneur du palais, oĂč Ă©taient la reine et sa jeune famille, pour attendre que tout fĂ»t prĂȘt. Ensuite, il se rendit Ă  pied sous une immense tente, Ă©levĂ©e sur un haut Ă©chafaudage, en face du palais de l’École. Des marĂ©chaux de France, des gĂ©nĂ©raux et un nombreux Ă©tat-major l’accompagnaient. Le gĂ©nĂ©ral La Fayette, commandant gĂ©nĂ©ral des gardes nationales de France, souffrant de la goutte, s’appuyait sur bras du duc d’OrlĂ©ans. AprĂšs la distribution des drapeaux et la prestation du serment, le roi monta Ă  cheval, passa devant le front de toutes les lĂ©gions, et fut se placer ensuite sous le balcon du palais de l’École, pour les voir passer en colonne. Les officiers du rĂ©giment, comme hĂŽtes de l’École militaire, se trouvĂšrent au pied du grand escalier pour recevoir la reine, qui arriva par la cour de la caserne, dans une simple voiture de promenade. Des dĂ©putations de demoiselles lui offrirent des fleurs, aprĂšs l’avoir complimentĂ©e. Elle les embrassa toutes, avec beaucoup d’émotion. Douze demoiselles, qui reprĂ©sentaient les douze arrondissements de Paris, Ă©taient toutes remarquables par leur beautĂ© et leur gracieuse Ă©lĂ©gance. Je suivis la reine dans les grands appartements, oĂč je restai longtemps pour jouir du magnifique coup d’Ɠil qu’offrait le Champ de Mars dans cet instant de la journĂ©e. Le 13 septembre, eut lieu la prestation du nouveau serment, jurĂ© individuellement par tous les officiers et soldats, en face du drapeau tricolore, dans la cour de la caserne. Le 26, il y eut une revue du roi. Le roi, en passant devant le front de chaque rĂ©giment, fit prodigieusement de promotions, pour remplir les vacances et attacher l’armĂ©e aux nouvelles institutions. On aurait dit un lendemain de Wagram ou de la Moskowa. Mais une grande rĂ©volution politique, qui bouleverse toutes les situations acquises, qui a tant de nouvelles exigences Ă  satisfaire, n’est-ce pas aussi une grande bataille donnĂ©e, des vainqueurs et des dĂ©vouĂ©s Ă  rĂ©compenser ? C’était 1815 retournĂ©, les mĂȘmes prĂ©tentions, les mĂȘmes ridicules, les mĂȘmes apostasies. LE DUC D’AUMALE A HUIT ANS Quelques jours plus tard, le 28 septembre, BarrĂšs dĂźne au Palais Royal. Je pris place Ă  la table du roi. Nous y Ă©tions soixante. PlacĂ© Ă  un bout, Ă  cĂŽtĂ© de l’aide de camp de service, le marĂ©chal de camp, comte de Rumigny, je pus de ce point remarquer tous les convives, dont je me fis dire les noms par l’aide de camp. La beautĂ© et la rĂ©gularitĂ© du service, la dĂ©licatesse des mets, dont beaucoup m’étaient inconnus, le luxe des dĂ©corations, et de brillants accessoires qu’on ne peut guĂšre trouver qu’à une table royale, m’instruisirent de la maniĂšre la plus intĂ©ressante sur les avantages de la richesse et les agrĂ©ments du grand monde. À cette table Ă©taient le roi, Mme AdĂ©laĂŻde et la fille aĂźnĂ©e du roi. Le duc d’OrlĂ©ans et son frĂšre, le duc de Nemours, prĂ©sidaient une autre table, oĂč tous les jeunes invitĂ©s prirent place. On prit le cafĂ© dans les grands salons, oĂč je fus accostĂ© par le duc d’Aumale, enfant de huit ans, qui me charma par son aimable babil et des connaissances qui m’étonnĂšrent, bien que son rang ne me les fĂźt pas paraĂźtre au-dessus de ce qu’elles Ă©taient. Il savait que le rĂ©giment allait Ă  Strasbourg et moi Ă  Wissembourg. ÉtonnĂ© de ce qu’il me disait, je lui demandai comment il pouvait savoir cela. – C’est bien simple, me dit-il, votre capitaine de carabiniers est l’ami de mon prĂ©cepteur. C’est par lui que j’ai appris tout ce que je sais sur votre prochain dĂ©part et votre destination. Ce charmant enfant ne me quitta pas de la soirĂ©e, m’expliqua tous les tableaux de la galerie, et les beautĂ©s de chacun d’eux. Tout cela Ă©tait dit avec un aplomb et une grĂące charmante. PROMENADES DANS PARIS Non content de noter au jour le jour tant de grands Ă©vĂ©nements dont il vient d’ĂȘtre le tĂ©moin, BarrĂšs, avec cette curiositĂ© toujours en Ă©veil qui est chez lui un trait de caractĂšre, a soin de consigner dans son journal toutes les nouveautĂ©s qui l’ont frappĂ© dans Paris pendant ses sept annĂ©es de sĂ©jour 1823 – 1830. Monuments, spectacles, voitures publiques, – Favorites, Dames blanches, Batignollaises, – etc., tout l’intĂ©resse, et il ne manque pas de signaler les difficultĂ©s croissantes de la circulation dans les rues ! Ma promenade favorite Ă©tait le jardin du Luxembourg ; mais aprĂšs la mort de ma femme, j’y fus moins souvent, le voisinage me rappelant de trop douloureux souvenirs. Je visitais avec plaisir ses superbes collections de rosiers, ainsi que la pĂ©piniĂšre de l’enclos des Chartreux. J’allais souvent dans les galeries du palais du Luxembourg admirer les belles peintures modernes qui s’y trouvent rĂ©unies. Elles n’y sont pas Ă  demeure ; quand le peintre qui les a produites est mort, ses ouvrages sont portĂ©s au Louvre, et remplacĂ©s par ceux que le gouvernement a achetĂ©s aux expositions publiques. Ainsi le musĂ©e du Luxembourg est le musĂ©e des peintres vivants ; le Louvre, celui des peintres morts. En gĂ©nĂ©ral, la vue des chefs-d’Ɠuvre de l’école moderne fait plus de plaisir, Ă  ceux qui ne sont pas connaisseurs, que la majeure partie des tableaux du Louvre. Mais les artistes et les amateurs instruits en jugent autrement. Une autre promenade, qui avait toutes mes sympathies, c’était le Jardin des plantes. J’y ai passĂ© dans la belle saison des matinĂ©es et des soirĂ©es pleines de charme. Combien je jouissais de voir en dĂ©tail le jardin botanique, de parcourir les serres et les nombreuses galeries du MusĂ©um ! Au reste, c’était Paris tout entier qui m’attirait dans tous ses coins. Il n’est pas un quartier, ancien ou neuf, une rue nouvellement ouverte, un monument, un passage, un bazar, un pont, une fontaine, qui n’aient eu ma visite, surtout ce qui avait Ă©tĂ© construit ou amĂ©liorĂ© depuis 1823. Je supprimerai une foule de faits et de remarques que j’avais notĂ©s dans mon ancien itinĂ©raire et qui sont bien peu intĂ©ressants pour moi, maintenant que j’ai vieilli. Mais voici qui prĂȘte encore Ă  mes rĂ©flexions. Sur la place oĂč fut guillotinĂ©, le 21 janvier 1793, l’infortunĂ© Louis XVI, – place qui a portĂ© successivement les noms de Louis XV, avant 1789 ; de la RĂ©volution jusqu’à 1802 ; de la Concorde jusqu’à 1814 ; de Louis XVI jusqu’à 1830, et qui se rĂ©appelle de la Concorde, jusqu’à nouvel ordre ; – sur cette place oĂč l’on voit un palais sans roi, les Tuileries ; un temple sans dĂ©dicace, la Madeleine ; un arc de triomphe sans consĂ©cration, l’arc de l’Étoile ; on Ă©levait un monument Ă  Louis XVI. Le piĂ©destal qui devait le supporter Ă©tait seul achevĂ©, quand la rĂ©volution de 1830 Ă©clata. Pendant mon sĂ©jour, on plaça sur les balustrades du beau pont Louis XVI, les statues colossales en marbre blanc de CondĂ©, Turenne, Dugesclin, Bayard, Suger, Sully, Richelieu, Colbert, Tourville, Duquesne, Duguay-Trouin et Suffren elles ont disparu. Au rond-point des Champs-ÉlysĂ©es, on Ă©levait un monument Ă  Louis XV, encore peu avancĂ© ; je pense que les derniers Ă©vĂ©nements empĂȘcheront qu’on y donne suite. Le superbe Arc de triomphe de la barriĂšre de l’Étoile, ou de Neuilly s’achevait. J’en avais vu poser la premiĂšre pierre en 1806 on le dĂ©diait alors aux armĂ©es françaises de la RĂ©publique et de l’Empire ; sous les Bourbons de la branche aĂźnĂ©e, il devait ĂȘtre consacrĂ© Ă  la gloire du duc d’AngoulĂȘme, pour sa campagne d’Espagne. On Ă©levait une statue Ă  Louis XVIII, auteur de la Charte, et fondateur du gouvernement reprĂ©sentatif en France, sur la place du Palais-Bourbon, en face de la Chambre des dĂ©putĂ©s elle n’était pas terminĂ©e Ă  la dĂ©chĂ©ance de Charles X ; qu’en est-il advenu ? Je fus souvent visiter l’église Sainte-GeneviĂšve, pour bien connaĂźtre sa belle architecture et pour Ă©tudier la fresque que le baron Gros a peinte, dans la seconde coupole du dĂŽme. Un groupe, dans cette fresque, devait reprĂ©senter NapolĂ©on avec Marie-Louise, le roi de Rome et les principaux guerriers, mais les invasions de 1814 et 1815 y firent substituer Louis XVIII et la Charte. La rĂ©volution, la France, le duc de Bordeaux, la guerre d’Espagne, la dauphine, entourent le roi, tenant la place des personnages qui devaient figurer autour de NapolĂ©on. Ce fait est curieux Ă  ajouter Ă  l’histoire des changements qu’a Ă©prouvĂ©s l’église Sainte-GeneviĂšve que voici Ă  nouveau destinĂ©e aux grands hommes. Chaque fois que je revoyais la triomphale colonne de la place VendĂŽme, je restais autant de temps Ă  la contempler que si c’eĂ»t Ă©tĂ© le premier jour. Ses bas-reliefs me rappelaient d’honorables et glorieux souvenirs. Le temps n’avait pas effacĂ© en moi les impressions vivaces de cette cĂ©lĂšbre campagne d’Austerlitz. La rĂ©volution de juillet fit disparaĂźtre le drapeau blanc qui s’y dĂ©ployait et restaurer le drapeau tricolore sous les couleurs duquel nous avions vaincu les Autrichiens, dans cette immortelle journĂ©e en 1805. J’avais formĂ© le projet, avant mon arrivĂ©e Ă  Paris, de suivre les cours des plus illustres professeurs du CollĂšge de France et du jardin d’histoire naturelle. Je comptais sur mon bon vouloir, mais il me manqua en partie, et puis les dĂ©rangements, les visites, vingt autres obstacles s’y joignirent. Je ne fus assez exact qu’à celui de chimie, Ă  la Sorbonne, fait par M. ThĂ©nard. C’est une indiffĂ©rence que je me reproche, quand elle a Ă©tĂ© volontaire. Un homme avait Ă  cette Ă©poque une espĂšce de cĂ©lĂ©britĂ©, que peu de personnes auraient enviĂ©es ; mais on cherchait Ă  le voir, et je le regardais chaque fois que j’allais me promener dans les galeries du Palais Royal c’était le DiogĂšne de ce brillant bazar, le fameux Chodrus Duclos, de Bordeaux. Cet homme, aprĂšs avoir joui d’une assez belle fortune, fait l’ornement de la bonne sociĂ©tĂ© et paradĂ© sur de beaux chevaux, aprĂšs s’ĂȘtre fait remarquer par son bon ton, son luxe de toilette, ses frĂ©quents duels et ses nombreuses maĂźtresses, promenait son cynisme, sa misĂšre, ses haillons, dans le lieu de Paris le plus hantĂ© par les Ă©trangers, les provinciaux et les dĂ©sƓuvrĂ©s. On le regardait avec Ă©tonnement, on admirait sa belle taille, sa figure expressive, ses yeux de feu, mais on dĂ©tournait aussitĂŽt la vue, tant l’abjection et le malheur de ce personnage, encore fier, attristaient. Il avait Ă©tĂ© l’ami, disait-on, du comte de Peyronnet, qui fut deux fois ministre et signa les ordonnances de juillet. VoilĂ  comment, pendant les premiers mois, je courus assez pour tout voir ; mais plus tard, tant par suite de mes chagrins que par ennui et lassitude, je fus moins ardent ; ma curiositĂ©, moins vive ou satisfaite, me rendit plus indiffĂ©rent, et c’est ainsi que j’ai quittĂ© Paris sans avoir assistĂ© Ă  aucune sĂ©ance de la Chambre des dĂ©putĂ©s. J’avais vu une grande rĂ©volution s’accomplir en trois jours un trĂŽne renversĂ© et un autre relevĂ© par la volontĂ© nationale ; un roi puissant fuir avec toute sa famille, en pays Ă©tranger, et surveillĂ© sur sa route d’exil, pour qu’il ne s’écartĂąt pas de l’itinĂ©raire qui lui Ă©tait tracĂ©. J’avais vu descendre le drapeau blanc, imposĂ© Ă  la France par les Ă©trangers, et reparaĂźtre aprĂšs quinze annĂ©es de proscription, la glorieuse cocarde tricolore. J’avais vu une superbe garde royale, belle de tenue et de discipline, bien favorisĂ©e et pleine de dĂ©vouement, se fondre, se dissoudre, et disparaĂźtre, avant mĂȘme que son royal chef l’eĂ»t dĂ©gagĂ©e de ses serments. J’avais vu l’insubordination dans les troupes presque encouragĂ©e, les officiers et les soldats dĂ©nonçant leurs supĂ©rieurs ; la mĂ©diocritĂ©, l’inconduite se faire des titres de ce qu’ils n’avaient pas Ă©tĂ© employĂ©s sous la Restauration, pour prĂ©tendre Ă  des emplois, Ă  des grades supĂ©rieurs, Ă  des rĂ©compenses, par-dessus ceux qui, pendant quinze annĂ©es, s’étaient dĂ©vouĂ©s au service du pays, avaient conservĂ© les bonnes traditions de l’Empire, et mĂ©ritĂ© les Ă©loges des bons citoyens pour leur parfaite discipline. J’avais vu descendre au tombeau la mĂšre de mon bien-aimĂ© fils. Quand je disais au colonel PerrĂ©gaux et Ă  quelques autres officiers, avec lesquels je me trouvais avant notre dĂ©part de Lyon Puisque nous allons Ă  Paris, je voudrais y ĂȘtre tĂ©moin de quelque Ă©vĂ©nement important », je ne pensais pas ĂȘtre si douloureusement servi. Quelle soif irrĂ©flĂ©chie d’émotions et de nouveautĂ©s, si fatalement satisfaites et si funeste Ă  mon bonheur ! Les soldats apprirent avec plaisir qu’ils allaient quitter ce brillant Paris, qui n’était pour eux qu’un sĂ©jour de grosses lassitudes et de pĂ©nibles veilles. Personnellement, j’en fus trĂšs satisfait. J’y avais Ă©tĂ© trop malheureux, j’y avais Ă©prouvĂ© trop de dĂ©goĂ»t et d’ennui, pour ne pas considĂ©rer comme une grande faveur l’ordre qui nous prescrivait d’aller tenir garnison dans un autre lieu de France. Un village, Ă  cette Ă©poque, me semblait prĂ©fĂ©rable Ă  la capitale du monde civilisĂ©. CHEZ LE DUC DE DOUDEAUVILLE En 1830, BarrĂšs est devenu, par rang d’anciennetĂ©, le plus ancien des commandants du 15Ăšme. Son bataillon est le premier Ă  partir pour l’Alsace, le 1er octobre. En cours de route, Ă  Montmirail, oĂč il Ă©tait dĂ©jĂ  passĂ© en 1808, 1814 et 1829, son billet de logement lui vaut d’ĂȘtre l’hĂŽte du duc de Doudeauville, pair de France et ancien ministre de Charles X, dans le beau chĂąteau oĂč naquit le cardinal de Retz. » 3 octobre 1830. – LogĂ© par billet de logement chez le noble duc, je reçus, peu de temps aprĂšs ĂȘtre entrĂ© dans l’appartement qui m’était destinĂ©, la visite d’un valet de chambre qui m’annonça celle de son maĂźtre, et m’apporta en mĂȘme temps que des rafraĂźchissements sept Ă  huit journaux politiques de diffĂ©rentes couleurs. AprĂšs m’ĂȘtre habillĂ©, je fis dire que j’étais en position de recevoir l’honneur qu’on voulait bien me faire. M. de Doudeauville vint me complimenter, et m’inviter pour six heures. Plus tard, je lui rendis sa visite, et fus ensuite me promener dans le vaste parc du chĂąteau, trĂšs curieux par sa position en pente sur le Petit Morin, et ses beaux points de vue. Le chĂąteau est une vieille habitation modernisĂ©e, flanquĂ©e de tours carrĂ©es, et sur l’une d’elles flottait un immense drapeau tricolore. Le dĂźner rassembla M. le duc et Mme la duchesse de Doudeauville, M. et Mme SosthĂšne de La Rochefoucauld, celui-ci, aide de camp de Charles X, directeur des Beaux-Arts de la maison du roi, homme cĂ©lĂšbre par son bon ton et pour avoir, dans l’intĂ©rĂȘt des mƓurs, fait allonger les jupons des demoiselles de l’opĂ©ra ; Mme la duchesse Mathieu de Montmorency, veuve du Saint Duc comme les dĂ©vots l’appelĂšrent lors de sa mort subite Ă  Saint-Thomas d’Aquin, ancien ministre de Charles X ; M. le marquis Chapt de Rastignac, pair destituĂ© par la rĂ©volution de Juillet, gendre de M. de Doudeauville, et plusieurs autres personnes, moins aristocratiques Ă  ce que je crois. On causa peu. M. de La Rochefoucauld et moi, nous fĂ»mes Ă  peu prĂšs les seuls qui Ă©changeĂąmes quelques paroles Ă  voix basse. Du reste je n’eus qu’à me louer des politesses qu’on me fit, et des attentions dont je fus l’objet. Dans le salon, on fut plus expansif. On y parla beaucoup de politique, de la rĂ©volution de Juillet et des malheurs de la famille royale. Malheureux rois ! disait M. de Doudeauville, les bons conseils ne lui ont pas manquĂ©, mais des hommes plus influents l’ont circonvenu et conduit Ă  sa perte. » Tous ces personnages avaient quittĂ© Paris seulement depuis quelques jours ; ils venaient dans cette antique demeure se consoler de la chute du roi, et oublier, s’il Ă©tait possible, les grandeurs qu’ils avaient perdues. M. de Doudeauville est un petit homme sec, dĂ©jĂ  ĂągĂ© ; sa femme, presque aveugle ; leur fils, un bel homme aux grandes maniĂšres ; leur belle-fille, encore jeune, peu remarquable, quoique assez bien de figure. Quant Ă  M. de Rastignac, je le trouvai un marquis de théùtre, un personnage de Marivaux. Ces dames ne parlĂšrent pas elles se seraient compromises devant un plĂ©bĂ©ien qui servait un usurpateur. Quoique je fusse Ă©tranger Ă  tout ce grand monde, j’y tins ma place, et reçus un accueil parfait.[5] DE METZ À WISSEMBOURG Le 11 octobre, BarrĂšs arrive Ă  Metz, qu’il revoit pour la troisiĂšme fois. À la porte de la ville oĂč je devais m’arrĂȘter, former les pelotons et rĂ©gulariser la tenue pour faire mon entrĂ©e, je vis venir Ă  moi mon fils conduit par son grand-pĂšre, sa grand-mĂšre et sa tante Élisa Belfoy. Avec quelle joie je les embrassai tous quatre, et pressai tendrement contre mon cƓur mon petit Auguste ! Ce nouveau tĂ©moignage d’affection que me donnaient ces bons parents me toucha vivement. Faire un voyage de cinquante lieues pour me procurer le plaisir d’embrasser mon enfant, c’était me donner une bien grande preuve de leur attachement et m’offrir une aimable diversion aux ennuis d’une longue route. Je trouvai mon fils fort, espiĂšgle, et plein de santĂ©. Quarante-huit heures que je passai avec ma famille me parurent bien courtes. 18 octobre. – À quelques heures au-delĂ  de Bitche, marchand dans le brouillard et sur un chemin sablonneux mal tracĂ©, le bataillon quitta la route et se dirigea Ă  gauche vers la BaviĂšre rhĂ©nane. PrĂšs d’arriver Ă  la frontiĂšre, un paysan accourut, tout haletant, me prĂ©venir de notre erreur, et nous remit dans la direction que nous devions suivre. Je le remerciai comme il convenait du service qu’il venait de me rendre, car, dans les circonstances oĂč nous nous trouvions, une violation de ce territoire aurait pu paraĂźtre intentionnelle et donner lieu Ă  des commentaires plus ou moins absurdes. À cette Ă©poque, l’Europe tout entiĂšre Ă©tait en agitation. Les rois se prĂ©paraient Ă  la guerre, soit pour contenir les peuples que la rĂ©volution de Juillet avait mis en mouvement, soit pour rĂ©sister Ă  la France, qu’on croyait disposĂ©e Ă  porter ses principes en Allemagne et Ă  faire de la propagande armĂ©e. Quels effets auraient pu produire l’apparition du drapeau tricolore dans une ancienne province française, et l’arrivĂ©e inattendue d’un bataillon qu’on aurait pris pour l’avant-garde d’une armĂ©e d’invasion ! L’alarme se serait vite rĂ©pandue ; la joie ou la peur aurait grossi l’évĂ©nement. Peu aprĂšs, une demi-lieue avant Lembach, je vis venir sur la route, Ă  ma rencontre, une espĂšce de troupe armĂ©e, marchant en colonne, tambour battant, drapeau dĂ©ployĂ©. ArrivĂ©e Ă  portĂ©e de la voix, cette troupe s’arrĂȘta et son chef cria Qui vive ? » AprĂšs les rĂ©ponses d’usage, il s’approcha de moi, me salua de l’épĂ©e, et me dit que les citoyens de Lembach recevraient avec plaisir les soldats du brave 15Ăšme lĂ©ger. Ce capitaine Ă©tait un gamin de quinze ans, de trĂšs bonne tournure, et montrant beaucoup d’aplomb. Il commandait une compagnie de plus de cent jeunes gens, de douze Ă  quinze ans, bien organisĂ©s, ayant tous ses officiers, ses sous-officiers, ses caporaux, ses tambours, sa cantiniĂšre, son porte-drapeau. Rien n’y manquait, pas mĂȘme l’instruction et le silence. AprĂšs avoir causĂ© quelques minutes avec cet intĂ©ressant jeune homme, je lui dis de prendre la tĂȘte de la colonne, et de nous conduire sur la place oĂč nous devions nous arrĂȘter. Au gĂźte d’étape, je le priai de venir dĂźner avec moi, ce qu’il fit avec grand plaisir. J’appris que c’était un capitaine en retraite qui avait eu la patience d’instruire et d’organiser ces enfants avec tant de succĂšs. Ils faisaient plaisir Ă  voir. Ils avaient pour armes des grands sabres en bois, dont les chefs, dĂ©corĂ©s d’épaulettes ou de galons selon leur grade, faisaient souvent usage sur le dos de leurs subordonnĂ©s. Nous Ă©tions en Alsace. Au rĂ©sumĂ©, de Paris Ă  Wissembourg, ce voyage de dix-neuf jours se fit de la maniĂšre la plus heureuse. Sur toute la route, particuliĂšrement en Champagne et en Lorraine, la population des villes se portait Ă  notre rencontre en criant Vive le roi ! Vivent les grandes journĂ©es ! » Toutes les maisons Ă©taient ornĂ©es de drapeaux tricolores, et partout les soldats reçurent bon accueil et furent fĂȘtĂ©s. En partant de Paris, je pensais que cette route serait pour moi une source d’ennui et de dĂ©sagrĂ©ments, que les hommes feraient des sottises, manqueraient aux appels, resteraient en arriĂšre. La conduite qu’ils avaient tenue dans Paris, depuis la rĂ©volution de Juillet, me le donnait Ă  craindre. Il n’en fut rien. Quand nous arrivĂąmes Ă  Wissembourg, ils Ă©taient si peu fatiguĂ©s et leur tenue si soignĂ©e que les habitants purent croire que nous venions seulement de faire une promenade matinale de quelques lieues. Ayant pris possession de la caserne et installĂ© sa troupe, BarrĂšs obtint bientĂŽt un congĂ© pour aller Ă  Charmes. Mais son sĂ©jour se trouva Ă©courtĂ© par une lettre de rappel du colonel, qui croyait Ă  une prochaine dĂ©claration de guerre. Ce qui survint, c’est un Ă©pisode plus humble, caractĂ©ristique de l’esprit alsacien. DIFFICULTÉS SCOLAIRES EN ALSACE Le 9 mars 1831, je reçus l’ordre du gĂ©nĂ©ral Fehrmann de me rendre, avec tout mon bataillon, au village d’Ober-Belschdorff, distant de quatre lieues, pour concourir Ă  la rĂ©pression d’une rĂ©sistance aux dĂ©cisions de l’administration supĂ©rieure. Cette quasi-insurrection avait pour cause la nomination d’un maĂźtre d’école, que les habitants ne voulaient pas. C’était en vain qu’on leur disait que celui qu’ils prĂ©fĂ©raient Ă©tait un ignorant et avait Ă©chouĂ© Ă  tous les concours. Ils y tenaient, parce que c’était le gendre du garde forestier, et que celui-ci les avait prĂ©venu que, s’ils en prenaient un autre, il leur ferait des rapports toutes les fois qu’ils iraient prendre du bois dans la belle forĂȘt de Haguenau. La rĂ©bellion Ă©tait manifeste la gendarmerie avait Ă©tĂ© chassĂ©e plusieurs fois du village, lorsqu’elle voulait prendre possession de la maison d’école ; des individus avaient Ă©tabli des barricades, et, armĂ©s de fusils, s’étaient retranchĂ©s dans l’école. On temporisa, dans l’espĂ©rance que la rĂ©flexion et la lassitude les rendraient plus raisonnables. Cette longanimitĂ© les enhardit. La gendarmerie fut repoussĂ©e une troisiĂšme fois, et le sous-prĂ©fet de Wissembourg bafouĂ©. Dans cet Ă©tat de chose, la force devait intervenir pour faire respecter la loi. À mon arrivĂ©e, le 10 mars, je trouvai les barricades Ă©vacuĂ©es, mais la maison d’école toujours occupĂ©e. AprĂšs avoir pris quelques dispositions et sommĂ© les rĂ©voltĂ©s de se retirer, j’envoyai contre eux ma compagnie de voltigeurs. À son approche, ils se sauvĂšrent par la porte de derriĂšre, qu’on n’avait pas fait garder exprĂšs, et gagnĂšrent Ă  toutes jambes la forĂȘt. ImmĂ©diatement, le maĂźtre d’école nommĂ© par l’administration fut installĂ© en prĂ©sence de M. Matter, inspecteur d’AcadĂ©mie, du sous-prĂ©fet, du juge de paix de Soultz-sous-ForĂȘt, du maire et de tous les officiers. Tous les enfants avaient Ă©tĂ© mandĂ©s et contraints de venir pour assister Ă  cette cĂ©rĂ©monie qui aurait semblĂ© ridicule dans toute autre circonstance, mais qui fut imposante et pĂ©nible en mĂȘme temps, tous ces malheureux enfants se figurant qu’on allait les Ă©gorger sans pitiĂ©. Ils poussaient des cris Ă  effrayer l’auditoire. AprĂšs les discours prononcĂ©s, des conseils donnĂ©s et des exhortations faites aux parents, les enfants furent renvoyĂ©s. La commune ayant repris sa tranquillitĂ© ordinaire, et les enfants ne manifestant plus aucune crainte, je rentrai dans ma garnison le 13, en laissant toutefois deux compagnies pour maintenir les esprits dans cette salutaire disposition. Ces deux compagnies rentrĂšrent, quatorze jours aprĂšs, lorsque la gendarmerie eĂ»t Ă  peu prĂšs arrĂȘtĂ© les principaux mutins. Cette prudente expĂ©dition, qui ne fit couler que des larmes d’enfants, eut un trĂšs bon rĂ©sultat, en ce qu’elle apprit aux populations que le pouvoir Ă©tait assez fort pour faire rentrer dans le devoir ceux qui s’en Ă©cartaient. Depuis 1830, les communes Ă©taient trĂšs agitĂ©es, et les habitants disposĂ©s Ă  mettre Ă  profit l’espĂšce de pouvoir que la rĂ©volution de Juillet leur avait donnĂ©. Ils dĂ©vastaient en plein jour les forĂȘts de l’État, chassaient les gardes forestiers, menaçaient les maires et apportaient sur les marchĂ©s le produit de leur vol, sans rougir de leurs actions. Je fus souvent obligĂ©, pendant l’hiver, d’envoyer des compagnies en garnison dans les villages, sur le versant oriental des Vosges, pour faire cesser ce scandaleux brigandage. L’ALSACE ACCLAME LE ROI-CITOYEN Depuis plusieurs jours, j’étais prĂ©venu officiellement de la prochaine arrivĂ©e du roi en Alsace, et mon dĂ©part pour Strasbourg, pour me trouver, avec tout le rĂ©giment, Ă  son entrĂ©e dans la capitale de la province et aux revues qui suivraient. Le but politique de ce voyage Ă©tait de faire connaĂźtre, aux populations de l’Est et Ă  l’armĂ©e, le monarque que la France de Juillet s’était donnĂ©e. Il Ă©tait important de donner au roi une bonne opinion du rĂ©giment, et Ă  l’Allemagne qui nous regardait une semblable opinion sur notre jeune armĂ©e, qu’on venait en quelque sorte de recrĂ©er. Je pris toutes mes mesures, en passant de frĂ©quentes inspections, pour que mon bataillon fĂ»t aussi beau, aussi nombreux que possible. Je rĂ©ussis complĂštement. 18 juin. – La garnison, les troupes arrivĂ©es pour les revues du roi et les gardes nationales des arrondissements de Strasbourg et Wissembourg, prirent les armes pour border la haie, depuis la porte Blanche ou Nationale, jusqu’au Palais royal. Le roi fit son entrĂ©e solennelle Ă  cheval, ayant Ă  ses cĂŽtĂ©s ses deux fils, les ducs d’OrlĂ©ans et de Nemours, accompagnĂ©s par les marĂ©chaux Soult et GĂ©rard, par le ministre du Commerce, comte d’Argout, et par un immense Ă©tat-major. Il Ă©tait prĂ©cĂ©dĂ© et suivi de douze rĂ©giments de cavalerie, et de plusieurs centaines de voitures alsaciennes ornĂ©es de feuillages et de rubans, pavoisĂ©es de drapeaux tricolores et remplies de jeunes et fraĂźches paysannes, costumĂ©es dans le goĂ»t du pays. Cette entrĂ©e dans une ville guerriĂšre cĂ©lĂšbre, fut magnifiquement imposante. Un concours immense de citoyens et aussi d’étrangers Ă  l’Alsace, une allĂ©gresse gĂ©nĂ©rale et de vives acclamations, spontanĂ©ment manifestĂ©es sur le passage du roi, prouvaient qu’il avait l’assentiment des populations entiĂšres. L’esprit public Ă©tait encore bon, les menĂ©es dĂ©magogiques n’avaient pas encore perverti les masses, et changĂ© en indiffĂ©rence coupable les tĂ©moignages d’affection que le roi avait reçus jusqu’alors. Le passage fini et les rangs rompus, les officiers se rĂ©unirent pour aller chez le roi, oĂč ils furent prĂ©sentĂ©s par le gĂ©nĂ©ral Brayer, commandant la division. Nous trouvĂąmes lĂ  le grand duc de Bade et une nombreuse suite, les envoyĂ©s des souverains allemands, et les ambassadeurs ou agents français attachĂ©s Ă  ces cours. 19 juin. – Nous prĂźmes les armes de grand matin, pour ĂȘtre rendus de bonne heure au polygone. Ce vaste champ de manƓuvre fut bientĂŽt rempli de troupes de toutes armes, et d’une foule de spectateurs français et allemands. IndĂ©pendamment des gardes nationales Ă  pied et Ă  cheval, il y avait trois rĂ©giments d’infanterie 59Ăšme de ligne, 5Ăšme et 15Ăšme lĂ©gers, douze rĂ©giments de cavalerie, deux d’artillerie, et plus de cinq cents voitures attelĂ©es, telles que canons, caissons, fourgons, Ă©quipages de pont, etc. Les Ă©trangers, comme les nationaux furent Ă©tonnamment surpris de voir qu’en si peu de mois, on Ă©tait parvenu Ă  rĂ©organiser l’armĂ©e, Ă  tripler son effectif, Ă  monter la cavalerie et Ă  crĂ©er un immense matĂ©riel de campagne. GrĂące au marĂ©chal Soult, la France avait dĂ©jĂ  40 000 hommes bons Ă  faire la guerre, 600 piĂšces de canon attelĂ©es, et tous les autres services militaires portĂ©s Ă  ce degrĂ©, presque miraculeux, de nombre et d’instruction. L’arrivĂ©e du roi fut saluĂ©e par les Ă©clatantes acclamations d’un peuple immense, par une dĂ©charge gĂ©nĂ©rale de toutes les piĂšces de canon, par les clairons, les tambours et les musiques de tous les corps formĂ©s en bataille sur plusieurs lignes. Lorsque le souverain eut pris place sur une vaste estrade, Ă©levĂ©e sur un des cĂŽtĂ©s de ce vaste carrĂ©, les colonels ou chefs de corps se rendirent auprĂšs de lui pour recevoir de ses mains les drapeaux et Ă©tendards de leur rĂ©giment, qu’ils vinrent faire reconnaĂźtre et saluer par leurs subordonnĂ©s. Les cris de Vive le roi ! » se joignant aux bruyantes batteries des tambours qui battaient aux champs, annoncĂšrent que les soldats saluaient avec enthousiasme l’insigne national, qui devait les guider et les conduire Ă  la victoire. Cette reconnaissance terminĂ©e, le roi passa successivement devant tous les corps. En arrivant au centre du rĂ©giment, il me fit appeler, me remit la croix d’officier de la LĂ©gion d’honneur, et me dit qu’il s’estimait trĂšs heureux de pouvoir rĂ©compenser, par une nouvelle distinction, mes longs et loyaux services. Cet avancement dans l’ordre me fut trĂšs agrĂ©able, sans cependant me flatter autant que lorsque je fus nommĂ© simple lĂ©gionnaire en 1813. Le gĂ©nĂ©ral Schramm avait eu la complaisance de venir me prĂ©venir et de me complimenter sur ma nomination, avant que Sa MajestĂ© me dĂ©corĂąt elle-mĂȘme. Dans cette journĂ©e, je recevais ma troisiĂšme dĂ©coration et prĂȘtais serment Ă  un sixiĂšme drapeau. Le premier, avec un aigle, au Champ de Mars, sous l’Empire ; le deuxiĂšme en 1814, aux fleurs de lis, lors du premier retour des Bourbons ; le troisiĂšme, tricolore, Ă  l’aigle, pour les Cent-Jours ; le quatriĂšme blanc, au se
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Il est nĂ© en 1710 quelque part entre l’Afrique d’aujourd’hui le LibĂ©ria et le BĂ©nin le mathĂ©maticien Thomas Fuller, familiĂšrement connu sous le nom de Virginia Calculator, mais par une facultĂ© merveilleuse Ă©tait capable d’effectuer les calculs les plus Benjamin Rush de Philadelphie Penn Dans une lettre adressĂ©e Ă  un homme rĂ©sidant Ă  Manchester, en que l’audience des pouvoirs phĂ©nomĂ©naux de mathĂ©matiques Negro Tom », il, en compagnie d’autres messieurs qui passent Ă  travers la Virginie, envoyĂ©e pour lui;Un de ces messieurs lui a demandĂ© combien de secondes un homme de soixante-dix ans, quelques mois impairs, semaines et jours, avaient vĂ©cu, il a donnĂ© le nombre exact d’une minute et demie;Le monsieur a pris un stylo, et aprĂšs quelques figurer dit Tom, il doit se tromper, que le nombre Ă©tait trop grand. Top, massa ! » sĂ©cria Tom, Vous hab laissĂ© de cĂŽtĂ© les annĂ©es bissextiles De ! »;Et bien sĂ»r, sur l’inclusion des annĂ©es bissextiles dans le calcul, le nombre donnĂ© par Tom Ă©tait correct. Il a Ă©tĂ© visitĂ© par William Hartshorn et Samuel Coates, dit M. Needles, de cette ville Philadelphie, et a donnĂ© les bonnes rĂ©ponses Ă  toutes leurs questions telles que combien de secondes il y a un an et demi ? Dans deux minutes, il a rĂ©pondu 47 304 000;Combien de secondes dans 70 annĂ©es, dix-sept jours, douze heures ?? Dans une minute et demie, 2 110 500 800. Qu’il Ă©tait un prodige, ne sera pas question. Il Ă©tait la merveille de l’ Fuller, Le mathĂ©maticien Aujourd’hui, personne ne sait exactement comment Thomas Fuller effectuĂ© ses calculs Cependant, les algorithmes qu’il utilise sont probablement fondĂ©s sur les systĂšmes traditionnels de comptage Africaine;Les gens de la rĂ©gion Yoruba au sud-ouest du Nigeria ont un systĂšme de comptage complexe avec un nombre trĂšs Ă©levĂ© qui remonte probablement Ă  l’époque de Fuller;EuropĂ©ens qui arrivent dans la rĂ©gion ont Ă©tĂ© surpris par la complexitĂ© de Yorouba numĂ©ration. Il est pensĂ© pour avoir mis au point de compter les cauris qui ont Ă©tĂ© utilisĂ©s pour la monnaie. L’inflation Ă©conomique peut avoir suscitĂ© l’ampleur des chiffres Ă  compter;Yorouba numĂ©ration a une structure bien organisĂ©e, fondĂ©e vingt avec une base intermĂ©diaire dix, qui permet de calculer facilement et contient des dispositions pour un grand nombre comme les multiples et les pouvoirs de vingt ans; Yorouba utilise Ă©galement la soustraction qui est similaire Ă  l’ IX » pour neuf en chiffres romains. Par exemple, le nombre de quinze Ă  dix-neuf, sont exprimĂ© en soustractions vingt ans, le nombre de bases;Cela peut Ă©galement aider avec le calcul, puisque le calcul avec Vingt moins trois » pourrait ĂȘtre plus facile que de traiter avec dix-sept. Nous avons des preuves supplĂ©mentaires de capacitĂ©s de calcul supĂ©rieures sur la cĂŽte du BĂ©nin de 1732 le rĂ©cit de Jean Bardot des capacitĂ©s des habitants de Fida Fauvel & Gerdes, 1990; Les Fidasians sont si expert en gardant leurs accompts [comptes], qu’ils estiment facilement exact, et aussi vite par la mĂ©moire, comme nous pouvons le faire avec le stylo et l’encre, si le montant de la somme Ă  jamais tant de milliers ce qui facilite beaucoup l’échanger les EuropĂ©ens ont avec eux;TirĂ© d’un article de Thomas Fuller et sa capacitĂ© de calcul, Ă©crit par Sarah J. Greenwald, Appalachian State University Boone, Caroline du Nord; Amy Ksir, États-Unis AcadĂ©mie navale d’Annapolis, dans le Maryland ; Lawrence H. Shirley, l’UniversitĂ© de Towson, dans le Fuller, Le mathĂ©maticien Le suivant est paru dans plusieurs journaux au moment de sa mort MORT, NĂ©gro Tom, le cĂ©lĂšbre calculateur africain, ĂągĂ© de 80 ans;Il Ă©tait la propriĂ©tĂ© de Mme Elizabeth Cox, d’Alexandrie. Tom Ă©tait un homme trĂšs Noir;Il a Ă©tĂ© portĂ© Ă  ce pays Ă  l’ñge de quatorze ans, et a Ă©tĂ© vendu comme esclave avec plusieurs de ses malheureux compatriotes; Cet homme Ă©tait un prodige. Bien qu’il ne savait ni lire ni Ă©crire, il avait parfaitement acquis l’utilisation de l’énumĂ©ration;Il pourrait donner le nombre de mois, jours, semaines, heures, minutes et secondes, pour une pĂ©riode de temps qu’une personne a choisi de parler, ce qui permet dans ses calculs pour toutes les annĂ©es bissextiles qui se sont produits dans le temps; Il donnerait le nombre de poteaux, mĂštres, pieds, pouces et d’orge cors dans une distance donnĂ©e dire, le diamĂštre de l’orbite de la terre et dans chaque calcul, il produire la vraie rĂ©ponse en moins de temps que quatre-vingt-dix-neuf sur cent les hommes prennent leur plume;Et ce qui Ă©tait peut-ĂȘtre plus extraordinaire, mais interrompue au cours de ses calculs, et engagĂ© dans le discours sur tout autre sujet, ses opĂ©rations ne sont pas de ce fait dans le moins dĂ©rangĂ© ; il irait oĂč il avait laissĂ©, et pourrait donner tout et toutes les Ă©tapes par lesquelles le calcul avait passĂ©;Ainsi mourut de NĂ©gro Tom, cet arithmĂ©ticien ignorante, ce savant inculte. Ses possibilitĂ©s d’amĂ©lioration ont Ă©tĂ© Ă©gales Ă  celles de milliers de ses semblables, ni la Royal Society de Londres, l’AcadĂ©mie des Sciences Ă  Paris, ni mĂȘme un Newton lui-mĂȘme besoin ont eu honte de le reconnaĂźtre un frĂšre dans la science.
Unemachine à glaçons est un appareil servant à fabriquer des glaçons, placé dans une machine industrielle destinée à produire des glaçons en grande quantité ou bien dans un congélateur domestique . CONSEILS DE NOS EXPERTS Combien coûte une machine à glaçons ? Voir l'article . Catégories connexes. SorbetiÚre professionnelle Machine à granita
Il fait chaud et une envie irrĂ©pressible vous prend de manger une boule de glace. Attention de ne pas manger n'importe quoi ! Malheureusement, la majeure partie des glaces consommĂ©es en France sont soit produites par des industriels, soit par des glaciers qui n'en ont que le nom. Ceux-ci achĂštent le plus souvent des "premix" en poudre bourrĂ©s de colorants, stabilisateurs, arĂŽme de synthĂšse et autres graisses vĂ©gĂ©tales huile de palme ou de copra et les mĂ©langent avec de l'eau et du lait. On obtient alors des glaces surgonflĂ©es d'air, aux couleurs flashy et aux goĂ»ts standardisĂ©s. De plus, selon la lĂ©gislation hexagonale, il suffit seulement d'assembler son produit sur place pour pouvoir bĂ©nĂ©ficier du label "glace maison" ou d'avoir un seul employĂ© titulaire d'un CAP glacier pour s'autoproclamer "artisan glacier". LIRE AUSSI >> Comment reconnaĂźtre une glace artisanale ? Pour ne pas vous tromper et dĂ©guster en toute quiĂ©tude de vraies bonnes glaces artisanales, voici une liste de quinze authentiques artisans glaciers Ă  Paris qui vous feront fondre de plaisir. Nous avons choisi de ne pas mettre dans ce classement des enseignes comme Ben & Jerry's ou HĂ€agen-Dazs, car ce ne sont pas des glaciers artisanaux. Si leurs produits y sont parfois d'une qualitĂ© supĂ©rieure Ă  celle des industriels prĂ©sents en grandes surfaces, on reste Ă  mille lieux du niveau de l'artisan glacier, qui prĂ©pare ses glaces avec sa petite Ă©quipe dans son laboratoire. Offre limitĂ©e. 2 mois pour 1€ sans engagement Une Glace Ă  Paris Ouverte durant l'Ă©tĂ© 2015, cette boutique fait l'unanimitĂ© parmi les amateurs de gourmandises givrĂ©es. Les savoir-faire d'Emmanuel Ryon Meilleur Ouvrier de France glacier et champion du monde de pĂątisserie et d'Olivier MĂ©nard ne sont plus Ă  prouver. RĂ©sultat, des glaces Ă  la française avec des produits minutieusement sourcĂ©s. On peut aussi se procurer de terribles pĂątisseries glacĂ©es et dĂ©guster une belle gamme de chocolats chauds dans le salon de thĂ© attenant. Sans doute ce qui se fait de mieux dans la capitale actuellement. Les cornets d'Une Glace Ă  ParisPhoto 3,90 euros la boule, 5,70 euros les deux boules. Top 3 des ventes Vanille fumĂ©e, sorbet dĂ©tox orange, carotte et gingembre, crĂšme glacĂ©e sarrasin nougatine. NouveautĂ©s 2019 Ă  ne pas rater maĂŻs pop corn caramĂ©lisĂ©, ail noir de la DrĂŽme provençale, sĂ©same, le duo avocat-vanille, curcuma, griotte-cannelle-menthe fraĂźche, fleur de lavande, melon-menthe fraĂźche, pĂȘche de vigne-fĂšve tonka. Les entremets glacĂ©s sont Ă©galement Ă  croquer, comme le cheesecake mangue-passion ou le vacherin fruits rouges. Adresses 15 rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie, IVe / 44, rue des Abbesses, XVIIIe Site Internet Glaces Glazed Qui a dit que les glaces ne pouvaient pas ĂȘtre rock'n'roll ? Loin des sorbets de papa, Henri Guittet et David Vincent ont créé des parfums aux saveurs dĂ©tonantes, chacun associĂ© Ă  un titre de film ou Ă  une chanson. Évoluant entre amertume et aciditĂ©, leurs glaces dĂ©calĂ©es sont fabriquĂ©es avec des ingrĂ©dients frais, bio, locaux et soigneusement sĂ©lectionnĂ©s. Les curieux ne rateront pas leurs esquimaux complĂštement barrĂ©s ou les gaufres et leurs toppings dĂ©jantĂ©s. Glace "Message In a Bottle" mangue shiso photo Virginie GarnierVirginie GarnierPrix 3,50 euros la boule, 5 euros les deux boules, 3,5 Ă  4,5 euros skimos Top 3 des ventes Mr Green pistache d'Iran-sĂ©same noir, Smoke on the Water vanille-graines de chanvre bio, Mojito de Tokyo rhum-citron-menthe. NouveautĂ©s 2019 Ă  ne pas rater Wild Wild Garlic pralinĂ© amandes de Provence, pesto ail des ours, gĂ©ranium rosat cueilli sur les toits de Paris, GOaT bleu de chĂšvre, spiruline, Suzie vanille gousse-reine des prĂ©s, Money Money sorbet oseille, citron, tequila, feta-fenugrec. Adresse 54 rue des Martyrs, IXe Site Internet À PRÉPARER >> Nos recettes signĂ©es Glazed le sorbet cerise I Shot The Sherry, le sorbet chocolat-wasabi-gingembre Black Sugar Sex Magic ou la glace infusion cafĂ©-cardamome verte Green Velvet La Glacerie ParisOuverte en juin 2018, cette enseigne propose des glaces servies dans des cornets maison, mais aussi des entremets meringuĂ©s, des bonbons de chocolat glacĂ©s, des barres glacĂ©es et des "tubes", sorte de glaces moulĂ©es Ă  trancher dĂšs la sortie du congĂ©lateur. Aux commandes de la Glacerie Paris, David WesmaĂ«l, meilleur ouvrier de France glacier 2004 et champion du monde de pĂątisserie 2006. La Glacerie ParisPhoto Thierry MaltyPrix 3,90 euros une boule, 5,60 euros deux boules, 6,90 euros les trois boules. Top 3 des ventes Glace pistache, glace vanille, sorbet fraise. NouveautĂ© 2019 Ă  ne pas rater sorbet trĂšs cacao, glace miel de Paris-citron de Menton, glace fleur d'oranger-amandes grillĂ©es, glace galabĂ©-rhum raisin, sorbet fraise-poivron rouge, glace peppercorn-orange. Adresse 13 rue du Temple, IVe. Site Internet La Fabrique givrĂ©eLa Fabrique givrĂ©e propose des pĂątisseries glacĂ©es et des glaces composĂ©es dans leur immense majoritĂ© des rĂ©coltes de petits producteurs situĂ©s en vallĂ©e du RhĂŽne. Depuis qu'ils se sont lancĂ©s en 2012, Hugues Bonhomme, Martin Chauche et JĂ©rĂ©mie Runel sont dĂ©sormais Ă  la tĂȘte de huit boutiques en France, dont une dans la capitale depuis juillet 2017 -et deux corners. L'ensemble de la production est garantie sans conservateurs, ni colorants, ni arĂŽmes et avec un trĂšs bas taux de sucre. Le cĂŽne Carabombe de la Fabrique GivrĂ©eCourtesy La Fabrique GivrĂ©ePrix 3,40 euros la boule, 5,50 euros deux boules, 7 euros les trois boules Top 3 des ventes Marron d'ArdĂšche AOP, datte medjool-fleur d'oranger, vanille Tahiti-fĂšve tonka. NouveautĂ©s 2019 Ă  ne pas rater Fleur d'oranger, pistil de safran, nougat au miel, citron-hibiscus infusĂ© Ă  chaud ou pĂȘche de vigne. Adresses 26 rue Soufflot, Ve / 28 rue le Corbusier, Boulogne-Billancourt Site Internet Glacier Pierre GeronimiOriginaire de Corse, le maĂźtre glacier Pierre Geronimi prĂ©pare ses glaces avec des produits rigoureusement sĂ©lectionnĂ©s, sur son Ăźle natale et dans le reste du monde, pour leur goĂ»t, leur parfum, leur origine, leur singularitĂ© ou leur histoire. Ses crĂ©ations sont puissantes, franches et rafraĂźchissantes. AprĂšs avoir ouvert des boutiques en Corse, Ă  Monaco ou Ă  Grenoble, Pierre Geronimi est prĂ©sent dans la capitale depuis 2016. Quelques uns des parfums des glaces de Pierre GeronimiCourtesy Pierre GeronimiPrix 3,80 euros la boule, 7,50 euros deux boules Top 3 des ventes Vanille de Tahiti, fraise et agrumes de Corse. NouveautĂ©s 2019 Ă  ne pas rater Fraise, myrte, nuciolina "Oriu Di Corsica", thĂ© matcha, clĂ©mentine-mandarine, mangue, framboise et agrumes. Adresse 5 rue FĂ©rou, VIe. Site Internet BerthillonOuvert depuis 1954, le glacier le plus connu au monde n'a pas changĂ© de mĂ©thode de fabrication depuis ses dĂ©buts. Sous la houlette de Muriel Delpuech la petite-fille du fondateur, les glaciers produisent toujours artisanalement Ă  l'Ă©tage de la boutique les diffĂ©rents parfums mythiques de cette prestigieuse maison. Impossible de rĂ©sister au sorbet Ă  la framboise et sa pointe de citron, Ă  la vanille ou au spĂ©culoos. C'est sans doute le seul glacier au monde Ă  fermer boutique tout le mois d'aoĂ»t, mais les revendeurs aux alentours sont, eux, ouverts durant cette pĂ©riode. 3 glaces devant l'enseigne de BerthillonCourtesy BerthillonPrix 2,50 euros la boule. Top 4 ventes Vanille, chocolat, cafĂ©, caramel beurre salĂ©. Adresse 29-31 rue Saint-Louis-en-l'Île, IVe. Site Internet PozzettoCréée il y a tout juste treize ans, cette enseigne est spĂ©cialisĂ©e dans les cornets glacĂ©s Ă  l'Italienne. Maura Burlando et son Ă©quipe fabriquent quotidiennement douze parfums dans la plus pure tradition transalpine, rĂ©alisĂ©s avec du lait frais et des fruits de saison. "Le plaisir du goĂ»t avant tout" est la devise de la maison on en est facilement convaincu dĂšs la premiĂšre cuillerĂ©e de glace. Ici, pas de boules cornets et petits pots sont gĂ©nĂ©reusement remplis Ă  la spatule. Prix 4 euros le petit pot. Top 3 des ventes Sorbet menthe, yaourt, melon. À ne pas manquer Ces parfums ne sont pas vraiment des nouveautĂ©s, mais ils sont de retour dans les bacs car de saison framboise, noix de coco, mangue, menthe ou melon. Adresse 39 rue du Roi-de-Sicile, IVe / 16 rue Vieille-du-Temple, IIIe Site Internet Il Gelato Del MarcheseUne trĂšs belle adresse si vous cherchez Ă  retrouver l'authentique goĂ»t des gelati Ă  l'italienne. Fin 2014, Renato et Veronica Squillante ont ouvert cette boutique glaciĂšre haute couture Ă  Saint-Germain-des-PrĂ©s. Au programme, des glaces 100% naturelles, peu sucrĂ©es et garanties sans additifs, colorants ni arĂŽmes artificiels. Depuis bientĂŽt deux ans, cette enseigne collabore avec le maĂźtre glacier Simone De Feo et a rĂ©ussi Ă  descendre le taux de sucre autour de 12%. Des crĂ©ations Ă  emporter ou Ă  dĂ©guster sur place dans un trĂšs joli salon de thĂ©. Les glaces Il Gelato Del MarcheseCourtesy Il Gelato Del MarchesePrix 3,50 euros la boule, 4,80 euros les deux boules. Top 3 des ventes Pistache iranienne, fruits de la passion, sorbet chocolat Valrhona 70 %. NouveautĂ©s 2019 Ă  ne pas rater Sorbet pĂȘche-safran, crĂšme au riz d'amandes-Ă©corces d'orange, yaourt grec avec Amarene. Adresse 3 rue des Quatre-Vents, VIe Site Internet Pastelli Mary GelateriaMilanaise d'origine, Mary a tenu pendant plusieurs annĂ©es une boutique rue Charles-François-Dupuis avant de devoir la fermer. Il y a deux ans, elle s'est relancĂ©e Ă  une nouvelle adresse. LaurĂ©ate du prestigieux CĂŽne d'or au concours de la meilleure glace Ă  Milan, Mary fabrique sur place ses nombreux dĂ©lices. Ses glaces ne contiennent que du lait, de la crĂšme et des fruits frais. Parmi la quinzaine de parfums, on se dĂ©lectera du cafĂ© ou de la noisette, mais aussi de saveurs plus Ă©tonnantes comme l'avocat, le kiwi golden ou la menthe fraĂźche. Le cornet de glace chez Mary GelateriaCourtesy Mary GelateriaPrix 3,50 euros la boule et 5 euros les deux boules. Top 3 des ventes CafĂ©, framboise et sĂ©same noir. NouveautĂ©s 2019 Ă  ne pas rater Le chocolat noir 100% de chez Bonnat, cafĂ© bio, riz noir de Camargue, framboise-lait de coco et thĂ© matcha maison Jugetsudo. Adresse 60 rue du Temple, IIIe Page Facebook Pascal le Glacier Depuis 1991, les fĂ©rus de glace Ă  l'ancienne envahissent cette petite boutique du XVIe dĂšs les beaux jours. Pascal le glacier dĂ©cline, selon les saisons et les disponibilitĂ©s, une cinquantaine de saveurs. les sorbets sont fabriquĂ©s Ă  l'eau d'Evian. Ici, pas de cornet mais des petits pots individuels, des demis, des trois-quarts ou du litre. Chaque parfum est parfaitement Ă©quilibrĂ© et l'on est dans les goĂ»ts purs et bruts des fruits et des matiĂšres premiĂšres. À noter, l'accueil de la trĂšs passionnĂ©e MichĂšle, qui prend son temps pour conseiller chaque client. Prix Pot individuel 4 euros, demi-litre 14 euros et litre 25 euros. Top 3 des ventes Vanille bourbon, chocolat et cafĂ©. NouveautĂ©s 2019 Ă  ne pas rater Fraise, framboise, rhubarbe, kalamansi, sans oublier le sorbet fraises des bois, issues d'un producteur de rĂ©gion parisienne. Adresse 17, rue Bois-le-Vent, XVIe La Tropicale glacierThai Thanh Dang et son Ă©quipe accueillent les amateurs de glaces depuis 1976. Ici, on prend le temps d'expliquer et de prĂ©senter les diffĂ©rentes crĂ©ations maison. Certaines associations Ă©tonnent le palais, comme la banane-coco-sĂ©same grillĂ©, le yuzu-piment d'Espelette ou la figue-framboise. On ne partira pas d'ici sans avoir goĂ»tĂ© au classique de la maison, la glace caramel et gingembre. l'AcaĂŻ bowlCourtesy La Tropicale GlacierPrix 3 euros la boule, 5 euros les deux boules. Top 3 des ventes Batida de passion passion-lait-cachaça, pamplemousse-curcuma, yaourt-fenouil-citron. NouveautĂ©s 2019 Ă  ne pas rater L'acaĂŻ bowl en version glacĂ©e glaces acaĂŻ, fruits de la passion, granola maison sans gluten et fruits de saison, le Golden milk lait de coco, curcuma, gingembre et poivre de Kampot. Adresse 180, boulevard Vincent-Auriol, XIIIe Site Internet Raimo Plus ancien glacier artisanal de la capitale, Raimo est une institution qui rĂ©gale les gourmands depuis 1947. Ses secrets de fabrication ont Ă©tĂ© prĂ©cieusement conservĂ©s de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration. Difficile de choisir parmi les quarante sorbets et glaces proposĂ©s, mais on se laisse tout d'abord tenter par les parfums historiques et rĂ©putĂ©s comme la vanille, le marron glacĂ©, le gingembre, le cafĂ©, le lait d'amande ou le citron basilic. Ce n'est pas un hasard si le chef pĂątissier Christophe Michalak considĂšre les produits de Raimo comme "parmi les meilleurs du monde". La glace au thĂ© matcha de RaimoCourtesy RaimoPrix 5 euros la double sur place 8,60 euros la coupe deux boules, coupe glacĂ©e Ă  partir de 9,50 euros. Top 3 ventes Vanille, citron-basilic, pĂȘche de vigne. NouveautĂ©s 2019 Ă  ne pas rater sorbet noix de coco bio, caramel beurre salĂ© bio, feuille de menthe, thĂ© matcha. Adresse 61-63 boulevard de Reuilly, XIIe Site Internet Fabien FoenixDepuis maintenant quarante-quatre ans !, Fabien Foenix brandit l'Ă©tendard de l'authentique glace Ă  l'ancienne. AprĂšs un apprentissage chez LenĂŽtre, il a ouvert son petit atelier il y a trente ans dans le XVIIe arrondissement, qui lui permet de fournir aussi bien de nombreux professionnels que de vendre aux particuliers. Parmi les inratables de la maison, le litchi-pĂ©tale de rose, le caramel beurre salĂ© ou le mojito. On peut Ă©galement acheter ici des desserts, entremets et gĂąteaux glacĂ©s ou de trĂšs bons petits fours secs. Prix 3 euros la boule, 4,5 euros les deux boules, 11 euros le bac de 500 ml. Top 3 ventes Mojito, agrumes-gingembre, citron-romarin. NouveautĂ©s 2019 Ă  ne pas rater Exotique, fraise-rhubarbe, litchi-pĂ©tale de rose, menthe-chocolat, concombre-menthe. Adresse 6 rue Descombes, XVIIe Site Internet BachirExistant depuis 1936, ce spĂ©cialiste de la glace libanaise possĂšde de nombreuses boutiques au Liban. Issues de la troisiĂšme gĂ©nĂ©ration de la famille, trois des soeurs Bachir ont dĂ©cidĂ© d'ouvrir en janvier 2017 une premiĂšre enseigne en France. Elles proposent des glaces naturelles et bio, particuliĂšrement onctueuses et gĂ©nĂ©reuses. À consommer en pot de trois tailles diffĂ©rentes comme en cornet, leur gamme de parfums n'est pas trĂšs Ă©tendue, mais les saveurs sont bien choisies et maĂźtrisĂ©es. Le top 3 des ventes de Bachir Achta, rose et amandeCourtesy BachirPrix Entre 3,90 et 5,40 euros Top 3 des ventes Achta glace Ă  la fleur de lait, fleur d'oranger et mastic, pistache concassĂ©e, glace Ă  l'amande et sorbet Ă  la pĂ©tale de rose. NouveautĂ©s 2019 Ă  ne pas rater Sorbet abricot et glace mĂ»re. Adresse 58 rue Rambuteau, IVe Site Internet LenĂŽtreLe chef glacier Jean-louis Bellemans prĂ©side aux crĂ©ations glaciĂšres de la maison LenĂŽtre depuis plus de dix ans. Avec son Ă©quipe, il crĂ©e de superbes desserts glacĂ©s, mais Ă©galement glaces et sorbets. Disponibles dans toutes les boutiques de l'enseigne, de nombreux parfums classiques vanille, cafĂ©, chocolat mais Ă©galement d'autres plus originaux tels le bayadĂšre abricot, fraise et pistache, le bagatelle vanille, fraise et biscuit amande, la fraise et litchi ou le succĂšs framboise. Il serait Ă©galement dommage de passer Ă  cĂŽtĂ© des dĂŽmes glacĂ©s individuels 3,90 euros au citron basilic, bagatelle ou fraise-litchi. Vacherin framboise de la Maison LenĂŽtreCourtesy LenĂŽtrePrix 2,80 euros la boule. Top 3 ventes Caramel fleur de sel et Ă©clat de nougatine, vanille bourbon de Madagascar, cafĂ© pur arabica. NouveautĂ©s 2019 Ă  ne pas rater En version dĂŽme, la glace pistache au perlĂ© citron, la fraise et fraises des bois, le sorbet fruits du soleil, la glace pralinĂ© et noisettes caramĂ©lisĂ©es. Deux parfums de vacherin sont Ă©galement au programme pistache, fraise et abricot ou vanille-framboise ainsi qu'une version glacĂ©e du fraisier bagatelle vanille-fraise. Site Internet Les plus lus OpinionsTribunePar Carlo Ratti*ChroniquePar Antoine BuĂ©no*ChroniqueJean-Laurent Cassely
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Pouvons-nous vous aider ? Ce texte a Ă©tĂ© traduit par une machine. Informations intĂ©ressantes sur les glaciĂšres L'Ă©tĂ©, le soleil et la chaleur sont excellents, mais pas lorsque des marchandises ou des boissons pernicieux doivent ĂȘtre transportĂ©es. Cependant, avec une glaciĂšre, ce problĂšme peut ĂȘtre rĂ©solu rapidement. Les boissons bien refroidie ne sont pas uniquement disponibles Ă  la maison Ă  des tempĂ©ratures Ă©levĂ©es. Les personnes qui achĂštent des aliments surgelĂ©s ou des produits laitiers au supermarchĂ© en Ă©tĂ© ont pensĂ© Ă  un sac froid. En effet, en Ă©tĂ©, les marchandises facilement pĂ©rissable peuvent se dĂ©congeler rapidement ou provoquer des dommages. C'est pourquoi les poches de refroidissement doivent toujours ĂȘtre dans la voiture. Mais quand il s'agit de refroidir les aliments et les boissons pendant une longue pĂ©riode, les poches froides ne sont pas la meilleure solution. Les glaciĂšres sont bien mieux adaptĂ©es Ă  cette fin. Mais quelle est la bonne ? Quels sont les types de glaciĂšres ? Comment fonctionne une glaciĂšre passive ? Comment fonctionne une glaciĂšre thermoĂ©lectrique ? Comment fonctionne une glaciĂšre de compresseur ? Comment fonctionne une glaciĂšre absorbeur ? Avantages et inconvĂ©nients des diffĂ©rents systĂšmes de glaciĂšre Que faut-il faire lors de l'achat d'une glaciĂšre ? Questions frĂ©quentes sur les glaciĂšres Quels sont les types de glaciĂšres ? Il existe une multitude d'offres sur le marchĂ© et la prĂ©sentation peut ĂȘtre facilement perdue. Les glaciĂšres proposĂ©es dans tous les segments et tailles de prix ne facilitent pas le choix. GlaciĂšre active ou passive ? La diffĂ©rence la plus importante dans les glaciĂšres est probablement le mode de fonctionnement. Les glaciĂšres passives ne possĂšdent aucun composant qui contribue activement Ă  la rĂ©duction de la tempĂ©rature intĂ©rieure. Ici, les aliments et les boissons doivent dĂ©jĂ  ĂȘtre bien prĂ©refroidis lorsqu'ils sont mis dans la boĂźte. La boĂźte est Ă©quipĂ©e d'une isolation pu Ă©paisse pour que les marchandises prĂ©refroidies restent bien refroidies pendant une longue pĂ©riode. En outre, pour faciliter l'effet de refroidissement, des batteries surgelĂ©es peuvent ĂȘtre fournies dans la boĂźte avec. Pour les glaciĂšres actives, diffĂ©rentes techniques sont utilisĂ©es pour rĂ©duire activement la tempĂ©rature intĂ©rieure de la boĂźte ou maintenir au moins un niveau infĂ©rieur Ă  celui de l'air ambiant. Les modĂšles actifs incluent les glaciĂšres thermoĂ©lectriques, les glaciĂšres de compresseur et les glaciĂšres d'absorbeur. Les diffĂ©rentes techniques sont en partie combinĂ©es. Dans ce cas, on parle de glaciĂšres hybrides qui, par exemple, ont montĂ© un thermocouple et un compresseur. Comment fonctionne une glaciĂšre passive ? Il n'y a pas grand-chose Ă  dire sur la fonction d'une glaciĂšre passive. Il est important d'avoir une bonne isolation complĂšte et que le couvercle se ferme parfaitement. Ce n'est qu'alors qu'il est possible de s'assurer qu'il n'y a pas de compensation trop rapide de la tempĂ©rature entre l'intĂ©rieur et l'extĂ©rieur. En plus des accumulateurs de refroidissement classiques, les glaçons ont fait leurs preuves en tant que rĂ©frigĂ©rant ou distributeur de froid idĂ©al. En particulier pour les boĂźtes de boisson qui ne possĂšdent pas d'Ă©tiquette, le contact Ă  360 % mĂšne Ă  l'eau de la glace pour un refroidissement maximal et un plaisir de boire bien cool. Pour les bouteilles en verre avec autocollants d'Ă©tiquette, les accus de refroidissement sont la meilleure solution. En effet, les autocollants flottants qui se dĂ©solvent lentement dans l'eau glacĂ©e sont plutĂŽt non appĂ©tissants. La description des fonctions des glaciĂšres actives devient plus intĂ©ressante. Bien que la technique soit en partie trĂšs complexe, nous avons essayĂ© de saisir le sujet en mots simples GlaciĂšre passive au design classique. Comment fonctionne une glaciĂšre thermoĂ©lectrique ? Construction d'un Ă©lĂ©ment Peltier cĂŽtĂ© froid 1, plaque en cĂ©ramique 2, semi-conducteur N 3, semi-conducteur P 4, plaque en cĂ©ramique sur le cĂŽtĂ© chaud 5, ponts en cuivre 6. Le coeur d'une glaciĂšre thermoĂ©lectrique est un Ă©lĂ©ment Peltier. Un Ă©lĂ©ment Peltier est construit avec de nombreux Ă©lĂ©ments semi-conducteurs dices. Lorsque le courant traverse les semi-conducteurs, le niveau d'Ă©nergie des supports de charge change. Il est plus ou moins Ă©levĂ© en fonction du sens du courant. Cela fait chauffer l'Ă©lĂ©ment Peltier d'un cĂŽtĂ© et froid de l'autre. En fonction de cette Ă©volution de la tempĂ©rature, les Ă©lĂ©ments Peltier sont intĂ©grĂ©s dans la paroi de la boĂźte rĂ©frigĂ©rĂ©e ou dans le couvercle. Pour un effet optimal, le cĂŽtĂ© chaud extĂ©rieur est refroidi Ă  la tempĂ©rature ambiante avec un ventilateur. Le cĂŽtĂ© froid est alors plus bas. La diffĂ©rence de tempĂ©rature maximale est possible en fonction de la taille de l'Ă©lĂ©ment et du nombre de dices. Et ceux-ci dĂ©terminent Ă  leur tour la consommation de courant et la puissance de refroidissement. C'est pourquoi les fabricants de glaciĂšres thermoĂ©lectriques indiquent toujours la diffĂ©rence de tempĂ©rature par rapport Ă  l'air ambiant. Par ailleurs Si vous remplacez le sens du courant par l'Ă©lĂ©ment Peltier, les cĂŽtĂ©s chaud et froid de l'Ă©lĂ©ment sont inversĂ©s. La boĂźte peut ĂȘtre utilisĂ©e non seulement pour refroidir, mais Ă©galement comme boĂźte de maintien au chaud. Comment fonctionne une glaciĂšre de compresseur ? Une glaciĂšre de compresseur fonctionne selon le mĂȘme schĂ©ma qu'un rĂ©frigĂ©rateur ou une climatisation dans la voiture. C'est pourquoi un rĂ©frigĂ©rateur est Ideal pour la dĂ©claration de fonctionnement. Un rĂ©frigĂ©rant gazeux est mis sous pression Ă  l'aide d'un compresseur 1. Cela fait chauffer le rĂ©frigĂ©rant. L'effet peut Ă©galement ĂȘtre connu si vous maintenez le raccord de la vanne dans une pompe Ă  air pour vĂ©lo et que l'air dans la pompe est comprimĂ© au maximum. La pompe devient alors chaude dans la zone de l'air comprimĂ©. Le rĂ©frigĂ©rant comprimĂ© et gazeux est ensuite acheminĂ© via une boucle de refroidissement 2 Ă  l'arriĂšre du rĂ©frigĂ©rateur condensateur ou condenseur. LĂ , le liquide de refroidissement libĂšre son Ă©nergie dans l'air et devient liquide. Le rĂ©frigĂ©rant est acheminĂ© vers l'Ă©vaporateur 4 via un organe Ă  Ă©tranglement 3 qui, dans le cas le plus simple, peut ĂȘtre un tube enroulĂ© de section trĂšs faible. Les tuyaux de l'Ă©vaporateur offrent suffisamment d'espace au rĂ©frigĂ©rant pour qu'il puisse se rĂ©pandre et repasser Ă  l'Ă©tat gazeux. Lors de l'Ă©vaporation, le liquide de refroidissement absorbe l'Ă©nergie qu'il retire de l'intĂ©rieur de l'armoire frigorifique. Cet effet peut Ă©galement ĂȘtre vu si vous ne vous sĂ©chant pas aprĂšs le bain. L'eau sur la peau peut s'Ă©vaporer et Ă©vacuer la chaleur nĂ©cessaire pour le corps. C'est pour cette raison que l'on gĂšle plus ou moins en ce moment. Du vaporisateur, le rĂ©frigĂ©rant gazeux continue Ă  circuler vers le compresseur, oĂč le circuit commence Ă  nouveau. Circuit de rĂ©frigĂ©rant compresseur 1, condensateur 2, organe papillon 3 et Ă©vaporateur 4. Comment fonctionne une glaciĂšre absorbeur ? Au premier moment, il semble coproduire du froid avec de la chaleur, mais le principe fonctionne trĂšs bien dans la pratique. Un mĂ©lange d'eau et d'ammoniac est chauffĂ© dans un cocher 1. Cela peut ĂȘtre fait par une flamme de gaz ou par un chauffage Ă©lectrique. L'ammoniac et l'eau sont sĂ©parĂ©s par la chaleur. L'ammoniac gazeux NH 3 monte ainsi vers le condenseur ou le condenseur 2. Dans le liquide, la vapeur d'ammoniac libĂšre son Ă©nergie dans l'environnement par des cellules de refroidissement et devient liquide. L'ammoniac liquide s'Ă©coule ensuite dans l'intĂ©rieur de la glaciĂšre jusqu'Ă  l'Ă©vaporateur 3, oĂč il s'Ă©vapore sous l'hydrogĂšne H Ă  basse pression. Comme pour une glaciĂšre compresseur, l'Ă©nergie nĂ©cessaire Ă  l'Ă©vaporation sous forme de chaleur est retirĂ©e de l'intĂ©rieur ou des aliments Ă  refroidir. Le mĂ©lange de gaz d'ammoniac et d'hydrogĂšne NH 3 +H entre ensuite dans l'absorbeur 4. L'ammoniac est absorbĂ© absorbĂ© par l'eau H 2 O du cocher 1 et retourne au cocher. L'hydrogĂšne libĂ©rĂ© H est de nouveau dirigĂ© vers l'Ă©vaporateur 3. Ainsi, les diffĂ©rents circuits sont fermĂ©s et le processus peut Ă  nouveau commencer. Circuit de rĂ©frigĂ©rant Kocher 1, condensateur 2, Ă©vaporateur 3 et absorbeur 4. Avantages et inconvĂ©nients des diffĂ©rents systĂšmes de glaciĂšre GlaciĂšre passive GlaciĂšre thermoĂ©lectrique GlaciĂšre compresseur GlaciĂšre absorbeur Avantages - valeur de prix - silencieux - faible poids net - aucune source d'Ă©nergie n'est nĂ©cessaire sur place - faible poids net - sans liquide de refroidissement - silencieux, car aucune piĂšce mĂ©canique mobile sauf ventilateur - valeur de prix - grande zone de refroidissement - refroidissement Ă©conome en Ă©nergie - fonction de congĂ©lation possible - silencieux - alimentation en Ă©nergie avec gaz ou Ă©lectricitĂ© InconvĂ©nients - pas de capacitĂ© de refroidissement active - le contenu doit ĂȘtre prĂ©refroidi - faible capacitĂ© de refroidissement en fonction de la tempĂ©rature extĂ©rieure - consommation d'Ă©nergie Ă©levĂ©e - bruit de fonctionnement du compresseur - poids Ă©levĂ© - alimentation nĂ©cessaire - consommation d'Ă©nergie Ă©levĂ©e - niveau d'encombrement requis Que faut-il faire lors de l'achat d'une glaciĂšre ? Pour quel modĂšle et surtout quelle technique choisir, la plupart dĂ©pend de l'objectif d'utilisation. Version technique La glaciĂšre passive est principalement utilisĂ©e dans le domaine des loisirs. Pour l'excursion au barbecue sur le pĂąturage de bain, vous pourrez stocker des boissons, de la viande de barbecue et d'autres produits sensibles Ă  la chaleur tels que le chocolat jusqu'Ă  la consommation. La boĂźte joue ici son grand avantage elle ne nĂ©cessite aucune alimentation en Ă©nergie. Ceux qui voyagent beaucoup avec la voiture ou le camion ont tendance Ă  avoir recours Ă  une glaciĂšre active. D'autant plus qu'une tension continue de 12 ou 24 V est disponible dans les vĂ©hicules. Et les fabricants tiennent compte de cela et mettent prĂ©cisĂ©ment leurs glaciĂšres sur cette alimentation Ă©lectrique. Il n'est donc pas question d'intĂ©grer un petit bloc d'alimentation dans le boĂźtier, de sorte qu'il peut Ă©galement ĂȘtre utilisĂ© sur une tension secteur de 230 V en mode stationnaire. Que vous choisissiez une glaciĂšre thermoĂ©lectrique ou une variante avec compresseur, chaque utilisateur est laissĂ© Ă  la discrĂ©tion de lui-mĂȘme. Mais si une boĂźte avec fonction de congĂ©lation est nĂ©cessaire, les appareils thermoĂ©lectriques sont exclus dĂšs le dĂ©part. Si, par exemple, aucune connexion Ă©lectrique n'est disponible dans la maison de week-end, une glaciĂšre absorbeur joue son avantage dĂ©cisif. Ces glaciĂšres peuvent Ă©galement ĂȘtre utilisĂ©es sur une bouteille de gaz disponible dans le commerce. Ces glaciĂšres font Ă©galement le premier choix pour le camping et la caravane. En outre, le systĂšme d'absorbeur silencieux est Ă©galement Ideal pour les mini-rĂ©frigĂ©rateurs dans les chambres d'hĂŽtel. Alimentation en Ă©nergie Si l'on est au courant de la conception technique, la question suivante se pose en ce qui concerne l'alimentation en Ă©nergie. Il n'est pas seulement important que la glaciĂšre soit alimentĂ©e sur place. Lors de la connexion Ă  des sources d'Ă©nergie Ă  puissance limitĂ©e, comme un vĂ©hicule Ă  l'arrĂȘt ou une installation solaire insulaire, il est important que la glaciĂšre soit Ă©conome en Ă©nergie. En l'absence d'indication de la classe d'efficacitĂ© Ă©nergĂ©tique, vous pourrez Ă©galement consulter les caractĂ©ristiques techniques. En outre, la glaciĂšre doit ĂȘtre Ă©quipĂ©e d'une dĂ©tection de sous-tension. Cela permet d'Ă©viter efficacement la dĂ©charge profonde nocive des batteries solaires ou des batteries automobiles. Taille correcte Un autre critĂšre d'achat important est la taille ou la capacitĂ© en litres. Il convient de bien rĂ©flĂ©chir Ă  la quantitĂ© de litres de contenu utile rĂ©ellement nĂ©cessaire. Car plus le volume est grand, plus la capacitĂ© de refroidissement nĂ©cessaire est Ă©levĂ©e. Mais les dimensions extĂ©rieures doivent Ă©galement ĂȘtre examinĂ©es. Il est certainement merveilleux si de nombreuses grandes bouteilles PET de 2 litres s'adaptent dans la boĂźte Ă  la verticale. Mais en particulier lors du fonctionnement du vĂ©hicule, la boĂźte ne doit pas ĂȘtre trop grande pour le lieu d'installation prĂ©vu. Si la glaciĂšre doit Ă©galement ĂȘtre transportĂ©e Ă  la main, outre sa taille, le poids joue Ă©galement un rĂŽle dĂ©cisif. Tout le monde sait qu'il a dĂ©jĂ  portĂ© une glaciĂšre bien remplie d'une capacitĂ© de 40 litres. FrĂ©quence d'utilisation Si la glaciĂšre n'est utilisĂ©e qu'une Ă  deux fois par an, l'achat d'une boĂźte de haute qualitĂ© et coĂ»teuse est beaucoup moins utile que si la boĂźte est utilisĂ©e presque toute l'annĂ©e. Questions frĂ©quentes sur les glaciĂšres OĂč est le meilleur endroit pour la glaciĂšre dans la voiture ? La rĂšgle la plus importante pour le rangement de la glaciĂšre dans la voiture est que la glaciĂšre ne doit pas glisser. Un endroit appropriĂ© dans le vĂ©hicule serait par exemple derriĂšre les siĂšges avant ou dans le coffre Ă  bagages. Ce dernier doit cependant ĂȘtre fixĂ© Ă  l'aide de sangles et stable. Une sangle ou une fermeture auto-agrippante offre certainement de bons services. Si la glaciĂšre doit ĂȘtre placĂ©e sur le siĂšge arriĂšre, la boĂźte doit ĂȘtre fixĂ©e Ă  l'aide d'une sangle de serrage ou d'un autre dispositif similaire contre tout glissement incessant. Puis-ich utiliser mon set de batteries de refroidissement existant dans une glaciĂšre active ? Oui, bien sĂ»r! Il est mĂȘme avantageux de placer des batteries de refroidissement surgelĂ©es dans les boĂźtes. Les boĂźtiers ne doivent pas ĂȘtre suffisamment alimentĂ©s et une coupure de l'alimentation peut ĂȘtre facilement pontĂ©e. Puis-ich combiner une glaciĂšre et une glaciĂšre ? Oui, cela a du sens, mais uniquement pour les glaciĂšres passives. Par exemple, un poulet surgelĂ© peut ĂȘtre enroulĂ© dans une poche de refroidissement et ensuite mis dans la glaciĂšre. En cas de chaleur importante ou de transport prolongĂ©, deux ou trois poches de refroidissement peuvent Ă©galement ĂȘtre emballĂ©es l'une dans l'autre. Toutefois, la capacitĂ© de la boĂźte gĂ©nĂ©ralement indiquĂ©e en litres doit ĂȘtre suffisamment grande. Combien de temps la glaciĂšre Ă©lectrique s'arrĂȘte-t-elle lorsqu'elle est connectĂ©e Ă  la batterie de la voiture ? Les glaciĂšres Ă©lectriques ont gĂ©nĂ©ralement des connexions de 12 volts pour une voiture et de 24 volts pour un camion. Si un fonctionnement prolongĂ© de la glaciĂšre est prĂ©vu sur la batterie de la voiture, la boĂźte doit ĂȘtre Ă©quipĂ©e d'un contrĂŽleur de tension intĂ©grĂ©. Cela permet d'arrĂȘter automatiquement le boĂźtier. La prise de courant de la batterie de la voiture pendant plusieurs jours ne doit cependant ĂȘtre effectuĂ©e qu'en cas d'exception. En raison de la consommation d'Ă©nergie relativement Ă©levĂ©e, il est recommandĂ© de choisir une autre source d'alimentation en dehors du vĂ©hicule pour les modĂšles thermoĂ©lectriques dĂšs que la destination finale est atteinte. Ce texte a Ă©tĂ© traduit par une machine. Informations intĂ©ressantes sur les glaciĂšres L'Ă©tĂ©, le soleil et la chaleur sont excellents, mais pas lorsque des marchandises ou des boissons pernicieux doivent ĂȘtre transportĂ©es. Cependant, avec une gl...

Fouillerdes glaciÚres ou des machines à glaçons. Récompense : 25 000 EXP de saison. Comment réussir le défi ? Vous retrouverez tous les détails de ce défi dans ce guide spécial. Glisser sans interruption sur 25 mÚtres. Récompense : 25 000 EXP de saison. Comment réussir le défi ? Vous pouvez utiliser des bonshommes de neige pour glisser en continu. Vous

DĂ©finition DĂ©finition de glaciĂšre ​​​ Votre navigateur ne prend pas en charge audio. nom fĂ©minin Armoire ou coffre isotherme refroidis par de la glace, pour conserver les aliments. au figurĂ© et familier Lieu extrĂȘmement froid. ExemplesPhrases avec le mot glaciĂšreUne Ă©tude menĂ©e Ă  la glaciĂšre prĂ©cise les quantitĂ©s de glace en barres effet, si vous ĂȘtes sur cet article, c'est probablement que vous avez besoin d'une glaciĂšre Ă©lectrique dĂšs cet 27/04/2021Jeudi, l'homme Ă  la glaciĂšre avait soufflĂ© le chaud mercato rĂ©ussi, symbiose avec la direction et accord sur sa prolongation de 09/08/2015Les changements climatiques et le recul de la calotte glaciĂšre menacent leur survie, car leur bien-ĂȘtre nĂ©cessite la prĂ©sence de constructions destinĂ©es Ă  la conservation sont Ă©tudiĂ©es les orangeries et les glaciĂšres, partagĂ©es entre les deux principes d'agrĂ©ment et d' & SociĂ©tĂ©s Rurales, 2013 Ces exemples proviennent de sites partenaires externes. Ils sont sĂ©lectionnĂ©s automatiquement et ne font pas l’objet d’une relecture par les Ă©quipes du Robert. En savoir plus. Dictionnaire universel de FuretiĂšre 1690DĂ©finition ancienne de GLACIERE subst. fem. Lieu sous terre & bien fermĂ©, oĂč on serre l'hyver de la glace pour la conserver jusqu'Ă  l'estĂ©. On doit l'invention des glacieres Ă  Alexandre le Grand, si on en croit Chares de Mitilene. Ces dĂ©finitions du XVIIe siĂšcle, qui montrent l'Ă©volution de la langue et de l'orthographe françaises au cours des siĂšcles, doivent ĂȘtre replacĂ©es dans le contexte historique et sociĂ©tal dans lequel elles ont Ă©tĂ© rĂ©digĂ©es. Elles ne reflĂštent pas l’opinion du Robert ni de ses Ă©quipes. En savoir plus. LaTerre. Ce mot fĂźt frĂ©mir Nelly qui se mit Ă  trembler, assise en tailleur, complĂštement perturbĂ©e. Le colonel n\u0019Ă©tait pas un officier pour son look d\u0019Ă©ternel La plupart des gens pensent qu’ils subissent leurs conditions financiĂšres alors qu’en rĂ©alitĂ©, ils les ont créées. Certains pensent mĂȘme que c’est la faute d’une autre personne, mais comme le dit Bill Gates Si vous ĂȘtes nĂ© pauvre, c’est la faute de vos parents, mais si vous mourrez pauvres, c’est de votre faute parce que vous avez eu tout le temps pour travailler Ă  devenir riche ».Si vous ne souhaitez pas finir pauvre, assurez-vous de vous dĂ©faire des habitudes suivantes qui constituent la recette parfaite pour ne jamais faire partie de la liste des millionnaires Ă©panouis, paisibles et L’habitude de subir sa vie au lieu de la prendre en vous les savez, la diffĂ©rence fondamentale entre les riches et les pauvres, c’est que les riches pensent qu’ils doivent crĂ©er leur vie et assument les responsabilitĂ©s de leurs choix, s’ajustent rapidement et prennent les dispositions nĂ©cessaires pour amĂ©liorer leur pauvres pensent et sont convaincus que quelqu’un d’autre est Ă  la base de leurs problĂšmes et se plaignent Ă  longueur de journĂ©e de ce qu’on leur aurait fait consĂ©quence est qu’ils ne se lĂšvent jamais pour engager les actions personnelles qu’ils doivent engager. Et comme lorsqu’on ne fait rien, on n’a rien, ils finissent dans le besoin criard et deviennent L’habitude de prĂ©fĂ©rer la consommation Ă  la prĂ©occupation du pauvre est la suivante qu’est-ce que moi et mes enfants allons manger aujourd’hui ?Qu’est-ce qu’on va porter dimanche pour l’Eglise ??OĂč vais je trouver l’argent pour le mouton de la Tabaski ??Il y a une promotion, je veux bien en profiter ??Il y a un nouveau modĂšle qui est sorti, tout le monde en raffolent au quartier, il me le faut moi aussi
Je ne suis pas inspirĂ© pour travailler parce que j’ai prĂ©occupation du riche est tout autre comment je multiplie mes investissements ??Quelle est la prochaine opportunitĂ© Ă  saisir ??Dans quel investissement je dois mettre plus d’argent ??Qu’est-ce qui me rapportera plus ??On s’en fout de la faim ; si je ne travaille pas pour produire, je vais avoir d’avantage pauvres et les gens de classe moyenne qui ne sont ni trĂšs pauvres ni suffisamment riches pour ĂȘtre Ă©panouis, c’est qu’ils sont plus prĂ©occupĂ©s par comment vivre au quotidien plutĂŽt que comment amĂ©liorer leur vie et sortir de leurs conditions somme d’argent qui rentre dans leurs mains est dĂ©pensĂ© systĂ©matiquement et prĂ©fĂ©rentiellement mis de cĂŽtĂ© pour les besoins de riches ferment les yeux sur leurs besoins de paraitre et leur faim et investissent leur argent dans la production de biens et services qu’ils vendent et finissent par gagner pas que les riches Ă©pargnent et investissent et s’il reste ils consomment alors que les pauvres consomment et consomment et au cas oĂč il en reste, ils Ă©pargnent; et comme il n’en reste presque jamais, ils n’ont pas d’épargne ni d’investissement; ils attendent le maigre salaire jusqu’à la retraite et Ă  la retraite, ils attendent la maigre pension jusqu’à la L’habitude de vouloir gagner tout de vous ne savez pas reporter le moment du gain, vous rĂ©duisez vos chances de gagner gros vous gagnerez juste ce qu’il faut pour suivre ou pour avoir l’impression de ne pas ĂȘtre principe est simple avec la semence, on peut semer et rĂ©colter gros quelques trois ou quatre mois plus tard, mais celui qui est pressĂ© de bouffer », ne sait pas fructifier ses secret N°1 de l’enrichissement, c’est la capacitĂ© Ă  acheter et investir dans des actifs qui rendent riche et d’avoir la patience d’attendre pour qu’ils fructifient et qui est pressĂ© de consommer n’aura pas la patience d’attendre pour rĂ©colter Cash and carry » est dangereux et rend pauvre. Si vous ne savez pas ĂȘtre patient pour entreprendre, travailler dur, attendre la maturitĂ© et rĂ©colter gros, vous augmentez vos chances de finir L’habitude de compter sur une autre personne pour subvenir Ă  ses est impossible de chercher Ă  se battre pour rĂ©aliser des miracles lorsqu’on compte sur une autre personne pour rĂ©aliser ses miracles Ă  sa place. N’oubliez pas le bel adage Chacun s’assied et Dieu le pousse ».La plupart des gens qui ont bien la possibilitĂ© de devenir riches mais finissent pauvres, prennent une sorte de retraite anticipĂ©e et pensent que les parents proches ou lointains, les bailleurs de fond et les ONG devraient rĂ©soudre leurs problĂšmes pour eux, mais comme ces derniers ne donnent en gĂ©nĂ©ral que des miettes et des rĂ©sidus, ils s’en contentent mais ne peuvent pas devenir riche avec. L’aumĂŽne peut vous permettre de survivre, mais elle ne peut pas vous permettre de vous Ă©panouir ni de devenir L’habitude de ne pas utiliser et fructifier ses rĂšgle est simple certains attendent d’avoir plus pour se lancer et fructifier leurs talents lĂ  les meilleurs ont plus et vont plus loin en dĂ©marrant lĂ  oĂč ils sont avec ce qu’ils y a une sentence implacable que la plupart des pauvres ne comprennent pas qui les maintient dans la prĂ©caritĂ© A Celui a, on donnera, il sera dans l’ celui qui n’en as pas, on arrachera le peu qu’il a et on le remettra Ă  celui qui en a dĂ©jĂ . Le pauvre sera davantage pauvre s’il ne fait rien pour fructifier ses plupart des gens ne savent pas que la pauvretĂ© est un pĂ©chĂ© et que le refus de fructifier les talents reçus est encore plus sĂ©vĂšrement punis et doublement Si vous n’utilisez pas un talent, vous le perdrez. Et si vous n’avez pas de talents, vous mourrez pauvre ». Exactement comme celui qui perd une langue qu’il a apprise lorsqu’il ne la pratique L’habitude de dormir plus de 6h par jour et paresser Ă  longueur de rĂšgle dit qu’il faut travailler 6 jours et se reposer 1 n’y a aucun doute que certaines personnes confondent tout et dorment 6 jours et ne travaillent vĂ©ritablement que 1 jour par semaine lorsqu’on fait bien le Dangote, l’homme le plus riche d’Afrique dort presque tous les jours Ă  2h du matin et se rĂ©veille Ă  5h, mais que font les gens qui se plaignent d’ĂȘtre pauvre ou de ne pas en avoir assez ??Ils se reposent et dorment presque tout le temps lorsqu’ils ne boivent pas du thĂ© et de l’alcool Ă  longueur de journĂ©e, ou encore critiquent et mĂ©disent les gens qui se battent pour rĂ©ussir Ă  longueur de le dit si bien Jim Rohn, c’est stupide d’ĂȘtre pauvre et stupide. Celui qui est pauvre devrait faire gaffe. Il devrait travailler plus et veiller plus que ceux qui sont grand paradoxe, c’est que ce sont ceux qui n’en ont pas qui ne travaillent pas suffisamment. Comment peuvent-ils en avoir plus et suffisamment ??7. L’habitude de fuir la difficultĂ© et de ne pas prendre des avez certainement rencontrĂ© des gens qui disent Qu’ils prĂ©fĂšrent le diable qu’ils connaissent au saint qu’ils ne connaissent pas ».Lorsque vous craignez ainsi la nouveautĂ©, vous refoulez Ă©galement les y a un minimum de courage pour aller vers l’idĂ©e et le difficile qu’il faut pour rĂ©aliser les exploits qui permettront de devenir le dit Robert Kiyozaki. Dans un monde en pleine fluctuation, les seuls qui courent un risque, ce sont ceux qui ne prennent aucun risque ».Le richissime entrepreneur Aliko Dangote dit que la vie est ennuyeuse lorsque vous ne savez pas rĂȘver grand et accepter les dĂ©fis et les difficultĂ©s, si vous pensez petit, vous allez finir petits ».Les opportunitĂ©s se cachent derriĂšre les difficultĂ©s et chaque difficultĂ© que vous rencontrez est un test d’admission Ă  une prospĂ©ritĂ© meilleure. Si vous la fuyez, vous fuyez par la mĂȘme occasion votre L’habitude d’envier les riches au lieu de les s’assemblent se ressemblent. Sans aucun doute. Le dĂ©fi avec les gens qui ont une mentalitĂ© de pauvre, c’est qu’ils voient les riches comme leurs problĂšmes au lieu de les voir comme leurs voient le riche comme l’ennemi Ă  abattre au lieu de le voir comme la prochaine personne Ă  qui ils vont vendre ou tout au moins qu’ils vont devenir riche, il faut ĂȘtre proche des riches et ĂȘtre Ă  l’aise aux cĂŽtĂ©s des riches et commencer progressivement Ă  les copier. Le contraire vous garantit le maintien dans le paupĂ©risme L’habitude de prĂ©fĂ©rer la sĂ©curitĂ© de l’emploi Ă  l’audace d’ vie est une aventure audacieuse ou rien du tout. Si vous n’osez pas assez, vous avez ratĂ© votre naissance parce que votre mĂšre a osĂ© grand en vous douleur de l’enfance est une leçon pour tous ceux qui naissent mais quel dommage lorsqu’aujourd’hui des gens ne veulent pas enfanter juste parce qu’ils veulent Ă©viter cette douleur !Il n’y a que l’audace d’entreprendre qui ait permis Ă  une personne qui prĂ©fĂšre la sĂ©curitĂ© d’un emploi d’avoir un un entrepreneur n’avait pas renoncĂ© Ă  sa sĂ©curitĂ© financiĂšre, il n’aurait pas créé une entreprise pour l’ mauvaise nouvelle, c’est que celui qui ne veut pas risquer gros, ne peut pas gagner vous prĂ©fĂ©rez l’emploi, vous avez toujours la part maigre et les entrepreneurs et investisseurs se taillent la part du n’y a sans doute pas meilleure explication Ă  la situation prĂ©caire de ceux qui prĂ©fĂšrent la sĂ©curitĂ© n’en auront jamais suffisamment parce que la plus grosse part reviendra toujours Ă  l’entrepreneur, l’homme ou la femme qui a eu le courage d’ L’habitude de rendre un service avoir l’argent des VIP Personnes TrĂšs Importantes et riches, il faut offrir des services VIP et dĂ©fi, c’est que la plupart des gens veulent offrir de service mĂ©diocre en contrepartie de montant onĂ©reux. Ils font juste de quoi ne pas mourir et espĂšrent avoir plus que de quoi ne pas qui est dichotomique. Le secret de la richesse est dans l’offre de service de qualitĂ© supĂ©rieure Ă  des gens abondamment riches qui seront heureux de partager une partie de leur richesse avec vous en c’est ainsi que vous devenez riche. Pour devenir riche, il faut rendre des services de qualitĂ© supĂ©rieure Ă  des millionnaires qui vous paient en millions et c’est ainsi que vous devenez gens qui ne veulent faire que juste ce qu’il faut et ne visent pas l’excellence en tout, n’auront que juste ce qu’il faut et c’est ce qui explique tout simplement leur Hermann H. Cakpo . 614 386 409 616 758 722 304 330

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